Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, à l'occasion du 60e anniversaire d’Adoma - Cité de la Musique, le 7 septembre 2016.
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Président du Conseil d’administration d’Adoma, cher Patrick Doutreligne,
Monsieur le Directeur général, cher Jean-Paul Clément,
Monsieur le Directeur général de la Caisse des Dépôts, cher Pierre-René Lemas,
Monsieur le Directeur général des étrangers en France, cher Pierre-Antoine Molina,
Mesdames et Messieurs les élus,
Cher Dominique Claudius-Petit,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
A mon tour, je veux vous dire mon plaisir d’être ici, aujourd’hui, parmi vous, pour célébrer le 60e anniversaire de la création d’Adoma. Je veux d’ailleurs vous remercier pour votre invitation.
60 ans. En 60 ans, on a le temps d’accomplir beaucoup de choses, d’affronter de nombreux défis. Cela représente une somme considérable d’actions et de réflexions, de combats menés et d’espoirs concrétisés. C’est un magnifique lest d’expérience, 60 ans. On a beaucoup vécu, beaucoup construit, mais il reste encore tant de choses à accomplir.
Depuis votre création, vous n’avez eu de cesse de vous battre pour plus de solidarité, plus de fraternité et plus de justice sociale, grâce à l’accompagnement des personnes immigrées et à leur intégration par le logement social en France.
En 1956, un homme conçoit l’idée à la fois généreuse et novatrice d’une Société nationale de construction de logements pour les travailleurs algériens : la Sonacotral, qui va rapidement devenir la fameuse Sonacotra, qui sera elle-même rebaptisée en 2007 du nom d’Adoma.
Cet homme, c’est Eugène CLAUDIUS-PETIT, dont je veux saluer la mémoire, aujourd’hui. Son fils Dominique est parmi nous, il évoquera tout à l’heure, mieux que je ne saurais le faire, l’ambition et l’action qui furent celles de son père.
Compagnon de la Libération, membre du Conseil national de la Résistance, Eugène CLAUDIUS-PETIT a forgé ses convictions profondes dès avant la guerre, auprès de Marc SANGNIER, le fondateur du Sillon et l’un des pères du catholicisme social en France. Voilà les deux engagements fondateurs de sa vie et de son action militante.
Comme il l’a affirmé à plusieurs reprises tout au long de sa carrière, à ses yeux, la politique est avant tout un combat pour – je le cite – « ceux qui n’ont rien de matériel ».
A cela, il faut ajouter, sous la IVe République, et notamment dans le gouvernement de Pierre MENDES FRANCE, une brillante expérience ministérielle au cours de laquelle Eugène CLAUDIUS-PETIT se spécialise dans les domaines du logement et de l’urbanisme, tout en approfondissant ses engagements en faveur de la justice sociale, luttant contre les inégalités et pour que chaque Français, y compris les plus modestes, puisse vivre dans un logement décent.
La création de la Sonacotra constitue l’un des prolongements et l’une des traductions de ce progressisme obstiné, nourri des valeurs de la Résistance et du christianisme social, à une époque – les Trente Glorieuses – où la France voit arriver sur son sol de très nombreux travailleurs immigrés venus participer en masse à la reconstruction du pays.
Très tôt, Eugène CLAUDIUS-PETIT est convaincu que cette immigration est à la fois une chance et une nécessité pour la France. Et que celle-ci se doit d’accueillir dignement les hommes qui lui font le don de leur travail, de leur talent, de leur sueur et parfois de leur sang. Trente ans plus tard, faut-il le rappeler, on estimera en effet qu’ils auront construit l’équivalent d’un logement sur deux, d’une machine sur sept, de 90% des autoroutes du pays. Sans eux, la France n’aurait tout simplement pas connu les Trente Glorieuses.
C’est la raison pour laquelle Eugène CLAUDIUS-PETIT se lança corps et âme dans cette aventure inédite : la construction et la gestion de foyers de travailleurs migrants.
Permettez-moi de rapporter une autre de ses citations, qui éclaire bien, à mes yeux, son ambition, dont vous êtes aujourd’hui les héritiers. Cette citation, il l’a prononcée en 1974 au cours du débat parlementaire sur le droit à l’avortement, mais elle vaut aussi bien pour le projet qui constitue la raison d’être de la Sonacotra, puis d’Adoma, depuis 60 ans.
