Intervention de M. Claude GUÉANT, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, vendredi 15 avril 2011.
- Seul le prononcé fait foi -
Messieurs les représentants des cultes de France,
Il y a un peu plus de six ans, notre pays commémorait le centenaire de la loi du 9 décembre 1905, montrant par là l'attachement de la communauté nationale aux grands équilibres de la laïcité à la française, qui garantit la liberté de croire ou de ne pas croire.
Cette laïcité est le résultat d'une longue histoire qui n'a pas été simple. Mais en dépit des crises et des conflits, comme l'avait d'ailleurs prévu l'un de ses pères fondateurs, Ferdinand Buisson, la laïcité fait désormais pleinement partie du « patrimoine national français » et personne ne songerait sérieusement à s'en plaindre.
Certes, pour autant acceptée qu'elle soit, la notion de laïcité fait l'objet de maintes interrogations, voire de controverses sur le terrain philosophique. Pour certains, elle demeure ce qu'elle a été à l'origine : un instrument militant de refoulement du religieux. Pour d'autres, elle apparaît comme un élément de pacification et de tolérance, une sorte de socle humaniste devant être partagé par tous, croyants et non croyants.
Sans s'aventurer sur les rivages de la philosophie, qui permettent bien naturellement à chacun de voir la laïcité à sa manière, le gouvernement, que je représente aujourd'hui, préfère le terrain du droit qui prête moins à équivoque. Je pense que pour comprendre l'essence du concept de laïcité, on peut se contenter de relire seulement deux articles : les deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905. Cette loi, en effet, sans être le seul texte régissant la laïcité dans notre pays, en constitue néanmoins le fondement.
Aux termes de l'article 2, que je citerai en premier, parce qu'il est celui qui, rompant avec la tradition, a le plus frappé les contemporains : la République « ne reconnaît aucun culte ». Par là, le législateur n'a pas entendu dire que la République se refusait à en connaître l'existence, mais seulement que, désormais, le fait religieux devenait extérieur à l'Etat. L'Etat laïc est celui qui se situe en dehors de toute obédience religieuse, et qui laisse les activités confessionnelles s'organiser librement dans le respect de l'ordre public établi par la loi.
Quant à l'article premier, il proclame que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public ». C'est l'aspect positif de la laïcité. Laïc, l'Etat assure la liberté de conscience, c'est-à-dire la liberté personnelle de croire ou de ne pas croire. Il prend à son égard un double engagement : non seulement celui de la respecter lui-même, mais encore de l'assurer, c'est-à-dire d'en prévenir les violations.
Ces principes essentiels étant rappelés, quels enseignements généraux peut-on en tirer ?
Premier enseignement : la laïcité n'est pas l'ignorance du fait religieux, encore moins sa négation.
La laïcité, notamment telle qu'elle s'exprime au travers de la loi de 1905, met fin seulement à l'intégration des cultes à l'Etat. Les religions sont devenues, suite à la séparation de l'Etat et des cultes, des affaires privées. Mais l'Etat laïc n'a aucune raison de les ignorer. N'est-il pas en relation étroite, d'ailleurs, avec toutes les autres institutions de la société civile : que ce soient les institutions culturelles, économiques ou sociales ?
Même dans un régime de séparation, il y a, et il doit y avoir dialogue entre les cultes et l'Etat. « Cent ans de pratique du régime de séparation, écrit le Professeur Jean-Pierre Machelon dans son rapport, montrent que celui-ci est envisagé désormais comme un espace de relations entre des réalités définitivement distinctes ». Il y a bien, effectivement, et le ministre chargé des Cultes que je suis ne peut que s'en réjouir, un véritable esprit de concertation entre les religions et l'Etat.
Il ne s'agit pas d'exclure du débat public ceux qui cherchent une réponse dans la transcendance divine. L'action publique se nourrit de cet échange. Les cultes ont leur perception des évolutions de notre société. Il faut savoir les entendre, et les écouter.
Deuxième enseignement : la laïcité est indissociable de la liberté de religion.
