Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, à l’occasion du colloque «La Prévention de la délinquance», Paris, 13 octobre 2014.
Seul le prononcé fait foi.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Monsieur le secrétaire général,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d’ouvrir cette journée de réflexion et d’échanges et je remercie le Comité interministériel de prévention de la délinquance, ainsi que son secrétaire général le Préfet Pierre N’Gahane, pour cette invitation. Je considère en effet que les enjeux qui vous rassemblent aujourd’hui sont au cœur de mon action au ministère de l’Intérieur.
De fait, il est frappant de constater que chacun des grands chantiers de sécurité porté aujourd’hui par ce ministère comporte aujourd’hui une dimension de prévention fondamentale, qu’il s’agisse de la de la politique des zones de sécurité prioritaires, de la lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes,– j’y reviendrai - mais aussi, par exemple, de sujets qui ne relèvent pas du CIPD comme la lutte contre l’insécurité routière ou comme la prévention des risques au titre de la sécurité civile.
L’importance que nous accordons ainsi à la prévention ne doit cependant rien au hasard. Elle est à mes yeux la marque d’une conception authentiquement française et républicaine de la sécurité. Selon cette conception, l’insécurité, la délinquance, le crime, ne sont pas des fléaux sociaux comme les autres. Le gâchis social et humain qu’ils engendrent ne peut pas être intégralement réparé par les effets de la sanction pénale, si nécessaire soit-elle: ni la victime, ni la société, n’en sortent indemnes ; le délinquant lui-même, qui n’est pas toujours un criminel endurci, voit souvent son existence et celle de sa famille basculer à raison d’un acte qu’il n’aurait, certes, pas dû commettre. Et il nous faut donc tenter à tout prix d’éviter que soient commis des actes dont les conséquences sont, à certains égards, irréparables. Chacun peut, je crois, s’accorder sur ce constat.
Mais peut-on « prévenir » la délinquance ? La question n’est pas si naïve et ne date pas d’hier. Au XIXème siècle, une école d’anthropologie criminelle, celle du «criminel né », avait répondu brutalement par la négative : si le délinquant est porté de façon inéluctable par son hérédité à commettre des crimes, comme l’affirmaient alors Cesare Lombroso et ses disciples, il ne reste qu’à l’éliminer, le faire disparaître. Au cours des années passées, il m’est malheureusement arrivé de percevoir comme l’écho de ces théories aux conséquences funestes dans les déclarations publiques suscitées par certains faits divers. Face à l’horreur de certains crimes, à la souffrance de certaines victimes, il est tentant de répondre à l’émotion de l’opinion en se livrant à une surenchère sans fin dans les châtiments que l’on promet d’infliger aux coupables.
Ma conviction, celle du Gouvernement, est que cette surenchère n’est pas seulement démagogique et cruelle, mais surtout inefficace et paresseuse. Il est plus facile, bien entendu, d’alourdir indéfiniment la sévérité des peines encourues par les délinquants que de travailler à prévenir la délinquance, en amont, et de réduire la récidive, en aval. La prévention de la délinquance, en particulier, est une ambition exigeante, comme vous le savez tous, vous qui en êtes les acteurs. Mais les bénéfices que peut en retirer la société justifient amplement que l’on y consacre les moyens nécessaires. Il ne s’agit de rien de moins que de protéger et d’épargner des victimes potentielles, de faire diminuer le sentiment d’insécurité qui mine tant de nos quartiers, d’éviter à des jeunes en perdition les risques d’une vie précocement gâchée. L’enjeu est de taille et il mérite que se mobilisent et travaillent ensemble à cette fin, en confiance, les forces de sécurité, les magistrats, les élus, les associations, les travailleurs sociaux, les agents des autres administrations concernées et tour particulièrement le corps enseignant : Victor Hugo ne disait-il pas « qu’ouvrir une école, c’est fermer une prison» ?
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Le sujet qui fait l’objet de votre colloque « La prévention de la délinquance : les conditions de la réussite » est donc d’une grande importance, d’une grande complexité, et je n’aurai pas la prétention d’épuiser la question en quelques minutes. Permettez-moi toutefois de vous indiquer, à titre liminaire, quelques-unes des conditions qui me paraissent devoir présider à une politique de prévention efficace. Vous en identifierez sans doute d’autres.
1/ La première condition, c’est d’avoir une politique de prévention ciblée sur certaines formes de délinquance.
C’est pourquoi, comme vous le savez, la stratégie du Gouvernement en matière de prévention de la délinquance définit depuis 2013 trois priorités : la prévention de la délinquance des jeunes, la prévention des violences faites aux femmes et la mise en place d’un programme d’action pour la tranquillité publique.
