Bernard Cazeneuve a répondu à Sandrine Mazetier, députée PS de Paris et à Isabelle Attard, députée EELV du Calvados, lors de la séance de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale du 29 mars 2016.
Sandrine MAZETIER, députée PS de Paris
Monsieur le Premier ministre, Belgique, Irak, Pakistan, la liste effroyable des pays touchés par les attentats de Daesh est encore allongée ces derniers jours ; les enfants qui participaient à un match de football en Irak et les Chrétiens qui célébraient Pâques au Pakistan sont les nouvelles victimes de la lâcheté et du racisme de cette organisation. Nous pleurons ces morts et notre groupe veut exprimer toute sa solidarité aux victimes de ces actes atroces et j’imagine tous les groupes de cette Assemblée.
Chers collègues, la France agit sur un triple front dans la lutte contre le terrorisme, la France agit d’abord sur le territoire national avec d’importantes opérations de police sous l’égide de Bernard CAZENEUVE qui ont permis à Argenteuil il y a quelques jours encore de déjouer un attentat de grande ampleur. Et avec la poursuite de la mobilisation des forces de l’ordre, de nos armées engagées dans l’opération Sentinelle, ainsi que de nos services de renseignement. La France agit également en Europe, nous mobilisons nos partenaires européens dans la lutte contre le terrorisme car c’est une évidence, Daesh veut frapper l’Europe pour les valeurs qu’elle incarne, la démocratie, l’égalité entre les femmes et les hommes, la mixité culturelle. Et dans cette lutte ; nous devons nous prémunir de deux pièges jumeaux, le repli que veulent incarner les forces d’extrême droite mais aussi autre piège, l’attentisme face à une menace qui veut détruire ce que nous sommes. Aussi, de grandes initiatives communes doivent être engagées pour relever le défi que représente pour l’Europe la lutte contre le terrorisme. La France agit, enfin, sur le front international au sein de la coalition mobilisée contre Daesh et si la reprise de Palmyre est un signal positif, nous savons que ce front est encore loin, très loin d’être refermé.
Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur
Madame la députée, vous avez raison de souligner que la bataille contre le terrorisme se mène à l’extérieur et à l’intérieur de notre pays et qu’elle doit se mener avec une détermination sans faille et en très étroite relation avec nos partenaires de l’Union européenne. Pour ce qui concerne tout d’abord l’Union européenne, il y a eu cette semaine un conseil justice affaires intérieures qui a permis de reprendre une par une les propositions de la France pour les faire avancer, qu’il s’agisse du contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne, de l’interrogation systématique du système d’information Schengen, de l’alimentation de cette banque de données par l’ensemble des services de renseignement afin de renforcer l’échange d’informations entre les différents pays de l’Union européenne, de la mise en place d’une task force européenne destinée à lutter contre de faux documents, de la révision de la directive de 91 sur le trafic d’armes, sur tous ces sujets, il reste beaucoup à faire mais la France est à l’initiative, et s’emploie à convaincre l’ensemble des partenaires européens de prendre les décisions qui s’imposent dans les délais, je pense notamment pour ce qui concerne le Parlement européen, au dispositif PNR qui doit être adopté dans les meilleurs délais. Nous avons par ailleurs au plan intérieur mené des opérations extrêmement importantes suite à un travail très méticuleux des services de renseignement intérieur en lien avec leurs partenaires européens, c’est ainsi que depuis le début de l’année 2013, ce sont 13 attentats qui ont été déjoués dont 7 depuis le printemps et l’opération qui a été conduite en région parisienne qui aboutit à l’arrestation de Reda KRIKET à la perquisition de son appartement où un véritable arsenal terroriste a été trouvé et à l’arrestation d’un certain nombre de ses complices en Belgique et aux Pays-Bas témoigne là aussi de l’efficacité des services de renseignement auxquels je veux rendre hommage pour la conduite des opérations qu’ils mènent dans un contexte extrêmement difficile et cette lutte contre le terrorisme, nous la mènerons sans trêve ni pause.
