Bernard Cazeneuve a répondu à Philippe Cochet, député du groupe Les Républicains du Rhône, Paul Molac, député EELV (Groupe Ecologiste) du Morbihan, Jean-Yves Le Bouillonnec, député PS du Val-de-Marne, et à Jacqueline Fraysse, député Gauche démocrate et républicaine des Hauts-de-Seine, lors de la séance de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale du 1er décembre 2015.
M. Philippe Cochet.
Monsieur le Premier ministre, notre pays est en guerre. Nos assemblées ont voté l’état d’urgence dans un esprit de concorde nationale. Dans ce contexte, la préfecture de police de Paris a interdit, dimanche 29 novembre, une manifestation.
Vos discours martiaux et ceux du Président de la République se succèdent, mais que constatons-nous ? La manifestation interdite a eu lieu. Des voyous d’extrême gauche, cagoulés ou masqués, ont pu se réunir et infiltrer cette manifestation interdite alors que nous sommes en plein état d’urgence. Ces voyous, ces ennemis de la République, ont saccagé le mémorial improvisé situé en plein cœur de Paris, place de la République, alors que les obsèques des victimes des attentats ne sont pas encore terminées.
L’abject a eu lieu. C’est un affront insupportable fait aux victimes et au peuple de France, qui ne peuvent plus accepter que l’État soit défaillant. J’ai honte de ce qui s’est passé. J’ai honte en pensant aux victimes, en pensant à nos compatriotes profondément choqués par les attentats des 7 et 9 janvier, du 26 juin et du 13 novembre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
À ce jour, 317 interpellations ont eu lieu et 174 gardes à vue, dont 9 prolongées, ont été décidées. Une fois de plus, la réaction a eu lieu, mais après. Gouverner, c’est prévoir. L’autorité ne se paye pas de mots mais d’actes. Quand on est en guerre, on doit d’abord et surtout s’occuper de la protection des Français.
Monsieur le Premier ministre, dans le contexte où nous sommes, comment pouvez-vous justifier cette faute grave de l’État ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur.
Monsieur le député, l’autorité, l’outrance et l’énervement ne sont pas des notions qui se superposent.
L’autorité, c’est de prendre des décisions claires et de les assumer, ce que nous avons fait dans le cadre de l’état d’urgence. Ces décisions, je veux les rappeler ici.
Nous avons interdit les manifestations, et j’ai donné instruction aux préfets, dans le contexte de cette grande conférence internationale qui mobilise la société civile depuis des mois, que puissent se tenir, dans le cadre d’un dialogue avec les organisations non gouvernementales et les associations pacifiques, non des manifestations ou des déambulations, mais des rassemblements pacifiques ; il y en a eu soixante pendant le week-end, auxquels ont participé des militants d’organisations non gouvernementales et des militants écologistes pacifiques. Ils se sont bien passés, tout comme le rassemblement et la chaîne humaine pacifiques place de la République à Paris, jusqu’à ce qu’un groupe de casseurs, totalement irrespectueux de la mémoire de ceux qui ont perdu la vie dans les attentats, se livrent, avec une extrême violence, à un jeu qui doit être condamné avec la plus grande fermeté.
Ces actes, je les ai donc condamnés avec la plus grande fermeté, et, contrairement à ce que vous dites, ils ont conduit les forces de l’ordre à intervenir courageusement pour mettre hors d’état de nuire ces individus qui ont été, sous l’autorité du procureur de la République, placés en garde à vue.
L’autorité de l’État c’est, dans le respect du droit et sous l’autorité des procureurs de la République, de faire valoir le droit, ce n’est pas l’énervement ni l’outrance, ce ne sont pas les accusations sans fondement qui ont présidé à votre question. Aussi fallait-il rappeler ce qui s’est exactement passé.
Préalablement à cette manifestation, j’avais d’ailleurs décidé vingt-six assignations à résidence, non pour des militants écologistes, mais pour des casseurs. Nous avions donc pris toutes les précautions, nous avons été fermes, et nous le demeurerons.
