Bernard Cazeneuve a répondu à Philippe DOUCET, député PS Val-d’Oise, François de RUGY, Député UDE (Groupe écologiste) de Loire-Atlantique, Jean-Pierre DECOOL, Député Les Républicains du Nord et Guénhaël HUET, député Les Républicains Manche , lors de la séance de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale du 25 novembre 2015.
Philippe DOUCET, député PS Val-d’Oise
Monsieur le Premier Ministre. Avant toute chose, j’aimerais adresser au peuple tunisien, frappé hier par la barbarie terroriste, un salut amical et fraternel des députés de notre Assemblée. La Tunisie, pays en plein essor démocratique, a plus que jamais besoin de notre soutien et de notre attention. Monsieur le Premier, suite aux attentats du 13 novembre, l’ensemble de l’appareil d’Etat et de nos forces de sécurité est concentré sur le démantèlement des réseaux qui ont frappé notre peuple. Des perquisitions ont été réalisées, l’enquête conduite par la justice et nos forces de sécurité progresse, grâce notamment aux dispositions adoptées dans le cadre de l’état d’urgence. Les explications apportées hier par le procureur MOLINS mettent en évidence les ramifications et les complicités employées par les terroristes pour réaliser leurs terribles forfaits. La traque de ces assassins et de leurs réseaux vont se poursuivre sans relâche. Chers collègues, votée massivement par notre Assemblée, la loi prorogeant l’état d’urgence est entrée en vigueur samedi. L’état d’urgence permet à la République de riposter très rapidement à la menace et de s’organiser face à ceux qui veulent nous déstabiliser. L’Etat de droit n’est pas un état de faiblesse et l’état d’urgence n’est pas un état de non droit, c’est tout l’inverse. Dans cette guerre obscure qui est menée contre la liberté, nous ne pouvons pas faillir. Monsieur le Premier Ministre, notre majorité est fière de la mobilisation exceptionnelle pour démanteler les filières terroristes. Elle est à la hauteur des enjeux et des difficultés placés sur le chemin de la France. La majorité est en situation de responsabilité pour que le Parlement exerce un contrôle démocratique légitime de l’état d’urgence. Alors, ma question est simple : Pouvez-vous nous rappeler la feuille de route du gouvernement pour les prochaines semaines ? Je vous remercie.
Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur
Monsieur le Député DOUCET. La feuille de route du gouvernement pour les prochaines semaines est très claire, c’est lutter sans trêve, ni pause, contre le terrorisme, à l’extérieur, le Premier ministre, le président de la République, Laurent FABIUS et Jean-Yves LE DRIAN ont eu l’occasion, à plusieurs reprises, de préciser les modalités de ce combat et à l’intérieur. A l’intérieur, que faisons-nous ? D’abord, nous mettons en œuvre, avec des conditions de célérité exceptionnelles, l’état d’urgence. Cela s’est traduit par près de 1 400 perquisitions. Ces perquisitions ont permis de procéder à des gardes à vue de personnes que nous avions intérêt à perquisitionner et à mettre en situation de suivi attentif de la part de nos services. Ce sont près de 140 personnes qui ont été mises en garde à vue, ce sont près de 250 armes qui ont été saisies, dont la moitié sont des armes longues et des armes de guerre. Encore hier, des perquisitions importantes ont eu lieu, elles se poursuivront, sans trêve, ni pause, pour que nous récupérions les arsenaux, les armes, les éléments dont nous avons besoin, pour lutter résolument contre le terrorisme. Par ailleurs, nous avons mis en place un dispositif de contrôle aux frontières qui mobilise près de 15 000 policiers et gendarmes, sur la plupart des lieux de passage et sur les axes routiers en profondeur. Ces contrôles aux frontières ont permis d’empêcher d’entrer sur le territoire près de 840 personnes qui représentaient un danger ou qui étaient en situation d’irrégularité. Comme je l’ai dit au Conseil européen, nous poursuivrons cette action de contrôle aux frontières aussi longtemps que la menace terroriste existera. Enfin, nous agissons fortement au plan européen pour qu’il y ait un PNR européen qui permette d’établir la traçabilité des terroristes au moment de leur retour. Nous luttons au plan européen contre le trafic d’armes et nous luttons au plan européen pour une modification du Code frontières Schengen, permettant un véritable contrôle aux frontières extérieures de l’Union et une interrogation systématique du système d’information Schengen.
