Service statistique ministériel de la sécurité intérieure

2 octobre 2014

Discours de M. Bernard CAZENEUVE, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale le 1er octobre 2014.


Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Nous souhaitons tous que la politique de sécurité fasse l’objet dans notre pays d’un débat dépassionné et lucide. Il fallait donc créer à ce sujet les conditions de la confiance et de la transparence, sans laquelle il n’y a pas de débat possible. C’est pourquoi j’ai souhaité rendre compte chaque semestre à votre commission, ainsi qu’à la commission des lois du Sénat, de l’état de la délinquance, que les chiffres soient valorisants ou qu’ils m’exposent au contraire à la critique ou au questionnement.

Encore ces chiffres doivent-ils être préalablement élaborés avec une rigueur incontestable et dans des conditions permettant leur contrôle. Par le passé, comme vous le savez, trop de chiffres ont été longtemps « construits» à des fins d’affichage. Les travaux que le Gouvernement a confiés à l’INSEE et à l’IGA ont montré combien l’instrumentalisation de ces statistiques à des fins politiques avait pu encourager certaines pratiques imaginatives mais fort peu rigoureuses : indexation en « dégradations » de nombreuses tentatives de cambriolages, dé-classifications massives de plaintes, et même aménagements de notre calendrier grégorien au terme desquels le mois de février n’était plus le seul à compter 28 ou 29 jours, et parfois moins encore… Ces pratiques pourraient faire sourire mais la vérité est qu’au-delà de tromper l’opinion, elles ont privé les forces de sécurité d’un outil d’évaluation précieux et d’un instrument fiable de pilotage de leur action au service des Français.

Je rends donc hommage à Manuel Valls pour avoir rapidement mis un terme à ces pratiques. Dès juin 2012, il a ainsi été mis fin à la « politique du chiffre », pratique contestable et simpliste ne permettant pas une conduite satisfaisante de la politique publique de sécurité. De la même manière, nous avons mis un terme au « chiffre unique de la délinquance », indicateur dépourvu de toute pertinence statistique et de rigueur scientifique puisqu’il conduit à additionner, par exemple, des dégradations sur véhicules et des vols à main armée.

Au-delà, le ministère de l’intérieur a engagé une réforme ambitieuse afin de disposer d’instruments fiables, rendant compte en toute transparence des conditions de sécurité dans lesquelles vivent nos concitoyens. Cette volonté s’est d’ores et déjà concrétisée par la mise en place d’un nouveau tableau de bord, plus opérationnel et rendant mieux compte de la réalité contemporaine des phénomènes de délinquance et de nuisances. En parallèle, le déploiement de nouveaux logiciels de collecte des faits constatés par les policiers (LRPPN) et par les gendarmes (LRPGN), plus fiables et plus rigoureux, sera achevé en début d’année prochaine. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Enfin, dans le prolongement des préconisations de la mission d’information parlementaire présidée par les députés Jean-Yves LE BOUILLONNEC et Didier QUENTIN, il a été décidé d’inscrire le traitement des statistiques de la délinquance dans le cadre du service statistique public en créant un service statistique ministériel (SSM) de la sécurité intérieure.  Composé de statisticiens de l’INSEE et placé sous l’autorité conjointe des directeurs généraux de la gendarmerie et de la police nationales, ce SSM est officiellement installé depuis un mois aujourd’hui. Je salue la présence à mes côtés du chef de ce nouveau service, M. CLANCHÉ,  inspecteur général de l’INSEE. L’objectif est que les données produites par le SSM, croisées avec les enquêtes annuelles conduites par l’INSEE, ne soient plus sujettes à caution, pas plus que ne le sont les statistiques économiques. Le débat se portera donc sur la réalité révélée par le chiffre et non plus sur le chiffre lui-même.

C’est dans cet esprit que je vous ai proposé Monsieur le Président, ainsi qu’à votre homologue au Sénat, de venir rendre compte régulièrement des chiffres de la délinquance devant vos commission respectives. Mon vœu est que le Parlement puisse disposer ainsi de toutes les informations nécessaires pour exercer son contrôle et que les parlementaires que vous êtes soyez mieux placés pour répondre aux interpellations auxquelles les Français vous soumettent. Je suis très attaché à cette démarche de transparence, qui doit renforcer le lien entre le Ministère de l’Intérieur et le Parlement, entre la représentation nationale dépositaire de l’intérêt général et les forces de l’ordre qui accomplissent chaque jour un travail remarquable pour garantir la sécurité de nos concitoyens. C’est donc avec plaisir que j’ouvre ce cycle devant vous aujourd’hui. 