La notion de laïcité est complexe. Elle a souvent donné lieu à de mauvaises interprétations. Des deux articles clefs de la loi de 1905, on a souvent tendance à oublier ou à passer sous silence le premier, qui protège, et à ne retenir que le deuxième, qui délimite. Il faut sans cesse rappeler qu'il n'y a pas, d'un côté, le concept de laïcité, et de l'autre, sous-entendu, à l'opposé, celui de liberté religieuse. La laïcité à la française n'est pas une posture antireligieuse de l'Etat vis-à-vis des cultes, qui dériverait d'une soi-disant philosophie rationaliste, encore moins une attitude de défiance ou d'hostilité envers eux.
Comme le proclame notre Constitution de 1958, dans son article 1er : la République française est laïque. Elle respecte toutes les croyances. Autrement dit, c'est bien parce qu'elle est laïque que la République respecte toutes les croyances.
On n'accorde sans doute pas suffisamment d'intérêt à cet article de notre Loi fondamentale. On a tort. Est signifié, en peu de mots, que la laïcité de l'Etat, en France, est rien moins que la base idéologique du régime de la liberté religieuse ; régime qui comprend à la fois la liberté de conscience, c'est-à-dire la liberté de choisir entre l'incroyance et l'adhésion à une religion parmi celles qui se proposent aux hommes, et liberté des cultes, c'est-à-dire la liberté de la pratique individuelle et collective de la religion.
Cette conception de la laïcité, que l'on peut appeler « ouverte » ou « apaisée », n'a pas toujours prévalu. Ses débuts, nul ne l'ignore, ont été pour le moins orageux. Mais le nouveau régime des relations défini par la loi de 1905 a fini, fort heureusement, par trouver son équilibre et par déboucher sur une solution satisfaisant tout à la fois l'Etat et les cultes.
Mais cette évolution et cet équilibre dégagé à la longue, a concerné d'abord et avant tout les rapports des pouvoirs publics avec les religions traditionnellement pratiquées dans notre pays : le protestantisme, le judaïsme et surtout l'Eglise catholique. Les développements récents du phénomène religieux posent aujourd'hui de nouveaux problèmes dont le droit ne s'est pas encore globalement saisi. Tel est le cas, par exemple, du bouddhisme et surtout de l'Islam, qui est devenu en quelques années la seconde religion de France par le nombre de ses pratiquants après le catholicisme.
C'est une évidence de dire que la montée en puissance de cette nouvelle confession dans le paysage religieux national représente un fait historique majeur et suscite, de la part de l'Etat, de la part de nos concitoyens non musulmans et de la part des membres de cette nouvelle communauté de croyants un certain nombre d'interrogations qui appellent autant de réponses.
Dire que les débats récents sur la laïcité ou bien encore les nombreux rapports qui se sont succédés depuis le début des années quatre-vingt-dix n'ont rien à voir avec ces nouveaux développements du fait religieux dans notre pays serait hypocrite et malhonnête. Les réflexions sur la laïcité du Conseil d'Etat en 2004 et l'excellent rapport Machelon de 2005 sont ainsi, chacun à leur façon, des tentatives de réponse apportées aux problèmes concrets posés par l'apparition sur la scène religieuse française d'un nouvel acteur important.
Mais ces rapports, comme le très récent débat sur la laïcité organisé par le principal parti de la majorité présidentielle, ainsi que mon intervention de ce jour, devant vous, ne se résument pas à cela. Les pouvoirs publics s'intéressent régulièrement à la laïcité depuis plus d'un siècle, parce que le concept de laïcité est un concept en constante évolution. « La laïcité n'est pas une notion dont le contenu se serait figé il y a un siècle : elle se nourrit des évolutions de la société, des attentes du corps social, comme des exigences de l'Etat de droit »(Rapport du HCI, L'Islam dans la République, 2000).
Voilà pourquoi, d'ailleurs, la loi de 1905, présentée souvent comme un bloc de marbre intangible a fait l'objet de nombreux ajustements au cours du temps, d'un toilettage régulier. Certes, les principes qu'elle pose sont définitifs, au sens où il n'est venu à personne l'idée de remettre en cause les grands équilibres qu'elle a créés. Cela n'a pas empêché le législateur de la remettre sur le métier plus d'une dizaine de fois.
Aujourd'hui, ce n'est pas ce que le gouvernement se propose de faire. Non par un excès de pudeur ou d'esprit de révérence. Nous ne souhaitons pas vous proposer de modification de la loi de 1905, parce que nous sommes tout simplement satisfaits de ses grands équilibres et parce que nous n'entendons pas les remettre en cause.
