Seul le prononcé fait foi
Mesdames, Messieurs,
L’épreuve à laquelle la France est confrontée particulièrement depuis mercredi concerne non seulement l’Europe mais aussi toute les démocraties.
C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative de réunir en urgence aujourd’hui le G10 comme la Belgique l’avait fait en mai 2014 à la suite de la fusillade intervenue au musée juif de Bruxelles. Ce groupe rassemble dans un cadre informel de coopération et d’échange les ministres de l’Intérieur des pays européens les plus touchés par le phénomène dit des combattants étrangers. L’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Pologne, l’Espagne, la Belgique, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark et l’Autriche. Je remercie également mon collègue letton, Rihards KOZLOVSKIS qui préside actuellement le conseil des ministres de l’Union Européenne pour sa présence. Elle nous assure que les travaux de ce groupe informel se traduiront par des actions concrètes au sein de l’Union Européenne et la présidence lettone vient de nous faire savoir qu’elle réunirait en urgence un conseil JAI dans les prochains jours.
C’est également dans cet esprit que nous avons souhaité associer à nos travaux le commissaire européen à la Migration et aux Affaires intérieures, la Citoyenneté, Dimitris AVRAMOPOULOS, que je veux remercier chaleureusement pour sa présence ici à Paris et pour son engagement sans faille depuis qu’il a pris cette responsabilité pour nous accompagner avec tous les moyens de la Commission Européenne dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons par ailleurs tenu ces discussions avec les ministres de l’Intérieur et de la Justice des Etats-Unis que je veux remercier du fond du cœur pour leur présence qui sont pour nous un partenaire fondamental dans la lutte contre le terrorisme. Je veux parler d’Alejandro MAYORKAS et d’Eric HOLDER. Je veux également remercier le ministre canadien de la Sécurité publique, Steven BLANEY qui a eu à gérer tout récemment une situation dramatique de crise liée au terrorisme dans son pays. Je remercie tous mes collègues encore une fois du fond du cœur pour leur présence, pour leur solidarité constamment manifestée au cours des derniers jours et qui a été un extrême réconfort dans l’épreuve qu’a traversée notre pays. Enfin, je voudrais saluer la présence à nos côtés du coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de KERKCHOVE.
Vous connaissez, Mesdames et Messieurs, le contexte dramatique qui a présidé à la convocation de la réunion exceptionnelle qui vient de se tenir ce matin ici au ministère de l’Intérieur et qui précède la marche républicaine qui aura lieu dans les rues de Paris cet après-midi. Un attentat terroriste contre le journal Charlie Hebdo a coûté la vie à douze personnes à Paris mercredi dont 7 journalistes et 2 policiers. Il a été suivi le lendemain à Montrouge par le meurtre d’une policière municipale ainsi que par deux prises d’otages dont l’une dans un magasin de produits casher comme sorte de point d’exclamation à l’ignominie déclenchée mercredi par la commission d’un acte antisémite. Au total, le nombre de victimes innocentes tombées sous le feu des terroristes s’élève à 17 personnes. Toute la France est dans le recueillement et dans le deuil. C’est donc à notre pays, à ses valeurs mais aussi aux valeurs de l’Europe et de la démocratie que ces terroristes ont voulu s’attaquer en s’en prenant à des journalistes, à des dessinateurs, des chroniqueurs de grand talent et d’un grand courage. Les forces de police de notre pays ont été également cruellement frappées. Il était naturel compte tenu de nos fonctions que nous rendions aujourd’hui hommage aux forces de police et de gendarmerie qui s’exposent au quotidien pour assurer la sécurité de nos concitoyens et qui ont payé un tribut particulièrement lourd au cours de ces derniers jours. Enfin, nous avons voulu dire ensemble avec force, avec détermination le dégoût que nous inspirent l’antisémitisme et tous les actes criminels auquel il peut conduire. Toutes ces femmes, tous ces hommes sont tombés, victimes du devoir ou en raison de leurs origines ou de leurs fonctions. Je veux leur exprimer à nouveau toute la gratitude de la Nation et dire aux familles et aux proches de toutes ces familles toute notre compassion. Je veux également m’adresser aux policiers, aux gendarmes qui ont été blessés pour leur dire de nouveau en présence de mes collègues toute mon admiration pour leur courage et leur souhaiter un prompt rétablissement.
La France a reçu ces derniers jours de très nombreuses marques de solidarité venues du monde entier dans de nombreux pays, les drapeaux nationaux ont été mis en berne. Mes homologues réunis ici m’ont témoigné au nom de leur gouvernement toute leur sympathie dans cette épreuve. Je leur en suis encore une fois profondément reconnaissant au nom du gouvernement français, du ministère de l’Intérieur et des forces de l’ordre, je tiens à les en remercier et à leur dire que leur présence me touche également infiniment.
