Discours de M. Gérard COLLOMB, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, prononcé par Madame Jacqueline GOURAULT, ministre auprès du ministre d'Etat, à l’occasion de la discussion au Sénat du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie tel qu’adopté à l’Assemblée Nationale, le mardi 19 juin 2018.
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Lois,
Monsieur le Rapporteur,
Monsieur le Rapporteur pour avis,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Avant d’entamer mon propos, je tiens à excuser le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, de son absence en ouverture de cette séance publique.
Elle s’explique naturellement puisque ce dernier est aujourd’hui retenu avec le Président de la République à Berlin où se tient un conseil des ministres franco-allemand à l’agenda duquel est inscrit le défi des migrations.
Le contexte politique sur notre continent étant actuellement très instable, pour ne pas dire critique, avec le risque, pour l’Union Européenne, de se disloquer autour de la question des migrations, vous comprendrez que la présence de Gérard COLLOMB à cette réunion de haute importance s’avérait indispensable et qu’il m’ait demandé de le représenter. Il sera cependant présent pour participer à ce débat essentiel dès demain et pour la suite des travaux parlementaires devant votre assemblée.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi pour « une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » qu’il vous est proposé de débattre aujourd’hui constitue donc un texte très important.
Très important parce qu’il s’agit de permettre à toutes celles et ceux qui fuient la guerre et la persécution, de pouvoir être mieux accueillis en France, de voir leurs démarches facilités, et de commencer plus tôt leur parcours pour s’insérer dans la société française.
Très important parce que les mesures que nous allons examiner visent aussi à lutter contre l’immigration illégale, ce qui correspond, vous le mesurez dans vos territoires, à une aspiration forte exprimée par nos concitoyens, aspiration à laquelle nous devons répondre si nous ne voulons pas que demain, tous les populismes grandissent encore dans notre pays.
Sur ces questions sensibles, je crois que nous serons tous d’accord, au sein de cette Haute Assemblée, pour souligner qu’on ne saurait se soumettre au diktat de l’image et de la peur. Oui, pour penser des solutions pertinentes au défi migratoire, il convient de se fonder sur une analyse objective de ce qu’est la situation.
Aussi voudrai-je commencer ce discours en vous livrant quelques données précises.
Commençons par la situation européenne.
Après avoir atteint des sommets historiques avec 1,3 million de demandes en 2015 et 1,2 million de demandes en 2016, la demande d’asile sur notre continent a diminué de moitié l’année dernière pour s’établir en 600 000.
Les franchissements illégaux des frontières extérieures de l’espace Schengen s’établissent eux à un niveau certes élevé - 205 000 en 2017 selon Frontex - mais sans commune mesure avec les chiffres constatés il y a encore quelques temps (1.8 million de franchissements en 2015).
Toutefois, il convient d’adopter une vraie vigilance. Car on constate, depuis quelques mois, une forte recrudescence des flux migratoires sur la route orientale et la route occidentale.
Un épisode comme celui que nous avons vécu la semaine dernière avec l’Aquarius a par ailleurs révélé que la route migratoire de Méditerranée centrale, si elle est moins empruntée qu’auparavant, demeure encore très active.
La crise migratoire en Europe est donc loin d’être terminée.
Mais pour ce qui est de la France, la situation est encore plus préoccupante.
Car on observe une évolution à contre-courant.
La demande d’asile dans notre pays s’établit en effet à un niveau de 100 000 demandes pour l’année 2017, soit une augmentation de +17% par rapport à l’année précédente. Elle était de 50 000 en 2010.
Notre territoire est de plus en plus exposé à des flux secondaires de dizaines de milliers de personnes qui, s’étant vu refuser l’asile dans un autre pays européen, viennent tenter leur chance sur notre sol.
Les conséquences de cette situation, vous les vivez au quotidien dans vos territoires.
Notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile est saturé, alors même que le nombre de places disponibles a doublé en quelques années, passant de 44 000 en 2012 à 80 000 aujourd’hui. Le système d’hébergement d’urgence qui a lui aussi doublé (passant de 80 000 à 138 000) ne permet d’absorber la demande.
Résultat : au cœur de nos villes, grandes et moyennes, se multiplient des campements de fortune où, pour les migrants, les conditions de vie sont très difficiles et qui, pour les riverains, sont hélas générateurs d’importantes nuisances quand ce n’est pas de troubles à l’ordre public.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la réalité telle qu’elle est, telle que la vivent nos concitoyens.
Il nous faut avoir le courage de la décrire, de la regarder en face. Car c’est seulement à partir de ce constat objectif, qu’il est possible d’agir.
