Intervention de Bernard Cazeneuve sur France Info ce mercredi 9 juillet 2014

9 juillet 2014

JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
La menace terroriste a-t-elle franchi un cap en France ?
BERNARD CAZENEUVE
Nous sommes face à une menace d’une autre nature pour trois raisons. D’abord parce qu’il y a l’utilisation des moyens d’Internet qui conduit à la diffusion d’une propagande pernicieuse, qui touche les jeunes générations au sein de l’Union européenne. Parce qu’il y a également des jeunes qui s’engagent sur le terrain des opérations djihadistes et reviennent ensuite dans les pays de l’Union européenne représentant pour eux une menace.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On parle de huit cents personnes à peu près.
BERNARD CAZENEUVE
C’est à peu près de cet ordre. Mais aussi parce qu’il y a les événements que l’on sait en Irak et en Syrie, avec des groupes terroristes qui essayent désormais de s’emparer d’Etats avec tous les moyens qui s’y attachent. Nous sommes donc face à une menace d’un autre type. Ce n’est pas le terrorisme que nous avons connu dans les années 90, c’est une menace sérieuse face à laquelle il nous faut nous préparer à nous protéger et nous armer.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ma question est pourquoi un projet de loi aujourd'hui ? Est-ce que la France est une cible privilégiée en ce moment ?
BERNARD CAZENEUVE
Tous ces jeunes qui partent, qui ont fréquenté la violence, une violence absolument épouvantable avec des tortures, des décapitations, des crucifixions, des meurtres en nombre et qui reviennent après avoir été détruits par cette fréquentation de la violence barbare, représentent un risque pour notre pays. Ils sont préparés à commettre des actes d’une extrême violence partout en Europe et notamment dans notre pays lors qu’ils sont ressortissants français. Il faut donc nous protéger.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bernard CAZENEUVE, ils sont musulmans à vos yeux ?
BERNARD CAZENEUVE
Cette histoire n’a rien à voir avec l’islam. J’ai regardé de très près les profils de ceux qui partent faire le djihad. Ils partent parce qu’ils ont rencontré la violence. Ils ont d’ailleurs pour beaucoup d’entre eux rencontré la violence dès leur adolescence, dès le plus jeune âge, dans des opérations de petite délinquance, puis en prison ils ont été radicalisés, mais ils ne savent rien de la religion musulmane. Ils ne savent pas que ce qu’on leur dit n’est rien d’autre qu’un dévoiement d’une religion qui est une religion de paix et d’apaisement, ce que j’ai eu l’occasion de dire à l’occasion de l’iftar à la Mosquée de Paris avant-hier. Il ne faut donc pas confondre ce dévoiement d’un discours par des terroristes et l’islam de France qui est une religion de paix.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bernard CAZENEUVE, la mesure-phare que vous présentez ce matin en conseil des ministres est l’interdiction administrative de sortie du territoire pour les majeurs qui veulent aller combattre en Syrie et ailleurs. Dites-moi, ça ne marche que s’ils prennent l’avion, parce qu’ils sortent par la Belgique ou ailleurs ; c’est l’espace Schengen. .
BERNARD CAZENEUVE
Vous avez raison de poser le problème en ces termes. De quoi s’agit-il d’abord à travers cette interdiction de sortie du territoire pour les majeurs, qui implique une disposition législative ? Lorsqu’il existe un faisceau d’éléments qui témoignent de la volonté de quelqu'un de partir faire le djihad en Syrie ou ailleurs...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il faut du renseignement sur des individus précis.
BERNARD CAZENEUVE
Bien entendu. Ce n’est pas quelque chose de discrétionnaire et d’arbitraire. Il faut qu’il y ait un faisceau d’éléments qui montrent qu’une personne est décidée et déterminée à aller se rendre sur le théâtre des opérations djihadistes. Dans ce cas-là, il y a cette interdiction de sortie du territoire qui est une mesure administrative qui est prise temporairement et qui permet d’ailleurs aux juges judiciaires, dès lors qu’il y a un faisceau d’éléments d’enclencher des procédures qui permettent de judiciariser l’affaire. Dans l’attente, on prend cette mesure ; la personne est immédiatement inscrite au système d’information Schengen, au fichier Schengen avec une mention particulière, et au fichier des personnes recherchées. Ça veut dire qu’en tous points du territoire européen, même si elle a franchi la frontière française, ça veut dire que nous mettons en place un dispositif qui permet d’éviter ce qui s’est passé jusqu’à présent lorsque des gens franchissaient la frontière française et prenaient l’avion ailleurs. Nous voulons compléter ça par un système qui s’appelle le PNR, un système d’enregistrement des passagers qui existe déjà aux Etats-Unis et qui va exister en France. Nous voulons le connecter au plan européen pour que nous ayons un dispositif le plus efficace possible dans les aéroports.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous créez également un nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle, c'est-à-dire que vous vous attaquez à ce qu’on a appelé dans la presse, dans les médias « les loups solitaires ». Ça manquait à l’arsenal, c’est ça l’histoire.