Si nous sommes tous ensemble ici aujourd’hui Place Beauvau, cela témoigne du fait que le phénomène du terrorisme nous concerne tous, qu’il ne fait pas de distinction entre les Nations ni entre les continents. Le terrorisme a pris une dimension européenne et internationale du fait notamment de l’extension du phénomène des combattants étrangers en Syrie et en Irak qui touche dans des proportions variables tous les pays ici représentés. Il était donc indispensable que nous nous réunissions aujourd’hui pour évoquer avant les prochaines échéances européennes les conclusions qui peuvent être tirées à ce stade des dramatiques événements qui viennent de se produire et pour exprimer ensemble ce qui dans le travail important que nous avons déjà conduit au sein de ce groupe comme au sein de l’Union européenne doit être poursuivi, amélioré, corrigé ou initié.
Nous sommes, en effet, résolus à lutter ensemble contre le terrorisme et nous avons tout naturellement réaffirmé notre solidarité sans faille et notre détermination pour y parvenir au cours de nos échanges. Sur les plans européen et international, nous disposons déjà d’un certain nombre de textes importants pour mener ce combat, notamment de résolutions des Nations unies et de conclusions prises par le Conseil Justice Affaires Intérieures et par le Conseil européen qui est, comme vous le savez, l’enceinte de décision européenne du niveau le plus élevé. Ces textes constituent les cadres européen et international dans lesquels notre action doit s’inscrire mais ils ne suffisent pas bien évidemment car notre action doit se projeter dans une approche globale et opérationnelle.
Nous avons à cet égard identifié deux champs sur lesquels nous souhaitons plus particulièrement affirmer et renforcer notre coopération : les moyens destinés à contrecarrer les déplacements de combattants étrangers et de toutes les filières ; la lutte contre les facteurs et les vecteurs de radicalisation notamment sur Internet. C’est ce sur quoi nous venons d’échanger.
La lutte contre les combattants étrangers, les terroristes, leurs filières ou leurs organisations constitue une évidente priorité dans le contexte de menaces inédites que nous connaissons. Il s’agit tout simplement d’assurer la sécurité de nos concitoyens et de garantir partout en Europe parce que c’est là quelque chose qui est consubstantiel avec sa culture l’exercice des grandes libertés publiques. Dans cette perspective, nous devons mieux encore partager entre nous les informations relatives aux combattants étrangers mais aussi aux réseaux, aux filières terroristes organisés dont nous disposons. Nous le faisons déjà et nous nous sommes engagés à renforcer encore nos coopérations au cours de cette réunion. Ces échanges d’information doivent aussi s’appliquer aux déplacements et aux soutiens, y compris financiers, dont bénéficient ces combattants étrangers. C’est une des conditions pour améliorer l’efficacité de notre combat commun contre le terrorisme, sous toutes ses formes.
Par ailleurs, nous devons davantage solliciter les enceintes multilatérales de coopération policière, mais aussi judiciaire, auxquelles nos pays appartiennent. Je pense bien entendu à Europol, à Eurojust, qui mènent un travail extrêmement utile, comme j’ai pu le constater en décembre dernier. Interpol, organisation mondiale de police dont le siège est à Lyon, doit également être davantage sollicitée.
Enfin, nous sommes convenus de faire progresser notre coopération sur trois autres plans, en matière de lutte contre le terrorisme :
Nous devons d’abord faire aboutir très rapidement les travaux engagés sous la responsabilité de la Commission pour renforcer, à droit européen inchangé, les contrôles des ressortissants européens lors du franchissement des frontières extérieures de l’Union. Nous sommes tous d’accord, en effet, pour mettre en place les contrôles approfondis sur certains passagers, sur la base de certains critères objectifs, et naturellement dans le respect des libertés fondamentales, des exigences de sécurité, et avec la volonté de garantir la fluidité des passages frontaliers.
Nous devons ensuite acter la modification des règles du Code de frontières Schengen, pour permettre de consulter de façon plus étendue le système d’information Schengen lors du passage des frontières extérieures par les personnes jouissant du droit à la libre circulation.
Enfin, il nous faut progresser, nous le redisons tous ensemble avec force, de façon urgente vers l’établissement d’un PNR européen, cet outil qui permet l’échange des données concernant les passagers aériens entre les Etats membres. Nous devons bien entendu nous donner toutes les garanties en matière de protection des données personnelles. Mais nous sommes convaincus de l’utilité irremplaçable de cet outil, au plan européen, pour suivre ceux qui se rendent sur le théâtre des opérations terroristes pour y combattre, qui en reviennent, et lutter contre toutes les filières terroristes organisées. Le PNR sera également utile pour lutter contre d’autres formes graves de criminalité internationale, ou transnationale, d’autant que les données de passagers pourront être croisées avec certains fichiers, en respectant les garanties les plus élevées, encore une fois, en matière de protection des données.
