Intervention de Bernard Cazeneuve sur France Inter le mardi 27 mai 2014

27 mai 2014

Patrick Cohen
Bonjour, Bernard Cazeneuve.

Bernard Cazeneuve
Bonjour.

Patrick Cohen
A quoi ça sert une allocution présidentielle qui n’annonce rien sauf à dire que vous ne changez rien ?

Bernard Cazeneuve
Mais la vie politique, ce n’est pas un exercice pyrotechnique ! Ce qui fait l’efficacité d’une politique, c’est sa cohérence, c’est sa constance…

Patrick Cohen
Ce n’est pas pyrotechnique, mais c’est un exercice de dialogue avec les électeurs ?

Bernard Cazeneuve
Mais bien entendu que c’est un exercice de dialogue avec les électeurs. Et ce que nous souhaitons, c’est faire en sorte que le message de dimanche soit entendu. Pour que le message de dimanche soit entendu, il faut que deux conditions soient réunies : que la politique de l’Union européenne change, et le président de la République a été élu sur la réorientation de la politique de l’Union européenne et que s’est-il passé depuis deux ans ? Nous avons mis en place l’union bancaire qui n’existait pas avant que nous arrivions en situation de responsabilité et qui permet de faire en sorte, que les désordres financiers d’hier, ne se reproduisent pas demain. Nous avons…

Patrick Cohen
Il a ajouté une chose François HOLLANDE, hier : l’Europe doit se retirer là où elle n’est pas nécessaire. Qu’a-t-il voulu dire ?

Bernard Cazeneuve
Oui, je pense qu’il n’est pas nécessaire que l’Union européenne réglemente sur tout. Je me souviens d’avoir été ministre des Affaires européennes, parfois obligé de regarder des règlements concernant la dimension des cages pour les volailles, ça ne me paraît pas indispensable que l’Union européenne réglemente sur ces sujets. L’Union européenne c’est un ensemble de politiques fortes qui doivent donner un horizon à l’Europe et donner envie d’Europe au peuple d’Europe. Ca veut dire, une politique industrielle qui permette à l’Europe de faire monter en gamme ses filières d’excellence. Ca veut dire, de l’innovation, du transfert de technologies, des universités, des centres de recherche, la possibilité pour les jeunes européens d’étudier partout en Europe dans les meilleures universités. L’Europe s’il n’y a pas une part de rêve en Europe, il y a peu de chance…

Patrick Cohen
Bernard Cazeneuve, on ne va pas refaire la campagne européenne !

Bernard Cazeneuve
Que les peuples européens aient envie d’Europe. On ne doit pas…

Patrick Cohen
On ne va pas refaire la campagne européenne, c’est trop tard ! Les Français ont voté dimanche dernier.

Bernard Cazeneuve
Mais Patrick Cohen, la campagne européenne permettez-moi, de vous le dire, n’a pas eu lieu. Il y a un député européen, non ! Il y a un député européen Jean-Marie CAVADA qui a dit des choses très justes, il y a quelques heures à la télévision, commentant les résultats des élections européennes. En Allemagne, vous avez en permanence des émissions qui parlent de l’Europe, et la campagne européenne…

Patrick Cohen
Ah ! C’est la faute des médias !

Bernard Cazeneuve
En Allemagne, elle a eu lieu pendant toute la durée de cette campagne, avec les candidats présents, des explications données en permanence, sur ce qu’est le rôle de l’Union européenne, on ne fait pas voter les Français sur l’Europe, quand l’Europe n’est évoquée qu’à l’occasion des élections européennes. Les partis politiques portent une part de responsabilités…

Patrick Cohen
Ca fait 6 mois qu’on essaie de le faire sur FRANCE INTER…

Bernard Cazeneuve
Mais les médias aussi !

Patrick Cohen
Le seul message retenu par les, je pense tous les téléspectateurs qui ont regardé François HOLLANDE hier soir, « on continue, le cap est maintenu » on n’a pas entendu la moindre trace d’autocritique après une déroute qui a pourtant été considérée unanimement comme historique, pour le pouvoir en place et pour le Parti socialiste. Bernard Cazeneuve qu’est-ce que vous répondez ?