Paul MOLAC
Merci, Madame la Présidente. Monsieur le Premier Ministre, il y a quinze jours, ici même à la quasi-unanimité de cette Assemblée, nous avons voté la prolongation et la modification des règles applicables à l’état d’urgence.
Les attentats et la menace permanente qui pèse sur notre pays le justifient pleinement pour arrêter les terroristes qui sont encore en liberté et démanteler les filières. Parmi les dispositions adoptées, figurent des mesures destinées à protéger et garantir les libertés publiques : suppression des dispositions qui touchaient la liberté de la presse et la Justice militaire, mais également principe du contrôle parlementaire régulier. L’état d’urgence n’est en aucun cas l’absence de l’Etat de droit.
Cependant, des informations font état d’une application trop large de certaines mesures ; le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs éprouvé le besoin d’envoyer une circulaire à tous les préfets pour préciser l’application des perquisitions administratives et des assignations à résidence. Nous nous interrogeons fortement sur certains cas précis touchant notamment des militants, comme en Dordogne, ou à Rennes, sans aucun lien a priori avec le jihadisme et qui ont été perquisitionnés ou assignés à résidence.
Par ailleurs comment comprendre le refus du Tribunal administratif de Rennes de juger en référé la liberté, les mesures d’assignation à résidence contre des militants anarchistes ? Il nous semble donc important d’aller plus loin et de concrétiser le principe du contrôle parlementaire adopté à l’initiative du président de la Commission des lois. Monsieur le Premier Ministre, comment envisagez-vous ce contrôle parlementaire au niveau national, éventuellement par une commission spéciale, mais également au niveau local ? Les préfets accepteraient-ils de réunir les parlementaires de leur département pour faire état des mesures qu’ils ont prononcées ? Ce contrôle est nécessaire pour préserver et l’efficacité des Forces de sécurité, et la confiance des Français dans le maintien des libertés individuelles et collectives.
Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur
Monsieur le Député Paul MOLAC, merci beaucoup de cette question et je veux en profiter pour dire des choses extrêmement précises sur la manière dont l’état d’urgence est mis en œuvre et contrôlé.
D’abord, nous sommes face à un niveau de menace très élevé, et ce niveau de menace très élevé appelle une responsabilité collective sur tous les bancs de cet hémicycle. Cette menace très élevée implique que les forces de sécurité qui sont sous ma responsabilité, lorsqu’il y a notamment des manifestations, soient mobilisées exclusivement sur la lutte anti-terroriste. Je ne veux pas, je ne peux pas accepter que les Forces de sécurité aujourd’hui puissent prendre en charge dans l’espace public des casseurs parce qu’ils ont décidé, dans l’irrespect complet, y compris l’irrespect de la mémoire de ceux qui sont tombés, de jeter des projectiles sur les Forces de l’ordre en s’en prenant à l’Etat et à ceux qui l’incarnent par l’uniforme qu’ils portent. Je ne l’accepterai jamais, et tous ceux qui l’acceptent sur ces bancs, dont monsieur MAMERE qui s’agit, sont dans l’irresponsabilité totale, et je tiens à le dire très clairement ici. Premier point.
Deuxième point, je tiens également à préciser que toutes les dispositions ont été prises par mes soins pour que l’état d’urgence soit respecté dans ses principes. J’ai adressé effectivement des circulaires aux préfets, il y a une possibilité, pour ceux qui font l’objet de ces mesures, de saisir le juge administratif en référé, et lorsque le juge administratif a été saisi en référé, aussi bien sur les manifestations interdites que sur les assignations à résidence ou que sur les perquisitions, à chaque fois il s’est prononcé pour indiquer que le respect du droit avait été absolu de la part de l’Etat.
