Intervention de Bernard Cazeneuve sur I Télé le 03 juin 2014 à 07h45

3 juin 2014

Bruce Toussaint
Le ministre de l’Intérieur est donc l’invité d’I TELE ce matin.

Christophe Barbier
Bernard Cazeneuve, bonjour, bienvenu.

Bernard Cazeneuve
Bonjour.

Christophe Barbier
Pourquoi cette longue délibération, d’abord hier, toute la journée, tard dans l’après midi, début de soirée, sur ce découpage des régions ? Qu’est-ce qui a coincé ?

Bernard Cazeneuve
Mais rien n’a coincé. Lorsque l’on présente une nouvelle carte régionale, il faut de la méticulosité, il faut de la discussion, il faut veiller à ce que les territoires qui ont été redéfinis soient des territoires pertinents, cela implique que jusqu’à la dernière minute, les cerveaux soient connectés, c'est ce qui s’est passé hier.

Christophe Barbier
Quels sont les points qui ont retenu votre attention ? Jusqu’à la dernière minute, c'est Bretagne, Pays-de-la-Loire, c'est Poitou-Charentes, Centre, Limousin ?

Bernard Cazeneuve
Non, la volonté qui était celle du gouvernement, c’était d'avoir des régions économiquement fortes, il s’agissait de faire les euro-régions de demain, qui, entre elles, ont une cohérence, parce qu’il y a des projets en commun en matière de développement économique, en matière de recherche, en matière d’universités, en matière de transport de demain, et par conséquent, il fallait que cette carte fut la plus pertinente possible, cela impliquait que jusqu’à la dernière minute, chacun travaille dans son domaine de compétences.

Christophe Barbier
Est-ce que vous avez voulu aussi faire des régions politiquement sûres, c'est-à-dire que le calcul électoral, de l’homogénéité électorale des régions, a pesé ?

Bernard Cazeneuve
Vous savez, on ne gagne aucun scrutin avec des découpages.

Christophe Barbier
Mais ça peut aider quand même.

Bernard Cazeneuve
Non, je pense que, à chaque fois qu’on s’est amusé à jouer du ciseau pour être garanti de ce qui se passait dans les urnes, le résultat n’a pas été là. Ce n'est pas la démarche du gouvernement. La démarche du gouvernement c'est d’engager le pays dans une  modernisation de son organisation territoriale, et de le doter de collectivités locales, qui puissent, dans la compétition économique et en Europe, compter, et par conséquent, notre objectif était de faire en sorte que les régions de demain soient armées  économiquement, pour faire du développement économique, accompagner les filières d’excellence, faire de la recherche, faire de l’innovation technologique.

Christophe Barbier
Pour cette ambition économique, pourquoi ne pas avoir désossé certaines régions, pour rattacher certains départements à certaines autres régions, par exemple, eh bien la Loire Atlantique avec la Bretagne, par exemple découper le Centre, région un peu artificielle, pour en mettre un peu en Ile-de-France, un peu en Poitou-Charentes ?

Bernard Cazeneuve
Pour des raisons, tout simplement, de pragmatisme. Parce que, quand on engage une réforme extrêmement ambitieuse, qui peut apparaitre comme une rupture, je ne sais pas si vous mesurez ce que nous voulons faire avant 2017 : réformer les intercommunalités, donner à la France des régions puissantes, engager une déconcentration de l’Etat puissant, pour faire en sorte que les services publics locaux montent en gamme, tout cela ce sont des réformes qui impliquent du pragmatisme, donc quand on veut faire ambitieux, parfois il faut faire simple.

Christophe Barbier
Jean-Marc Ayrault voulait faire ambitieux, il voulait Pays-de-la-Loire et Bretagne, pourquoi ne pas lui donner satisfaction ?

Bernard Cazeneuve
Parce qu’il y a des sujets sur lesquels il faut prendre le temps de faire en sorte que les choses se fassent dans le consensus. Il y a, dans l’Ouest de la France, des collectivités locales qui ont appris à discuter ensemble, c'est le cas des Pays-de-la-Loire et de la Bretagne, et en même temps il y a une nécessité de donner un peu de temps, pour que les choses se catalysent.