Comme vous le savez, l’information statistique sur la sécurité et la délinquance repose sur deux types d’outils. D’une part, les enquêtes de victimisation menées auprès des ménages, au premier rang desquelles l’enquête « cadre de vie et sécurité », créée en 2007 sous l’impulsion de par l’Observatoire nationale de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) et réalisée tous les ans par l’Insee. D’autre part, l’enregistrement par des plaintes et des constatations d’infractions par les forces de police et de gendarmerie. Ces deux types d’informations se complètent et doivent être croisées pour s’assurer d’une bonne appréhension des phénomènes étudiés. Le SSM a précisément pour mission de tirer le meilleur parti de ces deux types d’outils, afin  d’éclairer les citoyens et leurs représentants, ainsi que les acteurs en charge des politiques de sécurité.

La modernisation des systèmes d’enregistrement des infractions, achevée à la gendarmerie nationale, et cours de finalisation dans la police nationale, va permettre de fiabiliser et d’enrichir l’information statistique disponible. Mais il faut admettre que, dans l’immédiat, ces changements d’outils génèrent des discontinuités dans les séries de chiffres : ces « ruptures statistiques » compliquent le travail d’analyse des données. En effet, certaines évolutions dans les courbes observées peuvent résulter de ces changements dans les pratiques d’enregistrement dans les brigades ou les commissariats, plutôt que de traduire des évolutions effectives du nombre d’infractions.

Concrètement, ces ruptures ont été observées en gendarmerie dès janvier 2012, lors du déploiement d’une nouvelle application de saisie. Identifiées par l’ONDRP, elles ont été confirmées en 2013 par une mission de l’inspection générale de l’administration. Pour ce qui est de la police nationale, des ruptures de cette nature ont commencé à apparaître en 2013,  lors de la mise en place du logiciel de rédaction des procédures (LRPPN), et se poursuivront jusqu’à la fin de son installation, au début de l’année 2015. Ces nouveaux systèmes modifiant les conditions de rédaction des procédures dans les unités de  sécurité, ils emportent naturellement des conséquences en termes de contrôle des procédures et de traitement à des fins statistiques. 

L’un des premiers rôles du SSM sera d’analyser ces impacts et d’en tenir compte pour construire des analyses statistiques fiables et incontestables malgré ces ruptures. La confrontation avec l’enquête annuelle de victimisation, en particulier, sera cruciale dans la validation des résultats issus des enregistrements administratifs. Ce travail complexe prendra donc plusieurs mois.  Mais il est dès à présent possible de donner des indications sur les tendances récentes de la délinquance, car certains types d’informations ne sont pas affectés par les changements intervenus.

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Ces indications concernent les évolutions de plusieurs types d’infractions :

1) Après plusieurs années de baisse, le nombre de cambriolages avait augmenté significativement durant les années 2009 à 2012. Cette tendance, que l’on observe à la fois dans l’enquête de l’Insee et dans les données administratives, a d’ailleurs été observée par ailleurs chez plusieurs de nos voisins européens. Nous ne connaissons pas encore les résultats de l’enquête de l’Insee réalisée cette année : ils seront présentés par l’ONDRP en novembre. Mais, les données enregistrées par les forces de police et de gendarmerie montrent clairement un arrêt de la hausse des cambriolages de résidences principales à compter du début de l’année 2013, et une légère tendance à la baisse depuis le début de l’année 2014.

Ainsi, au cours des 8 premiers mois de l’année 2014, on a ainsi enregistré 7 300 cambriolages de résidences principales de moins que durant la même période en 2013, soit une baisse de 4,9%. Cette tendance s’est confirmée pendant l’été. Vous comprendrez que le ministre de l’Intérieur voit dans cette évolution marquée un effet direct du « plan anti-cambriolage » lancé l’an passé. En revanche, le nombre de cambriolages de résidences secondaires a augmenté de 800 faits (+7%) sur la même période. J’ai donc demandé au Préfet de police de Paris ainsi qu’aux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie d’intensifier le plan ministériel de septembre 2013 et de le rénover en recourant de manière massive aux unités de forces mobiles ainsi qu’aux réservistes, en priorité dans les départements les plus touchés par les atteintes aux biens et les cambriolages. En d’autres termes, il s’agit d’appliquer un concept de concentration des efforts et des moyens dans un cadre espace-temps déterminé, afin de dissuader les délinquants.   Concernant les vols d’automobiles et les vols liés aux automobiles et deux-roues motorisées, les résultats des derniers mois ont été positifs. Ainsi, on a enregistré 180 vols de voitures en moins en août 2014 par rapport à l’année 2013 (-2,3%). Une fois prises en comptes les variations saisonnières, la baisse est même régulière depuis le début de l’année 2014. Dans ce domaine, les derniers mois s’inscrivent dans une tendance lourde à l’œuvre depuis plusieurs années, en France comme chez nos voisins, de baisse de la délinquance liée aux véhicules. Pour autant, plus de 500.000 vols liés aux véhicules ont été enregistrés en 2013, soit 25% des atteintes aux biens pour un préjudice estimé à 1,2 milliards d’euros. Il s’agit de vols à la roulotte, de vols d’accessoires, de pots catalytiques ou encore de carburants. J’ai donc décidé de lancer très prochainement un plan ambitieux de lutte contre les vols et trafics de véhicules et de pièces détachées.