Bernard Cazeneuve
Mais les Français n’attendent pas une autocritique, ils attendent des actes, lorsque nous indiquons à l’occasion du discours de politique générale du Premier ministre et que nous le traduisons en acte, que nous allons procéder à des baisses de fiscalité pour les Français les plus modestes. Lorsque nous indiquons que nous allons poursuivre, y compris à l’occasion du Conseil européen d’aujourd’hui, le combat qui a été engagé par le président de la République pour la réorientation de l’Europe, parce que Patrick Cohen, la réorientation de l’Europe, elle ne se décrète pas, elle se construit. Nous sommes 28, autour de la table, là aussi il faut faire de la pédagogie, s’imaginer que parce qu’il y a une élection en France, y compris une élection européenne, on peut arriver autour de la table du Conseil européen en disant aux 27 autres pays : nous avons décidé seul, la France, que l’Europe irait dans telle ou telle direction est un mensonge, c’est un leurre, c’est une forme de démagogie. Ce que nous voulons, nous, c’est réorienter en profondeur l’Europe, pour réorienter en profondeur l’Europe, si vous m’autorisez à vous deux mots sur ce point, parce que c’est essentiel, c’est notre combat. Il faut faire en sorte que les errements d’hier ne se reproduisent pas. Que s’est-il passé pendant cette crise qui dure depuis trop longtemps ? La finance a pris le dessus sur l’industrie et l’économie réelle, nous avons vu des banques dont les actifs étaient minés par des produits toxiques…

Patrick Cohen
Ah ! C’est le retour de « mon ennemi, c’est la finance ! »

Bernard Cazeneuve
Mais nous avons agi sur ce point ! Vous êtes journaliste, vous avez suivi les évènements. Lorsque nous mettons en place l’Union bancaire, lorsque nous mettons en place, je le redis un dispositif de résolution des crises bancaires, de garantie des dépôts, nous décidons avec l’ensemble des pays de l’Union européenne  d’agir pour que les banques soient contrôlées, que ces errements de la finance ne se reproduisent pas. Lorsque nous nous battons, pour qu’il y ait une politique énergétique européenne, qui permette notamment à la France et l’Allemagne qui ont crée en février dernier, l’Office franco-allemand pour les Energies renouvelables, nous, nous battons pour qu’il y ait une politique énergétique européenne. Lorsque nous décidons de faire en sorte que la France, l’Allemagne et d’autres pays de l’Union européenne, mettent en place des politiques industrielles qui permettent autour de nos grandes filières industrielles d’engager des politiques qui donnent une chance à l’industrie européenne de compter dans la mondialisation, nous agissons pour l’Europe, mais tout cela doit être dit, doit être rappelé, par ceux qui sont en situation de responsabilité, mais pas seulement aussi, par ceux qui observent la vie politique.

Patrick Cohen
Bernard Cazeneuve, 1 électeur sur 4, dimanche dernier, a voté Front national, la première motivation de ce vote d’après les instituts de sondages, c’est l’immigration. Que leur dites-vous à ces électeurs ? Qu’ils se trompent, que c’est irrationnel, ou qu’il y a bel et bien un problème ?

Patrick Cohen
Mais d’abord ce sujet doit être là aussi traité en disant la vérité. J’ai entendu dire non seulement le Front national, mais aussi un certain nombre de responsables de l’opposition, qu’il fallait jeter Schengen à la poubelle, que nous étions envahis par des flux migratoires, que Schengen était à l’origine de tout et que nous pouvions mettre…

Patrick Cohen
Nicolas SARKOZY, hier, a proposé de suspendre Schengen 1.

Bernard Cazeneuve
Oui, enfin ce qu’il faudrait suspendre sur ce sujet, c’est la démagogie, là aussi ! Parce que la vérité en politique ça existe. Alors laissez-moi vous la dire en deux mots sur la question de l’immigration. Oui, aujourd’hui, il y a des flux migratoires, ils ne sont pas induits par Schengen ces flux migratoires. Ils résultent tout simplement du fait qu’il y a en certains points du globe des régimes qui vacillent, de la barbarie qui s’installe, des crimes qui sont perpétrés, des citoyens qui sont torturés. Donc ils prennent en nombre, en nombre et ça s’est déjà produit, dans l’histoire même avant qu’il n’y ait Schengen…

Patrick Cohen
L’Europe n’est pas une passoire à immigrés Bernard Cazeneuve ?