Christophe Barbier
Elles pourront fusionner volontairement si elles se mettent d’accord toutes les deux ?

Bernard Cazeneuve
Mais, il y a des coopérations qui ont été engagées, vous avez vu qu’il y a des maires de villes de Loire Atlantique, des Pays-de-la-Loire, de Bretagne, qui parlent ensemble, qui ont une démarche métropolitaine, c'est le cas de Rennes et Nantes, donc il faut qu’il y ait un mouvement ample, qui donne une orientation, qui donne une direction, qui crée une dynamique, et il faut aussi, lorsque la discussion peut donner naissance à des projets plus ambitieux encore, laisser le temps à la discussion de se poursuivre.

Christophe Barbier
Le président de la Picardie, Claude Gewerc, vous a appelé pour vous dire : la pire des solutions, c'est le rattachement à Champagne- Ardenne, pourquoi leur imposer ça ?

Bernard Cazeneuve
Oui, et en même temps j’ai vu le président de Champagne-Ardenne, qui me disait que la bonne solution c’était pour Champagne-Ardenne, le développement de sa coopération avec la Picardie. Lorsque l’on essaie de transformer un pays, comme le nôtre, avec des collectivités locales qui depuis les années 50 n’ont pas bougé, il est difficile de satisfaire tout le monde, en même temps l’orientation que nous donnons, crée des occasions de développement, de coopération, donne des opportunités à toutes les régions, et il faut  aujourd'hui avoir un objectif en tête : une compétition internationale, mais à l’épreuve des entreprises, donner à ces entreprises des régions qui leur permettent d’être accompagnés, faire en sorte que nos filières d’excellence puissent bénéficier de la recherche,  bénéficier du transfert des technologies, pouvoir se structurer pour compter dans la compétition de demain, voilà l’objectif de la réforme.

Christophe Barbier
Et pour tout ça, il faudra des capitales régionales très fortes, alors en Picardie Champagne-Ardenne, ça sera Amiens ou Reims, ça sera Toulouse ou Montpellier ? Ça sera Rouen ou Caen ?

Bernard Cazeneuve
Mais voilà, j’allais vous le dire, nous avons le même problème dans toutes les régions, y compris dans la mienne.

Christophe Barbier
Comment faire ?

Bernard Cazeneuve
Mais, comment faire, d’abord il faut laisser le temps aux élus de discuter entre eux, de discuter aussi avec l’Etat et par ailleurs il y a des capitales administratives, qui ne sont pas nécessairement les capitales économiques, il y a des capitales administratives  économiques qui ne sont pas nécessairement les capitales culturelles, et dans des régions où des villes dynamiques, parce qu’elles sont animées par des municipalités puissantes, ont développé des projets, il y aura de la place pour tout le monde.

Christophe Barbier
Dominique Bussereau, qui voulait Poitou-Charentes Aquitaine, lui, promet une résistance républicaine. Est-ce que le terme vous fait peur ?

Bernard Cazeneuve
Mais, je pense que nous allons voir à travers cette réforme territoriale, les conservateurs et les autres. Donc les conservateurs, nécessairement, vont résister à la réforme, et il faudra, par conséquent, que les réformistes soient déterminés à atteindre le but, et nous, dans ce gouvernement, nous voulons faire des réformes. Beaucoup ont parlé de réformes et beaucoup de ceux qui en parlent ne le sont pas faites. Nous, nous avons décidé de les faire, et nous les faisons.

Christophe Barbier
A quoi va servir le débat parlementaire, si tout est déjà décidé ?

Bernard Cazeneuve
Mais le débat parlementaire va servir, précisément, à aborder toutes ces questions, il est important que le Parlement, qui est la représentation nationale, puisse, sur la question de l’organisation territoriale, débattre, approfondir ses sujets, apporter éventuellement des idées et des amendements.

