Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, lors des Rencontres nationales entre l’Etat et les collectivités territoriales sur la prévention de la radicalisation à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris, le 24 octobre 2016.
- seul le prononcé fait foi -
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Présidents de conseils régionaux et départementaux,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les Présidents des associations représentant les collectivités territoriales,
Madame la Secrétaire générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation,
Monsieur le Directeur de l’Institut national des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice,
Mesdames et Messieurs,
C’est avec un très grand plaisir que je vous retrouve aujourd’hui à la Cité des Sciences, à l’occasion de ces premières rencontres nationales entre les services de l’Etat et les collectivités territoriales au sujet de la prévention de la radicalisation. Nous nous étions engagés, avec le Premier Ministre, à organiser de telles rencontres, lors de la présentation, le 9 mai dernier, de notre grand Plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme (PART). Je me réjouis donc que, dans des délais aussi courts, nous soyons parvenus à vous réunir en aussi grand nombre. Car vous êtes parmi les acteurs essentiels de la politique publique de prévention de la radicalisation, politique qui était inédite en France il y a encore peu de temps.
Ce n’est certes pas la première fois que l’Etat et les collectivités territoriales ont l’occasion d’échanger sur cette question cruciale. Depuis que le Gouvernement a lancé, en avril 2014, le tout premier Plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes, vous travaillez toutes et tous, en étroite coopération avec les préfets, à l’élaboration de politiques départementales de prévention de la radicalisation.
Dans ce domaine, il est en effet indispensable que nous collaborions les uns avec les autres, car nous avons besoin des compétences propres aux uns et aux autres. La radicalisation est un phénomène complexe et protéiforme, qui obéit à des ressorts variés et qui par là même appelle de notre part des réponses multiples. Nul ne peut prétendre détenir seul ce qui apparaîtrait comme LA solution à une telle problématique. Il nous faut au contraire faire preuve d’humilité, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice, au service de l’intérêt général. Cela est valable aussi bien au niveau interministériel qu’entre l’Etat et l’ensemble de ses partenaires, au premier rang desquels se trouvent donc les collectivités territoriales. C’est ainsi que nous pourrons traiter durablement l’ensemble des facettes – idéologiques, sociales, psychologiques – du phénomène auquel notre pays, comme d’autres pays européens, se trouve aujourd’hui confronté.
Chacun le sait, le niveau de la menace terroriste est particulièrement élevé, et les services du ministère de l’Intérieur sont mobilisés comme jamais. Plus de 380 individus liés à des activités terroristes ont été interpellés depuis le début de l’année. A l’heure actuelle, plus de 2 000 Français ou résidents habituels en France sont impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans les filières de recrutement djihadistes. Environ 700 d’entre eux sont actuellement présents sur le théâtre des opérations en Syrie et en Irak, parmi lesquels environ 280 femmes et 19 mineurs combattants. En outre, environ 190 individus sont actuellement en transit dans des pays tiers. Une fois endoctrinés et entraînés au maniement des armes et des explosifs, ces individus représenteront un risque sécuritaire majeur pour notre pays. Ils sont aujourd’hui environ 200 à être d’ores et déjà revenus en France. Près de 90 % d’entre eux ont été pris en compte par l’autorité judiciaire. J’ajoute à cet égard qu’avec la loi du 3 juin 2016 et le décret d’application du 28 septembre, nous bénéficions désormais d’un nouveau dispositif administratif de contrôle des retours sur le territoire national qui articule très étroitement la réponse judiciaire et la réponse administrative.
Il est donc absolument nécessaire que, parallèlement à notre action de démantèlement des filières terroristes, nous intervenions en amont pour empêcher certains de nos concitoyens de basculer dans la radicalité et de venir grossir les rangs djihadistes. Les deux volets de notre action – la répression déterminée du terrorisme et la prévention de la radicalisation – sont complémentaires et participent d’une même stratégie globale visant à lutter contre le djihadisme, à empêcher la commission de nouveaux attentats et, par là même, à garantir, dans un contexte de menace élevée, la sécurité des Français.
