Intervention de Bernard Cazeneuve sur France Inter le 13 octobre 2014

Intervention de Bernard Cazeneuve sur France Inter le 13 octobre 2014
Le 13 octobre 2014, Bernard Cazeneuve était l'invité de Patrick Cohen sur France Inter.

Le 13 octobre 2014, Bernard Cazeneuve était l'invité de Patrick Cohen sur France Inter.


Patrick Cohen
Bonjour Bernard Cazeneuve.

Bernard Cazeneuve
Bonjour.

Patrick Cohen
L’assurance chômage fait-elle partie des totems auxquels la gauche ne doit pas toucher ?

Bernard Cazeneuve
L’assurance chômage ça fait partie d’un sujet qu’’on doit régler en permanence par la négociation sociale, puisqu’il appartient aux partenaires sociaux, dans le dialogue entre eux, de définir les voies et les moyens du redressement de l’assurance chômage, qui est la condition, d’ailleurs, de la pérennité de ce système qui fait partie du modèle social français auquel on tient. Donc il appartient aux partenaires sociaux de discuter entre eux pour que ce système soit pérenne, qu’il se redresse lorsqu’il est en déficit et c’est le sujet.

Patrick Cohen
C’est le seul sujet, mais alors pourquoi le PS, pourquoi la perspective évoquée par Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, de se pencher sur les conditions d’indemnisation des chômeurs, fasse tant horreur au PS, comme on l’a entendu hier ?

Bernard Cazeneuve
Non, mais il y a, sur tous ces sujets-là, un amour du débat permanent, mais face au débat permanent, il y a encore une fois…

Patrick Cohen
C’est artificiel ?

Bernard Cazeneuve
Non, il y a encore une fois une réalité, et quand on est en situation de diriger un pays, ce qui est notre cas, qu’il y a des difficultés budgétaires que nous devons redresser en raison de la situation que nous avons trouvée, la seule chose qui compte c’est de regarder la réalité en face, et la réalité c’est celle des déficits que nous devons redresser, pour lesquels le gouvernement agit, et deuxièmement, cela doit se faire par les voies et les moyens prévus par les textes, et les modalités de négociations sociales, voilà.

Patrick Cohen
Bon, très bien. Vous avez lu la presse ce matin, Bernard Cazeneuve, titre du « Figaro » : « La France passoire », à la frontière franco-italienne de Menton la police débordée par l’afflux de clandestins. 100.000 étrangers en situation irrégulière ont réussi à passer en France depuis le début de l’année, 10.000 par mois. Confirmez-vous ces chiffres ?

Bernard Cazeneuve
Non, ces chiffres ne sont pas bons, et d’ailleurs derrière le titre de l’article, qui est très outrancier, il y a un contenu de l’article qui est plus nuancé. Quelle est la situation. Il y a, pour des raisons qui tiennent au fait que des populations sont persécutées dans la bande sahélo-saharienne, dans des pays comme la Syrie et l’Irak, il y a un flux de migrants, qui sont des migrants qui relèvent, pour une grande partie d’entre eux, du droit d’asile, qui se réfugient partout où ils peuvent être protégés. Nous avons pris, d’ailleurs, avec Laurent Fabius, des dispositions particulières pour accueillir les minorités qui sont persécutées par Daech en Irak. Ce n’est donc pas l’amour de Schengen qui précipite les populations vers l’Union européenne, c’est simplement les persécutions dont elles sont victimes. Au moment des Printemps arabes, en 2011, il y avait à peu près 110.000 migrants qui étaient arrivés sur le territoire européen, là nous serons, à la fin de l’année, entre 140 et 170.000. Il y a une augmentation…

Patrick Cohen
Mais ces populations parviennent à traverser l’Italie…

Bernard Cazeneuve
Oui.

Patrick Cohen
Arriver jusqu’à la frontière française.

Bernard Cazeneuve
Et c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que nous prenions des initiatives européennes qui soient destinées à traiter le problème à la source. Je vous rappelle qu’au mois d’août je me suis rendu dans la plupart des capitales européennes avec une proposition française, cette proposition française était simple : mettons fin à « Mare nostrum », qui est une opération de sauvetages en mer, mais au terme de laquelle il y a plus de sauvetages, mais plus de morts, parce que cette opération incitait les acteurs de l’immigration irrégulière à mettre, dans des conditions de plus en plus précaires, un nombre de plus en plus important de migrants sur des embarcations de plus en plus frêles, et de moins en moins sûres, donc stopper « Mare nostrum » et substituer une opération de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne, deux, faire en sorte que les principes de Dublin, c'est-à-dire l’enregistrement des migrants, puisse se faire en Italie pour qu’on puisse procéder à la reconduite de ces migrants vers le pays où ils ont été enregistrés, comme le veulent les règles de Dublin, et puis faire en sorte aussi que nous ayons une meilleure coordination européenne. Donc aujourd’hui, à l’occasion…

Patrick Cohen
On en est où aujourd’hui ? Est-ce que les autorités italiennes font le travail ?