Par conséquent, quiconque prétend autre chose est dans la contre-vérité. Il y aura un contrôle parlementaire. J’ai indiqué au président URVOAS que nous donnerons tous les éléments pour que ce contrôle puisse aller à son terme. Et pour ce qui concerne les militants écologistes, il n’y en a eu aucun d’assigné. Ceux qui ont été assignés, ce sont des individus violents.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
Monsieur le ministre de l’intérieur, quand un État de droit est confronté à des menaces mettant en cause directement la vie de ses populations et les activités du pays, que ces menaces visent le modèle de société que les citoyens se sont librement donné, cet État ne peut pas ne pas se défendre, et il doit se défendre !
Nous nous félicitons tous de la capacité des services de l’État à assumer, en pleine responsabilité, cette exigence, tout en ayant, à l’occasion de l’ouverture de la COP21, organisé et sécurisé remarquablement l’accueil de 150 chefs d’État : ils doivent en être chaleureusement félicités.
Monsieur le ministre de l’intérieur, pour un État de droit, faire face aux menaces qui veulent le détruire est un défi extrêmement complexe. Les Français approuvent massivement les mesures que rend possible l’état d’urgence. Ils savent que le Président de la République, le Gouvernement comme toutes les institutions de notre République – dont notre Parlement ! – sont garants et protecteurs de cet État de droit.
Mais nous savons que ces mesures sont, par nature, exorbitantes du droit commun. Comment prenez-vous en compte cette difficulté, monsieur le ministre ? De quelle manière le Gouvernement entend-il disposer des moyens que lui donne, exceptionnellement et pour un temps déterminé, la loi prolongeant l’état d’urgence, sans compromettre les fondements même de notre démocratie ?
Pourriez-vous nous éclairer sur les objectifs que vous fixez à l’utilisation des procédures administratives, notamment l’assignation à résidence et les perquisitions, sur les circonstances et les éléments susceptibles de les justifier, ainsi que sur leurs conséquences ?
Nous partageons avec le Gouvernement la volonté – et nous affirmons cette volonté ! – que, pour défendre notre pays et notre peuple, les armes de la République n’entament ni l’État de droit ni la démocratie.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur.
Monsieur le député, vous avez tout à fait raison d’indiquer que c’est pour défendre l’État de droit que l’état d’urgence, prévu par le dispositif juridique français, a été mobilisé. Cet état d’urgence permet ainsi de prendre des mesures de police administrative, lesquelles permettent de démanteler des réseaux et de mettre hors d’état de nuire des individus.
Il s’agit essentiellement de deux types de mesures : les perquisitions administratives et les assignations à résidence. Ces mesures ont été prises sous le contrôle du juge administratif, lequel est, dans le temps long de l’histoire de la République, le juge des libertés publiques, comme en témoignent de grands arrêts de la jurisprudence administrative tel l’arrêt Benjamin ou l’arrêt Canal, qui ont témoigné de la capacité du juge administratif à contrôler le respect des libertés publiques dans des contextes où celles-ci pouvaient être remises en cause.
C’est ainsi que l’ensemble des citoyens peut saisir en référé le juge administratif pour contrôler les conditions dans lesquelles les mesures de police administrative sont mises en œuvre. Le juge administratif a été saisi à plusieurs reprises en référé et, à chaque fois qu’il l’a été, il a considéré que les conditions dans lesquelles les mesures avaient été mobilisées par le Gouvernement étaient tout à fait conformes au droit.
Par ailleurs, j’ai indiqué aux préfets que je n’accepterai pas que les conditions dans lesquelles les perquisitions et les assignations à résidence sont mobilisées contreviennent à l’esprit de l’état d’urgence, au respect des règles de droit – j’y veille personnellement.
Enfin, il y a un contrôle parlementaire puissant, souhaité comme tel par le président de la commission des lois et accepté par le Gouvernement qui s’est engagé et s’est organisé pour fournir en continu au président Urvoas et aux parlementaires qui exercent ce contrôle l’ensemble des éléments témoignant de la motivation des décisions prises. Ainsi, nous serons garantis que nous protégeons les Français dans le respect rigoureux des grands principes généraux du droit.