Cela ne signifie pas que nous souhaitions, aujourd'hui, que rien ne change. Ne pas toucher à la loi de 1905 ne veut pas dire s'abstenir de toute initiative législative quand celle-ci s'avère incontournable. Je viens de le dire : la laïcité doit évoluer au même rythme que la société, les problèmes qu'elle rencontre et les exigences de notre démocratie. Cela passe par des initiatives diverses, qui vont de l'instruction ministérielle à la mise en place d'un groupe de travail interministériel pour définir, ensemble, les nouvelle inflexions de la laïcité.
*****
Le débat qui a traversé la société française ces dernières semaines a montré que si le principe de laïcité est un des principes organisateurs de notre pays, il convenait de mieux le faire connaître, d'en expliquer sa portée comme ses limites.
C'est le sens de la première proposition.
Proposition 1 : Mieux faire connaître la laïcité et son application dans la République
- L'élaboration d'un « code de la laïcité et de la liberté religieuse » permettra une meilleure connaissance du principe de laïcité et participera donc à la prévention de conflits éventuels
- Il répond à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accès et d'intelligibilité de la règle de droit. Comment faire appliquer le principe de laïcité si la règle est mal-comprise ou insuffisamment claire ?
- Un tel code, qui prendra la forme d'un recueil, rassemblera les grands textes qui fondent notre pacte républicain (Traités internationaux, Constitution, lois, règlements et circulaires) ainsi que les principales jurisprudences qui les illustrent. Le travail en cours au sein du ministère de l'Intérieur devrait aboutir dès le mois de mai. Il fera l'objet d'une publication à la Documentation française.
- La formation initiale et continue des fonctionnaires intègrera l'apprentissage de la laïcité
Confronté à des demandes légitimes ou à des revendications qui le sont moins, prenant parfois la forme d'un prosélytisme religieux abusif, les fonctionnaires se sentent souvent désarmés dans la conduite à tenir, que ce soit à l'hôpital ou à un guichet de préfecture par exemple.
Les agents du service public doivent être préparés, formés et n'ont pas à gérer seuls ces situations parfois délicates. La finalité poursuivie par les actions de formation est de répondre aux attentes concrètes des fonctionnaires, notamment de ceux qui sont au contact direct avec les usagers.
C'est pourquoi, un module d'enseignement sera introduit sur la laïcité et la liberté religieuse dans l'ensemble des écoles de fonctionnaire (ex : Ecole nationale d'administration, Instituts régionaux d'administration, Ecole nationale de la santé publique, Ecole nationale de l'administration pénitentiaire...) mais aussi dans les plans ministériels de formation continue.
La présentation du Code de la laïcité et de la liberté religieuse servira de fondement à cet enseignement.
- L'enseignement à l'école de la laïcité sera mieux identifié dans le cadre de l'instruction civique
Ce travail de pédagogie doit naturellement commencer à l'école républicaine. Il ne s'agit pas d'enseigner le fait religieux, ni l'histoire des religions qui a déjà toute sa place dans les cours d'histoire.
L'enseignement de la laïcité consiste à rappeler ce qu'est une République laïque, les règles à respecter sur l'espace public et dans les services publics, mais aussi les conditions de la liberté de conscience. Jules FERRY dans sa lettre aux instituteurs parlait « des règles élémentaires de la vie morale » que l'école républicaine devait enseigner. Les principes de laïcité font partie « des règles élémentaires de la vie morale » de la France contemporaine.
Cet enseignement, qui existe en partie, sera renforcé à l'occasion de la prochaine circulaire de rentrée du ministre de l'Education nationale.
- Des « correspondants laïcité » seront désignés dans les Administrations au niveau central mais aussi local
C'est d'abord au plus près des réalités du terrain que les questions se posent, que ce soit à l'école, dans le fonctionnement des services publics locaux, ou encore pour l'utilisation d'espaces publics. Dans chaque préfecture, un sous-préfet sera le référent des élus et des chefs de service sur l'ensemble des questions liées à la mise en œuvre du principe de neutralité du service public.
Il va de soi que ces correspondants seront aussi les interlocuteurs naturels des associations cultuelles.
