Monsieur le Préfet d’Ile-de-France,
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Monsieur le Vice-Président du Comité pour l’Histoire préfectorale,
Mesdames et Messieurs,
Comme vous le savez, je devais initialement intervenir en clôture de ce troisième grand Colloque consacré, après ceux de Lyon et de Caen, aux Préfets et aux Préfectures pendant la Seconde Guerre mondiale. Je me réjouissais d’être aujourd’hui parmi vous, à la Préfecture de Région Ile-de-France, mais malheureusement les obligations qui s’attachent à ma fonction en ont décidé autrement, dans un contexte particulièrement dramatique.
Je tenais néanmoins à vous adresser un message. Je veux tout d’abord saluer la belle initiative qu’a prise le Comité pour l’Histoire préfectorale en organisant une série de trois colloques sur la délicate question du rôle des Préfets dans les années noires de l’Occupation, puis à la Libération. C’est là une histoire complexe, trop souvent réduite par le discours médiatique à ses figures les plus emblématiques, avec ses ombres – René Bousquet – et bien sûr ses lumières – je veux parler de Jean Moulin.
D’autres personnalités du corps préfectoral méritent cependant d’être mises en évidence, quel que soit le rôle qu’elles ont joué durant cette période tragique. Il s’agit là d’une tâche indispensable, tant elle illustre la diversité des convictions, des carrières et des destins au sein de l’appareil d’Etat de l’époque, une tâche à laquelle des historiens se sont attelés depuis maintenant plusieurs années.
Le Comité pour l’Histoire préfectorale y contribue à son tour, et c’est là une excellente nouvelle. Je suis en effet convaincu que le ministère de l’Intérieur doit se montrer capable de regarder son histoire en face. Il ne s’agit pas de faire repentance, mais de mieux comprendre comment le pire peut advenir et, en même temps, comment le meilleur peut lui être opposé. Sans doute y a-t-il là de précieuses leçons à retenir. Et il est important que le corps préfectoral, acteur de notre histoire, mais aussi de notre mémoire collective, y participe lui-même directement.
Nous ne choisissons pas notre passé, nous en héritons. Mais nous choisissons le passé dont nous nous réclamons. En tant que ministre de l’Intérieur, je considère qu’il est important de rappeler qui était René Bousquet, dès lors que l’on se réclame de Jean Moulin. C’est même ainsi que l’on rendra pleinement justice aux préfets qui, à l’instar de l’hôte du Panthéon, ont fait le choix de l’honneur et de la Résistance. Car il s’agissait bien d’un choix.
J’accorde un intérêt d’autant plus marqué aux travaux menés par le Comité pour l’Histoire préfectorale qu’ils entrent en résonnance avec la politique de rapprochement que j’ai récemment initiée entre le ministère de l’Intérieur et le monde académique, le premier ayant – j’en suis convaincu – besoin du second pour renforcer ses capacités d’analyse et d’anticipation dans les différents domaines de compétence qui lui sont propres. Mais aussi pour constituer une véritable mémoire du ministère, commune aux femmes et aux hommes qui le composent, une mémoire dans laquelle il pourrait puiser pour orienter certaines décisions du présent. Je l’ai dit, il y a des leçons à retenir. Il y a sans doute aussi des erreurs à ne pas reproduire. La science historique a bien sûr là un rôle important à jouer, et je me réjouis de savoir qu’aujourd’hui historiens et préfets, scientifiques et hauts fonctionnaires du ministère, vont se côtoyer et échanger, confronter leurs points de vue, dans un lieu hautement symbolique, l’amphithéâtre de la Préfecture de Région Ile-de-France.
Je me félicite également que le Comité ait choisi, à l’occasion de cette troisième session, de rendre hommage à Adrien Tixier, l’un de mes prédécesseurs les plus prestigieux, même si malheureusement trop peu connu des Français. Après le préfet Edouard Bonnefoy, à Lyon, puis le recteur Pierre Daure, devenu préfet à la Libération, à Caen, Adrien Tixier est la troisième personnalité que vous avez décidé de mettre en lumière, en cette année 2016 marquée par le 70e anniversaire de sa disparition précoce, le 18 février 1946.
C’est là un choix auquel je ne pouvais que souscrire, tant la figure de Tixier m’est chère. Il appartient en effet à ces quelques ministres de l’Intérieur pour lesquels je conçois une forte admiration, laquelle ne date pas de mon arrivée Place Beauvau. Son sens de l’Etat, sa très grande rigueur morale, son courage à la fois intellectuel et physique représentent pour chacun d’entre nous une véritable source d’inspiration, dans la période troublée que nous traversons.
Grand Résistant, il fut en effet appelé par le général de Gaulle à assumer de très lourdes responsabilités – parmi les plus éminentes et les plus stratégiques qui soient –, celles de ministre de l’Intérieur du Gouvernement provisoire de la République française, de septembre 1944 à janvier 1946, au moment même où la France se libérait enfin du joug de l’occupant.
A la tête du ministère, il conduisit une politique de refondation et de modernisation. D’une part, il contribua au rétablissement de l’Etat de droit, recréa la Sûreté générale supprimée par le régime de Vichy, s’employa à encadrer l’épuration et prépara la tenue des élections de l’année 1945. D’autre part, il réforma l’appareil sécuritaire, qu’il s’agisse des forces mobiles, avec la création des Compagnies républicaines de Sécurité, ou bien du renseignement intérieur et du contre-espionnage, avec la création de la Direction de la Surveillance du Territoire.
A la fois socialiste convaincu et gaulliste fidèle, Adrien Tixier incarne, à mes yeux, une parfaite synthèse républicaine au service de l’intérêt général. Par son action décisive, il sut en effet unir deux visions complémentaires de l’Etat, d’abord en tant que Commissaire au Travail et à la Prévoyance sociale au sein du Comité français de Libération nationale, puis à la tête du ministère de l’Intérieur dans la France de la Libération. Homme d’Etat, réformateur par conviction, partisan de la justice sociale et de l’ordre républicain, il aura ainsi contribué à fonder notre modèle de solidarité, en participant à la création de la Sécurité sociale, tout en s’efforçant de doter la République des moyens adéquats pour faire respecter ses lois et défendre sa souveraineté.
Inaugurant en 1958 une plaque à sa mémoire dans le hall d'honneur du ministère de l'Intérieur, le général de Gaulle rendit hommage à un homme dévoué à la France et à la République, saluant en lui un « exemple admirable, parce qu'il était d'abord un homme, puis un syndicaliste, puis un socialiste républicain, et puis un Français. Tout cela, il l'a apporté tout entier au service de la France. »
Je vous remercie.