Bernard Cazeneuve a répondu à Dominique Tian, député LR des Bouches-du-Rhône et premier adjoint au maire de Marseille, à Yann Capet, député PS du Pas-de-Calais,à Michel Piron, député UDI du Maine-et-Loire et à Bernard Debré, député LR Paris, lors de la séance de questions au Gouvernement du 21 juin 2016, à l'Assemblée nationale.
Merci Monsieur le président. Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, le Sénat examine actuellement l’article 3 de la loi travail dans un climat constructif. En même temps, Monsieur le président du groupe socialiste a indiqué déjà qu’il voulait recourir au 49-3 pour éviter des débats en seconde lecture à l’Assemblée nationale. Les propos de Monsieur LE ROUX marquent, bien sûr, un mépris pour le Sénat qu’il s’agirait de qualifier, qui est à peu près le même que celui que le gouvernement a manifesté vis-à-vis des syndicats dans le cadre de la préparation de la loi EL KHOMRI. Le débat, s’il est serein au Sénat, l’est évidemment beaucoup moins dans la rue, vous le savez parfaitement. Et alors que notre pays est dans un état d’urgence et organise l’Euro de foot, vous savez qu’un palier a été franchi avec la manifestation du 14 juin d’une violence inégalée : vitrines de banques, magasins, Abribus, voitures brûlées et, bien sûr, l’hôpital NECKER, victime de dégradations importantes. À propos des violences à NECKER, beaucoup de questions se posent. Les syndicats de policiers ont dénoncé l’absence d’ordres de leur hiérarchie. Est-ce, Monsieur le Premier ministre, volontairement que le gouvernement n’a pas donné de directives ? Et pourquoi ces groupes d’extrême gauche ne sont pas dissous ? Les inquiétudes portent sur la journée de jeudi. Jeudi, dans l’improvisation la plus totale, le gouvernement, faute de pouvoir neutraliser les casseurs, en est réduit à vouloir imposer, contre l’avis des syndicats, une manifestation statique. Monsieur le Premier ministre, comment allez-vous faire pour donner des instructions claires aux forces de police qui ne demandent que ça ?
Monsieur le député, je veux repréciser ici les choses très clairement suite à votre question réitérant d’ailleurs des réponses que j’ai déjà eu l’occasion de faire à plusieurs parlementaires de la majorité ou parfois de l’opposition. Les consignes qui ont été données aux forces de sécurité par mes soins et qui sont relayées par le préfet de police par des ordres d’opérations ont été intégralement communiquées au président de la commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ces instructions sont les suivantes : premièrement, faire en sorte que le respect de la liberté de manifestation à laquelle nous tenons permette aux manifestants de pouvoir manifester librement en toute sécurité ; deuxième point, un usage proportionné de la force ; et troisièmement, l’interpellation systématique des casseurs lorsque les conditions sont réunies. Il a été interpellé, Monsieur le député TIAN, depuis le début des manifestations 1 800 casseurs et plus de 1 100 d’entre eux ont été placés en garde à vue et il y a eu près de 500 condamnations. Ces condamnations, ces interpellations, ces gardes à vue n’auraient pas été possibles s’il n’y avait pas eu des instructions très claires données de ma part de procéder à l’interpellation des casseurs. Donc je le redis très calmement et très solennellement devant la représentation nationale, lorsqu’il y a un procès qui est fait au ministère de l’Intérieur, qu’il s’agisse des préfets ou du ministre, de ne pas procéder à ces interpellations, c’est tout simplement une contrevérité. Vous m’interrogez ensuite sur la manifestation de jeudi. La manifestation de jeudi, si elle doit être organisée, ne peut pas l’être dans des conditions où il y aura de nouveau des violences. C’est la raison pour laquelle j’ai invité les organisations syndicales – elles étaient encore ce matin chez le préfet de police – à discuter des modalités d’une organisation qui permette de garantir la sécurité et au terme de l’aboutissement de ces discussions, je prendrai mes responsabilités en prenant une décision claire.