François de RUGY, Député UDE (Groupe écologiste) de Loire-Atlantique
Merci Monsieur le Président. Bien sûr le groupe écologistes s’associe pleinement au message de solidarité et de soutien que vous avez adressé au peuple tunisien et au peuple égyptien. Ma question s’adresse au ministre de l’intérieur et porte sur les mesures européennes de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Les attentats qui ont frappé la France comme jamais nous oblige à réexaminer tous les outils de notre défense et de notre sécurité à l’aune de cette menace nouvelle et malheureusement durable. Certains à droite et à l’extrême-droite considèrent qu’il faut en revenir aux frontières nationales. Pour notre part, nous pensons que la libre-circulation des Européens au sein de l’Union européenne a été un progrès qu’il faut défendre mais il faut en tirer toutes les conséquences en termes de sécurité. Pendant trop longtemps les états et le Parlement européen ont bloqué un certain nombre de mesures concrètes indispensables pour concilier libre-circulation et sécurité des citoyens européens. Le directeur de Frontex, l’Agence européenne de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne, a clairement indiqué que les états n’avaient pas voulu céder leur souveraineté en la matière alors que certains pays comme la Grèce sont totalement dépassés par l’ampleur nouvelle des arrivées de réfugiés et de migrants. Le Parlement européen a toujours refusé le fichier PNR par d’étranges coalitions allant d’ailleurs de la gauche radicale et libertaire jusqu’à l’extrême-droite en passant par les libéraux. Ce fichier PNR les compagnies aériennes en disposent et l’exploitent à des fins commerciales sans que cela ne dérange personne. Il est incompréhensible et injustifiable que les états n’y aient pas accès pour des raisons de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Monsieur le Ministre, pensez-vous que ces blocages vont enfin pouvoir être levés et dans quels délais ?
Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur
Monsieur le Député de RUGY. Nous avons à l’occasion du Conseil de justice-affaires intérieures de vendredi dernier défendu au sein des instances de l’Union européenne un agenda extrêmement clair en trois points. D’abord il faut une directive européenne par la révision de la directive 91 permettant de lutter efficacement contre le trafic d’armes. Nous demandons cette directive depuis 18 mois, un certain nombre d’experts du marché intérieur ont considéré qu’on pouvait traiter les armes comme n’importe quel autre bien dans le marché intérieur, c’est une erreur extrêmement grave. Nous avons demandé qu’il soit mis fin à cette approche et nous avons obtenu de la Commission et du Conseil européen qu’il y ait une directive soumise à l’approbation des instances de l’Union européenne avant la fin de l’année, il était temps car nous avions trop perdu de temps. Deuxièmement, le PNR européen, vous savez que je suis allé devant la Commission LIBE du Parlement européen pour qu’il y ait ce dispositif d’enregistrement des passagers au plan européen qui permette d’établir la traçabilité du retour des terroristes. Nous avons obtenu du Parlement européen qu’il adopte le PNR avant qu’il aille dans le trilogue mais ce PNR adopté est édulcoré par rapport à ce dont nous avons besoin. Il faut qu’il y ait la prise en compte des vols intra-européens, ce que ne prévoit pas le PNR adopté par le Parlement, il faut que la durée de masquage des données soit réduite pour qu’on puisse avoir véritablement un outil qui fonctionne et il faut que les crimes qui soient pris en compte ne soient pas simplement les crimes transnationaux mais les crimes nationaux. Enfin, troisièmement, il faut une véritable réforme du code frontières Schengen parce qu’il faut des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne, il faut qu’aux frontières extérieures de l’Union européenne on puisse interroger le système d’information Schengen. Si nous ne faisons pas cela il n’y aura pas d’efficacité de ce que nous faisons en termes de contrôle aux frontières et la France maintiendra le contrôle aux frontières aussi longtemps que la menace terroriste demeurera, je l’ai dit avec la plus grande fermeté à mes homologues de l’Union européenne.
