Discours de M. Bruno Le Roux, prononcé à l'occasion de l'inauguration du service central des armes, à Nanterre le jeudi 12 janvier 2017.
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les chefs de service et les agents de l’Etat,
Mesdames et Messieurs,
Il y a un peu plus d’un an, le macabre 13 novembre 2015, quelques heures à peine avant les attentats de Paris qui firent tomber 130 victimes sous les balles des terroristes, mon prédécesseur présentait, ici même à Nanterre, le plan de lutte contre les armes illégalement détenues et annonçait l’installation du nouveau service central des armes, dont un décret officialisera l’existence dans quelques jours.
Sachez que je suis particulièrement heureux d’être parmi vous aujourd’hui et de procéder à cette inauguration, et il ne s’agit pas là d’une simple formule : depuis plus de vingt ans, je me bats contre la détention et la circulation illégales des armes dans notre pays. C’est un des fils rouges, si je puis dire, de ma vie politique. C’est un sujet que je n’ai jamais lâché.
En tant que maire, en tant que député et désormais en tant que ministre de l’Intérieur, c’est un sujet qui mobilise et mobilisera toujours toute mon attention.
J’ai été élu maire d’une ville de la banlieue parisienne, Epinay-sur-Seine en Seine-Saint-Denis, en 1995. Dès cette époque, j’ai compris qu’il fallait agir sur ce sujet. Les armes étaient présentes dans les quartiers, que l’on disait déjà sensibles. Les premiers trafics en provenance des pays de l’ex-bloc de l’Est se mettaient en place et conduisaient à voir apparaitre des armes plus lourdes dans nos villes. Je me suis rendu compte que les trafics s’alimentaient les uns les autres, que les tensions s’élevaient et que la présence des armes augmentait le niveau de violence globale sur nos territoires.
C’est dans cette période que je me suis forgé une conviction. Une conviction toute simple : personne ne devrait posséder une arme sans raison valable. Dans notre pays, seuls les forces de sécurité, les personnes dûment habilitées, les tireurs sportifs et les chasseurs ne devraient pouvoir détenir une arme, selon des modalités de contrôle précisément définies.
Car la possession et la circulation des armes est en soi un facteur d’insécurité.
J’ai donc pris, dès ces années là, sur le plan politique, des initiatives pour faire évoluer la législation, mobilisant des collègues maires, des élus locaux, sensibilisant des parlementaires parmi mes amis politiques et déposant, dès que j’ai moi-même été élu député, une proposition de loi, visant à interdire la possession de toute arme à feu. Nous étions en 1998. Par la suite, j’ai été associé à toutes les réflexions et les initiatives sur ce sujet. J’ai rendu en 2010 un rapport d’information sur les violences par armes à feux et l’état de la législation, qui a été à l’origine de la loi du 6 mars 2012, relative à l’établissement d’un contrôle des armes, moderne, simplifié et préventif.
Vous le voyez, sur cette question, mon combat est ancien et il est tenace.
C’est pourquoi, je suis particulièrement heureux – je le redis - d’installer le service central des armes et à cette occasion, de dresser devant vous un premier bilan de la mise en œuvre du plan de lutte contre les armes illégalement détenues, que Bernard CAZENEUVE avait présenté ici même.
Nous le savons : l’action publique, pour être efficace, nécessite d’agir sur plusieurs leviers, simultanément. Je vais les évoquer rapidement.
En premier lieu, les leviers opérationnels.
Des résultats importants ont été obtenus. Si le secret de l’enquête et de l’instruction interdit d’être trop précis sur le démantèlement, bien réel, de réseaux importants, agissant sur le territoire national ou au niveau international, je veux saisir l’occasion pour donner quelques chiffres.
Le niveau des saisies judiciaires et administratives d’armes à feu est parlant : entre 2010 et la fin de l’année 2016, leur nombre, toutes catégories confondues, a augmenté de près de 260 %, passant de 2 722 en 2010 à 9 845 fin 2016.
On doit bien sûr se garder de toute interprétation trop rapide de ces chiffres : il serait erroné d’en tirer la conclusion que les détentions illégales d’armes ont augmenté dans cette proportion. S’il est clair que des armes très dangereuses, des fusils d’assaut, par exemple du type Kalachnikov, se trouvent sur notre territoire en plus grand nombre que par le passé, et cela pour de multiples raisons, dont celles liées à la fin des guerres d’indépendance dans les Balkans, l’efficacité des services compte évidemment pour l’essentiel dans ces chiffres. Leur capacité à développer de nouveaux outils doit notamment être saluée. Je pense ici à la création du fichier national d’identification balistique qui depuis sa mise en œuvre en février 2016 a permis 57 rapprochements positifs et conduit à l’élucidation de faits graves.
