Le 09 octobre 2014, Bernard Cazeneuve était l'invité de Frédéric Rivière sur RFI.
Arnaud Pontus
Votre invité Frédéric Rivière, en duplex ce matin de Luxembourg, dans les studios de la radio 100,7, que l’on remercie ici, vous interrogez ce matin Bernard Cazeneuve, le ministre français de l’Intérieur.
Frédéric Rivière
Bonjour Bernard Cazeneuve.
Bernard Cazeneuve
Bonjour.
Frédéric Rivière
Vous avez dîné hier soir au Luxembourg avec vos collègues ministres de l’Intérieur de l’Union européenne et les responsables des grandes plateformes Internet, que sont Facebook, Twitter, Google et Microsoft. L’objectif, c’était de discuter des moyens de renforcer la lutte contre la promotion du terrorisme ou du djihadisme sur Internet. Est-ce que vous avez rencontré des interlocuteurs déterminés à vous aider dans ce combat ?
Bernard Cazeneuve
Oui, cette rencontre était intéressante, elle avait été souhaitée notamment par le ministre belge de l’Intérieur et moi-même depuis plusieurs mois, parce que nous constatons qu’un très grand nombre de ceux qui basculent dans le terrorisme en Irak et en Syrie le font après une fréquentation de la violence exclusive de tout autre sur Internet. Et par conséquent, nous voulions mobiliser les acteurs de l’Internet au combat que nous menons contre le terrorisme. Et nous avons trouvé effectivement des interlocuteurs très ouverts qui nous ont expliqué ce qu’ils font déjà, ça nous a permis de leur dire ce que nous nous apprêtions à mettre en oeuvre dans nos législations nationales. Et j’ai pu notamment leur indiquer que, en France, nous allions prendre des décisions législatives qui n’étaient pas destinées à remettre en cause la liberté d’expression sur Internet, mais au contraire, à faire en sorte qu’après que des faits leur ont été signalés, qu’ils puissent intervenir pour nous aider à couper l’accès à des images, à des vidéos, à des sites de propagande, qui sont de véritables apologies du terrorisme ou de provocation au terrorisme.
Frédéric Rivière
Qu’est-ce que vous attendez d’eux aujourd’hui, plus de rapidité, plus de réactivité, plus de surveillance ?
Bernard Cazeneuve
Il faut qu’ils s’arment comme nous, techniquement, face à la réalité du terrorisme, qu’ils soient en situation de couper l’accès à ces sites, à ces blogs, qui sont, encore une fois, des véritables instruments de propagande à destination des publics les plus vulnérables de nos pays, pour les inciter à basculer dans le terrorisme, c’est-à-dire dans la barbarie et dans la mort. Et on a trouvé des interlocuteurs qui comprennent la contrainte des Etats, qui sont prêts à nous accompagner, et qui sont prêts aussi à faire en sorte que les dispositions législatives que nous nous apprêtons à prendre soient mises en oeuvre par eux dans les meilleures conditions. Je rappelle quelles sont les dispositions législatives françaises, il s’agit d’abord de faire en sorte que sous le contrôle d’une personnalité qualifiée, nous appelions l’attention des opérateurs Internet sur la nécessité de couper un certain nombre d’images ou de sites qui appellent au terrorisme, et si ce n’est pas fait, ensuite, nous bloquons l’accès. Mais j’ai compris hier soir qu’ils étaient prêts à le faire eux-mêmes, c’était d’ailleurs l’objet de la loi que je présente, et j’ai compris qu’elle avait une efficacité dans la relation avec les opérateurs Internet.
Frédéric Rivière
Il y a également la prison qui est reconnue comme un lieu de radicalisation, souvent extrêmement rapide, dans ce domaine-là, qu’est-ce que vous pouvez faire ?