Jean-Pierre DECOOL, Député Les Républicains du Nord
Monsieur le Président, les Chers Collègues, ma question s’adresse à monsieur le ministre de l’intérieur. Monsieur le Ministre, le 16 septembre dernier dans ce même hémicycle je vous interpelais sur la situation douloureuse des communes du littoral dunkerquois face à l’augmentation du nombre de migrants. Quant aux passeurs ils avaient fait des camps de Téteghem et de Grande-Synthe de véritables zones de non-droit. Je tiens à souligner et saluer la réponse courtoise et constructive que vous aviez donnée prenant toute la mesure de la situation, vous avez par ailleurs reçu une délégation d’élus en votre ministère pour échanger et envisager ensemble des solutions aux problèmes évoqués. Les mesures promises ont été mises en œuvre, depuis septembre de nombreux passeurs ont été arrêtés. Mercredi dernier, le camp de Téteghem a été démantelé, les 248 migrants qui s’y trouvaient ont été emmenés dans des centres d’accueil dans les Landes, l’Allier, la Haute-Savoie et les autres n’en relevant pas ont été accueillis dans le Nord. L’opération bien menée n’a cependant pas bénéficié d’une suite satisfaisante, en effet une semaine après leur transfert une trentaine de migrants seulement sont restés dans les centres d’accueil sur 248, c’est vraiment très peu. La grande majorité d’entre eux est revenue sur le littoral dunkerquois où désespérés ils cherchent à rejoindre l’Angleterre, c’est leur unique obsession. Pouvez-vous, Monsieur le Ministre, prendre des mesures plus fermes afin que les migrants ne puissent pas quitter ces centres d’accueil tant qu’une solution durable n’aura pas été trouvée pour eux, cela permettrait en outre de leur assurer un accompagnement sanitaire et social qu’çà ce jour ils acceptent mal ? Monsieur le Ministre, il nous faut aussi répondre aux inquiétudes de nos concitoyens qui s’interrogent sur l’attitude de nos voisins britanniques. Les migrants ont cette obsession de rejoindre l’Angleterre, les autorités anglaises ont annoncé leur volonté d’accueillir des migrants, or nous n’en voyons pas les effets. A ce jour qu’en est-il, la Grande Bretagne respectera-t-elle ses engagements ? je vous remercie.
Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur
Monsieur le Député DECOOL, d’abord je veux saluer à mon tour la qualité des relations qui se sont nouées entre mon ministère et les élus du Dunkerquois, je vous confirme mon souhait de me rendre à Dunkerque, j’avais prévu de le faire avant les événements du 13 novembre mais je m’y rendrai prochainement. Quelle est la politique que nous menons à Dunkerque comme à Calais ? Elle est lisible, elle est claire et elle se poursuivra. D’abord la lutte déterminée contre les filières de l’immigration irrégulière : alors que quatre filières avaient été démantelées en 2014, ce sont 25 filières qui ont été démantelées depuis le début de l’année 2015 représentant près de 700 personnes qui ont été arrêtées, mises en garde à vue dont la situation a été la plupart du temps judiciarisée. Deuxièmement, nous voulons procéder à l’éloignement de ceux qui ne relèvent pas du statut de réfugié en Europe parce que si nous voulons pouvoir avoir dans des conditions de sécurité qui doivent être renforcées une politique d’asile conforme à la réputation de notre pays il faut pouvoir reconduire à la frontière les déboutés du droit d’asile et ceux qui ne relèvent pas du statut de demandeur d’asile ou du statut de réfugié en Europe. C’est la raison pour laquelle il y a des dispositions qui sont prises par le gouvernement pour procéder à ces reconduites. Ces dispositions sont d’ailleurs parfois fort décriées par un certain nombre d’acteurs politiques ou associatifs mais cette fermeté s’impose, cette politique se poursuivra sinon il n’y aura pas de stabilité de la demande d’asile. Troisièmement, ceux qui relèvent de l’asile, 1.400 à peu près à Calais et dans le Dunkerquois ont vu leur accueil en centre d’accueil pour demandeurs d’asile favorisé et nous avons procédé pour ceux qui sont en cours de demande d’asile et pour lesquels il n’y a pas de place en CADA à leur répartition dans des centres d’accueil et d’orientation. C’est votre souhait que nous poursuivions cette politique, c’est le souhait de la maire de Calais qui est de votre sensibilité, d’autres dans votre groupe me demandent d’arrêter toute répartition sur le territoire national, je veux simplement vous indiquer que nous poursuivrons cette politique parce que c’est la seule possible si nous voulons avoir à la fois de l’humanité et de la fermeté.
