Jeudi 13 novembre 2014 à 8h20, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, était l'invité de Patrick Cohen sur France Inter
Patrick COHEN
Au 01.45.24.7000 et sur les réseaux sociaux que vous scrutez depuis 20 minutes, Hélène ROUSSEL.
Hélène ROUSSEL
Oui, on va commencer par ce tweet de Candice MARSHALL : enquête ou pas, opacité ou non, Bernard CAZENEUVE n’a encore jamais condamné la bavure qui a conduit au décès de Rémi FRAISSE, pourquoi ?
Bernard CAZENEUVE
Tout simplement parce que nous sommes dans un Etat de droit, et que lorsqu’il y a un fait aussi grave que celui qui s’est produit, ce qui compte ce sont les résultats de l’enquête. Et moi je souhaite que sur tous les sujets les plus sensibles, et les plus importants, on laisse les enquêtes judiciaires faire leur œuvre. On n’est pas dans une société d’émotions, on n’est pas dans une société d’impulsions et d’instincts, la vérité elle se cherche méthodiquement, des juges travaillent à l’établir, et je souhaite qu’on leur laisse faire leur travail. Et si au terme du travail des juges, il est établi qu’il y a eu des fautes, des responsabilités, des conditions d’engagements de la force disproportionnées, des règles de droit qui n’ont pas été respectées, des sanctions seront prises, mais moi je ne suis pas un amateur de la justice expéditive. Je crois à la justice de mon pays, je crois au droit, et je pense que les magistrats ont le droit d’avoir le temps de faire leurs enquêtes. Et je ne suis pas là, moi, pour condamner, a priori, des hommes et des femmes qui ont été soumis à beaucoup de pression et beaucoup de violence pendant des semaines, il y a eu de nombreux gendarmes blessés à Sivens, dont on ne parle jamais, parce qu’il y avait énormément de violence. Je ne suis pas là pour les condamner alors qu’ils ont fait leur travail, avant que la justice n’ait fait le sien. Ça s’appelle de la sagesse, ça s’appelle la volonté de justice, et ça s’appelle la raison face aux emballements, aux passions, aux emportements, aux émotions qui font fi de la vérité. La vérité c’est la justice qui doit l’établir, et c’est la raison pour laquelle je me suis tu pour qu’elle fasse son travail, c’est la raison pour laquelle j’ai demandé qu’elle ait tous les éléments pour le faire, et c’est la raison pour laquelle au terme de ces investigations et des enquêtes administratives que j’ai demandées, car j’ai demandé deux enquêtes administratives, une enquête sur l’utilisation des grenades au maintien de l’ordre, et une enquête sur les conditions du maintien de l’ordre à Sivens, lorsque ces éléments auront établi les faits, des sanctions seront prises si elles sont justifiées.
Patrick COHEN
Vous ne saviez pas, Bernard CAZENEUVE, les causes précises, dites-vous, de la mort de Rémi FRAISSE, mais vous saviez, au moins, qu’un manifestant avait été tué lors d’affrontements, lors d’un épisode d’affrontements avec les forces de l’ordre, pourquoi ne pas l’avoir annoncé, pourquoi ne pas avoir communiqué sur ce fait, qui était pourtant apparemment connu de tous et dans toute la chaîne d’information et de commandement ?
Bernard CAZENEUVE
Mais enfin, Patrick COHEN, c’est vraiment, pardonnez-moi de vous le dire, totalement délirant tout ça.
Patrick COHEN
Mais non ce n’est pas délirant.
Bernard CAZENEUVE
Mais si, parce que j’ai donné une instruction au préfet de communiquer, précisément parce que je ne voulais pas qu’on reproche à l’Etat d’avoir caché…
Patrick COHEN
« Un corps a été retrouvé » dit le préfet du Tarn.
Bernard CAZENEUVE
Monsieur COHEN, moi, lorsque j’apprends cet événement, je ne souhaite qu’une chose, c’est que la justice, qui est déjà saisie de cette affaire, communique, elle ne le fait pas. Je ne souhaite pas que l’on puisse reprocher au ministère de l’Intérieur d’avoir caché la mort d’un jeune homme à l’occasion d’une opération de maintien de l’ordre. Je ne suis pas sur place, je n’ai pas l’ensemble des éléments et les informations qui me reviennent sont celles que je vous ai indiquées à l’antenne à l’instant, et par conséquent je demande au préfet, qui est sur place, qui est en contact avec la gendarmerie, de bien vouloir lui-même communiquer cette mort pour qu’on ne puisse pas nous reprocher de l’avoir cachée, et aujourd’hui vous me posez la question de savoir pourquoi les choses ont été dissimulées alors que je donnais des instructions pour que cette mort soit rendue publique, précisément parce que j’avais conscience de la gravité des choses. Et une fois que j’ai su que cette mort avait eu lieu dans le cadre d’affrontements, sans en connaître la cause, j’ai demandé à ce que l’on ne dise rien, en dehors de ce que les juges pouvaient exprimer, de manière à ce qu’aucune pression ne s’exerce sur la justice, j’ai demandé à ce que les gendarmes disent tout à la justice pour que la vérité advienne rapidement, et je me suis engagé à ne faire aucune déclaration avant que le procureur ne s’exprime, parce que l’Etat de droit c’est cela, le reste c’est le tumulte, le vacarme, le tohubohu, la manipulation. Moi je me suis conformé aux règles de l’Etat de droit.