Bernard Cazeneuve
Nous travaillons avec Christiane Taubira sur la question de la radicalisation en prison, nous constatons que la radicalisation s’opère essentiellement par Internet, et pour ceux qui ont commis des actes délictueux et qui se trouvent emprisonnés parfois en prison, parce que, il n’y a pas assez d’aumôniers, parce qu’il y a des groupes qui se constituent en prison, et qui s’auto-radicalisent, donc nous travaillons actuellement avec la Garde des sceaux à un plan contre la radicalisation en prison. Nous le faisons de façon très étroite, en faisant travailler le service du renseignement pénitentiaire et le service de renseignements, qui dépend de ma responsabilité, nous le faisons en recrutant des aumôniers, nous le faisons en développant des politiques d’insertion et d’accompagnement de ceux qui sont notamment psychologiquement fragiles en prison. Donc nous travaillons de façon très étroite ensemble pour lutter contre cette radicalisation.
Frédéric Rivière
Le nombre de Français engagés dans les combats, au côté de groupes terroristes en Syrie ou en Irak, a nettement augmenté au cours des six derniers mois, vous avez-vous-même donné les chiffes hier, on est passé de 230 à 350 personnes, il y a encore tout récemment, le cas de ces 11 personnes d’une même famille, parties ces derniers jours de Nice ; comment vous expliquez, Bernard Cazeneuve, ce pouvoir d’attraction, j’allais dire presque de séduction qu’a aujourd’hui l’Etat islamique sur un certain nombre de ressortissants français et européens d’ailleurs ?
Bernard Cazeneuve
D’abord, vous avez raison de signaler l’augmentation du nombre de ceux qui sont partis dans ces groupes terroristes ou qui veulent le faire ou qui sont en transit quelque part, entre la France et la Syrie. L’augmentation du nombre est de 82% depuis le début de l’année 2014, c’est donc un chiffre considérable. C’est la raison pour laquelle nous prenons des dispositions législatives en France, qui ne sont pas encore en vigueur, qui sont destinées à permettre, par des mesures administratives, à l’administration d’empêcher la sortie du territoire de majeurs dont nous sommes convaincus qu’ils vont s’engager dans des opérations terroristes, c’est la raison pour laquelle nous prenons les dispositions concernant Internet. C’est la raison pour laquelle nous donnons de nouveaux moyens à nos services pour démanteler les filières djihadistes qui se constituent sur les réseaux sociaux, sur Internet, mais également à travers les moyens mobilisés par des organisations internationales du crime, et cette augmentation, elle résulte de l’efficacité d’une propagande, de la radicalisation qui s’opère dans la plupart des pays de l’Union européenne, et de dispositifs législatifs qui, pour l’instant, dans la plupart des pays de l’Union européenne, ne sont pas armés pour faire face à ce phénomène nouveau, inédit par rapport auquel nous devons prendre des dispositions. C’est ce que la France fait, avec un principe de précaution qui est 100% de précautions, même si 100% de précautions ne permettent pas d’atteindre l’objectif du risque zéro, c’est la vigilance totale, et ce sont des Etats qui, dans le respect des libertés publiques, se dotent des moyens de résister au terrorisme.
Frédéric Rivière
Alors aujourd’hui, se tient à Luxembourg ce que l’on appelle le Conseil justice et affaires intérieures, il va être question, là aussi, de la lutte contre la menace djihadiste, avec notamment l’idée de la mise en place d’un fichier des passagers européens avec les compagnies aériennes, on est presque étonné finalement d’apprendre que ça n’existe pas déjà.