Depuis maintenant plus de deux ans, nous avons créé et mis en place une politique publique innovante d’anticipation, de détection et de prévention des phénomènes de radicalisation. Cette politique commence à porter ses fruits, grâce aux moyens et aux dispositifs inédits que nous avons mis en œuvre dès avril 2014, afin de repérer et de suivre, le plus finement possible, les personnes radicalisées.
Nous avons tout d’abord mis en place une plateforme téléphonique nationale gérée par l’UCLAT qui, via un numéro vert, permet aux familles concernées de signaler la radicalisation d’un enfant, d’un parent ou d’un proche, avant d’être orientées vers les services de l’Etat compétents. Ce moyen à la fois simple et inédit, qui permet à des familles bouleversées par une telle situation de rupture de trouver un interlocuteur, constitue la pierre angulaire de notre dispositif, à partir de laquelle nous avons pu très tôt mettre en place une organisation, la plus efficace possible, à l’échelon local, dans la mesure où les cas signalés via la plateforme téléphonique sont traités localement grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés.
Si nous avons souhaité, avec le Premier ministre, que le pilotage opérationnel de notre politique de prévention soit assuré à l’échelon départemental, c’est pour que les diagnostics réalisés et les solutions apportées soient pleinement adaptés à toutes les situations locales. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, chaque préfecture est désormais dotée d’une cellule de suivi départemental, placée sous l’autorité du préfet, qui coordonne la politique de prévention en y associant tous les acteurs concernés, et notamment, bien entendu, les collectivités territoriales, avec lesquelles nous devons approfondir et amplifier le travail que nous avons d’ores et déjà engagé. Tel est l’objectif de la journée qui nous réunit aujourd’hui.
A ce jour, près de 12 000 signalements ont été effectués par le biais de la plateforme téléphonique et des états-majors de sécurité départementaux. Chacun de ces signalements a fait l’objet d’une évaluation approfondie par les services du ministère de l’Intérieur. Et, dès lors que cela s’avère nécessaire, nous mettons en place un suivi individualisé, assuré par les intervenants des cellules départementales. C’est là un travail particulièrement lourd, mais c’est aussi un travail absolument nécessaire, que les acteurs publics et associatifs mobilisés accomplissent avec une rigueur et un engagement auxquels je veux rendre hommage aujourd’hui. Pour les soutenir, nous travaillons actuellement à renforcer les moyens de la plateforme téléphonique, et nous faisons en sorte de doubler, à court terme, nos capacités de suivis individuels.
En outre, depuis un an, la création d’un fichier de suivi des individus radicalisés, le FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste), a introduit un levier supplémentaire dans la fiabilisation et le décloisonnement de notre action, permettant un dialogue quotidien plus fluide entre les services concernés. L’actualisation en temps réel des données qui y figurent en fait un outil particulièrement efficace pour aider les enquêteurs et tracer les individus représentant un risque ou une menace.
Notre stratégie et l’ensemble des dispositifs qui y participent sont pilotés, à l’échelle nationale, par l’Etat-Major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), lequel coordonne l’action des services concourant à la réussite de la politique publique de lutte contre la radicalisation. En s’appuyant sur l’expertise de l’UCLAT et en lien étroit avec les Préfets de zone, il s’assure ainsi, avec un haut niveau de précision, de la cohérence et de l’efficience de notre dispositif global. Ses nombreux déplacements sur le terrain, les priorités d’action qu’il fixe, son « contrôle qualité » sur le fichier constituent autant de garanties d’un suivi actif, efficace et capable d’être adapté très rapidement aux évolutions en cours. A cet égard, je veux profiter de l’occasion qui nous réunit aujourd’hui pour saluer l’action du préfet Olivier de MAZIÈRES, qui dirige l’EMOPT.
