Journée de travaux et d’échanges autour de l’Islam de France

Journée de travaux et d’échanges autour de l’Islam de France
29 août 2016

Discours de Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, à l'occasion de la journée de consultations sur le thème de l'Islam de France, en date du 29 août à Paris


Seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de pouvoir m’adresser à vous à l’issue de cette journée consacrée à la question si fondamentale de l’Islam de France.

Bâtir l’Islam de France est une grande ambition qui se réalise étape par étape. D’abord, il y a eu la consultation des cadres religieux musulmans organisée par Jean-Pierre CHEVÈNEMENT au début des années 2000. Cette consultation avait débouché sur l’adoption d’une déclaration d’adhésion aux principes républicains. Il y a eu la création du Conseil français du Culte musulman en 2003 à l’initiative de de Nicolas SARKOZY. Il y a eu, voici deux ans, à mon initiative, la création de l’Instance de dialogue avec l’Islam de France, laquelle s’est déjà réunie deux fois. Les travaux de cette instance ont produit des premiers résultats très concrets, destinés à préfigurer l’émergence, dans la République, d’un véritable islam de France.

Les projets qui ont été discutés aujourd’hui constituent ainsi une nouvelle étape d’un travail engagé depuis de nombreux mois, pour créer les conditions d’une relation forte et apaisée entre la République et les Français de confession musulmane. 

Pourtant cette nouvelle étape présente aujourd’hui un caractère d’urgence et de nécessité particulier.

La France est en guerre contre le terrorisme. Elle est en guerre contre un ennemi qui cherche à la diviser, à dresser les Français les uns contre les autres, à fractionner le corps de la Nation, à anémier la République. Nous ne devons pas tomber dans ce piège mortel. Nous devons rappeler que la République a vocation à prendre dans ses bras tous ses enfants, quelles que soient leurs origines ou leur confession. Et le ministère de l’Intérieur a une responsabilité particulière pour faire vivre cette fraternité républicaine, pour faire en sorte, comme le disait Jean JAURÈS, que « l’attachement de tel ou citoyen à telle ou telle conviction, à telle ou telle croyance, ne soit pour lui, ni une source de privilège, ni une source de disgrâce ».

La France combat avec détermination l’extrémisme religieux et l’islamisme radical qui appellent à la violence, à la haine de l’autre, au rejet des lois de la République, au refus de ses valeurs. J’ai donné des instructions fermes pour qu'il soit  procédé à l’expulsion de tous les individus de nationalité étrangère qui tiennent des discours de haine, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des mosquées. Plus de 80 arrêtés d’expulsions ont été pris depuis 2012, 15 depuis le début de l’année, 6 au cours du mois d’août. Le Gouvernement a également procédé à la fermeture d’une vingtaine de mosquées ou salles de prière radicalisées depuis ces derniers mois et d’autres dossiers sont en cours d’examen par la DLPAJ. J’ai également présenté une loi, adoptée par le Parlement en novembre 2014, permettant notamment le blocage des sites Internet appelant au terrorisme.

Ce combat contre l’islamisme radical, nous ne devons en aucun cas, en aucune façon, le mener contre les musulmans de France, qui sont dans leur immense majorité des républicains, qui n’aspirent qu’à vivre leur religion de façon digne et paisible. Ce combat décisif pour la nation, nous devons au contraire le mener avec eux. Car l’action que nous conduisons contre l’islam radical est globale et mobilise tous les acteurs de l’État et de la société, y compris bien entendu les responsables musulmans. Ainsi la dernière réunion de l’Instance de dialogue avec l’islam de France, en juin dernier, a précisément été consacrée à la prévention de la radicalisation. J’y reviendrai.

Pour mener ce combat contre la violence, mais aussi contre le sectarisme et contre le communautarisme religieux, nous n’avons pas besoin de nouvelles lois. Le droit actuel nous permet de faire vivre la laïcité, pilier de la République, de manière à la fois ferme et apaisante. La laïcité est d’autant plus ferme qu’elle est apaisante, elle est d’autant plus faible qu’elle est stigmatisante. Elle doit demeurer un principe d’émancipation et de tolérance mutuelle. La laïcité, telle qu’elle est définie par la loi de 1905 et par les textes ultérieurs qui ont précisé son application, nous donne donc le cadre pour continuer à bâtir l’Islam de France. Les responsables musulmans m’ont tous dit leur attachement à ces principes qui font de la République leur première appartenance.

