Adoption définitive le 1er août 2018
Alors qu’en Europe, le pic de la crise migratoire commencée en 2015 semble avoir été franchi, la France continue à faire face à des flux d’un niveau inédit. Ainsi, quand la demande d’asile sur le continent se réduisait de moitié en 2017, passant de 1,2 million de demandes à 600 000, elle continuait à croître dans notre pays, dépassant les 100 000 demandes, un chiffre en augmentation de +17% par rapport à 2016.
Cette évolution à rebours de ce que connaissent les pays voisins menace l’équilibre de notre système : le dispositif national d’accueil est saturé, les places en hébergement d’urgence trop peu nombreuses pour faire face à la demande, si bien qu’au cœur de nos villes, se constituent des campements indignes de la tradition d’accueil de notre Nation.
Parce que cette situation n’est satisfaisante pour personne – ni pour les demandeurs d’asile, ni pour nos concitoyens - le Gouvernement mène depuis plus d’un an une action forte. Au niveau international, il dialogue avec les pays africains afin de lutter contre les réseaux de passeurs et de soutenir le développement économique de ce continent. Au niveau européen, il fait en sorte de limiter le recours à la demande d’asile de la part de ressortissants issus de pays d’origine sûre et exemptés de visas (Albanie, Géorgie). Au niveau national, enfin, de premières mesures ont été prises à la fois pour instruire plus rapidement le droit d’asile – création de Centres d’Accueil et d’Examen des Situations (CAES), renforcement des moyens des services étrangers des préfectures - et pour appliquer plus efficacement les décisions d’éloignement prises à l’endroit des étrangers en situation irrégulière.
Cependant, le volontarisme du Gouvernement se heurtait jusqu’alors à des obstacles sur le plan du droit. Pour réduire, comme s’y est engagé le candidat Emmanuel Macron durant la campagne électorale, le délai moyen d’instruction du droit d’asile à six mois en moyenne, il fallait donc en passer par la loi. Ce texte visant à une « immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » est le fruit d’une co-production législative tout à fait inédite.
Ma méthode, à chaque étape de l’élaboration de la loi, ce fut en effet l’écoute, l’ouverture et le dialogue. Écoute, à travers des dizaines de rencontres avec plusieurs centaines de parlementaires parfois avant même que le texte ne soit présenté en Conseil des ministres. Ouverture avec les membres de la Commission des lois qui, sur des points comme la durée de rétention, la protection des demandeurs d’asile homosexuels ou encore les déplacés climatiques, ont permis d’enrichir le texte. Dialogue enfin, en séance publique, avec les députés de l’ensemble des sensibilités politiques, qui ont pu faire valoir leur point de vue plusieurs dizaines d’heures durant sur un projet de loi d’importance, puisqu’il contribuera à dessiner le visage de la France dans les décennies à venir.
Je suis fier aujourd’hui de l’adoption d’un texte qui fera date. Un texte qui rapproche le droit et les pratiques françaises du droit et des pratiques en vigueur chez nos partenaires européens. Un texte permet à notre pays de rester fidèle à sa tradition d’accueil de tous les persécutés tout en assurant, pour les étrangers en situation illégale, un éloignement conforme à notre État de droit. Un texte qui, je l’ai souligné dans mon discours avant son adoption, apporte au défi migratoire une réponse tout à la fois républicaine, humaniste et efficace.
La France est à la pointe des États membres de l’Union européenne dans l’action auprès des pays d’origine et de transit des migrants en termes d’aide publique au développement, ainsi qu’en matière de coopération pour le renforcement de la maîtrise des flux migratoires et de la lutte contre les passeurs d’êtres humains. Ces actions, ainsi que celles de nos partenaires européens, ont contribué, avec l’appui de l’UE, à ce que les arrivées irrégulières en Europe diminuent en 2018 de 95% par rapport au pic d’octobre 2015.
La réinstallation vise à accueillir de manière durable dans un État-membre de l’UE des réfugiés en situation de vulnérabilité, depuis un pays de premier accueil extérieur à l’Union européenne. Si des engagements ont été pris dès 2008 en la matière, le Président de la République a donné au programme de réinstallation une dimension sans précédent en prenant l’engagement fin 2017 d’accueillir 10 000 réfugiés d’ici 2019, dont 3 000 en provenance du Tchad et du Niger.