BERNARD CAZENEUVE
Pourquoi est-ce que nous faisons cela ? L’histoire est, si vous voulez, la suivante. Vous avez beaucoup de ceux qui partent dans ces opérations djihadistes, convaincus d’actes terroristes, qui l’ont fait en lien avec d’autres acteurs qui sont les groupes organisés du terrorisme que l’on connaît bien, qu’il s’agisse de l’Etat islamique en Irak et au Levant, Al-Qaïda, Jabhat al-Nosra et autres groupes. Mais il peut arriver aussi que dans un enfermement avec la violence sur Internet, certaines personnes individuellement aient envisagé de fomenter des attentats ou de s’engager dans des actions terroristes. L’incrimination d’association de malfaiteurs en lien avec une
entreprise terroriste face à de tels profils pouvait ne pas suffire. Nous avons donc voulu compléter l’arsenal des incriminations pénales de manière à permettre aux juges, et je l’ai fait après avoir auditionné un certain nombre d’acteurs qui connaissent ces sujets, de pouvoir intervenir dans des conditions efficaces.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Pardon Bernard CAZENEUVE, mais la sécurité intérieure, qui est donc chargée de décider qui est un terroriste en puissance, n’a pas eu les moyens d’empêcher les Mohammed MERAH ou Medhi NEMMOUCHE d’accomplir leurs crimes.
BERNARD CAZENEUVE
Pour ce qui concerne Medhi NEMMOUCHE, je vous interpelle sur ce sujet-là parce qu’il faut faire attention à ce que l’on dit sur ces sujets, y compris lorsque l’on est journaliste et pas seulement quand on est ministre, mais y compris lorsque l’on est journaliste. Que s’est-il passé pour Medhi NEMMOUCHE ?
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On parle de celui qui est allé accomplir ses crimes à Bruxelles.
BERNARD CAZENEUVE
Bien entendu qu’on parle de cela, mais je voudrais rétablir les choses précisément parce que sur ces sujets-là, il faut dire des choses précises. Lorsque Medhi NEMMOUCHE est sorti de prison et que nous avons eu des informations selon lesquelles il était parti dans des groupes terroristes en Syrie, il a été immédiatement signalé au système d’information Schengen. Il y a une fiche le concernant et dès lors qu’il a remis les pieds sur le territoire national, nous avons procédé à son arrestation. J’ai entendu dire « par hasard » : non, pas par hasard. Nous avons décidé de mettre en place avec toutes les forces qui sont à notre disposition–la police, la gendarmerie, la douane – des contrôles aléatoires pour permettre précisément de faire en sorte que ces individus puissent être à un moment ou à un autre neutralisés. Il l’a été quelques quarts d’heure après son arrivée en France, donc on ne peut pas dire que les services français et la sécurité en France n’aient pas fonctionné.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et vous allez empêcher ou tenter d’empêcher la propagande sur le net, qui est le principal vecteur du recrutement dans les filières. Est-ce que c’est possible, ça ?
BERNARD CAZENEUVE
Nous avons là un phénomène très nouveau. Il faut bien mesurer ce qui se passe sur Internet. Nous avons des groupes qui s’organisent à travers la diffusion de vidéos, de photos, et l’utilisation des réseaux sociaux que ces groupes d’ailleurs pénètrent pour recruter. Le recrutement se fait essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, par Internet. Il faut que les fournisseurs d’accès, que les grands opérateurs soient sensibilisés à cette question. Qu’est-ce que nous avons décidé de faire ? Moi, je souhaite que nous bloquions ces sites dont nous savons qu’ils sont des véhicules d’incitation à la haine, à la propagande antisémite, à l’incitation au terrorisme, et il faut le faire aux plans européen et international. C’est la raison pour laquelle le coordonateur en charge de ces questions au sein de l’Union européenne, Gilles de KERCHOVE, et la commissaire Cecilia MALMSTRÖM, ont rencontré les opérateurs. Tous les ministres de l’Intérieur vont les rencontrer à l’automne et nous allons essayer d’engager une action avec les Etats-Unis de sensibilisation des opérateurs parce qu’Internet est un grand espace de liberté et ce n’est pas parce que c’est un grand espace de liberté que c’est un espace qui peut servir à engager des actions terroristes, à inciter à la haine et à appeler au meurtre. La liberté et la responsabilité, ce sont deux notions qui s’articulent l’une à l’autre.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Rapidement, ces mesures seront effectives dans la foulée ?
BERNARD CAZENEUVE
Je vais au Parlement dès les prochains jours pour présenter ce dispositif et mon objectif est qu’il soit voté avant la fin de l’année.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il nous reste très peu de temps. La réforme territoriale arrive à l’Assemblée nationale. On ne comprend presque plus rien à cette carte géographique.
BERNARD CAZENEUVE
Qu’est-ce que vous ne comprenez pas à cette carte, dites-moi.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On redécoupe à l’infini. Est-ce que des départements ne peuvent pas rejoindre certaines régions ? Ce serait plus simple, non ?
BERNARD CAZENEUVE
Nous avons présenté une carte, le Sénat n’a pas voulu se saisir de cette réforme alors qu’il est historiquement et constitutionnellement la chambre des territoires et des collectivités territoriales. Je l’ai regretté au Sénat mais en même temps, au Sénat j’ai fait montre de pédagogie et de patience parce qu’il faut convaincre. Nous arrivons à l’Assemblée nationale où je suis convaincue qu’il y a une majorité pour voter cette réforme. C’est quoi cette réforme ? Ce sont des régions puissantes qui mutualisent leur fonctionnement pour pouvoir investir dans l’avenir, ce sont des intercommunalités plus fortes, c’est une administration déconcentrée de l’Etat qui affirme la présence des services publics sur le territoire, ce sont des compétences clarifiées. En réalité, cette réforme c’est la France des territoires qui se modernise pour réussir le redressement économique.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
La carte peut changer, c’est ça en fait. Elle a changé.
BERNARD CAZENEUVE
Nous sommes au Parlement. Il a une capacité d’amendement, et je souhaite donc que les parlementaires utilisent les pouvoirs qui sont les leurs non pas pour empêcher une réforme urgente dont le pays a besoin mais pour permettre qu’elle réussisse.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur, d’avoir été ce matin l’invité de France Info.
BERNARD CAZENEUVE
C’est moi qui vous remercie.