Isabelle ATTARD, députée EELV du Calvados
Monsieur le Premier ministre, les 36 741 mairies de France arborent la devisé de notre République, « liberté, égalité, fraternité ». Les Français voient la liberté mise à mal par la surveillance généralisée et l’état d’urgence, ils voient la fraternité mise à mal en désignant comme suspects les cinq millions de Français binationaux. La semaine dernière, onze députés socialistes se sont attaqués à l’égalité en verrouillant encore un peu plus l’accès à la principale élection de la Ve République avec la proposition de loi dite de modernisation de l’élection présidentielle. Depuis 1974, tout candidat à l’élection présidentielle doit récolter 500 parrainages d’élus pour être légitime. En 2012, 42 000 parrainages étaient possibles, mais moins de 15 000 ont été donnés. Les élus ont peur des représailles s’ils soutiennent d’autres candidats que ceux des actuelles grosses écuries. Je prédis qu’en 2017, les parrainages seront encore moins nombreux et vous irez encore verser des larmes de crocodiles sur le taux d’abstention en hausse ! La décision qui révolte les Français aujourd’hui, c’est l’égalité d’accès aux médias pour tous les candidats, plus on est vu à la télévision, plus les sondages sont bons. Pour l’élection présidentielle, le système était honnête puisqu’il était fondé sur l’égalité des candidats durant cinq semaines. En partant du constat que le CSA fait mal respecter l’égalité du temps de parole entre les candidats, vous avez choisi de supprimer la règle là où il aurait fallu renforcer le gendarme. Ce principe républicain d’égalité vient d’être anéanti en réduisant de cinq à deux semaines l’égalité de temps de parole. Remplacer l’égalité par l’équité en se basant sur les intentions de vote est parfaitement absurde puisque ce sont précisément les passages médias qui favorisent ces intentions de vote. L’objectif semble clair, Monsieur le Premier ministre, limiter le choix des Français à trois bulletins, Parti socialiste, Républicains et Front national. Affronter le Front national au second tour semble être la seule chance d’être au pouvoir en 2017. Monsieur le Premier ministre, il est encore temps de faire machine arrière et de rétablir l’égalité du temps de parole durant la campagne présidentielle.
Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur
Madame la députée, la réalité est juste un tout petit peu plus compliquée que ce que vous venez d’exprimer de façon assez sommaire.
D’abord, quel était l’état du droit avant que cette proposition de loi ne vienne en discussion devant le Parlement ? L’état du droit, c’était l’équité des temps d’antenne et l’égalité des temps de parole. Vous conviendrez avec moi que l’on doit faire plus simple que cette disposition dont on a constaté qu’elle ne suscitait la satisfaction d’aucun organisme ni d’aucune autre instance qui au lendemain des élections présidentielles de 2007 et de 2012 a été amenée à exprimer un avis sur les conditions dans lesquelles le scrutin s’était déroulé, aucune. Et que ce soit le Conseil constitutionnel, que ce soit la commission nationale des comptes de campagne, que ce soit la commission nationale des sondages, tous ont pointé le caractère absolument complexe, illisible et très défavorable à toutes les organisations politiques du système pour une raison très simple que montre d’ailleurs le temps consacré par les différentes chaînes de télévision à la campagne électorale : entre 2007 et 2012, le temps d’antenne consacré pour tous les candidats pendant la période qui va de la déclaration des candidatures jusqu’à l’ouverture de la campagne électorale a été réduit de 50%. Donc on peut considérer qu’un système qui réduit considérablement le temps du débat, le temps de parole, l’expression démocratique sur les chaines de télévision est favorable à l’expression des différentes opinions, ce n’est pas ce qu’a pensé Jean-Jacques URVOAS lorsqu’il était président de la commission des lois et c’est la raison pour laquelle il a décidé de proposer un texte qui a été adopté, qui a été voté en seconde lecture et qui permet de mettre en place un dispositif qui garantira que chacun pourra s’exprimer à des temps d’antenne comparables de manière à ce que les inégalités d’hier soient réduites, ce que nous faisons à travers cette proposition de loi, c’est très loin de ce que vous avez dit dans votre question.