En complément du travail des correspondants laïcité en préfecture et de l'effort de pédagogie réalisé par le code de la laïcité et de la liberté religieuse, un document synthétique d'information sur le rappel du droit des cultes en France sera préparé et distribué.
Au plan national, chaque ministère (Justice, Santé, Défense...), aura un haut fonctionnaire médiateur bien formé aux questions de laïcité pour prévenir les conflits et répondre aux questions concernant son champ ministériel. Le bureau central des cultes du ministère de l'Intérieur, qui dépend de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, aura pour mission d'animer le réseau des « référents ministériels ».
- La formation républicaine des ministres du culte et des aumôniers devra se renforcer
Il nous faut amplifier les efforts conduits depuis 2003, notamment en ce qui concerne les ministres du culte musulman. Ceux-ci font l'objet de deux formations distinctes mais dont la finalité est la même : mieux insérer ces ministres du culte au sein de la République. La première formation, théologique, n'appartient qu'aux musulmans eux-mêmes. La seconde, non confessionnelle, est de nature pluridisciplinaire puisqu'elle associe les sciences sociales, juridiques et historiques. Elle doit trouver toute sa place dans nos universités, comme cela se pratique déjà, à Paris, à l'Institut catholique. Les ministres du culte seront ainsi mieux armés pour situer leur mission dans un environnement social régi par le principe de laïcité.
La création à l'université de Strasbourg d'une formation du même type [le diplôme universitaire « Etat, société et pluralité des religions »], est envisagée pour l'automne 2011. La maquette de l'enseignement, qui a recueilli l'avis positif des conseils de l'Université, vient d'être présentée au ministère de l'Intérieur, qui apportera la subvention nécessaire à son bon fonctionnement.
Cette formation, bien évidemment, en appelle d'autres.
Je sais, par ailleurs, que des projets de formation religieuse en France sont en réflexion au sein de la communauté musulmane, pour compléter les formations existantes. Ces projets répondent à une attente évidente des fidèles de cette communauté de foi. Sachez qu'ils trouveront un accueil favorable de la part des pouvoirs publics. Ceux-ci considèrent qu'il est souhaitable que les imams de France soient formés en France. C'est l'une des conditions pour parvenir à un véritable Islam de France.
Proposition 2 : Réaffirmer le principe de neutralité du service public, corollaire du principe de laïcité
Le Médiateur de la République souligne dans son rapport 2010 des difficultés croissantes pour faire respecter le principe de laïcité à l'hôpital au détriment même des malades et de l'organisation des soins. Les croyances religieuses de certains patients se concilient difficilement avec l'organisation des soins : remettre à plus tard les soins car le patient fait sa prière, refuser les transfusions de sang parce que le patient est un adepte des Témoins de Jehovah, refuser pour certaines patientes d'être examinées par un homme ou de se dévoiler, voire se déshabiller.
Il nous faut collectivement rappeler les règles du « vivre-ensemble » dans les services publics.
- Un certain nombres de principes peuvent être rappelés par voie d'instructions ministérielles
Le service public n'a pas à s'organiser en fonction des convictions religieuses, politiques ou philosophiques de l'usager. Cette règle, affirmée dans la Charte de la laïcité dans les services publics de 2007, doit être mieux connue.
Ainsi, en matière de restauration collective publique, aucune obligation ne pèse sur l'Etat et les collectivités publiques pour mettre à disposition des menus religieux dans les cantines publiques.
De même, dans l'organisation du service public, en particulier hospitalier, toute pratique discriminatoire ou traitement différencié fondé sur la religion des usagers du service public serait contraire au principe d'égalité devant le service public. L'expression des convictions religieuses des patients ne doit ni porter atteinte à la qualité des soins ni au fonctionnement régulier du service. Cette règle vaut aussi pour les hôpitaux privés participant au service public, en fonction de leurs caractéristiques propres.
Cela n'empêche naturellement pas des aménagements dès lors qu'ils sont compatibles avec le fonctionnement du service, comme le recours à un menu végétarien en supplément.
Notre corpus normatif nous permet de faire respecter ces principes. Il faut veiller à les faire appliquer. Ce sera la fonction des correspondants départementaux, situés dans chaque préfecture, en lien avec les administrations concernées.
- Un groupe de travail interministériel sera chargé de clarifier avant l'été les conditions d'application du principe de neutralité du service public et d'en proposer les conclusions juridiques appropriées.