L’Islam de France, l’Islam qui inspire l’immense majorité des Français de confession musulmane doit amplifier son engagement pour la République, pour la patrie, pour la France dont le discours universel doit être assumé et surtout promu partout dans notre société et dans le monde.

L’Islam de France, ce sont des cadres religieux dont j’ai reçu ce matin les représentants et qui sont fermement attachés aux valeurs de la République. Ils ont condamné sans relâche, sans la moindre ambiguïté, chacun des attentats qui ont frappé notre pays au nom d’une conception dévoyée, insupportable, de l’islam. Ils ont tous signé, le 29 novembre dernier à l’Institut du monde arabe, le « Manifeste citoyen des musulmans de France » dont j’ai déjà dit qu’il constituait une déclaration d’amour à la République. Ils ont prié pour toutes les victimes, de toutes confessions, et ils se sont rendus dans les églises pour partager la douleur de leurs frères chrétiens au lendemain de l’assassinat du père HAMEL à Saint-Étienne-du-Rouvray. Ils se mobilisent courageusement pour lutter contre la radicalisation violente et ils participent aux dispositifs de prévention de la radicalisation mis en place dans les départements par mon ministère, avec le soutien des élus.

L’islam de France, je le redis ici solennellement, ce sont des Français dont le degré de pratique religieuse est variable mais qui sont issus pour la plupart de familles immigrées venues de pays musulmans. La réussite  de nombre d’entre eux – qui sont aujourd’hui chercheurs, entrepreneurs, professeurs de médecine, avocats, magistrats, hauts-fonctionnaires, journalistes, universitaires ou artistes - démontre que la promesse d’égalité de la République n’est pas éteinte, même si sur ce sujet, nous devons toujours conforter davantage ce que nous faisons. Ils sont « prêts à assumer leurs responsabilité », en tant que Français et en tant que musulmans, comme 41 d’entre eux l’ont par exemple écrit dans une tribune publiée dans le « Journal du Dimanche » le 5 août dernier. Ils veulent appuyer la diffusion au sein de notre pays d’un islam conforme à leurs conceptions humanistes et éclairées. C’est pourquoi j’ai tenu à recevoir également aujourd’hui un certain nombre d’entre eux afin de recueillir leur avis sur les projets que le Gouvernement s’apprête à mettre en œuvre. Ils constituent une réserve de talents sur lesquels nous devrons absolument nous appuyer pour assurer leur succès.

Bâtir l’Islam de France, dans une République laïque, dans le respect de ses règles, c’est accepter de devoir répondre rigoureusement à des questions complexes et délicates. Des questions techniques souvent, qui ont trait par exemple au droit des associations, aux règles de l’urbanisme, à l’organisation de l’abattage rituel, à nos relations diplomatiques avec certains pays ou à l’organisation des funérailles. Heureusement, il y a des parlementaires qui, plutôt que de s'adonner au sujet de l’islam à la facilité des emportements et des outrances, consacrent leur énergie à étudier de façon méticuleuse ces sujets afin de formuler des propositions juridiquement solides et fondées sur des réalités. C’est pourquoi j’ai également tenu à consulter aujourd’hui certains parlementaires qui se sont fait une spécialité de ces sujets, et notamment la présidente et les rapporteurs de la mission que le Sénat a récemment consacré à l’organisation, à la place et au financement de l’islam en France et ses lieux de culte.

Voici dix-huit mois, j’avais présenté en Conseil des ministres une série de mesures pour renforcer le dialogue avec l’Islam de France et contribuer à sa bonne insertion au sein de la société française.