La prévention de la délinquance des jeunes constitue une évidente priorité. Il s’agit, comme je l’ai dit, d’éviter que des vies soient gâchées, des destins brisés, souvent en raison de ce que l’on appelle précisément des « erreurs de jeunesse ». Par ailleurs, s’il est évident que les jeunes rencontrant des difficultés à l'école ou ne trouvant pas d'emploi ne tombent pas pour autant nécessairement dans la délinquance, il s'avère que les jeunes condamnés par la justice sont dans la plupart des cas en situation d'échec dans leur parcours scolaire et d’insertion professionnelle. La nouvelle stratégie de prévention de la délinquance doit donc s'adresser en priorité à ces jeunes qui se perçoivent eux-mêmes en situation d’échec. Elle doit également traiter de la prévention de la récidive chez les primo-délinquants. Je tiens donc à saluer les principales fédérations des associations de prévention spécialisée, aujourd'hui représentées, pour leur engagement.
Concernant la prévention des violences faites aux femmes, l’ampleur de la tâche à accomplir est une raison supplémentaire d’agir sans tarder, qu’il s’agisse des violences conjugales ou intrafamiliales. Les statistiques de la délinquance que j’ai présentées récemment devant la représentation nationale montrent en effet que les faits constatés sont malheureusement en augmentation. Nous devons donc continuer à renforcer le dispositif d’intervention sociale de la police et de la gendarmerie. Les forces de l’ordre, qui ont déjà signé plus d’une centaine de protocoles avec des associations d'aide aux victimes doivent poursuivre ces efforts afin d'améliorer leur prise en charge, leur accompagnement social et leur soutien psychologique.
Enfin, la tranquillité publique constitue le troisième axe de notre politique de prévention. En lien étroit avec les élus, nous allons ainsi continuer à développer les dispositifs de vidéo-protection. Mais au-delà des résultats obtenus grâce aux équipements mis en place, nous devons lutter collectivement avec les maires, contre le sentiment d'insécurité. A cet égard, je porte une attention toute particulière à la proximité que nos forces doivent cultiver à l’égard des populations qu’elles protègent, car elle constitue également un facteur fort de prévention. La commission Bergougnoux m'a proposé un certain nombre d'axes de progrès dans ce domaine et je compte approfondir cette réflexion avec les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales pour établir un plan d’actions dès 2015.
2/ Une deuxième condition de réussite réside dans notre capacité à savoir néanmoins adapter notre politique de prévention au terrain et à l’actualité.
Pour être efficace, la prévention doit en effet prendre en compte les caractéristiques locales de la délinquance. Elle ne répondra pas toujours aux mêmes enjeux et n’appellera pas exactement les mêmes réponses à la ville et à la campagne, dans les métropoles et dans les bourgs. C’est pourquoi la Loi de 2007 a créé les Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, réunis à l’initiative des maires. C’est également pourquoi Manuel Valls et moi-même avons voulu que chaque ZSP comprenne une instance, le CCOP, où des objectifs locaux ciblés puissent être précisément définis en matière de politique de prévention : selon les lieux, la délinquance juvénile, la toxicomanie, ou encore la lutte contre la récidive. Les schémas locaux de tranquillité publique doivent permettre d'identifier des lieux (abords des établissements scolaires, gares, halls d'immeubles...) et des périodes (en soirée, les vacances scolaires...) particulièrement sensibles en matière d'insécurité. Des réponses concrètes peuvent ainsi être apportées sur le plan humain et technique.
Mais la politique de prévention doit également pouvoir s’adapter à l’actualité et prendre en compte de nouvelles menaces. Je veux remercier à ce titre le secrétariat général du CIPD d’avoir su se charger très vite d’un sujet nouveau et d’une importance cruciale; celui de la radicalisation djihadiste, qui touche malheureusement de nombreux jeunes Français, souvent mineurs. Le plan que j'ai présenté au Conseil des ministres le 23 avril dernier comportait en effet un volet préventif : signalement des cas de radicalisation par les familles ou les proches ; prise en charge centralisée au niveau des préfectures ; mesures d’accompagnement individualisées des jeunes concernés ; campagnes d’information. La presse s’est faite l’écho des drames humains qui frappent de nombreuses familles, du fait des tentatives organisées de recrutement sur Internet auxquelles se livrent les groupes terroristes. Je n’ai pas besoin de préciser par ailleurs la menace potentielle que ce phénomène représente pour notre sécurité collective. Il était donc essentiel de mettre en place sans délai des instruments de prévention et je tiens à féliciter le CIPD pour sa réactivité.
3/ Une troisième condition porte sur notre capacité à nous mobiliser collectivement.