Comme la Halde et le Haut Comité à l'Intégration viennent de le recommander, une clarification s'impose pour :
- les collaborateurs occasionnels du service public, surtout dans l'enseignement public
- et les organismes de droit privé du secteur médical, médico-social et social chargés d'une mission de service public (structures médicales et médico-sociales privées, crèches, missions locales, centres de formation en apprentissage).
L'esprit général de mes propositions consiste à valoriser la logique du service public. Ce n'est pas en effet au nom d'une définition matérielle ou institutionnelle du service public, que celui-ci est soumis à des obligations de neutralité et d'impartialité, mais au nom de sa raison d'être fonctionnelle.
C'est bel et bien en raison de la nature particulière de la mission de service public que l'on accomplit que l'on ne doit pas afficher ses convictions ou ses opinions politiques, philosophiques ou religieuses, de manière ostentatoire. Sauf exception, le statut personnel de l'agent et la forme juridique de la personne morale au sein de laquelle il travaille importe finalement assez peu.
Mon souhait est de privilégier l'ouverture de la faculté, par le règlement intérieur de la structure, d'intégrer des prescriptions en matière de neutralité. Cette solution permettrait à la fois de mieux faire respecter le principe de neutralité des agents de structures privées concourant au service public, tout en respectant un espace de liberté pour tenir compte des spécificités propres à certains établissements. Ainsi, une structure privée apparentée à une communauté religieuse pourra continuer à exercer sa mission.
Si des nécessités apparaissent de recourir à d'autres instruments juridiques, il faudra l'envisager.
Le problème est qu'aujourd'hui, il n'existe aucune disposition claire imposant l'obligation de neutralité aux agents exerçant leurs activités professionnelles dans un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public.
Même chose concernant les collaborateurs occasionnels du service public. Comme vous le savez, ceux-ci, dès lors que leur collaboration est effective et réelle, bénéficient d'une protection juridique et financière de l'Etat en cas d'incident. Mais qu'en est-il des sujétions auxquelles ils sont soumis en matière de neutralité ? Peut-on imaginer que ces collaborateurs puissent s'affranchir totalement du devoir d'impartialité pesant sur les autres agents publics ? Imagine-t-on, par exemple, un collaborateur qui serait requis par les autorités, et qui afficherait ostensiblement des opinions politiques, syndicales ou religieuses ?
Sur le fond, certaines questions sembleraient pouvoir recevoir une réponse claire assez facilement. Je pense d'abord aux institutions de statut privé qui exercent une mission de service public. Les missions locales pour l'emploi, les crèches associatives ou privées, les structures médicales ou sociales privées, les centres de formation d'apprentis sont des institutions dont le personnel ne peut que respecter les règles qui s'appliquent aux agents publics.
Les collaborateurs occasionnels que sont les membres de jurys d'assises ou demain les jurés populaires, ou encore les personnes qui s'occupent d'un bureau de vote sont dans la même situation.
Il y a cependant des cas qui méritent encore une discussion approfondie. Je pense [dans le cadre de l'enseignement public] aux mamans qui accompagnent une sortie scolaire qui sont des mamans d'enfant de la classe, mais qui en même temps accomplissent une mission collective. Sur ce cas, il faut poursuivre la réflexion.
Tout cela doit être étudié avec beaucoup d'attention et dans la sérénité requise, en liaison avec vous, pour éviter toute solution mal pensée, car trop rapidement rédigée.
En tout état de cause, la clarification de ces situations est nécessaire.
Depuis un mois que je vous consulte, j'ai été sensible à certains de vos arguments. Je suis convaincu qu'il est indispensable de bien délimiter le périmètre du principe de neutralité pour ne pas mettre en difficulté des structures directement ou indirectement liées à une confession.
Le groupe de travail interministériel travaillera donc, en tout état de cause, en maintenant avec vous des contacts étroits.
Proposition 3 : Garantir et favoriser le libre-exercice du culte dans la République
Dans le respect de la loi de 1905 qui pose le cadre d'une laïcité apaisée, nos propositions visent à garantir un « meilleur vivre-ensemble » plus harmonieux et à faciliter le libre exercice des cultes.