Les articles 1 et deux visent à renforcer la protection que la France accorde aux plus vulnérables en sécurisant le droit au séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides et des membres de leur famille. Ainsi :
L’article 3 vise à améliorer la protection des mineurs. Cela concerne, d’une part, les jeunes filles contre le risque d’excision. Pour cela la transmission du certificat médical établi pour une jeune fille exposée à un risque de mutilation sexuelle dans son pays est simplifiée et sécurisée et garantit la réunification familiale pour les mineurs réfugiés isolés. Ainsi, la loi permet la transmission du certificat médical des jeunes filles courant le risque d’excision dans leur pays directement par le médecin à l’OFPRA.
D’autre part, l’article 3 étend le bénéfice de la réunification familiale aux frères et sœurs des réfugiés mineurs.
La réunification familiale des mineurs réfugiés
Cette disposition, loin de créer un « appel d’air », constitue une avancée importante. Elle permettra la protection de l’unité familiale et le respect du droit à une vie familiale normale, consacré à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, les mineurs réfugiés peuvent faire venir leurs parents, mais le droit ne permettait pas jusqu'ici que les parents viennent avec leurs autres enfants mineurs. Cela obligeait donc les parents désirant rejoindre leur enfant en France à laisser leurs autres enfants mineurs au pays.
La loi remédie à cette absurdité.
Cette disposition aura une portée limitée : elle ne concerne que les mineurs ayant reçu une protection de l’OFPRA, soit 357 personnes en 2017. Il ne faut pas confondre ces mineurs réfugiés avec les mineurs non-accompagnés qui se présentent aux services des conseils départementaux pour demander la protection de l’enfance, qui étaient au nombre de 15 000 en 2017.
Les articles 57 et 58 visent à sécuriser le droit au séjour des étrangers victimes de violences conjugales ou familiales. Ces mesures contribuent à la protection des personnes vulnérables et s’inscrivent dans « l’élimination complète des violences faites aux femmes » qui constitue le « premier pilier » de l’égalité femmes-hommes, érigée en grande cause nationale par le Président de la République dans son discours du 25 novembre 2017. Ces articles instaurent un parcours cohérent et progressif dans la sécurisation du droit au séjour des victimes de violences conjugales, qui peuvent être réticentes à dénoncer les violences dont elles sont victimes lorsque leur droit au séjour dépend de la continuité de leur relation conjugale. Il prévoit donc qu'une carte de résident soit remise de plein droit à la personne qui obtient la condamnation définitive de l'auteur des violences, et qu’une carte de séjour temporaire soit délivrée lorsque la personne fait l'objet d'une ordonnance de protection provisoire.
Ces dispositions s'appliqueront en outre aux étrangers détenteurs d'une carte de résident de dix ans ou entrés en France par le regroupement familial.
L’article 55 vise à préserver l’intérêt de l’enfant et à lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité en responsabilisant l’auteur de la reconnaissance. Ainsi, l’article :
Pour toutes celles et ceux qui ont vocation à rester légalement en France, le Gouvernement a décidé d’accroître significativement l’effort d’intégration. Sur la base des propositions formulées par le député Aurélien Taché, qui s’était vu confier un rapport par le ministre de l’Intérieur visant à établir des propositions pour améliorer l’intégration des étrangers en situation régulière, un plan d’actions ambitieux comptant près de 70 mesures, a été adopté le 5 juin par le comité interministériel à l’intégration, présidé par le Premier ministre Édouard Philippe. Il met l’accent sur quatre priorités :
La loi reflète ces priorités, en refondant les dispositions législatives relatives au contrat d’intégration républicaine (article 48), mais aussi en permettant l’accès au marché du travail pour les demandeurs d’asile au bout de six mois de procédure (article 49).
Alors que le Conseil constitutionnel a, par une décision du 6 juillet 2018, donné une portée juridique au principe de fraternité, l’article 38 de la loi élargit l’exemption pénale en matière de délit d’aide au séjour et à la circulation des étrangers en situation irrégulière à toutes les actions accomplies dans un but humanitaire.
En excluant les actions visant à faciliter l’aide à l’entrée irrégulière sur le territoire, cet article concilie ainsi les valeurs françaises de solidarité et de fraternité avec la lutte contre les passeurs (au nombre de 60 000 selon Europol) et avec la protection de nos frontières, qui est de la responsabilité de l’État.