Parmi ces saisies se trouvent également les saisies administratives réalisées depuis le début de l’état d’urgence. Ces saisies représentent plus de 600 armes, parmi lesquels près de 80 armes de guerre.
Je tiens à en féliciter ici les forces de sécurité.
Deuxième point : l’adaptation du cadre normatif aux besoins et aux menaces.
Dès le lendemain des attentats de janvier 2015, des négociations en vue de la révision de la directive du 18 juin 1991 relative au contrôle de l’acquisition et de la détention des armes ont été conduites par mon prédécesseur, visant trois objectifs :
premier objectif : assurer la traçabilité des armes sur le territoire européen en uniformisant leur marquage ;
second objectif : appliquer des règles communes de neutralisation des armes, empêchant leur réactivation, comme y sont parvenus – hélas !- les auteurs de certains attentats terroristes ;
et enfin, troisième objectif, interdire purement et simplement certaines armes particulièrement dangereuses.
La France a été à l’initiative sur ce sujet, le Ministre de l’Intérieur a été à l’initiative, ne dérogeant pas au principe de fermeté qui est le sien : aujourd’hui, nous ne pouvons que nous féliciter de constater que cet objectif de lutte contre les trafics d’armes soit désormais prioritaire au plan européen.
Nous avons également adopté, sans attendre, certaines dispositions nous permettant de mieux prévenir les comportements à risque.
Ainsi, en 2016, le Fichier National des Interdits d’Acquisition et de Détention d’Armes, le FINIADA, a été modifié pour renforcer la prévention des comportements à risque.
Les fédérations de tir sportif peuvent désormais avoir accès à ce fichier, comme c’était déjà le cas pour la fédération nationale des chasseurs et les armuriers. Ces professionnels sont donc désormais en situation de refuser de délivrer une licence aux personnes faisant l’objet d’une mesure d’interdiction. Sans licence, il est impossible à ces personnes d’acquérir une arme.
Ce dispositif a démontré toute son efficacité : 450 signalements ont été faits l’an dernier par la fédération nationale des chasseurs et 950 par la fédération française de tir. Près de 1 400 personnes, interdites de détention d’armes, ont ainsi été écartées par ces fédérations.
Je saisis l’occasion qui m’est donnée pour saluer, à cet égard, l’excellence de la coopération que le ministère de l’Intérieur entretient depuis 18 mois avec les professionnels sur ces sujets. Le Comité Guillaume TELL, dont je salue le secrétaire général, a été un partenaire actif, pleinement associé à cette politique publique.
Car le Ministre que je suis ne fait pas d’amalgames : je sais combien les partenariats nationaux et locaux, avec les chasseurs, les armuriers, les tireurs sportifs, notamment en termes de renseignement, sont décisifs pour atteindre nos objectifs. En même temps, les professionnels comprennent que notre Plan, loin d’avoir été élaboré contre eux, mais bien avec eux, vise des armes qui, bien que possédées et manipulées dans les règles de l’art par ces professions, peuvent voir, par leur circulation, par leur vol, leur usage détourné et utilisé dans les pires circonstances. Tous les détenteurs d’armes ne sont donc pas suspects : mais toutes les armes, quelle que soit la vertu de leur détenteur, peuvent aboutir au pire. Aussi, je souhaite, en 2017, pouvoir poursuivre des échanges aussi fructueux avec le Comité qu’ils le furent en 2015 et 2016.
D’autre part, le décret du 15 février 2016 recense désormais les personnes condamnées par la justice à une peine d’interdiction de détenir une arme ou à une confiscation d’arme, et non pas seulement, comme précédemment, celles faisant l’objet d’interdictions administratives. Toutes les interdictions sont donc désormais recensées et prises en compte.
La loi du 3 juin 2016 a renforcé les dispositions pénales concernant les armes et leurs trafics. Elle ouvre la possibilité pour les préfets de prononcer une interdiction administrative d’acquisition et de détention d’armes sur la base de comportements signalés dangereux.
J’ai la conviction que ces mesures de police administrative – qui sont appliquées avec prudence et discernement par les préfets - sont l’un des meilleurs moyens de prévention des risques et des menaces pour la sécurité de nos concitoyens.