- L'instauration d'une conférence départementale de la liberté religieuse
Je vais demander à chaque préfet de département de réunir à l'automne, puis à un rythme régulier, une conférence départementale de la liberté religieuse, rassemblant les élus locaux, les responsables des services publics ainsi que les représentants des cultes. Sur la base d'un diagnostic local et des échanges avec les élus locaux concernés, les problèmes pratiques liés au vivre-ensemble peuvent être plus rapidement traités. L'appui du correspondant laïcité sera nécessaire.
Je pense qu'il faut poursuivre le travail de sensibilisation auprès des élus locaux pour faciliter la création de carrés confessionnels. Les maires ont donc été incités, par plusieurs circulaires du ministère de l'intérieur, à créer des regroupements des sépultures des personnes de même confession. Des progrès notables ont été réalisés [évaluation de la DLPAJ : 272 « carrés confessionnels » :199 musulmans, 65 israélites et 8 protestants], il faut encore les amplifier.
Le rapport MACHELON soulignait en effet que « l'enterrement sur le sol français des populations issues de l'immigration constitue [...] un enjeu majeur en termes d'intégration ». C'est donc un enjeu de cohésion nationale.
- Les services d'aumônerie à l'hôpital et en prison seront confortés
Vous le savez, les aumôneries jouent un rôle important de médiation entre les usagers du service public et le service public ou, au sein des Armées, contribuent à l'équilibre et à la cohésion des personnels. Elles permettent, notamment dans les prisons ou dans les hôpitaux, de mieux vivre sa foi dans la discrétion et la sérénité.
Un soutien aux aumôneries sera mis en oeuvre, notamment à l'hôpital et dans les prisons.
- Les dispositifs fiscaux existants pour le financement du culte sont maintenus
- L'abattage des animaux selon des rites religieux est garanti dans le respect des règles de sécurité sanitaire
Il y a des interrogations dans notre société sur l'abattage rituel mais, je le souligne, il est intimement lié au libre exercice du culte. D'ailleurs, la Cour européenne des Droits de l'Homme a reconnu en 2000 que le dispositif français était un « engagement positif de l'Etat visant à assurer le respect effectif de la liberté d'exercice des cultes » et a considéré que ce mode d'abattage était une composante de la liberté religieuse.
Le Gouvernement n'a pas l'intention de remettre en cause cette dérogation, qui découle de notre conception « ouverte » de la laïcité.
- Les liturgies de chaque culte demeurent respectées et sanctuarisées
Je saisis l'occasion d'être devant vous pour rappeler solennellement que le principe de laïcité posé par l'article 1er de la Constitution interdit à l'Etat de s'immiscer dans l'organisation interne de quelque culte que ce soit et dès lors, dans la forme prise par l'exercice de ce culte à l'intérieur de l'édifice. Ainsi, il ne peut être question d'imposer l'usage du français dans l'exercice du culte. Le Gouvernement confirme toutefois sa fermeté pour combattre les prêches violents et extrémistes, en opposition à nos valeurs républicaines. Il ne fait, à cet égard, qu'appliquer la loi de 1905 qui pose comme limite à la liberté des cultes le respect lié aux impératifs de l'ordre public.
- Les équilibres issus de la loi de 1905 pour la construction de nouveaux lieux de culte sont satisfaisants
La liberté religieuse trouve en effet son corollaire dans le droit, pour chaque culte, de disposer de locaux adaptés à la célébration publique du culte.
Dans cet esprit, les prières qui se déroulent dans la rue, en dehors de circonstances particulières reconnues ou d'événements ponctuels, n'ont pas leur place en France. Cette situation n'est pas digne pour les fidèles et il faut admettre que cela peut heurter la sensibilité de certains de nos concitoyens.
En la matière, toutefois, il faut être pleinement responsable et pragmatique. C'est pourquoi j'ai demandé au Préfet de police à Paris d'organiser une série de réunions avec les présidents d'associations cultuelles concernées, afin de trouver le plus rapidement possible une solution à ce problème. Chacun est conscient de l'urgence qu'il y a à trouver dans les plus brefs délais une réponse adéquate, qui satisfasse tout le monde. C'est la voie de la concertation, dans un esprit de responsabilité, qui est privilégiée aujourd'hui.