Christophe Barbier
Est-ce que vous reconnaissez que sur le département, dont la suppression du conseil départemental est repoussée à 2020, vous avez reculé ?

Bernard Cazeneuve
Non, pas du tout, parce que le Premier ministre a fait une déclaration de politique générale dans laquelle il avait déjà donné le calendrier qui est celui de la réforme...

Christophe Barbier
Et après on avait dit « ça sera plus rapide »...

Bernard Cazeneuve
Oui bien entendu, mais vous savez, quand on engage un réforme de ce type, il y a l’ambition, il y a la volonté, et la volonté d’imprimer un rythme fort, et puis il y a aussi les considérations de méthodes, parce que lorsque la réforme est ambitieuse, la méthode doit être au rendez-vous, et par conséquent, pour réussir, nous avons décidé de phaser dans le temps. Je redis ce que je vous disais à l’instant. Avant 2017, que se passe-t-il ? L’intercommunalité, les régions, la déconcentration, et nous allons engager sur les départements la réforme. Pourquoi ? Parce qu’il y aura une loi de transfert des compétences des départements vers les régions, et cette loi permettra déjà de clarifier le paysage, et par ailleurs, nous allons créer les conditions du transfert de compétences du département vers les  intercommunalités.

Christophe Barbier
Il faudra, à terme, un référendum sur le département, puisque changer la constitution au Congrès avec beaucoup de présidents de conseils généraux, ça sera compliqué.

Bernard Cazeneuve
Ecoutez, on verra après 2017 comment s’est stabilisé le processus de réforme que nous avons engagé, quel sera le contexte politique, en tous les cas, la suppression de conseils départementaux, à l’horizon 2020, interviendra comme le point d’orgue d’une réforme très ambitieuse, que nous aurons engagée.

Christophe Barbier
La loi pénale est en débat aujourd'hui, est-il vraiment nécessaire de faciliter les sorties anticipées de prison, comme le prévoit la loi pénale, alors qu’on voit que certains droits communs, peuvent devenir des terroristes, ils pourront en profiter.

Bernard Cazeneuve
Non mais, essayons de prendre ce sujet avec rationalité et de ne pas faire peur. Il y a chez Christiane Taubira et chez moi, la volonté d’être intraitable avec les délinquants et de lutter contre la récidive. C'est une volonté que nous avons en commun. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de lutte efficace contre la délinquance, là où il n’y a pas une bonne articulation de l’action, de la police et de la justice. La loi de Christiane Taubira prévoit que pour les peines encourues de moins de 5 ans...

Christophe Barbier
Moins de 5 ans, ça sera bien rétabli.

Bernard Cazeneuve
Moins de 5 ans, les peines encourues de moins de 5 ans, il y aura la possibilité, ce n'est pas une obligation, de la mise en place de cette contrainte pénale, avec tout un dispositif de suivi pour un certain nombre de délinquants, qui permettront d’éviter que ceux-ci ne récidivent, c'est un objectif que nous poursuivons ensemble. Cette loi, elle a été arbitrée au cours de l’été dernier, l’arbitrage de cette loi repose sur un excellent équilibre, et mon souci comme ministre de l’Intérieur, c'est de faire en sorte que l’équilibre résultant des arbitrages du mois de juillet dernier ne soit pas rompu.

Christophe Barbier
Les suites de l’affaire Nemmouche, faut-il déchoir de leur nationalité les djihadistes français qui sont partis en Syrie ?

Bernard Cazeneuve
Mais moi je ne l’exclus pas, d’ailleurs la loi le permet aujourd'hui...

Christophe Barbier
Saut si on en fait des apatrides.

