Interview de Bernard Cazeneuve pour le quotidien France-Antilles

Interview de Bernard Cazeneuve pour le quotidien France-Antilles
29 septembre 2016

A l'occasion de son déplacement en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, a détaillé les enjeux de sécurité en outre-mer et les réponses apportées par le Gouvernement à travers le Plan sécurité dédié à ces territoires.


Vous entamez aujourd’hui un déplacement d’une semaine en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Allez-vous annoncer des renforts de gendarmes et de policiers dans chacun des trois territoires ? Combien et pour combien de temps ?

Je viens aujourd’hui aux Antilles pour dire à nos concitoyens de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane que l’Etat est à leurs côtés, pour combattre la délinquance et assurer à chacun la sécurité et la tranquillité à laquelle il a droit, comme partout en France. Ce ne sont pas que des principes et des mots ; c’est une réalité concrète : je peux vous annoncer aujourd’hui que plus de 400 policiers et gendarmes vont renforcer les forces de sécurité déjà présentes dans ces trois départements. Près de 250 entre septembre 2016 et juin 2017, et plus de 150 autres en 2018. Chaque territoire va en bénéficier : 85 policiers et gendarmes pour la Martinique, 158 pour la Guadeloupe, et 165 pour la Guyane. Ces renforts s’ajoutent aux 70 gendarmes mobiles envoyés en Guadeloupe le 17 septembre après le meurtre du jeune Yohann, qui nous a tous meurtris. Ils sont bien entendu pérennes ; ils ont vocation à rester. C’est un effort important, nécessaire, car la sécurité des Martiniquais, des Guadeloupéens et des Guyanais l’exige. Je n’oublie pas bien entendu les habitants Saint-Martin, confrontés également à une situation particulière. Je recevrai les élus de l’île fin octobre.

Le plan sécurité Outre-Mer que vous avez lancé en juin dernier est-il perfectible dans chacun de ces territoires ?

Ces renforts s’inscrivent dans le cadre du plan Outre-mer que j’ai en effet présenté le 27 juin dernier avec ma collègue chargée des Outre-Mer George Pau-Langevin, et que nous mettons en œuvre avec Ericka Bareigts depuis sa nomination. Je rappelle que ce plan, qui concerne tous les territoires ultramarins, comprend 22 mesures pour renforcer les effectifs et les moyens des forces de l’ordre, assurer une co-production de sécurité avec les acteurs locaux, et mener des actions ciblées spécifiques. Bien entendu, ce plan est ensuite décliné à l’échelle de chaque territoire, sous la responsabilité des préfets, avec des solutions adaptées. Par exemple, en Martinique, le groupe des pelotons d’intervention Outre-mer de Fort-de-France (GPIOM)  est devenu une antenne du GIGN. Ce nouveau statut permettra de faire évoluer ses moyens à l’avenir. Pleinement opérationnelle, cette antenne garantit en cas d’urgence des interventions rapides et efficaces. Pour la Guadeloupe, j’ai dégagé de nouveaux financements - 166 000 euros - pour renforcer l’équipement en caméras de vidéo-protection de la commune de Pointe-à-Pitre. 20 nouvelles caméras seront ainsi disponibles. En Guyane, j’ai décidé la création d’une zone de sécurité prioritaire à Saint-Laurent-du-Maroni, particulièrement adaptée au contexte local.

Les élus locaux ne cessent de plaider pour des solutions pérennes et durables à l'insécurité ; cela doit-il s'exprimer uniquement en renforts de police ?

Les renforts en effectifs sont déterminants. Mais naturellement nous les accompagnons d’investissements, en matériel, en locaux notamment. En Martinique, comme en Guyane et en Guadeloupe, des matériels nouveaux, armes, casques, véhicules sont en partie arrivés et vont continuer d’être livrés dans les mois qui viennent. C’est une remise à niveau qui était indispensable pour que nos forces travaillent dans les meilleures conditions de sécurité et d’efficacité. Par ailleurs, l’investissement dans le long terme passe également par de nouvelles infrastructures. C’est pourquoi je visiterai le chantier du futur hôtel de police de Cayenne. C’est un équipement très attendu des élus et de tous les Guyanais. Nous procédons également à une réorganisation des services de police pour assurer une présence renforcée sur la voie publique ainsi qu’une meilleure coordination en matière d’investigation. Nous faisons le maximum, aux côtés des élus locaux qui défendent leurs territoires avec passion, pour la sécurité de tous.

