Bernard Cazeneuve a répondu à Christian Kert, député Les Républicains Bouches-du-Rhône, lors de la séance de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale du 10 février 2016.
Christian KERT, député Les Républicains Bouches-du-Rhône
Monsieur le Président. Ma question s’adresse à Monsieur le Ministre de l’Intérieur. Monsieur le Ministre, au lendemain des attentats à Paris du 13 novembre, les enquêteurs ne disposent d’aucune piste pour détecter le terroriste ABAAOUD. Seul, seul un témoignage va permettre de le localiser et de le neutraliser. Ce témoignage émane d’une femme courageuse, que nous appellerons Sonia, qui sait que cet acte va transformer sa vie. Car, elle témoigne sous sa propre identité. Donc, cela l’expose à la connaissance de tous. Dès lors, cette jeune femme n’a plus qu’une solution : se cacher, se protéger. Si une surveillance policière lui a bien été accordée, elle apparaît vite comme insuffisante et, surtout, on ne lui apporte aucune aide matérielle, ni aucun aide psychologique. Pour elle, tout est en deux mots : peur et solitude subie. Il a fallu, semble-t-il, que Sonia décide de sortir de sa solitude et accorde à une grande chaine d’information en continu une interview, où on ne la reconnaît pas, pour que vos services prennent la juste mesure du danger, renforcent la surveillance et lui offrent une aide psychologique. Alors, Monsieur le Ministre, pas d’esprit polémique, d’autant que votre gouvernement vient de présenter un texte qui semble répondre aux problématiques du statut de témoin, notamment sur la protection de son identité, le rapprochant ainsi du statut de repenti. Il n’en demeure pas moins que d’ici l’adoption de ces dispositions, il faut qu’un code de bonnes pratiques donne à vos services les moyens de protéger les témoins clé dans des affaires aussi dramatiques. Dans cette période, Monsieur le Ministre, que comptez-vous faire pour les témoins comme Sonia ?
Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur
Monsieur le Député. Dans la responsabilité qui est la mienne, j’ai un devoir, c’est de ne pas évoquer publiquement ce qu’est l’action de mes services, y compris lorsqu’elle est injustement décriée, dès lors que cette action, rendue publique, est de nature à mettre gravement en danger la vie d’un témoin. C’est la raison pour laquelle je ne me suis jamais exprimé sur ce sujet. Je sais parfaitement le décalage qui existe entre ce qui est dit et ce qui a été fait. Je mesure, par conséquent, la dimension d’injustice qui s’attache à certaines polémiques, pour ne pas évoquer certaines manipulations. Mais la responsabilité qui est la mienne est sur ce sujet de garder le silence. Pourquoi ? Parce que cette personne a été auditionnée, sous l’autorité du Parquet antiterroriste, qu’après qu’elle a été auditionnée, dans le respect rigoureux des procédures de droit, puisque vous savez que pour qu’un témoin soit auditionné sous X, il faut qu’au moment où on l’auditionne, on soit assuré qu’il n’existe aucun lien entre ce témoin et l’affaire concernée. Ce que généralement on sait après. Donc, pour toutes ces raisons-là, nous avons pris des dispositions – j’en ai le détail et s’il faut rendre compte un jour, je le ferai, bien entendu, devant ceux dont c’est le rôle que de savoir – qui nous ont conduits à protéger cette personne et au-delà. Il n’existe pas en France, malgré les dispositions prises par la loi PERBEN, de dispositions qui permettent de financer les repentis. Nous avons pris les dispositions pour ce faire dans la loi du 13 novembre. Pour ce qui concerne les témoins, il n’existe actuellement aucun statut qui permette d’assurer leur protection et leurs finances. C’est la raison pour laquelle le garde des Sceaux présentera des dispositions qui permettront de combler ce vide juridique. Pour le reste, je renvoie chacun à sa responsabilité ou à son irresponsabilité, lorsqu’il s’agit d’exposer des témoins.