Bernard Cazeneuve
Oui, mais ça c'est une règle de droit international, personne ne peut le faire, nulle part à travers le monde, c'est un sujet qui ne se pose pas spécifiquement à la France. pour déchoir un citoyen français de la nationalité, il faut qu’il ait la double nationalité, et aujourd'hui, il est prévu, dans l’ordre juridique existant, que lorsque quelqu’un a porté atteinte à la sûreté du pays, a commis des actes extrêmement graves, il est possible de le déchoir de la nationalité. C'est possible, et comme c'est possible, il n'est pas exclu que sur un certain nombre de cas, cela soit envisagé. Cela ne me choque pas.

Christophe Barbier
120 appels ont été reçus au numéro vert signalant des candidats au djihad, que faites-vous de ces appels ?

Bernard Cazeneuve
Mais ces appels sont traité immédiatement, nous avons d'ailleurs empêché près d’une dizaine de départs avec ces appels. Lorsqu’une famille vient auprès de cette plateforme pour dire : nous sentons qu’un des membres de notre famille risque de basculer,  immédiatement le cas est signalé au préfet du département d’habitation de la famille en question, et un dispositif d’accompagnement du jeune se met en place, qui tient compte de la particularité des problèmes auxquels il est confronté, c'est parfois de la rupture scolaire, c'est parfois des problèmes psychiatriques, et nous mettons en place des équipes autour de ces familles, pour éviter que les jeunes ne partent, et nous signalons d’ailleurs ces jeunes, lorsqu’ils sont sur le point de partir, au système d’information Schengen, au fichier des personnes recherchées, pour faire en sorte qu’ils ne puissent pas franchir la frontière.

Christophe Barbier
Vous serez en Normandie pour le 70ème anniversaire du département, avec I TELE, d’ailleurs, en fin de semaine. C'est important, ce moment, ou c'est...

Bernard Cazeneuve
C'est très important ce moment. Nous étions avec le président de la République à Trévières dimanche dernier, je serai moi-même pendant la fin de la semaine, en Normandie, parce que je suis élu normand, parce qu’il y aura des cérémonies dans le Calvados mais  aussi dans le département de la Manche à proximité de la ville de Cherbourg. J’y serai pourquoi ? Parce qu’il est important que ces cérémonies soient un grand moment de rassemblement de la Nation autour de valeurs de la République, parce que c'est une excellente occasion de dire à la Communauté internationale notre foi dans la paix, de voir tous ces chefs d’Etat et de gouvernements représentant des pays qui ont payé un lourd tribu pour que nous recouvrions notre liberté ait un sens au regard de l’histoire, mais aussi parce qu’il y a 20 000 Normands qui sont morts à l’occasion de ce débarquement et qu’il faut aussi rendre hommage aux victimes civiles normandes.

Christophe Barbier
Merci Bernard Cazeneuve, bonne journée.

Bruce Toussaint
Je me permets juste de vous poser une toute dernière question, Bernard Cazeneuve...

Bernard Cazeneuve
Mais ce n’était pas prévu !

Bruce Toussaint
Ce n’était pas prévu. Vous avez évoqué à l’instant avec Christophe, évidemment, le cas de Mehdi Nemmouche, est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu plus sur les suites de l’enquête ? Est-ce que par exemple la garde à vue de Mehdi Nemmouche, selon vous, va être prolongée ? Elle doit s’arrêter à la mi-journée, et est-ce qu’il y a d’autres interpellations, éventuellement, dans l’entourage de cet homme qui, ont eu lieu ou sont prévues ?

Bernard Cazeneuve
Des surveillances, des enquêtes, des interpellations, il y en a en permanence. J’ai dit hier que nous agirions face aux terroristes avec la plus grande fermeté et sans trêve ni pause. Pour ce qui concerne Mehdi Nemmouche, il est actuellement interrogé et je ne  souhaite pas communiquer sur le contenu des auditions, par respect pour la procédure, et par...

Christophe Barbier
Mais il parle, il dit des choses ?

Bernard Cazeneuve
Je n’ai rien à dire sur ce sujet.

Bruce Toussaint
Merci en tout cas d'avoir été avec nous ce matin, sur I TELE. Bonne journée, merci Bernard Cazeneuve.