Bernard Cazeneuve
Mais, les propositions qui ont été les miennes, qui ont été validées par tous mes collègues ministres de l’Intérieur de l’Union européenne, se sont transformées en conclusion du Conseil européen il y a de cela 3 jours à Luxembourg. Donc, non seulement, nous avons agi, nous avons été rejoints par la plupart des pays de l’Union européenne, et troisièmement, ces propositions françaises sont désormais les propositions de l’Union européenne.

Patrick Cohen
Mais ça ce sont des paroles officielles sur le terrain…

Bernard Cazeneuve
Non, ce ne sont pas des paroles officielles, c’est la seule manière d’être efficace, parce que si l’on veut…

Patrick Cohen
Ce rapport du fonctionnaire de la PAF, toujours dans « Le Figaro » : « chiffres officiels truqués, policiers débordés, en sous-effectifs, qui raccompagnent les migrants vers l’Italie, à pied, avec des autorités italiennes qui ne répondent même pas. »

Bernard Cazeneuve
Trois éléments. Si l’on veut aujourd’hui régler ce problème, il faut le régler à la source, c’est l’objet des propositions que j’ai faites, premièrement. Deuxièmement, les statistiques truquées c’était avant, nous avons fait la transparence sur les statistiques de l’immigration et nous avons renforcé les moyens de la police à la frontière franco-italienne, avec deux compagnies de CRS supplémentaires…

Patrick Cohen
Les policiers disent que ce n’est pas assez.

Bernard Cazeneuve
Oui, bien entendu, mais on peut renforcer ces moyens, et par ailleurs nous sommes aussi en train de traiter le problème à l’aval, c'est-à-dire à Calais, où j’ai mis en place un ensemble de mesures qui n’avaient pas été prises jusqu’à présent, un, renforcer les moyens de l’Office pour le droit d’asile, l’OFPRA, de manière à ce que ceux qui relèvent de l’asile le demandent et qu’on les sorte des mains des passeurs. Deux, augmenter le nombre de reconduite de ceux qui relèvent de l’immigration irrégulière, on a augmenté de 30 % le nombre de reconduites à la frontière. Trois, créer les conditions d’un accueil humain, à Calais, de ceux qui s’y trouvent, pour éviter des problèmes sanitaires ou des problèmes de faim ou de soif…

Patrick Cohen
Ils sont plus de 2000.

Bernard Cazeneuve
Oui, donc nous allons mettre en place ce dispositif qui n’existait pas. Et enfin, j’ai conclu un accord avec les Britanniques, parce que les accords du Touquet n’étaient pas appliqués dans de bonnes conditions. Cet accord c’est quoi ? c’est une participation financière des Britanniques à la sécurisation du port de Calais, c’est la mise en place d’un dispositif permanent, britannique, à Calais, pour nous aider à accompagner les migrants vers l’asile et faire en sorte qu’ils soient informés de ce que sont les règles et de l’impossibilité dans laquelle ils se trouveront de passer vers la Grande-Bretagne, et travail en commun des Français et des Britanniques, pour démanteler les filières de l’immigration irrégulière. J’ajoute, ce n’est pas dans l’article du « Figaro », que le démantèlement des filières de l’immigration irrégulière, depuis le début de l’année 2014, a augmenté de 30 %. Nous avons, en quelques mois, démantelé plus de 200 filières, organisées, internationales, de l’immigration irrégulière. Voilà ce que nous faisons, et jamais nous n’avons autant agi sur ce sujet, de manière à faire en sorte qu’il y ait à la fois de l’humanité et de la maîtrise.

Patrick Cohen
Les demandes d’asile sont en forte hausse ?

Bernard Cazeneuve
Non, les demandes d’asile sont en baisse pour l’instant.

Patrick Cohen
Elles sont en baisse ?

Bernard Cazeneuve
Oui, elles sont en baisse en France depuis le début de l’année, de -4 %, je pense que le fait que le Conseil d’Etat ait décidé d’inscrire le Kosovo, de nouveau dans les pays à risque, peut conduire à une augmentation du nombre de demandeurs d’asile d’ici à la fin de l’année, mais le nombre de demandeurs d’asile en France n’a pas augmenté, et moi je souhaiterai d’ailleurs qu’il augmente, parce que je souhaite que tous ceux qui arrivent en France parce qu’ils sont persécutés dans leur pays, en raison des agissements de ces groupes terroristes, puissent être accueillis dans de bonnes conditions, et c’est la raison pour laquelle nous mettons des moyens à Calais, en renforçant les effectifs de l’OFPRA et de l’OFII, pour que ceux qui relèvent de l’asile en France puissent être accueillis en France dans des conditions qui soient dignes, et c’est aussi l’objet du projet de loi sur l’asile, qui sera en discussion à partir du mois prochain au Parlement, peut atteindre cet objectif, et tous ceux qui relèvent de l’immigration irrégulière, qui sont arrivés en France par le truchement de ces filières clandestines, doivent être, bien entendu, reconduits à la frontière, augmentation de 30 % de ceux qui sont reconduits à la frontière.

Patrick Cohen
Votre projet de loi de lutte contre le terrorisme arrive mercredi au Sénat, est-ce que la menace est telle, Bernard Cazeneuve, est-ce que la menace est si grande, qu’elle justifie une loi d’exception, comme ce projet, et un recul des libertés individuelles ?