« Précisément parce que je n’ai pas laissé au vestiaire mes convictions spirituelles, dit-il alors, je ne peux pas me défaire de la solidarité qui me lie à la société dans laquelle je vis. Pour obéir à mes exigences, ajoutait-il, je suis avec ceux qui souffrent le plus. »
C’est cette incroyable force de conviction, couplée à un goût des accomplissements concrets et de l’innovation sociale, qui a donné naissance à la Sonacotra et lui a insufflé, dès l’origine, toute l’énergie nécessaire pour durer et s’adapter aux problématiques successives auxquelles elle a dû faire face.
Voilà pourquoi je tenais absolument à être présent aujourd’hui, à l’occasion de votre soixantième anniversaire, qui plus est dans un contexte où nous sommes confrontés, sur notre sol, aux conséquences de la crise migratoire euro-méditerranéenne.
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Au cours de ces six dernières décennies, Adoma a su conjuguer avec efficacité deux caractéristiques qui participent de son identité : la capacité à poursuivre avec une belle constance sa mission d’intégration et d’accueil, et une véritable capacité d’adaptation pour répondre avec pertinence à l’évolution des enjeux migratoires.
Adoma, premier opérateur en matière de logement très social et d’hébergement, est aujourd’hui comme hier, un partenaire incontournable de l’Etat. Encore aujourd’hui, vous gérez la moitié des foyers de travailleurs migrants sur l’ensemble du territoire national. C’est là une tâche d’une ampleur considérable.
A cet égard, je veux saluer l’effort de modernisation que vous avez réalisé, depuis 1997, en faveur des foyers et des résidences sociales, lesquels représentent aujourd’hui une capacité de logement d’environ 100 000 personnes. Ce sont ainsi pas moins de 70 000 logements, dont 340 résidences sociales et foyers de jeunes travailleurs, ainsi que 167 foyers de travailleurs migrants, qui sont administrés avec rigueur et humanité par votre société.
La mission que vous accomplissez, offrir des logements dignes à ces personnes qui sont venues travailler chez nous, est tout simplement indispensable afin de créer les conditions de leur intégration au sein de notre société. C’est la raison pour laquelle les foyers d’origine, conçus dans les années cinquante pour des travailleurs isolés, offrant des chambres exiguës organisées en unité de vie sur un modèle proche de celui de la colocation, ont fait l’objet d’une importante réhabilitation pour les transformer en logements autonomes, mieux adaptés aux enjeux et aux habitudes d’aujourd’hui.
Au-delà du bâti, c’est également dans l’accompagnement qu’Adoma s’est fortement investi, avec le développement d’actions sociales organisées autour de trois thématiques :
Je rappelle que l’État s’engage résolument à vos côtés, via un soutien financier particulièrement significatif pour appuyer vos initiatives, vous accompagner dans vos missions, contribuer à la réhabilitation des logements. Ce soutien, nous allons bien sûr continuer à vous l’apporter. 9 projets de transformation de logements sont ainsi en cours de validation pour l’année 2016, et 22 nouveaux dossiers seront présentés pour l’année prochaine. Plus que jamais, et j’y insiste nous sommes donc à vos côtés.
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Je veux par ailleurs saluer votre engagement plus récent, mais tout aussi important – et je dirais même : de plus en plus important –, pour développer et renforcer l’accueil des demandeurs d’asile. En effet, avec environ 175 centres d’hébergement pour demandeurs d’asile implantés dans 52 départements et près de 14.800 places, Adoma est également devenu au fil du temps le premier opérateur en la matière, grâce à un maillage territorial de proximité particulièrement dense et efficace.
Vous êtes donc devenus un acteur majeur de l’accueil des demandeurs d’asile, à l’heure où l’État renforce lui-même ses capacités d’accueil, renouant pleinement avec la belle tradition républicaine de l’asile. Je vous rappelle que nous avons adopté une grande loi de réforme de notre droit d’asile, la loi du 29 juillet 2015, après des mois de débats particulièrement intenses, dont je sais que vous les avez suivis avec le plus grand intérêt.
J’ai eu maintes fois l’occasion de le dire, mais je veux le rappeler à nouveau devant vous : l’asile est une institution consubstantielle à la République, qui trouve son fondement moderne dès la Révolution française. Avant même la Convention de Genève, le préambule de la Constitution de la IVe République proclamait déjà que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».