Si cette loi vise à faire converger le droit français avec les standards européens, c’est parce que la France promeut une politique d’asile et d’immigration plus intégrée et mieux harmonisée à l’échelle européenne. Outre la coopération avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, la France défend des positions ambitieuses à l’échelle européenne :
L’action du Ministère de l’Intérieur depuis un an vise à accélérer le traitement des demandes d’asile pour que celles-ci soient examinées en 6 mois en moyenne. En particulier, le délai pour déposer une demande d’asile en préfecture a été drastiquement réduit depuis juillet 2017 : alors qu’il était de 21 jours en moyenne, il est désormais de 3,6 jours et continue même de baisser. Le délai de 3 jours sera tenu très prochainement.
L’article 8 vise à accélérer les délais de la procédure d’asile en cas de recours devant la CNDA ainsi qu’à faciliter le fonctionnement de la cour en développant le recours aux moyens de communication audiovisuelle, sous réserve qu’il soit qualitatif et en présence d’un interprète.
Les délais de dépôt d’une demande d’aide juridictionnelle sont également modifiés pour accélérer les procédures.
L’article 12 vise à aménager le caractère suspensif du recours contre une décision de rejet de la demande d’asile.
Dans 9 États-membres, parmi lesquels l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, le recours n’est pas automatiquement suspensif pour les procédures accélérées. Le recours ne sera plus systématiquement suspensif pour les personnes originaires de pays d’origine sûre, ceux qui présentent une menace pour l’ordre public et les réexamens. Les personnes pourront demander à ce que leur recours se voie conférer un caractère suspensif par le tribunal administratif à l'occasion du contentieux contre la mesure d'éloignement dont elles feront l'objet.
En Allemagne, les demandeurs d’asile et les réfugiés sont tenus d’habiter dans un Land, avec une clé de répartition (clé dite de « Königstein »).
L’article 13 crée un schéma national d’accueil des demandeurs d’asile, avec une clé de répartition régionale.
Ce schéma national inclura les nouveaux centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), créés par le Gouvernement pour améliorer le premier accueil des migrants, avant même qu'ils ne déposent leur demande d'asile. Plus de 2 000 places ont été créées dans ces centres. En outre, ce schéma uniformisera les catégories d'hébergement, pour améliorer la prise en charge des personnes. Dans les orientations vers les régions, la vulnérabilité des personnes, notamment des victimes de la traite, devra être prise en compte.
En complément, 4 500 places supplémentaires ont été créées dans le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, ainsi que 3 000 places en centres provisoires d’hébergement pour les réfugiés les plus vulnérables.
La durée de rétention maximale en France est aujourd’hui la plus courte au sein de l’UE :
Ainsi, l'article 29 :
L’article 25 accorde l’aide au retour volontaire à un étranger en rétention afin de favoriser des départs plus rapides, mieux acceptés et plus respectueux de la dignité humaine.
Les articles 40 et 41 visent à renforcer l’attractivité et l’accueil des talents et des compétences sur le territoire Français, par exemple en développant le passeport talent ou en transposant la directive « étudiants et chercheurs ». Ces talents contribuent au dynamisme de notre pays dont ils deviendront les ambassadeurs.
L’article 40 étend le « passeport talent » :
L’article 41 facilite l’entrée et le séjour des étudiants et chercheurs sur le territoire national :
En 2017, les éloignements ont augmenté de 14% par rapport à 2016, et cette tendance se poursuit en 2018. En particulier, le chiffre des transferts Dublin, pour les personnes dont la demande d’asile relève de la compétence d’un autre État membre de l’UE, a doublé entre 2016 et 2017 (+ 100%). Plusieurs actions sont conduites par les services du Ministère de l’Intérieur à cette fin :
L’article 35 vise à étendre les possibilités d’investigation pendant la retenue :
Comme l’a rappelé Gérard Collomb en octobre 2017, après l’attentat de Marseille, l’éloignement des étrangers qui présentent une menace pour l’ordre public constitue une priorité. Entre début 2017 et début 2018, 197 étrangers en situation irrégulière et 80 étrangers en situation régulière fichés pour radicalisation ont ainsi fait l’objet d’une mesure administrative d’expulsion ou d’éloignement exécutée ou en cours d’exécution. Plusieurs mesures de la loi visent à rendre ces procédures plus efficaces :
Alors que certains territoires ultramarins font face à une pression migratoire forte (immigration irrégulière comorienne à Mayotte, demande d’asile haïtienne en Guyane), le texte comporte plusieurs dispositions qui permettront d’améliorer la réponse de l’État face à ces situations migratoires :
Dossier de presse relatif au projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 22 avril 2018.