Merci Monsieur le président. Ma question s’adresse à Monsieur le ministre de l’Intérieur. Monsieur le ministre, je souhaite tout d’abord, à travers vous, saluer l’ensemble des forces de l’ordre mobilisées sur le territoire national dans la lutte contre le terrorisme dans le cadre de l’Euro 2016, des manifestations, mais aussi dans la gestion de la crise migratoire, notamment à Calais et Grande-Synthe. Lors d’une nuit complète passée à leurs côtés sur la rocade portuaire de Calais et sur l’autoroute A16, j’ai pu constater la difficulté de leur tâche mais surtout leur efficacité et leur engagement dans des interventions qui permettent d’éviter des drames au quotidien. Les assauts de plus en plus violents et la nuit dernière, des policiers ont de nouveau été blessés. Face à cette situation inacceptable, des poursuites doivent être engagées systématiquement. Il nous faut, sur ce sujet difficile, à la fois faire preuve de fermeté face à ces débordements d’une minorité mais aussi d’humanité car nous avons le devoir d’accueillir dignement ces réfugiés qui sont souvent réduits à la dernière des extrémités car ils fuient les conflits, la violence et la guerre. Les actions menées par la France doivent poursuivre des objectifs clairs : lutter contre les réseaux de délinquants et les passeurs, distinguer les migrants qui relèvent du droit d’asile et les autres que la France n’a pas vocation à accueillir, augmenter les capacités d’asile et accélérer le traitement des dossiers, créer des structures d’accueil, d’hébergement et d’orientation sécurisées, assurer la sécurité de tous – migrants et Calaisiens. Vous avez mené, Monsieur le ministre, une action diplomatique forte en direction de la Grande-Bretagne s’agissant des mineurs isolés. Le sommet d’Amiens a eu lieu il y a quelques mois. Chacun qui a connu cette situation sur Calais et Grande-Synthe de ces enfants, ces images insoutenables appellent, de la part du Royaume-Uni, un dispositif de prise en charge pour que ces enfants qui fuient la guerre, qui fuient les conflits puissent rejoindre leur famille de l’autre côté de la Manche. David CAMERON, lors du sommet d’Amiens, a annoncé un certain nombre de mesures. Aussi j’aimerais que vous puissiez, Monsieur le ministre, aujourd’hui, (coupure de micro).
Monsieur le député CAPET, vous m’interrogez sur la situation à Calais et Grande-Synthe et, à travers cette question, vous évoquez d’ailleurs plus largement la situation migratoire. Je veux rappeler quelle est notre politique, quelle est notre action et quels sont les résultats que nous avons obtenus. D’abord, il y avait, il y a de ça quelques mois, à Calais près de 6 000 migrants qui étaient dans une situation d’extrême précarité et il y en avait près de 3 000 à Grande-Synthe. Nous avons décidé, avec la ministre Emmanuelle COSSE, ensemble de mettre en place une action destinée à permettre à ceux qui sont dans cette situation de précarité de pouvoir être accueillis en centre d’accueil et d’orientation de manière à pouvoir accéder à l’asile. Ce sont 4 000 personnes qui ont été appelées à rejoindre ces centres d’accueil et d’orientation où elles ont un accueil digne, où elles ne connaissent plus cette précarité, où elles ne vivent plus dans le froid, où elles ont accès très rapidement aux procédures d’accès au statut de réfugié, à l’apprentissage de la langue française et nous souhaitons continuer à développer cette politique. Deuxièmement, nous avons demandé aux Britanniques de nous aider dans la sécurisation de la frontière à l’occasion de la dernière réunion à Metz avec les Britanniques : ce sont près de 82 millions d’euros que nous avons alloués à cette politique qui inclut non seulement la sécurisation des frontières mais également des efforts pour les femmes et les enfants en situation de vulnérabilité. Vous m’interrogez sur les mineurs isolés. En 2015, nous avons sollicité 113 demandes de réunification familiale avec un très faible taux d’accords de 23,8 %. Sur les seuls quatre premiers mois de l’année 2016, ce sont 118 dossiers qui ont été soumis avec un taux d’accords de 60 %. Et au 1er juin 2016, ce sont 46 transferts qui ont d’ores et déjà pu être réalisés dont 40 concernaient des mineurs isolés. C’est dire si le dialogue avec la Grande-Bretagne commence à porter ses fruits pour ces jeunes publics.
Monsieur le président, Monsieur le Premier ministre, alors que notre pays est en situation d’état d’urgence, les désordres s’accumulent et se multiplient à travers des manifestations dont l’exemple de l’hôpital NECKER est malheureusement la pire des illustrations. Pour la seule journée du 14 juin, 29 membres des forces de l’ordre auraient été blessés selon la préfecture de police de Paris. Au nom du groupe UDI, je tiens d’abord et à nouveau à rendre hommage à ces policiers et gendarmes sursollicités et au bord de l’épuisement. Mais qui peut comprendre alors que l’état d’urgence autorise encore des manifestations qui augmentent, voire génèrent, l’insécurité ? Monsieur le Premier ministre, vous avez contribué, par votre indécision, à ce que l’état d’urgence appelle maintenant l’urgence de l’État. Monsieur le Premier ministre, quelle est donc aujourd’hui votre décision ? Autoriserez-vous oui ou non de nouvelles manifestations ?