Patrick COHEN
Le tumulte il est aussi chez une partie de la jeunesse, depuis quelques jours, Bernard CAZENEUVE. Aujourd’hui encore des lycéens, des étudiants, veulent manifester pour dénoncer la mort de Rémi FRAISSE, or ces rassemblements, ces manifestations, sont souvent interdits, pour quelles raisons ?
Bernard CAZENEUVE
Non, il y a eu deux manifestations d’interdites samedi, une à Rennes et une à Toulouse, pour des raisons qui tenaient aux violences qui étaient intervenues en centre ville, à l’instigation de casseurs, le week-end précédent, ce sont les violences qui ont conduit aux interdictions, et non pas les interdictions qui ont induit les violences, et par conséquent, en dehors de ces deux cas-là, toutes les manifestations sont autorisées, et lorsqu’il y a des manifestations elles doivent pouvoir se tenir, et je souhaite qu’elles se tiennent. Et je veux dire à la jeunesse de France, qui s’interroge, qui se pose des questions, que le ministre de l’Intérieur, de leur pays, n’a jamais donné d’instruction pour qu’il y ait des violences policières à l’encontre des jeunes, c’est des instructions inverses qui ont été données, j’ai même pris des dispositions avant la mort de Rémi FRAISSE, pour que l’on revoit toutes les conditions d’engagement au maintien de l’ordre, des munitions dont disposent la police et la gendarmerie, à la faveur de la présentation du rapport du préfet BERGOUGNOUX que j’avais demandé, et j’ai engagé des enquêtes administratives, au terme desquelles, dans les heures qui viennent, je prendrai, sur l’emploi d’un certain nombre de munitions au maintien de l’ordre, des décisions extrêmement fortes.
Patrick COHEN
Alors il y a beaucoup de questions justement d’auditeurs sur les conditions d’utilisation de ces armes, par exemple Daniel qui nous appelle de l’Allier, bonjour.
Daniel
Bonjour messieurs, bonjour Monsieur le ministre. Oui, chaque fois que je vois des manifestations à la télévision, les forces de l’ordre agissent avec leurs boucliers, à coups de matraques, et ils lancent des grenades, enfin c’est de la violence, pourquoi n’utilisez-vous jamais des lances à eau, comme on peut le voir dans certains pays ? Je pense que des lances à eau ça repousserait quand même les manifestants et ça risque quand même d’être moins violent et de ne pas de causer la mort comme ça a été fait dernièrement. Merci.
Patrick COHEN
Merci à vous Daniel. Bernard CAZENEUVE.
Bernard CAZENEUVE
Merci pour cette question. Je vais rendre public un rapport que j’ai commandé immédiatement après le décès de Rémi FRAISSE sur les conditions du maintien de l’ordre en France, et de l’utilisation d’un certain nombre de munitions au maintien de l’ordre. Je vais rendre ce rapport public dans les heures qui viennent, et je rendrai également publiques, dans les heures qui viennent, les dispositions que je prends. Vous constaterez que dans ce rapport j’ai demandé à ce que l’on fasse des comparaisons entre les conditions du maintien de l’ordre en France et dans d’autres pays de l’Union européenne, pour que l’on voit ce qui se fait chez nous, ce qui se fait ailleurs, quels sont les dispositifs qu’on peut mobiliser en France, qu’on ne mobilise pas encore, quelles sont les conditions d’engagement au maintien de l’ordre d’un certain nombre de munitions, parce que tout cela est très encadré, par le Code pénal, par le Code de sécurité…
Thomas LEGRAND
… il y a le flash-ball aussi, 30 personnes ont perdu un œil ces 6 dernières années à cause des flash-ball, des tirs tendus.
Patrick COHEN
Remarque de Thomas LEGRAND.
Bernard CAZENEUVE
Moi je suis un ministre de l’Intérieur qui est viscéralement attaché, ce sont mes valeurs, c’est mon projet au ministère de l’Intérieur, à ce que les conditions du maintien de l’ordre se fassent dans des conditions de transparence juridique, de proportionnalité et d’évaluation des munitions utilisées, pour des raisons de principe démocratique et de protection des forces de l’ordre elles-mêmes. J’ai engagé un travail avant la mort de Rémi FRAISSE sur ce sujet, je vais rendre publiques, dans les heures qui viennent, les dispositions concernant l’utilisation d’un certain nombre de munitions qui ont été utilisées à Sivens, et je vais poursuivre ce travail, et je vais poursuivre ce travail en y associant étroitement le Parlement. Pourquoi ?