Cette exigence-là est toujours la nôtre aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous avons fait en sorte de régler les dysfonctionnements intolérables qui grevaient notre système d’asile et qui étaient la conséquence de l’impéritie que l’on avait laissé s’installer en la matière depuis trop d’années : un examen trop long des dossiers, une trop grande complexité administrative, des inégalités inacceptables dans l’accès à un hébergement adapté, de graves déséquilibres territoriaux dans l’accueil des demandeurs d’asile.
Il fallait réformer notre système, lequel était en péril, je le répète, et nous l’avons fait. Nous nous y étions engagés, nous avons tenu nos engagements.
A cet égard, je veux remercier les équipes d’Adoma qui ont su développer un parc d’habitations conséquent et proposer des solutions adaptées, dans des délais particulièrement contraints.
Depuis lors, nous faisons face, en Europe, à une crise migratoire d’une ampleur sans précédent, la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. Je vous rappelle que, l’année dernière, plus d’un million d’entrées ont eu lieu sur le territoire de l’Union européenne. Au cours de la même période, environ 3 700 migrants ont trouvé la mort en tentant de traverser la Méditerranée. Certes, depuis l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, signé le 18 mars dernier, le nombre de migrants empruntant la voie des Balkans a nettement diminué. Mais une partie importante des flux passe par la Méditerranée centrale : par cette voie, 112 000 personnes sont arrivées sur les côtes italiennes depuis janvier 2016, ce qui représente un volume comparable à celui qui avait été observé au cours de l’année 2015.
Bien que tempérées par les décisions que nous avons prises, les répercussions de la crise se font sentir aussi sur notre sol, en des points très localisés : je pense bien sûr à Paris, à la région de Calais et de Dunkerque et à la frontière franco-italienne.
Pour augmenter les possibilités d’hébergement des migrants présents à Calais, nous avons notamment, comme je l’ai rappelé la semaine dernière, créé 161 Centres d’accueil et d’orientation (CAO), à taille humaine, répartis sur l’ensemble du territoire national. Car, j’y insiste, l’accueil des migrants doit relever de la solidarité nationale et ne saurait peser sur un seul et unique territoire. C’est la République tout entière qui s’engage, non seulement une ville ou un département.
Désormais, les CAO permettent aux migrants de Calais qui relèvent du statut de réfugié d'être accueillis dans des logements en dur, où ils sont pris en charge par des associations qualifiées qui peuvent les accompagner dans les démarches de demande d’asile. Depuis le 27 octobre dernier, 5 528 personnes ont été ainsi prises en charge. 80 % d’entre elles ont déposé une demande d'asile en France.
Comme je l’ai annoncé vendredi dernier, nous allons encore amplifier cet effort, avec la création d’ici la fin de l’année de 2 000 nouvelles places d’hébergement en CAO et de 6 000 places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). En outre, nous visons la création de 5 000 nouvelles places d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile en 2017. Je rappelle que 18 630 places en CADA ont été créées au cours de ce quinquennat, contre 2 000 seulement lors du précédent, alors que pourtant la demande d’asile avait augmenté de 73% dans la même période…
Voilà, donc, ce que nous faisons. Et si nous pouvons le faire, c’est notamment grâce aux femmes et aux hommes qui font vivre la société Adoma. Car, dans le contexte extrêmement difficile que je viens de rappeler, vous avez su répondre efficacement en prenant toute votre part dans le renforcement de nos capacités d’accueil, aussi bien en CADA qu’au titre du dispositif d’Accueil temporaire Service de l’asile (AT-SA), un effort absolument inédit pour répondre aux effets de la crise migratoire. Au total, vous gérez aujourd’hui près de 30% des places de CADA et 40% des places d’AT-SA créées depuis fin 2015.
Je veux aussi vous remercier très chaleureusement pour avoir répondu, de façon tout aussi exemplaire, à l’appel que nous avons lancé pour créer, partout en France, des places de CAO et proposer ainsi des un hébergement digne aux migrants bloqués dans l’impasse de Calais. Aujourd’hui, vous gérez 16 CAO, et vous êtes par là même un acteur décisif de cette politique inédite. Et c’est à ce titre qu’un nouvel accord-cadre a été signé entre l’État et Adoma, le 29 juin dernier, pour les trois prochaines années, en matière d’hébergement des demandeurs d’asile.