Il s’agissait d’abord de bâtir un cadre, le plus inclusif possible, autour du CFCM, pour traiter des questions intéressant l’État et le culte musulman. L’Instance de dialogue avec l’Islam de France, dont j’avais proposé la création en m’inspirant de celle que Lionel JOSPIN avait établie avec l’Église catholique, s’est déjà réunie à deux reprises et a produit des résultats importants. Sa première réunion, le 15 juin 2015, a notamment débouché sur la mise en place de groupes de travail qui ont permis de clarifier le droit et de publier des guides très utiles, tant sur le financement et la gestion des mosquées que sur l’organisation de la fête de l’Aïd-el-Kébir.

La deuxième réunion, le 21 mars 2016, a porté, comme je l’ai rappelé, sur la prévention de la radicalisation et a permis de mieux associer les cadres religieux musulmans à ce combat dont ils sont les premiers à mesurer l’importance. Je souhaite donc que chaque cellule départementale de prévention puisse s'appuyer sur l’expertise de référents religieux. De leur côté, les représentants musulman se sont engagés dans cette politique de prévention à travers plusieurs initiatives importantes : la création d’un conseil théologique national, capable d’opposer un contre-discours éclairé à la propagande de DAESH, l’accompagnement des nouveaux convertis, la définition – c’est important - d’un parcours normatif pour les imams prêchant dans les mosquées françaises.

Sous l'autorité du premier ministre, avec Najat VALLAUD BELKACEM et Thierry MANDON, nous avons également voulu renforcer les formations universitaires sur les questions de laïcité, de droit et de sociologie des religions que peuvent suivre les imams, notamment étrangers. En 2014, seuls l’Institut catholique de Paris, ainsi que les universités de Lyon et de Strasbourg, proposaient une telle formation. Elles sont aujourd’hui proposées par 15 grandes universités, dans toute la France. Par ailleurs, nous rendons obligatoire en 2016 l’obtention de ce diplôme pour les nouveaux aumôniers (pénitentiaires, militaires, hospitaliers)de toutes les confessions. Le ministère de la Justice a augmenté le nombre des aumôniers pénitentiaires musulmans et a amélioré de façon sensible leur situation matérielle.

Dès décembre 2014, à l’occasion d’une visite en Algérie, j’avais mesuré la nécessité d’améliorer le niveau de français et la connaissance de nos institutions qu’ont les imams détachés par des pays étrangers pour exercer dans les mosquées françaises. Des négociations ont été menées depuis 2 ans avec ces pays afin que la sélection ou la formation préalable de ces imams garantissent qu’ils soient francophones et qu’ils soient en mesure de passer un DU au cours des deux premières années de leur présence en France. Trois groupes de travail bilatéraux ont été mis en place avec l’Algérie, le Maroc et la Turquie et les premières promotions d’imams recrutés selon ces principes arrivent en France en 2016. Mais l’objectif consiste bien entendu à faire en sorte que, à terme,  ces imams détachés soient remplacés par des imams formés en France.

Enfin, la bonne organisation du culte, dans la République, c’est aussi la détermination que met l’État à protéger les lieux de cultes et les fidèles contre les attaques dont ils pourraient faire l’objet, particulièrement dans le contexte de menace que nous connaissons aujourd’hui. Plus de 1000 mosquées font  actuellement l’objet d’une  protection de la part des forces de sécurité. Comme pour les autres cultes, des crédits publics, à hauteur de plusieurs millions d’euros, ont été prévus pour financer des équipements de sécurité, notamment de vidéo-protection, dans les mosquées qui en font la demande.

Les forces de sécurité et les tribunaux ont en parallèle fait preuve d’une grande vigilance et d’une grande fermeté dans la répression des actes anti-musulmans. J’observe que leur nombre, après avoir beaucoup augmenté après janvier 2015, a baissé de près de 80 % au cours des six premiers mois de cette année par rapport à la même période de l’année précédente. Cette tendance à la baisse s’est poursuivie au mois de juillet dernier. Permettez-moi d’y voir le signe de la maturité de la société française, mais aussi de l’efficacité de la politique que nous avons mise en œuvre pour assurer à nos compatriotes musulmans la sécurité à laquelle, comme chaque citoyen de ce pays, ils ont droit.