Une solution a d'ores et déjà été apportée à la situation de la rue de Suisse à Nice, grâce à un travail de concertation approfondi avec la mairie et les représentants locaux du culte musulman. Les pratiquants en surnombre qui occupaient la voie publique sont acheminés tous les vendredis vers une autre salle de prière.
Le problème n'est donc pas insurmontable et les pouvoirs publics s'engagent à faire de même à Paris et à Marseille.
Cela nous ramène à une réalité de terrain qui ne peut être contesté par personne : le manque, parfois, de lieux de culte, dans notre pays, pour certaines communautés de foi.
Jusqu'à la fin des années 1990, les réticences des élus locaux à permettre l'installation d'une mosquée ou de temples pour les protestants évangéliques étaient encore fortes. En l'espace d'une décennie, le paysage a été bouleversé. La tendance s'est inversée et, pour parler de la communauté musulmane, la plupart des villes se sont engagées dans un projet de soutien à l'installation d'un lieu de culte. Il y avait, en 1999, un peu plus d'un millier de lieux de culte musulman. Aujourd'hui, on dénombre environ 2000 mosquées en France métropolitaine.
D'autres constructions de lieux de culte méritent sans doute de voir le jour. Plusieurs types de soutiens existent déjà, en plus des ressources propres des associations cultuelles, pour appuyer la construction de lieux de culte. Je pense à la garantie d'emprunt, aux baux emphytéotiques, à l'aide publique pour financer les parties non cultuelles ou aux avantages fiscaux en matière d'imposition locale. Enfin, il est possible, en partie, de mobiliser des fonds collectés par une fondation (c'est le cas de la fondation pour les œuvres de l'islam, créée en 2005).
Dans le respect des principes de la loi de 1905, l'équilibre obtenu aujourd'hui est ainsi satisfaisant pour financer ces nouveaux lieux de culte. Il n'est pas envisagé je le dis clairement de financements publics pour la construction de lieux de culte.
Les contacts nourris que j'ai eus avec vous ne me conduisent pas à proposer de modifier la loi 1905 sur ce point. Personne ne demande sérieusement de financement public directs des lieux de culte. La situation est certes disparate, mais j'ai confiance dans les consensus locaux et les projets portés localement par les communautés de croyants.
Les correspondants laïcité dans les préfectures ainsi que la conférence départementale permettront de réaliser un diagnostic local pour résoudre les problèmes concrets auxquels sont confrontés les associations cultuelles locales ; également pour lever certains malentendus qui peuvent persister, ici ou là, avec quelques élus locaux.
*****
Vous l'avez compris, la vision qui découle des propositions que je vous ai présentées au nom du Gouvernement est une perception équilibrée de la laïcité.
Ma conviction demeure que tous nos concitoyens, croyants ou non, doivent se féliciter de l'intérêt toujours vif que suscite la laïcité dans notre pays. La laïcité est un principe protecteur. Il protège les croyants dans leur foi, en leur garantissant la même liberté de pratiquer leur culte. Il protège aussi les non-croyants dans leur liberté d'opinion et dans l'assurance que l'espace public sera préservé de certains excès qui dénaturent les principes mêmes de notre République.
Le Conseil constitutionnel a tout dit lorsqu'il a rapproché, dans sa décision du 19 novembre 2004, l'idée de laïcité de celle d'effectivité de la loi commune, « interdisant à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».
Sans laïcité, en effet, il ne peut y avoir de cohésion nationale.
Sans laïcité, il ne peut exister d'espace commun, où les femmes et les hommes laissent de côté leurs différences pour se parler, se comprendre et vivre ensemble.
La laïcité n'est pas un facteur de division, mais de rassemblement. Elle n'impose pas de reniement. Elle demande, simplement, aux uns et aux autres, d'accepter de faire ces concessions qui sont indispensables à l'existence d'une vie harmonieuse en société.
Pour ma part, en tout cas, après les débats qui ont eu lieu, après les consultations que j'ai conduites, je suis convaincu qu'avec les décisions et les orientations que je viens d'annoncer, au nom du gouvernement, nous avons la perspective d'une France rassemblée, dans laquelle les Français de diverses origines et de cultures et de religions différentes vivront mieux leurs relations avec les autres. Je suis convaincu que nous avons la possibilité de renforcer notre cohésion sociale.
Je sais pouvoir compter sur votre écoute et votre sagesse. Je vous remercie.