Je veux également souligner votre participation à un autre dispositif innovant, en aval de la procédure de demande d’asile : depuis plus d’un an, vous gérez de façon expérimentale un centre d’accompagnement vers le retour des personnes déboutées de la demande d’asile. Je sais que les résultats de cette expérimentation sont tout à fait positifs, aussi nous devons continuer ensemble dans cette voie.
Enfin, je ne voudrais pas finir sans rappeler la mobilisation d’Adoma en faveur de l’accueil des réfugiés réinstallés. La France a pris l’engagement d’accueillir, sur 2 ans, 10 000 réfugiés syriens depuis le Liban, la Jordanie et la Turquie. Ces personnes sont, pour beaucoup d’entre elles, très vulnérables et ont besoin d’un accompagnement particulièrement attentif, et là aussi vous répondez présent.
Afin de renforcer encore davantage notre action, un nouvel appel à projets, financé par les crédits européens du Fonds asile, migration et intégration (FAMI), vient d’être lancé, et je sais que nous pourrons à nouveau compter sur votre contribution active pour accompagner 1 000 réfugiés syriens d’ici 2018 et les orienter vers le logement autonome, l’objectif étant de leur permettre de s’intégrer pleinement dans notre société.
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La France est un vieux pays d’immigration – le plus vieux en Europe. L’immigration de masse y a commencé dès la deuxième moitié du XIXème siècle pour répondre aux besoins en main d’œuvre nés de la révolution industrielle. En 1930, la France était même, de tous les pays du monde, celui dont la population comptait la plus forte proportion d’étrangers : 515 pour 100 000 habitants, contre 492 aux États-Unis. Si bien que l’on pouvait estimer, en 1990, que sur trois générations, des enfants aux grands parents, les Français étaient proportionnellement plus nombreux que les Américains à avoir connu l’expérience de l’immigration. C’est un fait que l’on ne rappelle pas suffisamment.
Si cela a été rendu possible, si ces millions d’étrangers arrivés dans notre pays, depuis maintenant près de deux siècles, ont fini, dans leur immense majorité, par faire souche en France, c’est grâce à la République. C’est grâce à elle si, en dépit des crises et des souffrances propres à l’exil, chaque vague d’immigration successive participe aujourd’hui d’une seule et même société française. Des immigrés et des enfants d’immigrés dépeints comme inassimilables sont pourtant devenus des Français, des Français de plein droit, des Français à part entière, sans avoir jamais eu à renier leurs origines.
Depuis 150 ans, la République fait vivre et perdurer un modèle d’intégration original, qui témoigne de notre sens de l’universalité et de notre foi dans l’individu, par-delà ses origines. Telle est la conception républicaine, ouverte, de la Nation, qui permet l’intégration au sein de la communauté nationale des immigrés, c’est-à-dire des étrangers nés hors de France.
Oh, bien sûr, je n’ignore pas que le parcours des migrants a souvent été semé de nombreuses difficultés. Il est rare que l’on quitte son pays de gaîté de cœur. Il n’est pas moins rare que l’on choisisse d’émigrer sans emporter avec soi, au plus profond de son cœur, un projet de retour au pays natal. Même dans les conditions les plus paisibles, même lorsqu’il n’est pas exposé au soupçon, même lorsque le point d’arrivé n’est pas un camp de transit, ni un bidonville, l’expérience de l’immigrant est d’abord, le plus souvent, celle de la douleur de l’exil. L’histoire subjective de l’immigration, c’est aussi le déracinement, la perte des repères, la nostalgie, la lente adaptation aux usages d’un monde nouveau, le difficile apprentissage d’une langue nouvelle.
Face à ce type de situations, depuis 60 ans, Adoma, prenant la suite de la Sonacotra, répond présent et accompagne les migrants pour lesquels un tel soutien est indispensable.
Cette noble tâche, nous allons continuer à la mener ensemble. Car nous avons besoin de vous. Je vous souhaite le plus beau des anniversaires, et qu’Adoma ait devant elle au moins encore autant de belles années que celles que nous célébrons aujourd’hui. A chacun d’entre vous : merci !