Justement, est-ce que la coproduction de sécurité fonctionne bien ? Les collectivités apportent-elles leur pierre à l'édifice ?

Le plan sécurité Outre-mer constitue justement une nouvelle étape dans cette co-production, avec la réunion d’une conférence semestrielle rassemblant tous les acteurs locaux autour du préfet : services de l’Etat, élus, agents des collectivités territoriales, communauté éducative, associations et société civile. Elle dressera un bilan des actions et de  priorités en matière de prévention et de lutte contre la délinquance. Je tiens particulièrement à cette co-production car elle est une des conditions de la réussite  de notre politique de sécurité. J’en parle régulièrement aux élus, notamment à Victorin Lurel, dont l’expertise est reconnue. J’ai reçu il y a quelques jours au ministère le Président du conseil régional de la Guadeloupe et la Maire de Cayenne. Je verrai l’ensemble des élus au cours de mon déplacement. Je sais qu’au-delà des sensibilités politiques des uns et des autres, chacun partage cette conviction : nous devons nous élever au-delà des clivages partisans pour défendre l’intérêt général. C’est cela la République. Et je le rappelle : la République et la France, c’est la même chose.

Peut-on parler d'une typologie de la violence spécifique en Guadeloupe, en Martinique ou en Guyane ?

Il y a des traits communs à la délinquance constatée en métropole, mais il y a aussi des spécificités locales que nous traitons particulièrement. Par exemple, en Guyane, nous développons une stratégie globale de lutte contre l’orpaillage illégal, qui repose sur trois volets : le développement de la coopération avec les pays voisins, Suriname et Brésil, un volet coercitif à travers l'opération Harpie, et le développement de l’activité économique en forêt, notamment par la réinstallation de sociétés minières légales sur d’anciens sites illégaux. Cette stratégie volontariste porte ses fruits : depuis 2014 le nombre de chantiers d'orpaillage illégal actifs a chuté de 67 %, passant de de 479 à 160, entraînant une réduction importante des impacts sur l’environnement. Par ailleurs, la gendarmerie maritime est très active contre le braconnage maritime et agit efficacement contre ceux qui essaient de piller nos eaux territoriales. En Martinique, nos services spécialisés mènent une action de pointe contre les trafiquants de drogue, et en Guadeloupe, la lutte contre la prolifération des armes à feu est prioritaire.

La prévention peut-elle réellement faire baisser la criminalité ?

La prévention, plus la répression, plus l’ensemble des moyens que je viens de décrire : c’est notre action globale pour la sécurité qui doit faire reculer la criminalité. Nous obtenons des résultats : en Martinique, depuis le début de l’année nous élucidons 10 % de faits en plus. En Guadeloupe, la situation reste difficile, mais nous percevons une amélioration, notamment une baisse des atteintes aux biens (vols, dégradations) depuis janvier. En Guyane, les cambriolages ont diminué de 9 % l’année dernière. Nous avons rompu avec la politique de nos prédécesseurs qui avaient, à l’échelle du territoire national, supprimé 12 500 postes de policiers et de gendarmes entre 2007 et 2012, alors que nous en recréons 9 000 sur l’ensemble de ce quinquennat. Il n’y a pas de fatalité en matière de lutte contre la délinquance. C’est une question de moyens, et nous les mettons. C’est aussi une question de volonté, de détermination, de constance. Voilà ma conviction.

Interview de Bernard CAZENEUVE pour France-Antilles (éditions Martinique, Guadeloupe et Guyane) du jeudi 29 septembre 2016.