C’est donc dans la continuité de ces mesures que le Gouvernement a décidé d’engager une nouvelle étape dans la construction de la relation entre l’État et l’Islam de France, qui a fait l’objet des consultations que j’ai menées ces derniers mois et que j’ai poursuivies aujourd’hui.

Elle est conçue autour de trois projets  structurants: la création d’une nouvelle Fondation de l’Islam de France ayant un objet culturel, éducatif et social; la constitution d’une association cultuelle musulmane vouée au financement des mosquées et de la formation théologique des ministres du culte ; le lancement d’une mission en vue de proposer la création de nouveaux cursus d’islamologie dans certaines universités françaises.

La création d’une nouvelle Fondation de l’Islam de France est un objectif sur lequel le ministère de l’Intérieur travaille depuis de longs mois et qui va se concrétiser dans les meilleurs délais, avant la fin de cette année.

Comme vous le savez, une précédente fondation – la Fondation des œuvres de l’Islam de France – avait été créée en 2005 à l’initiative de Dominique de VILLEPIN, alors ministre de l’Intérieur. Elle avait pour objet de financer la construction de mosquées et la formation des imams. Elle n’a jamais fonctionné, pour des raisons qui ne tiennent pas à la qualité de ses anciens responsables, mais à un défaut de conception. Aucune des parties prenantes, les fédérations de mosquées, n’avaient intérêt à passer par celle-ci pour financer ses projets.

Le projet de Fondation de l’Islam de France qui a été discuté aujourd’hui est donc radicalement nouveau.

Il est nouveau dans ses objectifs. La nouvelle fondation n’aura pas en effet un objet directement cultuel, tel que le financement des mosquées ou la formation théologique des imams, qui serait incompatible avec le statut de fondation reconnue d’utilité publique qui lui est nécessaire. Elle poursuivra des objectifs d’ordre culturel, éducatif et social, comme c’est le cas des autres fondations d’inspiration confessionnelle (fondation Notre-Dame, fondation du protestantisme, fondation du judaïsme). Elle pourra ainsi contribuer notamment à la formation profane des aumôniers et des imams, apporter son soutien à des projets facilitant la connaissance par le grand public de la religion et de la culture musulmanes, à travers des expositions, des productions audiovisuelles ou numériques, ou encore soutenir la recherche en islamologie. Plus généralement, elle soutiendra tous les projets utiles à une bonne insertion de l’Islam dans la société française.

Le mode de gouvernance de cette Fondation sera lui aussi radicalement différent. Comme elle n’aura pas d’objet cultuel, ses statuts feront une large part aux représentants de l'État, ainsi qu’à des personnalités, religieuses mais aussi laïques, représentatives de la diversité des talents des Français de confession ou de culture musulmane. Son conseil d’administration comprendra, en tant que membres de droit, trois représentants des ministères de l’intérieur, de l’éducation et la culture, le président du CFCM, ainsi que deux représentants du comité des donateurs. Ces membres de droit désigneront 5 personnalités qualifiées, dont le président de la Fondation.

Comme vous le savez, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT a accepté de prendre la présidence de la Fondation. C’est un grand républicain, un grand connaisseur du monde musulman et son attachement à la laïcité est incontestable. Il possède la compétence, l’expérience et la neutralité à l’égard des diverses composantes de l’Islam de France qui m’ont paru être des qualités indispensables dans cette phase où il s’agit de jeter, de façon pragmatique et constructive, les bases de cette instance nouvelle. Par la suite, cette structure – nous en avons parlé ensemble - a vocation à rapidement prendre son envol et avoir à sa tête d’autres personnalités. Il y a, comme je l’ai dit, énormément de talents parmi les Français de confession musulmane qui ont la volonté de s’engager et de contribuer au succès de la Fondation.