Par ailleurs, dans le cadre que je viens de rappeler, nous avons mis en place des outils spécifiques à disposition des acteurs mobilisés sur le terrain, afin de mieux appréhender le phénomène et de prendre en charge plus efficacement les individus radicalisés. Nous l’avons fait et nous continuons de le faire avec un souci et un seul : celui du plus grand pragmatisme.
Nous avons d’abord élaboré une grille d’indicateurs de radicalisation violente, distinguant signaux forts et signaux faibles, de manière à faciliter l’établissement du diagnostic et l’identification de la prise en charge adaptée. Cette grille, qui est en cours d’actualisation, est utilisable par tous les professionnels, à commencer par les travailleurs sociaux, qui se trouvent en première ligne dans la conduite des évaluations. Quand les diagnostics mettent en évidence des signaux inquiétants, les cellules de suivi départementales interviennent alors pour apporter, au travers des outils de droit commun, une première réponse. Par ce biais, plus de 2 000 personnes, dont plus de 970 familles, font d’ores et déjà l’objet d’un suivi par une association de lutte contre la radicalisation. Les collectivités locales et leurs travailleurs sociaux sont bien évidemment associés à ce dispositif.
Nous avons également mis en place des ressources transversales pour faciliter l’accès du plus grand nombre aux informations utiles. Un site Internet permettant de signaler les situations inquiétantes et de prendre connaissance des actions mises en œuvre, a été créé. Parallèlement, nous avons édité, à destination de nos partenaires publics, un guide interministériel de prévention de la radicalisation, qui vise à faciliter leur engagement dans des actions concrètes.
Nous avons également mis sur pied des équipes mobiles d’intervention qui, dans un deuxième temps, interviennent en complément des prises en charge individuelles locales, dans les cas les plus inquiétants, lorsque la radicalisation est plus avancée.
Enfin, pour élargir l’éventail des solutions destinées aux personnes radicalisées, un troisième niveau de prise en charge vient d’être mis en place, avec l’ouverture, le mois dernier, du premier Centre de Prévention, d’Insertion et de Citoyenneté, localisé dans le département de l’Indre-et-Loire. Nous suivons au plus près le fonctionnement de ce dispositif, dont nous attendons beaucoup.
Nous avons donc accompli un important travail et, depuis deux ans, profondément réorienté les approches de la prévention et du traitement de la radicalisation. Il y a fallu un véritable travail d’alerte et de sensibilisation, un travail de conviction, mais aujourd’hui notre dispositif fonctionne.
Néanmoins, il nous faut aujourd’hui aller plus loin, franchir une nouvelle étape dans la montée en puissance de notre politique de prévention. Pour y parvenir, la collaboration entre les services de l’Etat et les collectivités territoriales est essentielle. C’est là le message principal que je veux vous adresser.
Aujourd’hui, les élus locaux, dans leur grande majorité, demandent à connaître en détail les dispositifs de prévention de la radicalisation mis en place sur leur territoire, et souhaitent qu’on les forme à faire face au phénomène de la radicalisation.
Nombre de maires regrettent de ne pas être suffisamment associés aux dispositifs de prévention que nous avons mis en place et que je viens de rappeler. Parfois même ils déplorent de ne pas être assez informés. C’est là un constat que je partage moi aussi et auquel j’entends répondre avec précision, sous l’autorité du Premier ministre. C’est la raison pour laquelle j’ai transmis aux préfets une instruction très claire, le 14 septembre dernier, leur demandant de rencontrer les maires confrontés dans leurs communes à des phénomènes de radicalisation pour trouver avec eux la meilleure formule d’association possible.
Depuis la première circulaire adressée aux préfets, le 29 avril 2014, par le Garde des Sceaux et par moi-même, j’ai toujours veillé – je le rappelle – à associer les collectivités locales aux cellules de suivi départementales. Dans 88 départements, les conseils départementaux participent ainsi aux travaux des cellules de suivi. Nombre de communes y sont elles aussi d’ores et déjà associées. Mais nous devons aujourd’hui aller plus loin. A terme, je souhaite que l’ensemble des communes concernées – je dis bien : l’ensemble des communes concernées – soit associé à l’activité des dispositifs préfectoraux et des cellules de suivi départementales. C’est dans cet esprit que plusieurs mesures ont d’ores et déjà été prises, ou bien sont sur le point d’être mises en œuvre.