Patrick COHEN
Vous pouvez nous en dire un peu, ça veut dire que vous allez restreindre l’usage de certaines armes à disposition des forces de l’ordre ?
Bernard CAZENEUVE
Je vais rendre publiques les conditions dans lesquelles sont utilisées ces armes et les règles de droit…
Patrick COHEN
Avec des préconisations.
Bernard CAZENEUVE
Et je vais faire des propositions très concrètes, et ces propositions je les ferai dans les heures qui viennent, elles sont extrêmement précises, et elles permettront de témoigner de la volonté du ministère de l’Intérieur, qui est antérieure au décès de Rémi FRAISSE, qui va faire l’objet, compte tenu de son décès, de l’accélération d’un certain nombre de décisions, de faire en sorte que, sur ces sujets, les forces de l’ordre soient en situation d’assumer leurs responsabilités et leurs missions dans de bonnes conditions, avec un usage proportionné de la force, et concernant les munitions utilisées, je rendrai publiques, dans les heures qui viennent, des décisions extrêmement fortes.
Patrick COHEN
Vous vous sentez pleinement aux commandes de ce ministère aujourd’hui Bernard CAZENEUVE, parce qu’on dit que vous avez dû composer en grande partie avec des responsables nommés par votre prédécesseur Manuel VALLS, ce qui est le cas notamment du directeur général de la Gendarmerie.
Bernard CAZENEUVE
Mais là aussi, ce type de propos est vraiment absolument consternant, parce qu’on ne nomme pas des hauts fonctionnaires pour quelques mois, mon prédécesseur en a nommés, ils étaient excellents. Il faudrait les changer sous prétexte qu’il les a nommés, alors qu’ils sont excellents ? Non. L’Etat c’est une continuité, c’est une permanence, c’est, dans l’action, une volonté d’approfondir des politiques, et moi je ne travaille pas dans la suspicion, je suis exigeant, je demande des comptes, mais je ne suis pas dans la suspicion, et je ne suis pas dans la dénonciation avant que les faits ne soient établis, ce n’est pas mon tempérament, ce n’est pas ma conception de la République. Et j’appelle, aujourd’hui, chacun à bien mesurer que les propos dénonciateurs sans preuve, les amalgames, créent des tensions. D’ailleurs, peut-être ces propos sont-ils tenus pour créer des tensions. Moi je suis ministre…
Patrick COHEN
Pardon d’y revenir, le directeur de la Gendarmerie a parfaitement rempli son rôle dans l’affaire Rémi FRAISSE ?
Bernard CAZENEUVE
Le directeur de la Gendarmerie est un grand patron, il a fait ce qu’il devait faire en République, et il a, notamment, parfaitement appliqué mes consignes, et s’il y a…
Patrick COHEN
Mais ses troupes ont rendu compte au procureur d’Albi et pas à lui.
Bernard CAZENEUVE
Mais on est dans une procédure judiciaire, c’est tout à fait normal que les choses se passent ainsi.
Patrick COHEN
Non, il y a aussi une procédure administrative, Monsieur CAZENEUVE.
Bernard CAZENEUVE
Mais, elle est en cours, donc, les enquêtes seront rendues publiques. Si j’avais refusé d’enclencher des enquêtes administratives après les faits, ce reproche pourrait être fait, mais j’ai demandé à la gendarmerie de tout dire à la justice, et j’ai enclenché deux enquêtes administratives qui sont en cours.
Patrick COHEN
Aujourd’hui des policiers seront dans la rue, Place de la Bastille, à l’appel du syndicat Alliance, pour de meilleures conditions de travail, qu’avez-vous à leur dire ?
Bernard CAZENEUVE
Je dis au syndicat Alliance, à la radio, ce que je lui dis lorsque je suis en tête-à-tête avec lui, au cours des dernières années…
Patrick COHEN
Ça ne suffit pas à désamorcer la grogne apparemment.
Bernard CAZENEUVE
On a supprimé, entre 2007 et 2012, 13.000 emplois dans la police et dans la gendarmerie, 13.000, les crédits destinés à la modernisation des forces de police ont diminué de 17%, cette année ces crédits augmentent de 9%, et nous créons 500 emplois par an depuis le début du quinquennat. Si on veut avoir des forces de l’ordre qui soient en situation d’accomplir leurs missions, dans la conformité aux valeurs de la République, ce à quoi je tiens viscéralement, il faut aussi qu’on leur donne les moyens de travailler, ces moyens ont été constamment rabotés, qu’il s’agisse des moyens en effectifs, ou des moyens en matériel. Nous avons inversé cette tendance, et cette année c’est 500 emplois de plus, de policiers, de gendarmes, comme cela est le cas depuis le début du quinquennat, et une augmentation de près de 9% des crédits de paiement alloués aux forces de police et de gendarmerie pour leur permettre d’accomplir leurs missions.
Patrick COHEN
Merci Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur, d’être venu pour vous expliquer ce matin au micro de France Inter.