J’ai dit que le Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, présidé par le maire, incarnait et assumait cet effort collectif. Un renforcement de l'implication de l'État au niveau local me semble cependant parfois nécessaire afin de ne pas laisser certains maires isolés et démunis.
L’implication d’autres partenaires est également une priorité : ainsi les bailleurs sociaux ou les acteurs du transport public ont pris de nombreuses initiatives pour améliorer la tranquillité publique, comme j’ai pu le constater dans plusieurs ZSP. L’implication de la médiation sociale est également tout à fait essentielle.
Enfin, pour mieux prévenir la délinquance des jeunes, l'échange d'informations confidentielles apparaît comme un sujet majeur. Cette épineuse question a fait l'objet d'un cadrage national, puisque le CIPD a établi une charte déontologique type en juin dernier, qui bénéficie d’un large consensus. Ce sera l'objet de votre première table ronde.
La prévention de la délinquance est donc l’affaire de tous. Reste à savoir comment mieux articuler les interventions sur le terrain. A ce titre, je serai très attentif aux préconisations du Député Jean-Pierre Blazy, qui est en charge d'une mission d'information sur la lutte contre l'insécurité, et qui interviendra cet après-midi sur ce sujet.
4/ La mobilisation et l’optimisation des moyens constitue enfin une condition de réussite que je ne peux passer sous silence.
Le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD) est le levier financier de la stratégie nationale. En dépit du contexte budgétaire que vous connaissez, j’ai tenu à ce que son montant soit préservé pour 2015, autour de 53M€, mais son emploi devra être recentré sur les nouvelles orientations prioritaires.
Alors que la vidéo-protection correspondait à près de 60% du financement du FIPD dans le cadre du plan 2010-2012, elle sera amenée à un tiers de l'emploi de ce fonds dans le cadre de notre nouvelle stratégie. La priorité est désormais accordée à la prévention de la délinquance des jeunes et de la récidive, qui a vocation à concentrer près de la moitié du FIPD. Le financement de l'aide aux victimes et de la lutte contre les violences intrafamiliales et faites aux femmes est stabilisé à hauteur de 10 M€.
Dans la circulaire relative à l'emploi des crédits du FIPD en 2015, il sera donc demandé aux Préfets de doubler les moyens alloués aux actions de prévention de la récidive afin de passer de 4 à 8 M€. En outre, la loi du 15 août 2014 portée par ma collègue la Garde des Sceaux conditionne, dans son article 38, l'octroi du FIPD aux communes et aux intercommunalités à la mise en œuvre de travaux d'intérêt général ou d'actions de prévention de la récidive. Je demanderai aux préfets de veiller au strict respect de cette disposition.
Cependant, le FIPD ne saurait résumer l'effort financier de l'Etat en faveur de la prévention de la délinquance, qui est estimé à près de 3 milliards d'euros chaque année. Ce montant prend en compte, il est vrai, le coût des forces de police et de gendarmerie déployées sur la voie publique. Mais comment nier qu’elles tiennent également un rôle de prévention ?
Outre les moyens de l'Etat, il y a bien sûr ceux des collectivités territoriales qui sont importants : les conseils généraux qui prennent largement en charge la prévention spécialisée au titre de la protection de l'enfance, les communes et intercommunalités qui mobilisent des personnels -je pense en particulier aux coordonnateurs des CLPSD- et qui soutiennent de nombreuses actions de prévention. Je veux donc saluer l’action des élus, nombreux dans cette salle, qui font le choix, dans un contexte budgétaire difficile, d’investir dans la prévention de la délinquance parce qu’ils savent que la sécurité future de nos concitoyens est à ce prix. Qu’ils sachent qu’ils trouveront l’Etat à leur côté.
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Pour conclure, je voudrais aborder une question qui est au cœur du pacte républicain, et intimement liée aux échanges de votre journée, celle de l'amélioration des relations entre la population et les institutions, et plus particulièrement entre les jeunes et la police.
Il s’agit là d’un enjeu majeur et le Ministère de l'intérieur a déjà engagé de nombreuses actions concrètes pour y répondre : le port du numéro d'identification individuelle, les caméras piétons, le développement des délégués à la cohésion police-population dans les zones de sécurité prioritaires et celui des postes de service civique en commissariat et en brigade de gendarmerie.
Je souhaite aller au-delà [et je prévois donc de lancer, avec le Ministre de la Ville, un appel à projets national visant à faire soutenir par le FIPD des initiatives locales, des actions innovantes permettant de renforcer ou restaurer ce dialogue]. Aucune politique de prévention ne réussira sans la participation active et confiante des citoyens, qui doivent être convaincus de ses mérites. Ce sera là la dernière des « conditions » que j’énoncerai avant de vous laisser en identifier d’autres dans le cadre de vos travaux. Je vous remercie.