En tant que ministres de l’Intérieur, nous avons en charge ce dossier au niveau européen, et nous souhaitons de façon déterminée qu’il progresse. Nous voulons nous engager dans une approche constructive de dialogue avec le Parlement Européen, qui est co-législateur en ces matières. Je recevrai très bientôt les députés au Parlement Européen français qui suivent cette question, pour évoquer avec eux le sujet de manière ouverte et franche. Mes collègues sont engagés, dans leurs pays, dans la même démarche.
Enfin, nous nous efforçons de lutter contre la circulation – et j’insiste sur ce point – et le commerce illégal d’armes à feu. Cette action doit aussi se déployer au niveau de l’Union, en intensifiant nos échanges de renseignements, et en menant des opérations conjointes lourdes et déterminées relatives à ce phénomène.
S’agissant d’internet, nous sommes là aussi déterminés à faire en sorte qu’il demeure un espace de libre expression, mais dans le respect rigoureux des lois. Nous devons lutter en effet contre l’usage dévoyé que font d’internet toutes les organisations terroristes pour diffuser leurs messages de haine, de racisme, d’antisémitisme, tenter de séduire par leur propagande les esprits vulnérables, assurer le recrutement de nouveaux terroristes et leur donner les moyens de passer à l’acte. Nous avons donc marqué avec force le besoin d’une plus grande coopération avec les entreprises de l’internet, pour garantir le signalement et le retrait, quand il est possible, des contenus illicites, notamment des contenus faisant l’apologie du terrorisme, ou appelant à la violence ou à la haine. Des initiatives ont été lancées par la Commission dans cette perspective, et nous attendons qu’elles débouchent rapidement sur des engagements et des résultats concrets. En complément, nous sommes convenus de développer des messages positifs, sous forme de contre-discours facilement accessibles, destinés au public jeune, qui est particulièrement exposé à la propagande des organisations terroristes. Enfin, nous sommes engagés à soutenir les activités du réseau européen d’échange sur le phénomène de la radicalisation, dont l’objet est la prévention de la radicalisation menant au terrorisme et à l’extrémisme violent. Par ailleurs, l’équipe de conseil en communication stratégique sur la Syrie, qui sera mise en place par la Belgique, grâce à un financement européen, doit se mettre au travail sans délai, afin de permettre à tous les Etats membres de profiter des expériences déjà acquises en ce domaine, notamment par le Royaume-Uni, dont il faut signaler l’action.
L’Union Européenne, représentée aujourd'hui au plus haut niveau par le commissaire AVRAMOPOULOS et par le coordinateur antiterroriste Gilles de KERCHOVE, constitue donc un échelon pertinent pour traiter de la problématique du terrorisme. Le conseil JAI informel de Riga, qui se tiendra à la fin du mois, mais qui pourrait être précédé d’une réunion convoquée en urgence par la présidence lettonne, devra permettre de poursuivre et d’approfondir les travaux de ce jour, avant le Conseil européen du 12 février.
Plus largement, la dimension internationale de ce phénomène va nous amener à renforcer la coopération avec nos partenaires, qu’il s’agisse des Etats d’origine, de transit ou de destination des combattants étrangers. Je voudrais donc souligner la qualité exceptionnelle de notre coopération avec les Etats-Unis et le Canada pour faire face à ce phénomène. Elle repose sur la nécessité de protéger nos populations contre une menace commune et de défendre ensemble les mêmes valeurs. Il est capital que nous sachions maintenir cette coopération au niveau d’intensité opérationnelle qu’elle connaît aujourd’hui. Je sais que telle est également la conviction de nos partenaires américains et canadiens et je veux donc remercier très chaleureusement Eric HOLDER, Alejandro MAYORKAS et Steven BLANEY pour leur présence à nos côtés et pour leur engagement.
Enfin, je voudrais conclure en soulignant l’esprit de grande solidarité et de grande amitié qui a présidé à nos relations au cours des dernières heures. Il n’y a pas un ministre présent sur cette estrade qui n’ait manifesté sa volonté d’être aux côtés de la France, de lui apporter son concours et de lui dire sa compassion. Lorsqu’un pays est confronté à une épreuve, d’autres l’ont été sur cette estrade, la solidarité, l’amitié, l’affirmation ensemble de notre attachement sans faille aux valeurs qui nous unissent est une force, une force qui nous est donnée pour réagir et pour combattre contre le terrorisme et je voudrais donc dire avec une immense gratitude et une grande reconnaissance et du fond du cœur non seulement au nom du gouvernement français mais au nom de tout le peuple français mes remerciements à mes collègues ministres de l’Intérieur pour leur présence ici à Paris, pour la solidarité dont ils ont fait montre, pour l’amitié incommensurable qu’ils ont exprimée à l’égard de notre pays, et je voudrais leur dire là aussi du fond du cœur que je n’oublierai pas la manière dont les uns et les autres ont été à nos côtés alors que nous étions confrontés à ce drame.