Concernant tout d’abord l’information des élus, j’ai demandé à tous les préfets de rencontrer personnellement, dans leurs départements respectifs, les présidents de conseils régionaux, de conseils départementaux et les maires les plus concernés, et d’animer avec leurs équipes des formations à l’échelon local, à destination des élus et des cadres des collectivités. Je le répète, les préfets et leurs cabinets sont à votre disposition pour répondre à vos questions. Vous ne devez pas hésiter à les solliciter.
Par ailleurs, nous avons mis en place, sous l’égide du CIPDR, une offre de formation la plus complète possible. Plusieurs d’entre vous ont déjà pu en bénéficier. Néanmoins, pour diffuser de manière plus large les éléments fondamentaux d’analyse et de traitement de la radicalisation, j’ai demandé à ce que des modules de formation en ligne soient réalisés. Ces supports vidéo permettent d’ores et déjà aux préfets de superviser localement l’organisation de sessions de formation. Je le répète : j’ai fait passer des consignes très claires pour que tous les préfets mettent en place localement des formations spécifiques, de manière à vous associer étroitement – et notamment les maires – au travail de prévention.
De surcroît, une formation nationale spécifique, pour les élus comme pour les cadres territoriaux, sera organisée au mois de janvier. Je pense en particulier aux coordinateurs des CLSPD, aux chefs de service de la politique de la ville, de la jeunesse ou bien des polices municipales. La directrice du CNFPT vous présentera, en début d’après-midi, l’offre de formation, à destination des collectivités locales, que son organisme propose.
J’en viens à présent au sujet le plus délicat, que je ne veux pas fuir, bien au contraire. Je veux parler de l’échange d’informations entre l’Etat et les collectivités territoriales au sujet des personnes radicalisées.
Je sais que c’est là une de vos préoccupations majeures – nombre d’entre vous m’en ont parlé lors de mes déplacements dans les territoires. C’est pourquoi, afin de mieux répondre à vos attentes et à vos inquiétudes, d’expertiser les dispositifs envisageables et le cadre juridique dans lequel il serait possible de les mettre en œuvre, j’ai pris l’engagement de mettre en place un groupe de travail composé à la fois de membres des services du ministère de l’Intérieur et de représentants de l’Association des Maires de France (AMF), de l’Assemblée des Départements de France (ADF) et de l’Association des Régions de France (ARF). Cet engagement, je l’ai pris devant les présidents de ces trois associations pour marquer la volonté qui est la mienne de travailler avec vous, avec l’ensemble des élus locaux concernés sur le territoire national. Une première réunion du groupe de travail a déjà eu lieu, le 14 octobre dernier, qui a permis de dégager des pistes de réflexion et de coopération. Je ne doute pas que nous parviendrons de la sorte, avec les grandes associations d’élus, à trouver des solutions satisfaisantes pour chacune des parties concernées.
Je pense par exemple aux CLSPD, que vous présidez. Nous avons déjà commencé à faire évoluer les choses sur ce sujet. Nous avons modifié le Code de la sécurité intérieure pour que les CLSPD puissent proposer des actions de prévention de la radicalisation et examiner celles qui sont mises en œuvre. Et, dans le cadre du groupe de travail, nous sommes actuellement en train de réfléchir aux possibilités d’échange d’informations au sein des CLSPD. Je pense notamment à l’échange d’informations nominatives, dont la limite sera, bien entendu, les informations couvertes par le secret défense ou le secret judiciaire.