Dès sa création, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT sera entouré au sein du conseil d’administration de la Fondation par quatre autres personnalités qualifiées, que j’ai reçues avec lui ce matin, et qui témoignent par leur parcours personnels de cette diversité de talents des musulmans de France: l’islamologue Ghaleb BENCHEIKH, Kamel KABTANE, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, Najoua ARDUINI ELATFANI, cadre supérieur dans l’industrie privée et ancienne présidente du Club du XXIe siècle, ainsi qu’un très grand écrivain : Tahar BEN JELLOUN.

Les statuts de la Fondation prévoient également un conseil d’orientation chargé de proposer et d’évaluer les programmes qui lui  seront soumis. Pourront y siéger à la fois les représentants des grandes fédérations de mosquées, mais aussi de nombreux représentants de la nouvelle génération des Français de confession musulmane qui aspirent à jouer un rôle en faveur de la bonne intégration de l’Islam dans la société française. Les représentants de grandes institutions comme l’Institut du Monde arabe, le MUCEM de Marseille, le Musée national de l’Histoire de l’Immigration, ou l’Institut des cultures de l’Islam que préside Bariza KHIARI,  y auront toute leur place. La désignation de ces membres sera effectuée par le conseil d’administration.

Lors de sa phase de démarrage, la Fondation de l’Islam de France devra disposer à la fois d’une somme en capital, indispensable pour prétendre au statut de fondation reconnue d’utilité publique (1,5 M€), et des moyens nécessaires pour lancer ses premiers programmes. Elle pourra bénéficier du reliquat du patrimoine de la Fondation des œuvres de l’Islam de France, d’un soutien financier de l’Etat, ainsi que de la contribution de grandes entreprises ou de particuliers fortunés. Plusieurs donateurs importants ont déjà marqué de l’intérêt pour ce projet.

A côté de la Fondation, les représentants du culte musulman doivent pouvoir s’appuyer sur une association cultuelle nationale chargée de rechercher et répartir collectivement des financements pour la construction des mosquées ou la formation proprement théologique des imams. Cette association cultuelle sera bien entendu présidée par un Français de confession musulmane et l’État s’abstiendra naturellement d’intervenir dans son fonctionnement.

Il est prévu que l’association cultuelle, tout comme la Fondation, ne recueille que des fonds français. Dès aujourd’hui, dans la majorité des cas, la construction des mosquées est financée localement à travers les dons des fidèles et grâce au soutien que leur apportent les collectivités locales, sous diverses formes. Mais ces ressources sont limitées et il s’agit donc de créer un modèle vertueux de financement, appelé à s’imposer au fil des ans.

L’objectif premier de cette association cultuelle sera donc de trouver de nouvelles sources nationales de financement, notamment auprès des entreprises de la filière halal et du marché du pèlerinage, sous la forme d’une contribution volontaire (et non d’une taxe fiscale, juridiquement impossible). Ce modèle économique devra être suffisamment dynamique pour éviter d’éventuels conflits d’intérêt entre les principales fédérations de mosquées. Chacun doit y trouver son compte. Une étroite coopération devra par ailleurs être mise en place avec la Fondation de l’islam de France pour permettre le co-financement de certains projets ayant une nature mixte, à la fois cultuelle et culturelle (par exemple la construction d’une bibliothèque ou d’un espace d’exposition dépendant d’une mosquée). Enfin, l’association cultuelle devra être en mesure d’apporter à ses membres des services tels que l’expertise juridique des projets, le soutien opérationnel à la maitrise d’ouvrage ou la mutualisation des appels d’offre auprès des fournisseurs.

Les statuts de cette association cultuelle nationale méritent d’être élaborés avec beaucoup de soin, afin de permettre à la fois de rassembler largement les mosquées et leurs fédérations autour de ce projet et d’éviter les risques de paralysie liées à des intérêts concurrents. Un groupe de travail rassemblant tous les acteurs du culte musulman se réunira donc dès les jours prochains afin d’élaborer un projet de statuts acceptable par tous. Comme pour la Fondation, les nouvelles générations de l’Islam de France, dont j’ai reçu aujourd’hui certains des représentants, devront être en mesure de lui apporter le bénéfice de leur expertise et de leur soif d’engagement.