2) Les vols à main armée sont heureusement plus rares que par le passé. On en a dénombré 286 en août dernier, chiffre historiquement bas pour un mois d’été. Depuis le printemps 2013,on constate une baisse régulière de ce type d’infractions. Sur les 8 premiers mois de l’année 2014, on a constaté 69 faits de moins qu’au cours du début de l’année 2013, soit une baisse de 19,4%.

3) Les vols violents sans armes à feu sont quantitativement plus nombreux que les vols à main armée (7 800 en août dernier), mais leur nombre est en baisse de l’ordre de 14% par rapport à août 2013. Depuis un peu plus d’un an, ce type d’infractions connaît ainsi un recul significatif.

Il convient de rappeler qu’au cours des années 2008-2012, les analyses de l’ONDRP sur la base de l’enquête de l’Insee n’ont pas fait apparaître d’évolutions significatives, à la hausse ou à la baisse, du nombre des vols ou tentatives de vol avec violence

4) Les coups et blessures volontaires qui ne sont pas liés à des vols ont été moins nombreux au cours de l’été 2014 que durant l’été 2013. Depuis le début de l’année, une très légère tendance à la baisse s’observe..

5) Les violences intrafamiliales, en hausse depuis quelques mois maintenant, constituent un vrai sujet de préoccupation pour mes services, tant elles touchent à l’intimité de nos concitoyens. S’il est difficile d’apprécier précisément cette hausse en raison des ruptures statistiques dont je parlais tout à l’heure, il est également difficile de nier cette tendance. Celle-ci est d’autant plus réelle que les pouvoirs publics ont suscité une véritable prise de conscience de nature à inciter ainsi les victimes à se faire connaître auprès des services de police et unités de gendarmerie. Ces violences constituent un phénomène difficile à prévenir qui doit impérativement passer par une meilleure information et formation de l’ensemble des acteurs au contact des victimes (enseignants, surveillants, médecins, associations…). Cela suppose donc une action ciblée et coordonnée de l’ensemble des ministères concernés. Cette approche interministérielle est actuellement à l’œuvre. Elle devrait déboucher de manière concrète, à brève échéance.   

6)  Enfin, les escroqueries et infractions économiques et financières enregistrées par les services de police et unités de gendarmerie sont en hausse depuis quelques mois. Ces hausses s’expliquent pour une large part par la progression importante des plaintes pour falsifications et usages frauduleux de cartes de crédit : 3 600 faits enregistrés en août 2014, soit 600 de plus qu’en août 2013. Cette évolution s’inscrit dans une tendance apparue au début des années 2010, liée au développement du commerce électronique. Plus récemment, on a observé également une nette augmentation du nombre de procédures liées à des falsifications et usages de chèques volés, mais il convient de vérifier si cette évolution est significative et durable

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Dans les mois à venir, le SSM affinera et complètera encore ses analyses, en travaillant à la fois sur les faits de délinquance eux-mêmes et sur l’impact qu’ont eu les nouveaux systèmes d’information sur les données administratives établies. Il informera l’ONDRP de ses travaux méthodologiques et continuera à lui transmettre les données des faits enregistrés aux fins de diffusion publique.

A partir de l’été 2015, quand il sera possible de produire régulièrement des chiffres répondant pleinement aux normes de qualité de la statistique publique, le SSM publiera lui-même des indicateurs mensuels de la délinquance enregistrée, à l’image de ce que font l’Insee et les autres services statistiques ministériels dans leurs domaines de compétence. Nous progressons ainsi sur la voie que nous souhaitons : celle de la fiabilité, de la rigueur et de la transparence recherchées.

Cela permettra à la représentation nationale de disposer de véritables outils de contrôle et d'évaluation des politiques publiques de sécurité. Cela constituera également un progrès démocratique, car les statistiques de la délinquance ne pourront plus faire l'objet d'interprétations contestables.