Agir !
C’est ce que le Président de la République et le Gouvernement ont fait depuis un an.
Et d’abord en travaillant en Afrique auprès des pays d’origine des migrations.
La Président a ainsi pris des initiatives fortes pour contribuer à stabiliser le continent et éviter que n’y naissent de nouveaux conflits qui seraient nécessairement porteurs de nouvelles migrations.
La France et l’Union Européenne s’engagent pour donner un avenir à la jeunesse africaine, notamment au travers de l’aide au développement – c’était le discours du Président à Ouagadougou.
Nous sommes également en pointe pour lutter contre les réseaux de passeurs.
Car il ne faut pas croire que les migrations sont exclusivement des mouvements spontanés. Elles sont aussi le fruit de l’action de trafiquants d’êtres humains, souvent liés au crime, au commerce des armes voire au terrorisme, qui dépouillent les migrants de tous leurs biens, les font passer par des routes dangereuses au cœur du désert, les placent dans des camps en Libye, avant de leur faire tenter une traversée périlleuse de la Méditerranée.
Et contre cela oui, nous nous devons de lutter.
La France est par ailleurs très active, aux portes de l’Union Européenne, avec l’action résolue conduite par le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, pour faire en sorte que les ressortissants de pays comme l’Albanie qui bénéficient d’une exemption de visa, ne détournent pas cette facilité pour demander l’asile en Europe alors même que leur taux de protection est extrêmement faible (moins de 5%).
Et nous avons obtenu de premiers résultats puisque la demande albanaise a baissé d’un tiers entre les premiers mois de 2018 et les premiers mois de 2017.
Enfin, nous travaillons également avec nos partenaires européens, même si le récent contexte politique complexifie notre action, pour faire en sorte que se développe une vraie solidarité européenne dans l’accueil des demandeurs d’asile.
Il convient donc, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, d’agir au niveau international, car la réponse au défi migratoire est et sera nécessairement globale.
Mais si la France est aujourd’hui à contre-courant des autres Nations européennes, avec une demande en hausse quand elle baisse partout ailleurs, c’est parce que notre système d’asile et d’immigration est aujourd’hui perfectible.
Depuis un an, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures fortes pour l’améliorer.
Et je rappelle que le renforcement des moyens des services étrangers des préfectures, la création dans chaque grande région de centre d’accueil et d’examen des situations (CAES), les efforts consentis par l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile, ont d’ores et déjà permis de réduire de 14 à 11 mois, le délai moyen d’instruction de la demande d’asile.
Sur la question des éloignements, la mobilisation des équipes préfectorales a permis d’augmenter, par rapport à l’an dernier, de 9% leur nombre, quant à l’adoption de la proposition de loi WARSMANN, elle a permis de sécuriser le cadre juridique des transferts Dublin, transferts en hausse de 60%.
Toutefois, il faut aujourd’hui d’aller beaucoup plus loin.
Lors de la campagne présidentielle, le Président de la République avait pris l’engagement fort de réduire à six mois en moyenne le délai d’instruction de la demande d’asile. Avec la volonté - soulignait-il - de permettre à ceux qui obtiendront une protection de commencer rapidement leur parcours d’intégration dans la société française. Et, en même temps, de faire en sorte que ceux qui seraient déboutés, puissent être éloignés du territoire sans avoir perdu leurs liens avec leur pays d’origine.
Eh bien ce sont ces objectifs qu’en présentant ce texte, le Gouvernement poursuit.
Ce projet de loi pour « une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » a fait l’objet d’une large adoption par les députés le 22 avril dernier. A l’issue de débat qui se sont tenus pendant près d’une semaine, les députés sont parvenus, nous le croyons, à l’adoption d’un texte équilibré.
Le projet de loi a ensuite été largement amendé lors de son examen le 6 juin par votre commission des Lois et je veux saluer son Président Philippe BAS ainsi que le Rapporteur, François Noël BUFFET.
Certains enrichissements vont dans le bon sens - et le Gouvernement proposera qu’ils soient conservés.
Il est en revanche des mesures qui, de nature à remettre en cause l’équilibre du texte, entre humanité et efficacité, recevront de notre part un avis défavorable. Sur ces points les plus symboliques, le Gouvernement a déposé des amendements qui, soit tendent à revenir à l’esprit du texte initial, soit proposent de supprimer certaines dispositions avec lesquelles le Gouvernement ne peut marquer son accord. Nous ne désespérons pas, à l’occasion de l’examen en séance publique cette semaine, de vous en convaincre.