Cette réflexion collective et ce travail en commun sont nécessaires, j’en suis absolument convaincu, et ils doivent être conduits, je vous le redis, aussi loin qu’il est possible d’aller, dans le respect des lois et des institutions de la République. Car ce qui fait la force de notre action, c’est le cadre dans lequel nous agissons, celui d’un Etat de droit fort. C’est donc dans ce cadre-là que nous devons définir les principes de notre collaboration et mettre en œuvre les dispositifs les plus adéquats.
La loi – pour être précis, l’article L. 811-1 du Code de la sécurité intérieure – prévoit que la politique publique de renseignement, qui concourt à la stratégie de sécurité nationale, ainsi qu'à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, relève de la compétence exclusive de l'Etat. Au-delà des objectifs poursuivis, ce caractère exclusif s’explique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme le prévoit la loi, la mission de renseignement met en œuvre des moyens extraordinaires qui sont parfois susceptibles de porter atteinte à des libertés individuelles. C’est précisément la raison pour laquelle ces moyens sont strictement encadrés et les informations recueillies dans ce cadre relèvent d’un statut spécifique protecteur.
Par ailleurs, l’activité de renseignement se nourrit d’informations confidentielles venant notamment de services étrangers. Toute action susceptible de laisser penser que le résultat de ces échanges ne serait pas totalement hermétique nuirait gravement à la collaboration entre les services français d’une part et les services européens et étrangers d’autre part.
Enfin, le travail de renseignement obéit nécessairement à un strict impératif de confidentialité. Partager trop largement le renseignement reviendrait à remettre en cause l’activité même de nos services, en prenant le risque de révéler aux individus surveillés qu’ils font l’objet d’une surveillance. C’est là une dimension importante que chacun d’entre nous doit avoir à l’esprit, dans le contexte difficile que nous connaissons : en matière de renseignement, trop partager l’information équivaut à partager l’activité elle-même, puisque celle-ci repose précisément sur le recueil et l’exploitation de l’information. Vouloir partager l’activité de renseignement avec les collectivités territoriales, c’est donc faire en partie reposer sur celles-ci une mission qui par définition n’est pas la leur et à laquelle nous n’avons pas à les exposer.
En application de ces principes, les règles encadrant le recueil et l’exploitation des données de renseignement limitent donc strictement les conditions d’accès à celles-ci. Au-delà des fichiers spécifiques des services de renseignement, les éléments relatifs à la surveillance des individus susceptibles de présenter une menace ou un risque sont contenus dans le FPR (Fichier des personnes recherchées) au titre des fiches S et dans le FSPRT. Les dispositions légales créant ces fichiers excluent la communication d’éléments, dont elles encadrent très strictement les conditions d’accès, dans un souci de préservation de l’activité de renseignement. Sans faire la liste des personnes qui ont accès à ces fichiers – presque exclusivement des agents de services de renseignement et de police judiciaire –, je peux néanmoins vous dire, par exemple, qu’aucune autorité judiciaire n’a accès au FSPRT, en raison de l’exigence d’étanchéité liée aux activités de renseignement. Chacun est donc dans son rôle.
Comme je vous l’ai dit, je suis tout à fait favorable à ce que les échanges, le travail avec vous aillent le plus loin possible, dans le respect des textes en vigueur, dans le respect des principes qui régissent notre Etat de droit et en veillant toujours à préserver l’efficacité de nos services de renseignement. Le rôle que doivent assumer les collectivités est celui d’un partenaire décisif et irremplaçable, avec lequel les cellules de suivi départementales examinent les situations de radicalisation relevant d’une approche préventive et nécessitant, dans la plupart des cas, un accompagnement psychologique et social. Cette politique de prévention doit irriguer tous les champs relevant de vos compétences. Elle doit faire l’objet d’une attention permanente de la part de vos services.