Bernard Cazeneuve
Il y a à travers Schengen deux éléments : 1, la suppression des frontières à l’intérieur de l’Europe, ce qui permet la circulation dans le marché intérieur. Et 2, aux frontières de l’Europe une obligation pour les pays de l’Union européenne et l’Union européenne de contrôler les frontières. C’est ce que nous faisons avec FRONTEX, il faut faire monter FRONTEX en puissance, assurer davantage le contrôle de frontières aux frontières de l’Europe et c’est cela Schengen. Qu’il faille améliorer Schengen, je ne le conteste pas. Qu’il faille améliorer nos outils, je le confirme, mais dire dans la plus grande démagogie que c’est Schengen qui et à l’origine du flux des demandeurs d’asile qui sont persécutés chez eux, c’est un mensonge. D’ailleurs, pour terminer…

Patrick Cohen
Est-il exact…

Bernard Cazeneuve
L’argumentation, je vous fais remarquer que les Britanniques ne sont pas dans Schengen et qu’il y a une pression migratoire très forte qui s’exerce sur les Britanniques s’il était besoin d’apporter la démonstration que tout cela n’est que démagogie, c’est fait !

Patrick Cohen
Est-il exact comme l’a révélé Médiapart que vous voulez supprimer les allocations des demandeurs d’asile qui refuseraient le lieu d’hébergement désigné par l’administration ?

Bernard Cazeneuve
Ce que je veux, c’est réformer l’asile. Je veux réformer l’asile, pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, en France, un demandeur d’asile, il attend 2 ans pour que son dossier soit traité. Dans les autres pays de l’Union européenne c’est 9 mois, donc je veux effectivement…

Patrick Cohen
Raccourcir les délais, on l’a déjà entendu.

Bernard Cazeneuve
Je veux effectivement faire quoi ? Je veux que les demandeurs d’asile en France soient accueillis dignement, que les procédures soient simplifiées, que les conditions d’accueil soient humanisées et lorsque l’on est au bout de la procédure d’asile et qu’on n’a pas obtenu le droit d’asile, parce qu’on ne relève pas de ce doit, on doit pouvoir être reconduit dans des conditions humaines, vers son pays. Ca c’est une politique…

Patrick Cohen
Orienter les hébergements pour les demandeurs d’asile oui ou non, Bernard Cazeneuve ?

Bernard Cazeneuve
Mais oui, parce qu’on ne demande pas l’asile à la Corrèze ou la Manche, ou à la Lozère, on demande l’asile…

Patrick Cohen
A la France.

Bernard Cazeneuve
A la France.

Patrick Cohen
Donc l’administration pourra désigner aux demandeurs d’asile des lieux d’hébergement qu’ils devront…

Bernard Cazeneuve
Mais il est normal, à partir du moment où nous voulons que les demandeurs d’asile soient hébergés dignement, il est tout à fait normal qu’on les dirige vers les lieux où on peut les accueillir de façon…

Patrick Cohen
Et qu’on évite les concentrations ?

Bernard Cazeneuve
Et qu’on évite des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, qui ne sont pas dignes de la France. Et c’est ce que je veux faire effectivement.

Patrick Cohen
Et les déboutés du droit d’asile seront assignés à résidence ?

Bernard Cazeneuve
Ils peuvent être assignés à résidence…

Patrick Cohen
C’est le document qu’a publié Mediapart la semaine dernière, donc vous êtes au courant !

Bernard Cazeneuve
Ils peuvent être assignés à résidence, parce qu’il faut mieux assigner à résidence les demandeurs d’asile, plutôt que de les mettre dans des conditions, qui là encore, ne sont pas toujours conformes aux meilleurs standards européens, dans des centres de rétentions.