Jacqueline Fraysse
Le 19 novembre dernier, dans les circonstances dramatiques et inédites, que chacun connait, les députés du Front de gauche ont estimé que la prolongation de l’état d’urgence, que vous avez demandée, était justifiée pour une durée limitée et dans un cadre strictement défini.
Conscients que l’état d’urgence porte atteinte aux libertés, cette décision n’a pas été simple à prendre, tant l’équilibre entre l’exigence de liberté et celle de sécurité est extrêmement précaire. C’est pourquoi une particulière vigilance de votre part, Monsieur le Premier Ministre, s’impose.
C’est aussi ce qui nous a conduits à exiger la mise en place d’un contrôle parlementaire hebdomadaire. Pourtant, plusieurs évènements vécus comme des excès nous sont d’ores et déjà signalés. En aucun cas, l’état d’urgence ne peut signifier l’interpellation brutale et les gardes à vue sans fondement de citoyens n’ayant rien à se reprocher. Ce qui cultive d’ailleurs un climat de peur, d’insécurité et de division, contre lequel vous dites, à juste titre, vouloir lutter. L’entrave constatée à certaines expressions citoyennes et syndicales nous inquiète également.
En effet, comment comprendre que les marchés de Noël, très fréquentés, sont autorisés, alors que des rassemblements sociaux pacifiques peuvent faire l’objet d’une interdiction. Face à cette situation, nous vous demandons de rappeler, Monsieur le Premier Ministre, quelles mesures vous comptez prendre pour empêcher à la fois certains excès constatés et pour que ne soient pas entravées les légitimes interventions militantes et citoyennes inhérentes à l’exercice démocratique le plus élémentaire.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur.
Je veux vous confirmer que l’état d’urgence n’a pas du tout pour vocation d’empêcher des formes d’expression citoyenne ou militante. Ce n’est pas l’esprit de l’état d’urgence et ce n’est pas la manière dont je souhaite qu’il soit mis en œuvre par les préfets de la République. Je vous le dis très clairement. Il y a des manifestations, qui, en raison de la présence d’individus violents, ont fait l’objet de l’intervention des forces de l’ordre dans les conditions que l’on sait et de l’enclenchement de l’action publique, sous l’autorité du procureur de la République, c’est aussi cela l’Etat de droit.
Mais j’ai donné des instructions aux préfets pour que chaque rassemblement pacifique, qui permet l’expression de revendications ou l’expression d’attentes citoyennes, puisse être, dès lors que toutes les conditions sont réunies, puisse être autorisé. Les préfets ont mission d’organiser ces relations avec les acteurs concernés pour que cela soit possible.
Ce week-end, il y a eu soixante rassemblements pacifiques qui ont eu lieu, parce que des militants responsables et sincères les ont organisés, en très étroite liaison avec les préfets. Cela se produira également lorsqu’il y aura des rassemblements organisés par des organisations syndicales et qui pourront se produire dans le même esprit.D’ailleurs, l’interdiction de manifester qui prévalait a été levée hier soir à minuit et elle n’est reconduite que sur des territoires particuliers où des risques particuliers existent. Il n’y a donc pas d’interdiction de manifester qui ait une portée générale, contrairement à ce que j’ai pu lire dans un certain nombre de papiers ou de pseudo-manifestes fort mal informés. C’est la raison pour laquelle, je souhaite d’ailleurs que le contrôle parlementaire s’exerce.
Comme j’ai eu l’occasion de vous l’indiquer, ainsi qu’à votre groupe et ça s’adresse à l’ensemble des parlementaires de tous les groupes, lorsqu’il y a des manquements et des difficultés, ils doivent être signalés. Le Premier ministre réunira à 17h00 l’ensemble des groupes politiques de la représentation nationale, pour que ces règles soient définies, en bonne intelligence avec la représentation nationale.