Mais je vous demande aussi de comprendre ce qu’est, dans une grande nation, l’activité des services de renseignement. En effet, l’efficacité de notre politique de prévention de la radicalisation dépend largement de l’efficacité de notre politique du renseignement. Il s’agit là d’une activité éminemment régalienne. Vous l’avez encore constaté au cours de ces dernières semaines : nous avons interpellé plusieurs jeunes gens, notamment des jeunes femmes – je pense aux interpellations réalisées à Boussy-Saint-Antoine –, et à chaque fois, si nous avons pu le faire, c’est parce que nous donnons aux services de renseignement les moyens de leur efficacité, nous garantissons leurs prérogatives, nous préservons le cadre de leur intervention. C’est ainsi que nous pouvons assurer la sécurité des Français.
Ce qui ne nous empêche certes pas, comme je l’ai dit – et en dépit des contraintes – de prendre des initiatives avec vous. Ces initiatives, nous les prenons et nous allons continuer de les prendre, dans le cadre que j’ai rappelé. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité nouer des partenariats nationaux avec vos associations d’élus :
C’est dans le même esprit que le Gouvernement a dégagé une enveloppe budgétaire spécifique, dans le cadre du Plan de Lutte Anti-Terroriste (PLAT) de janvier 2015. Ainsi, le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) a été doté, cette année, d’une enveloppe supplémentaire de 18 millions d’euros, destinés à co-financer les actions de prévention de la radicalisation, mais aussi la sécurisation des lieux sensibles et l’équipement des polices municipales.
Mesdames et Messieurs, cette journée de rencontres est une journée importante, pour le Premier ministre – je le sais –, pour moi-même et pour le ministère de l’Intérieur, pour les élus et les collectivités territoriales. Depuis mars 2012, notre pays a été très durement frappé par le terrorisme djihadiste. Par-delà les étiquettes politiques, chaque gouvernement a travaillé, avec les moyens qui étaient les siens, à lutter contre le terrorisme et à protéger nos concitoyens de la menace. Depuis maintenant quatre ans, nous n’avons de cesse de réarmer le pays et de redonner aux forces de sécurité intérieure les moyens de combattre efficacement les réseaux qui nous prennent pour cible. Nous avons considérablement renforcé les effectifs du renseignement intérieur – DGSI, SCRT, DRPP – comme ceux des forces de l’ordre d’une manière générale, Police et Gendarmerie nationales. Nous avons nettement augmenté les crédits de fonctionnement et d’investissement des services du ministère de l’Intérieur, nous avons renforcé les moyens matériels dont disposent nos forces. Nous avons mis en place un nouveau Schéma national d’intervention et de mobilisation des forces spécialisées – GIGN, RAID et BRI – sur l’ensemble du territoire national. Le ministère de l’Intérieur est dans l’adaptation perpétuelle aux évolutions de la menace, dans un mouvement constant pour anticiper, prévenir, détecter et entraver l’action des filières djihadistes et des individus qui en font partie.
Donc, oui, Mesdames et Messieurs, nous gagnerons la bataille contre le terrorisme. Mais nous la gagnerons dans la rigueur et le sang-froid, dans le respect de l’Etat de droit et des principes de la République, dans l’unité et la solidarité, c’est-à-dire grâce à la mobilisation de l’ensemble des Français, grâce à la mobilisation de chacun d’entre vous, dans les responsabilités qui sont les vôtres.
A l’occasion de cette journée, je veux donc remercier l’ensemble des acteurs de la prévention de la radicalisation qui, depuis plus de deux ans, se sont pleinement investis pour rendre opérationnelle cette nouvelle politique publique et lui permettre d’atteindre son rythme de croisière. Dès à présent, la prévention de la radicalisation constitue un défi majeur pour notre société, et cela continuera d’être le cas dans les années à venir. Nous sommes des pionniers, et même bien plus que cela, puisque nous avons d’ores et déjà accompli une tâche considérable. Il nous faut désormais la poursuivre sans relâche.
Cette journée doit donc nous permettre d’échanger sur les bonnes pratiques et sur les expériences positives menées dans les territoires. Je ne doute pas que les débats seront fructueux et de haut niveau. Il ne peut en être autrement, compte tenu des enjeux auxquels nous sommes confrontés. Je vous remercie.