Le ministère de l’intérieur apportera son expertise juridique à ce groupe, au sein duquel sa position de neutralité lui permettra de jouer un rôle de facilitateur. Ce groupe aura également pour mission d’engager des négociations avec les acteurs de la filière hallal en vue de mettre en place un système de contribution volontaire au bénéfice de l’association,  avec le concours des ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture.

L’objectif consiste à faire aboutir ce travail d’élaboration des statuts et de recherche de financements nouveaux en vue de la troisième réunion de l’Instance de dialogue avec l’Islam de France, qui doit se tenir au début du mois de décembre, et dont les deux thèmes principaux seront le financement du culte et la formation des ministres du culte.

La formation en France des imams et des aumôniers constitue en effet un chantier considérable sur lequel nous voulons avancer vite.

L’État comme le responsables du culte musulman, ont intérêt à ce que les mosquées puissent disposer d’imams français, formés en France, disposant d’un bagage théologique solide et capables de s’adresser aux fidèles, en parfaite connaissance de la société où ils vivent, aussi bien que de dialoguer avec les élus locaux et avec les responsables d’autres cultes.

J’ai déjà rappelé les efforts fournis par l’État et par les universités, depuis deux ans, afin de proposer aux ministres du culte, ainsi qu’aux autres personnes intéressées (responsables associatifs, fonctionnaires) une formation « civile et civique » autour de la laïcité et du droit des religions. En revanche, l’État n’a bien entendu pas à intervenir dans le contenu de la formation théologique des ministres du culte. Mais il ne peut pas se satisfaire, s’il veut effectivement favoriser l’émergence d’un islam de France, d’une situation où la majorité des imams exerçant en France sont aujourd’hui formés dans des instituts théologiques situés à l’étranger.

Pour résoudre cette difficulté et favoriser la formation d’imams sur le sol français, il n’est pas envisageable, contrairement à une idée qui revient régulièrement dans le débat public, de susciter la création à Strasbourg d’une faculté de théologie musulmane, aux côtés des facultés de théologie catholique et protestante qui y existent déjà. En effet, le Conseil constitutionnel a clairement indiqué, dans une décision de 2013, que le droit cultuel local, maintenu en Alsace-Moselle pour des raisons historiques, constituait un régime d’exception qui ne saurait connaître d’extension. L’État ne peut donc pas être à l’origine de la création d’une faculté publique de théologie musulmane, sauf à ce que nous engagions une réforme constitutionnelle hasardeuse et porteuse de divisions.

Dans ces conditions, le Premier Ministre a accepté qu’une mission soit lancée, avec les ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Elle consistera à renforcer l’offre universitaire « savante » auxquels peuvent avoir accès en France de futurs imams dans des matières « non-confessantes» (telles que la langue et la littérature arabe, l’histoire et l’exégèse du Coran, l’histoire de la civilisation musulmane), en complément du parcours qu’ils accomplissent au sein d’instituts privés de théologie musulmane. Ces enseignements d’islamologie devront être de haut niveau, conformément à la grande tradition française dans ce domaine (MASSIGNON, BERQUE), rigoureusement laïcs et ouvert naturellement à l’ensemble des étudiants intéressés.

Nous allons donc confier à trois experts – un spécialiste laïc de l’Islam, un théologien musulman et un juriste - la mission de proposer la création de tels enseignements en islamologie dans des universités françaises volontaires et qui seraient dotés des moyens appropriés, choisies dans le cadre d’un appel à projet national. Nous recevrons prochainement ensemble les membres de cette mission.

Voici les trois chantiers qui ont fait l’objet des échanges qui se sont déroulés, tout au long de cette journée, à l’hôtel de Beauvau. Vous comprendrez qu’elle ait été chargée.

J’ai trouvé auprès de chacun de mes interlocuteurs – représentants du culte musulman, futurs membres de la Fondation, personnalités de la société civile, parlementaires – un engagement authentique et la conscience d’un moment historique. Il nous faut continuer - avec humilité, compte tenu de la complexité des problèmes qui s’offrent à nous - à travailler avec détermination à la construction d’un islam de France ancré dans les valeurs de la République.