Monsieur le député PIRON, d’habitude, par votre positionnement dans l’hémicycle et par la finesse de votre pensée, vous êtes toujours, comme le disait TOCQUEVILLE, violemment modéré et je pense que, sur ce sujet, l’esprit de pondération et la nécessité de respecter en chaque circonstance les principes de droit doivent constituer notre boussole. Et je voudrais vous rappeler les principes qui ont présidé à l’action du gouvernement. Premier point, l’état d’urgence ne permet pas d’interdire des manifestations, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision récente, sauf à ce que les circonstances particulières justifiant de la mobilisation des forces de l’ordre sur d’autres fronts le justifient. Premier point. Deuxième point, je veux rejoindre tout à fait votre question pour condamner avec la plus grande fermeté les actes qui se sont produits à l’occasion de la manifestation de mardi et qui ont conduit des poignées et des hordes de casseurs à s’en prendre à des bâtiments publics, à des biens et à des policiers en uniforme qui, en raison de l’uniforme qu’ils portent, incarnent le droit. C’est la raison pour laquelle je ne peux pas, en responsabilité, accepter que, sans conditions, des rassemblements ou des manifestations aient lieu à Paris qui conduisent des manifestants à se trouver exposés, des biens à se trouver exposés, des policiers à être de nouveau attaqués et je ne peux pas accepter non plus qu’on continue, sur ces sujets-là, à mettre en cause les forces de l’ordre alors qu’il y a 550 blessés parmi les forces de l’ordre au cours des dernières semaines qui ont protégé des biens et qui ont protégé des services publics. C’est la raison pour laquelle, alors que les forces de l’ordre sont confrontées, comme le pays, à la menace terroriste élevée que l’on connaît, j’appelle les organisations syndicales à la responsabilité et accepter les propositions que nous leur faisons.
Monsieur le Premier Ministre. Il est simple de se procurer sur Internet des drogues et de se les faire envoyer par voie postale. La rédaction d’un grand hebdomadaire en a fait l’expérience. Cocaïne, champignons hallucinogènes, marijuana et cannabis de synthèse, voici les drogues qu’on peut se procurer aussi facilement que l’on commande une paire de chaussures. Comment est-ce possible ? C’est simple, directement sur Internet, par des sites bien souvent hébergés aux Pays-Bas, paiement par Carte Bleue et la marchandise arrive sous pli discret à l’adresse de votre choix. Une autre option, plus sûre, mais un peu plus compliquée existe, passer par le Darknet. Nous voilà sur le plus grand supermarché de l’horreur du monde. Les trafiquants en tous genres y côtoient terroristes, pédophiles. Pour payer, il suffit de disposer de « bitcoins », monnaie virtuelle qui s’achète auprès des banques en ligne. La livraison, là encore, par voie postale, sous pli discret, venant cette fois-ci de France. Après analyse commandée par l’hebdomadaire et réalisée par un laboratoire travaillant pour la police, le constat est édifiant, la cocaïne étant d’une qualité jamais vue, pure à 90 %. Je demande que soit mis en place un véritable programme de lutte contre le trafic au sein de l’Union européenne, en assurant un meilleur contrôle aux frontières et en traquant les acheteurs français. Je demande, par ailleurs, que soit mise en place une mission d’information sur la lutte contre ce trafic et les nouveaux modes de distribution des drogues en France, qui prennent progressivement la place des dealers physiques. Je demande qu’on interdise les « bitcoins » qui servent surtout aux trafics et au blanchiment d’argent, comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays.
Monsieur le Député. La question que vous posez est une question qui renvoie à des trafics extrêmement préoccupants, réels. Je veux donner quelques chiffres pour montrer la pertinence de la question que vous posez. C’est 12 milliards d’euros au sein de l’Union européenne, le trafic de drogue, c’est près de 2 000 tonnes pour ce qui concerne la consommation de cannabis et pour ce qui concerne la cocaïne, c’est la deuxième drogue la plus consommée au sein de l’Union européenne. Vous posez deux questions. D’abord, est-ce qu’il faut une stratégie européenne de lutte contre ces trafics incluant Internet, mais pas seulement ? La réponse est oui, la France y a déjà largement contribué, puisque – comme vous le savez sans doute – une nouvelle stratégie anti-drogue a été définie par l’Union européenne pour la période 2013-2020. Cette stratégie anti-drogue pour la période 2013-2020 a pour but de répondre aux nouvelles évolutions du trafic de drogue, d’améliorer la coopération entre les services de police notamment au sein d’Europol et de permettre aussi la coopération entre les services des douanes au plein européen, de manière à mieux identifier la nature de ces trafics. Vous m’interrogez ensuite sur la question de la vente sur Internet. C’est un aspect également très important, puisque c’est par Internet que se font aujourd’hui beaucoup de cyber trafic. A l’Office des stupéfiants, les policiers ont été formés comme cyber patrouilleurs et ont reçu l’habilitation du Parquet de Paris pour être autorisés à se rendre sur les sites qui – comme vous l’indiquez – peuvent proposer, de façon plus ou moins évidente, des produits, premier point. Deuxième point, ces policiers sont à même d’identifier les sites, les techniques de vente, de faire ouvrir des enquêtes, pour permettre l’identification des vendeurs. Nous avons eu, grâce à cette action sur Internet, d’excellents résultats l’an dernier de saisie d’avoirs financiers et de drogue. Enfin, je veux indiquer aussi que c’est au sein d’Europol que les services de cybercriminalité coopèrent entre eux pour améliorer encore les résultats que je viens de vous indiquer.