Bernard Cazeneuve
Mais, est-ce que pouvez, Patrick Cohen, m’indiquer en quoi c’est une loi d’exception et quelles sont les libertés individuelles qui reculent, ça m’intéresserait de le savoir ?

Patrick Cohen
Délit de terrorisme individuel, dont l’idée avait été repoussée par votre propre majorité il y a quelques années, possibilité d’interdire à un Français de quitter le territoire avant même d’être entendu par un avocat, blocage des sites Internet qui feraient l’apologie du terrorisme.

Bernard Cazeneuve
Non, non, attendez, cette loi n’est en aucun cas une loi d’exception, je vais vous dire pourquoi, et toutes les mesures que vous évoquez là ne sont pas des mesures qui font reculer les libertés, ce sont des mesures qui assurent la protection des Français face à un risque réel. Et je vais reprendre tous les exemples que vous venez de donner.

Patrick Cohen
D’où ma question, est-ce que la menace est si grande ?

Bernard Cazeneuve
D’abord, pour ce qui concerne l’entreprise individuelle terroriste, il s’agit de quoi. D’abord nous n’avons jamais eu à refuser cette proposition, puisqu’elle n’a jamais été inscrite dans la loi, elle n’a jamais été inscrite dans la loi parce que jusqu’à présent on considérait que l’association de malfaiteurs, en lien avec une entreprise terroriste, était une incrimination pénale suffisamment large pour pouvoir couvrir toutes les situations. Ce n’est pas le cas, parce qu’il y a des individus qui, seuls, peuvent se radicaliser et se trouver à l’origine de crimes. C’est la raison pour laquelle, après un dialogue extrêmement étroit avec les juges antiterroristes qui avaient eux-mêmes exprimé la nécessité de cette incrimination pénale pour pouvoir couvrir la totalité des situations auxquelles ils étaient confrontés, nous avons décidé de mettre en place cette incrimination. Cette incrimination elle n’est, en aucun cas, attentatoire aux libertés, puisqu’il faut cumuler plusieurs actes pour pouvoir relever de cette incrimination pénale, non seulement consulter des sites Internet qui appellent au terrorisme, ou provoquent au terrorisme, mais aussi être détenteur d’armes, avoir fabriqué… bon ! Et c’est l’effet cumulatif de ces actes qui peut éventuellement justifier de l’incrimination pénale. Je le dis, parce qu’il arrive qu’on écrive des choses aléatoires sur ces sujets. Deuxièmement, pour ce qui concerne l’interdiction administrative de sortie du territoire, elle n’intervient que dès lors qu’il y a suffisamment d’éléments qui viennent en appui d’une intention de s’engager dans une entreprise terroriste, ça se fait sous le contrôle…

Patrick Cohen
Il s’agit de prouver, avant le départ, qu’une personne sera dangereuse au retour.

Bernard Cazeneuve
Non. Lorsque nous avons suffisamment d’éléments, qui témoignent qu’une personne a pris des contacts, notamment avec des groupes terroristes, pour s’engager dans des opérations qui auront un caractère terroriste, commettre des crimes, à l’occasion desquels d’ailleurs cette personne pourra trouver la mort, et comme ceux qui partent et qui reviennent n’ont fréquenté que les décapitations, les crucifixions, les exécutions en nombre, ces personnes reviennent avec toutes les digues qui sont tombées, sans aucun autre repère, ni aucune autre boussole que la violence absolue. Donc, nous proposons, dès lors qu’il y a suffisamment d’éléments, d’interdire administrativement la sortie du territoire, mais sous le contrôle du juge, avec la possibilité d’une procédure contradictoire pour laquelle l’avocat de la personne aura la possibilité d’avoir accès à la totalité des éléments qui ont présidé à cette interdiction. Et nous le faisons sous le contrôle du juge administratif, dont je vous rappelle qu’il est le juge des libertés, tous ceux qui savent ce qu’est le droit, et qui connaissent le droit administratif, savent que de l’arrêt Benjamin à l’arrêt Canal, le juge administratif a toujours protégé les libertés individuelles, donc il faut rappeler ces choses-là, et il en est de même pour le blocage des sites. Le blocage des sites intervient lorsque des sites diffusent des vidéos de décapitations, appellent au terrorisme, appellent au crime, et là aussi le blocage des sites se fait sous le contrôle du juge. J’ajoute que nous avons eu – je conclue par ça – une très belle réunion à Luxembourg avec tous les opérateurs Internet, auxquels j’ai présenté le dispositif français, qui m’ont dit « on comprend parfaitement les intentions du législateur français, ce que vous proposez de faire, nous le proposons nous-mêmes, le fait que vous nous signaliez qu’il peut y avoir des problèmes nous aidera à mieux faire », et par conséquent, les opérateurs Internet, qui sont attachés à la liberté sur Internet, ont parfaitement compris la volonté que nous avons de protéger les Français en prenant des précautions.

Patrick Cohen
On y reviendra dans quelques minutes avec les auditeurs et internautes de France Inter.


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