Enfin, la politique de contrôle des armes et explosifs civils est désormais inscrite dans un cadre coordonné. Avec l’accord du ministre de la Défense, nous avons décidé d’unifier toutes les compétences se rapportant aux armes civiles et un décret va organiser le transfert de certaines compétences qui relevaient précédemment du ministère de la Défense, au ministère de l’Intérieur.
Troisième point que je souhaite évoquer rapidement : celui des moyens dédiés à cette politique de contrôle de la circulation des armes.
Nous avons renforcé les effectifs des préfectures, 50 emplois ont ainsi été créés. C’est un renforcement important.
Les préfectures ont par ailleurs reçu une « boîte à outils » visant à homogénéiser et rationaliser les pratiques concernant le contrôle des armes. Des évolutions notables sont intervenues dans les pratiques, qui ont une réelle valeur ajoutée en termes de sécurité publique, un meilleur partage des informations par exemple.
Quatrième point : le suivi de la circulation des armes. Celui-ci ne peut se faire sans outils informatiques puissants et adaptés.
C’est un chantier de plusieurs années. Il vise à construire une véritable plate-forme d’échanges sur la traçabilité des armes entre acteurs institutionnels, professionnels et services de sécurité, qui s’apparentera au système d’immatriculation des véhicules.
Mesdames, Messieurs, vous l’aurez compris : notre ambition est clairement de faire du contrôle des armes une véritable politique publique.
Cette politique publique nécessite une gouvernance unique confiée à un service spécialisé : le service central des armes.
Je l’installe aujourd’hui à Nanterre.
Je forme des vœux de pleine réussite dans la conduite des missions qui sont les siennes et je veux saluer celles et ceux qui ont et auront à le faire fonctionner.
Ce service à compétence nationale est directement rattaché au secrétaire général du ministère. Cela témoigne, à mes yeux, de son importance et de sa dimension transversale et interministérielle.
J’ai d’ores et déjà demandé au responsable du service, Monsieur Pascal GIRAULT, que je remercie de son engagement, de mettre en œuvre, sous l’autorité de Denis ROBIN, Secrétaire général du ministère, plusieurs actions fortes, qui constituent des mesures fondatrices de cette nouvelle politique publique de contrôle des armes qu’il convient de conduire :
Nous avons enfin voulu l’adoption immédiate de mesures renforçant la sécurité publique.
Les armes dites « à blanc » devront désormais répondre à des critères techniques très précis pour être proposées à la vente. Tel ne sera pas le cas, si elles n’ont pas été conçues et fabriquées dès l’origine pour exclure le tir de projectiles. Des actes criminels et terroristes ont en effet été commis avec des armes de ce type, dont les spécifications techniques, trop imprécises, ont permis la transformation en armes létales. Cela ne doit plus être possible.
D’autres mesures s’imposent sans attendre : des mitrailleuses démilitarisées peuvent aujourd’hui être acquises au titre du tir sportif. Or, ces armes sont potentiellement reconvertibles en armes automatiques, tirant par rafale, dont on conçoit sans peine la particulière dangerosité. Elles seront désormais interdites.
Enfin, des mesures seront prises pour interdire une pratique commerciale douteuse, consistant, pour certains professionnels au demeurant peu nombreux, à proposer à leurs clients des séances de tir avec des armes de guerre, kalachnikov par exemple, qui sont en tout état de cause interdites à la vente aux particuliers. Cette pratique est à l’évidence injustifiée. Elle sera prohibée.Mesdames et messieurs, telles sont les principales mesures qui permettront de conforter cette nouvelle politique publique du contrôle des armes civiles, qui s’appuie elle-même sur les mesures prises, dès le lendemain de l’annonce du plan armes, ici même à Nanterre, voici un an.
Alors que nos concitoyens sont légitimement en demande d’un Etat plus protecteur, nous voici aujourd’hui, avec le service central des armes, je n’ose le dire, mieux « armés » pour affronter ce défi et assurer cette protection. J’insiste enfin sur ce point : ce service central des armes n’est pas que celui du ministère de l’Intérieur, c’est celui de l’Etat tout entier, et à ce titre, je lui demande de travailler résolument en interministériel pour agréger toutes les compétences et toutes les bonnes volontés, qui ne seront jamais trop nombreuses pour lutter contre ce fléau.
Longue vie au service central des armes, vive la République et vive la France.
Je vous remercie.