Bernard Cazeneuve
Oui, il y a plusieurs sujets qui sont à l’ordre du jour de la réunion des ministres de l’Intérieur ce matin, d’abord, si nous voulons être efficaces collectivement dans la lutte contre le terrorisme face à un phénomène mondial, qui a aussi une dimension européenne, parce que nos ressortissants traversent l’espace Schengen avant de se rendre en Turquie, puis, en Syrie, nous devons coopérer, les pays de l’Union européenne, ensemble, pour être efficaces. Et il y a un certain nombre de mesures que je réclame depuis plusieurs mois, qui sont à l’ordre du jour de ce Conseil, et qui sont indispensables pour atteindre cet objectif d’efficience et d’efficacité. Première mesure : nous devons renforcer le système d’information Schengen avec un signalement particulier pour les combattants étrangers, qui permette à tous ceux qui travaillent, dans le renseignement ou dans les services de police de coopérer ensemble à l’échelle de l’Union européenne, pour que ceux qui transitent soient immédiatement identifiés. Si nous n’avons pas un système d’enregistrement des passagers qui prennent l’avion avec une connexion de ce fichier, avec le fichier des personnes recherchées, qui permette là aussi d’identifier ceux qui empruntent les moyens aériens et qui sont particulièrement dangereux ou convaincus d’avoir participé à une entreprise terroriste, nous azurons du mal dans tous les pays de l’Union européenne à assurer l’efficacité des contrôles dans les aéroports, c’est la raison pour laquelle, il y a deux mesures que nous demandons,
1°) : le renforcement du système d’information Schengen avec ce signalement particulier, et
2°) : nous essayons de convaincre le Parlement européen d’accepter la mise en place de ce PNR, Passager Name Record, ce qui permettra d’être beaucoup plus efficace dans la lutte contre le terrorisme.
Frédéric Rivière
Egalement au menu des discussions aujourd’hui, le renforcement de la coopération européenne pour venir en aide à l’Italie, qui est submergée par l’arrivée de réfugiés avec la mise en place d’une force de surveillance, c’est ce que l’on appelle l’opération Triton, qu’est-ce que ça va changer très concrètement ?
Bernard Cazeneuve
Vous souvenez, Frédéric Rivière, que pendant l’été, j’ai fait une tournée des pays de l’Union européenne pour essayer de convaincre les pays de l’Union de changer leur stratégie en Méditerranée centrale ; il s’agissait de lutter contre des flux migratoires, qui sont parfois engendrés, même souvent engendrés par des filières de l’immigration irrégulière, qui profitent d’une situation dramatique, notamment dans la bande Sahélo-saharienne, pour mettre sur des embarcations de fortune des personnes qui ne relèvent pas du droit d’asile, mais qui relèvent de l’immigration irrégulière, de l’immigration économique, en leur faisant prendre des risques considérables. C’est là une véritable traite des êtres humains, et ils prennent prétexte du fait qu’il y a des opérations de sauvetage pour mettre des personnes de plus en plus nombreuses sur des embarcations de plus en plus fragiles, en prélevant sur ces personnes des sommes de plus en plus considérables. Donc notre objectif, c’est de faire en sorte que cela s’arrête, comment ? 1°) : nous souhaitons substituer à l’opération Mare Nostrum une opération pilotée par Frontex, au plus près des côtes de l’Union européenne, pour faire en sorte que nous ayons à la fois de la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne, et en même temps, ces forces pourront faire des opérations de sauvetage, il faut que les règles de Dublin soient respectées en Italie lorsque les migrants arrivent, il faut qu’il y ait un partage du fardeau, c’est comme ça que la Commission appelle cela, le "burden sharing", pour ce qui concerne la répartition des demandeurs d’asile. Nous, nous faisons notre travail, nous le faisons à Calais, nous le faisons en France, mais il faut aussi que d’autres pays de l’Union européenne le fassent, et il faut aussi que…
Frédéric Rivière
Oui, en quelques secondes…
Bernard Cazeneuve
Il faut aussi que nous parvenions à faire en sorte que les pays de l’Union européenne, sur ce sujet-là, mettent dans les conclusions du Conseil JAI d’aujourd’hui tout ce que je viens de dire, et qui correspond au plan français, en réalité.
Frédéric Rivière
Merci Bernard Cazeneuve.
Bernard Cazeneuve
Merci.
Arnaud Pontus
Bernard Cazeneuve, le ministre français de l’Intérieur, en duplex de Luxembourg, grâce aux moyens techniques de la radio 100,7. Merci encore à nos confrères.