Votre commission des Lois a par exemple souhaité supprimer les dispositions portant de 1 à 4 ans la durée des titres de séjour délivrés aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides et revenir sur la possibilité pour les frères et les sœurs d’un réfugié mineur – et je parle bien d’un réfugié reconnu comme tel au titre de l’asile – de le rejoindre.
Sur ce sujet, je voudrais d’ailleurs bien préciser, puisqu’un procès nous a été fait à l’Assemblée nationale par le groupe LR, que cela ne concernera que les mineurs réfugiés, c’est-à-dire quelques centaines de mineurs par an, et qu’il ne faut pas confondre ce public avec les mineurs non accompagnés pris en charge par les conseils départementaux au titre de l’aide sociale à l’enfance. La portée de cette disposition ne doit donc pas être surestimée.
Le Gouvernement ne peut évidemment l’accepter.
Car c’est la grandeur de la France que de proposer de telles mesures qui, ciblées sur les personnes les plus vulnérables, sont conformes à la grande tradition d’accueil qui est celle de notre pays.
Il y a ensuite des mesures dont la portée opérationnelle ne me semble absolument pas garantie et qui emportent plus d’inconvénients juridiques que d’avantages. Je pense par exemple à la volonté de faire en sorte que le rejet de la demande d’asile vaille obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui me semble entraîner une certaine forme de confusion entre, d’une part, la portée de la décision prise par l’OFPRA ou la CNDA et, d’autre part, les prérogatives de l’autorité administrative.
Je pense également à l’instauration de quotas, qui ne furent pas mis en œuvre sous de précédentes législatures, alors même que les occasions n’auraient alors pas manqué de le faire lors des nombreuses modifications du droit des étrangers dont le Parlement avait été saisi.
Comment le Gouvernement pourrait-il, là aussi, accepter une telle mesure dans la mesure où la limitation du droit au regroupement familial qu’une mesure de quota occasionne est directement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier son article 8 qui reconnaît le droit à une vie familiale normale ?
De même, vous proposez de supprimer l’Aide médicale d’Etat et de la remplacer par une aide médicale d’urgence dont le panier de soins serait plus réduit. Là aussi, le Gouvernement ne saurait admettre une telle régression des droits des personnes qui aurait pour conséquence, en réduisant les soins accordés aux étrangers, fussent-ils en situation irrégulière, d’accroître les risques pour la santé publique.
Sur de tels sujets, le Gouvernement marquera de manière ferme et déterminée son opposition.
Enfin, des mesures ont été adoptées par votre Commission qui auraient pour conséquence d’allonger les délais d’instruction du droit d’asile et d’amoindrir l’efficacité des politiques d’éloignement, deux objectifs que, pourtant, je crois que nous partageons avec la majorité sénatoriale.
Je pense par exemple au maintien à un mois du délai de recours devant la CNDA là où le Gouvernement souhaite le faire passer à quinze jours. On ne peut, je crois, vouloir à la fois la réduction des délais d’instruction du droit d’asile – et vous le voulez, et refuser cette mesure qui a été très encadrée par l’Assemblée nationale.
Autre sujet : la suppression de la possibilité de demander l’aide au retour pour les personnes en rétention. Là encore, on ne peut vouloir améliorer l’efficacité des politiques d’éloignement, et rejeter cette mesure qui est de nature à augmenter significativement le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
L’enjeu qui nous réunit aujourd’hui est tout à fait décisif. Pour la France et pour les Français bien sûr, pour lesquels le sujet migratoire est une des préoccupations principales.
Mais plus largement pour l’avenir de l’Europe.
On voit aujourd’hui quelles positions sont en présence.
Il y a d’une part ceux qui veulent accueillir tous ceux qui le souhaitent, qui nient jusqu’à l’existence même des frontières. C’est là, chacun le comprend une impasse, car l’Europe ne pourra jamais faire face au doublement de la population de l’Afrique.
Il y a ensuite ceux – et ils sont de plus en plus nombreux en Europe et en France, qui rejettent tout accueil, y compris celui de ceux qui fuient la guerre et la persécution. Cela est en tout point contraire à l’histoire européenne. Et jamais nous n’accepterons que le droit d’asile soit remis en question.
Notre responsabilité à nous, la France, est de porter une ligne empreinte de fermeté et de justice, d’efficacité et d’humanité, fidèle aux valeurs de la République, fidèle aux valeurs de l’Europe.
Voilà l’enjeu à la hauteur duquel nous devons nous hisser.
Nous sommes regardés, par les Français, par nos partenaires, par les peuples européens.
Je suis convaincu, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, que nos débats seront à la mesure de la responsabilité qui est celle de la France aujourd’hui.
Je vous remercie.