Guénhaël HUET, député Les Républicains Manche
Monsieur le Président. Ma question s’adresse à Monsieur le Ministre de l’Intérieur. Monsieur le Ministre. Dès le 13 novembre au soir, le président de la République a annoncé le rétablissement des contrôles aux frontières françaises, pour lutter contre la menace terroriste. Or, aujourd’hui, les contrôles aux frontières paraissent bien souvent précaires. Nombreux sont les témoignages d’anonymes sur les réseaux sociaux ou de médias français et européens, suite à des déplacements dans les pays frontaliers. Le 21 novembre, deux véhicules d’une équipe de tournage de la chaine de télévision NRJ 12 franchissent la frontière belge, sans rencontrer le moindre contrôle, alors même qu’ils transportaient des caisses remplies de matériels. Le lendemain, une reporter du journal Le Monde effectue un trajet aller-retour Paris – Londres en Eurostar, munie d’un couteau grand format, sans être inquiétée. Le journal Le Point note la rareté et le caractère très aléatoire des contrôles et dénombre trois contrôles sur 100 véhicules empruntant l’autoroute A2 vers la Belgique. Il affirme que sur le millier de points de passage potentiels entre la France et la Belgique, seule une soixantaine est contrôlée. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes s’étonnent également de l’absence de contrôle sur les routes et dans les aéroports. En fait, les contrôles réalisés sont à l’heure actuelle peu nombreux. De plus, ils sont faits pour l’essentiel sur les axes routiers, les grands axes routiers et peuvent être aisément détournés. Monsieur le Ministre, je ne néglige en rien la difficulté du sujet. Mais vous savez aussi que nos concitoyens ne peuvent accepter qu’il y ait de décalage entre les déclarations et l’action. Je vous remercie donc d’indiquer à la représentation nationale les mesures précises et concrètes qui vont être prises pour protéger efficacement nos frontières contre la menace terroriste.
Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur
Monsieur le Député Guénhaël HUET. Je vais vous donner des éléments extrêmement précis. Il y a actuellement 13 900 policiers qui sont déployés depuis le 13 novembre, dont 9 700 policiers de la Police de l’air et des frontières. Je veux rendre un hommage très appuyé à ces policiers qui permettent aujourd’hui d’assurer des contrôles sur 131 points de passage terrestres, 115 routiers, 16 ferroviaires, un point de passage maritime, 22 points de passage aériens, pour un total de 154 points de passage autorisés, couverts par les forces de police. La Gendarmerie nationale, quant à elle, se trouve particulièrement mobilisée à la frontière franco-belge, puisqu’elle couvre 32 points de passage, auxquels s’ajoutent six points supplémentaires sur le reste du territoire. Cela correspond très exactement à 1 400 gendarmes mobilisés, c’est-à-dire en tout 15 300 policiers et gendarmes mobilisés depuis le
13 novembre, je tiens à le souligner. Sur les intervalles et les espaces frontaliers de contrôle d’identité, des ouvertures de coffres sur réquisition judiciaire sont mises en œuvre. Par ailleurs, la Direction centrale de la Police de l’air et des frontières a déployé un dispositif de contrôle mobile et aléatoire sur les points de passage autorisés secondaires. A la date d’hier, ce dispositif a eu pour effet de refuser l’admission sur le territoire de 832 personnes, certaines pour des raisons d’ordre public, d’autres en majorité, car elles n’étaient pas en règle. Afin de réaliser ces contrôles, les forces de l’ordre veillent à ce que les personnes arrêtées ne soient pas inscrites au fichier des personnes recherchées. Lorsqu’elles le sont, immédiatement, des contrôles supplémentaires sont mobilisés. Mais comme vous le savez, monsieur HUET, y compris lorsque le contrôle des frontières existait avant Schengen, les contrôles réguliers systématiques, ce n’est pas l’étanchéification complète d’une frontière, dire le contraire serait mentir aux Français.