Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, à l’occasion de la conférence de presse sur les chiffres de la délinquance 2015 et les perspectives 2016 - Paris, le 28 janvier 2016
- Seul le prononcé fait foi -
Mesdames et Messieurs,
Cette conférence de presse est pour moi l’occasion de rétablir une tradition : celle du commentaire des chiffres de la délinquance observée au cours de l’année écoulée.
Cette tradition avait été interrompue l’an dernier pour des raisons tenant à la nécessaire rigueur qui doit présider à cet exercice. Manuel Valls avait voulu que le ministère de l’Intérieur se dote d’un instrument de collecte et d’analyse statistique de la délinquance moderne, fiable et précis. Il nous fallait faire en sorte que les chiffres de la délinquance soient aussi incontestables que ceux de l’inflation ou des comptes publics.
Le gouvernement a donc pris ses responsabilités en mettant fin à ce qu’on a pu appeler la « politique du chiffre ». Comme l’ont démontré les missions menées par l’inspection générale de l’administration et l’INSEE, cette politique avait mené trop longtemps au dévoiement des outils de pilotage des services, à une déclassification massive des plaintes et à une instrumentalisation inopportune des statistiques de la délinquance dans le débat public.
Dans ce contexte, le ministère de l’intérieur a engagé une réforme ambitieuse dont l’objectif principal est clair : rendre compte, fidèlement, en toute transparence, de la délinquance enregistrée par les services de police et de gendarmerie, et permettre par là-même d’orienter de façon pertinente leur activité pour la rendre plus efficace.
Deux initiatives majeures ont donc été prises, sur lesquelles il ne sera plus possible de revenir, si ce n’est dans le sens d’une amélioration constante du dispositif.
La gendarmerie d’abord, la police ensuite, ont été dotés de nouveaux logiciels de rédaction des plaintes, intégrant un module statistique performant. C’est une avancée technique essentielle, qui permet de produire des données de qualité, plus précises en terme de qualification pénale, et dont l’exploitation permettra, au fil du temps, des analyses plus fouillées Sans ces outils de base, toute volonté de transparence aurait été vaine.
Mais cette première étape n’était pas suffisante. Il était nécessaire de créer en outre un véritable service statistique ministériel, confié à des professionnels de cette science exigeante. Ce service a été officiellement créé le 8 octobre 2014. Il est composé de statisticiens, dirigés par un inspecteur général de l’INSEE et a pour mission de garantir la sincérité et la fiabilité du dispositif de remontées statistiques et de production des données, conformément aux exigences de la statistique publique. Il est désormais le seul responsable des chiffres publiés, rendus publics chaque début de mois sur le site Interstats du ministère dont il a seul la maîtrise.
Après une période d’interruption inhérente à la mise en service des nouveaux outils, le service de statistique ministériel (SSMSI) a donc démarré, depuis le mois d’octobre dernier, la diffusion mensuelle des chiffres constatés le mois précédent en décrivant précisément les traitements statistiques effectués. Il est par ailleurs l’interlocuteur privilégié de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), lequel effectue des enquêtes annuelles dites « de victimation » qui rendent compte du « sentiment » de la population à l’égard des problématiques de sécurité. La confrontation de ces deux sources de données sera pour l’avenir très riche d’enseignements, non seulement pour les chercheurs mais également pour les services de police et de gendarmerie.
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C’est donc sur la base de données statistiques robustes et fiables que je peux aujourd’hui vous livrer, de façon aussi rigoureuse et objective que possible, l’analyse que m’inspire l’évolution de la délinquance enregistrée en France au cours de l’année écoulée et les conséquences que j’en tire.
A titre préalable, je veux souligner que le même souci de rigueur intellectuelle m’interdit d’évoquer, comme cela a pu être le cas par le passé, un « chiffre unique » de la délinquance pour vous annoncer que celle-ci a globalement augmenté ou diminué au cours de l’année écoulée. Ce chiffre unique, résultant de l’addition de données très disparates, allant des dégradations sur véhicules aux vols à main armée, n’avait en effet aucun sens. Ce qui a du sens, c’est d’étudier les faits de délinquance, catégorie par catégorie, et de nous employer à les faire régresser.
Selon cette approche, trois grandes évolutions me semblent mériter d’être relevées dans les chiffres de l’année 2015.
En premier lieu, la délinquance d’appropriation– vols en tous genres et cambriolages – a globalement diminué, parfois dans des proportions très importantes, l’an passé. Ainsi :
Je tiens à remercier très sincèrement les forces de sécurité pour ces bons résultats qui traduisent leur engagement et résultent d’une stratégie mise en place avec constance dans le cadre d’enquêtes souvent longues et toujours minutieuses. Ces résultats sont d’autant plus rappréciables qu’ils sont enregistrés au cours d’une année tout à fait particulière, durant laquelle le terrorisme, la crise migratoire ou encore l’organisation de la COP 21 ont concentré une part importante de l’activité des services. Pour autant, ils n’ont pas « lâché le terrain » et ont préservé le socle de leur mission, c’est-à-dire prévenir et réprimer la délinquance quotidienne. Ce point est à souligner et à mettre à leur crédit.
Car les chiffres que j’ai cités recouvrent des réalités concrètes. A titre d’exemple, le travail réalisé par l’office central de lutte contre la délinquance itinérante et la section de recherches de Versailles a permis de démanteler une bande criminelle spécialisée dans le vol et le trafic international de véhicules et de pièces détachées en Île-de-France en avril dernier. Leurs investigations ont permis de mettre à jour plusieurs filières d’écoulement de pièces détachées, dont une en Pologne, et ont abouti à l’incarcération de 7 individus.
Le travail réalisé par la sûreté départementale de l'Essonne qui a réalisé 542 interpellations en 2015 constitue un autre exemple intéressant. Elle a permis de mettre un terme à l'activité de 29 filières de trafiquants de stupéfiants. Elle a mis hors d'état de nuire 4 équipes de cambrioleurs qui avaient violé l'intimité de 148 domiciles. Enfin, 55 auteurs de vols à main armée, commis pour l'essentiel au préjudice de commerces de proximité ont été identifiés. Au final, grâce à l’action de ces policiers, ce sont 132 criminels qui auront été incarcérés pour s’être livrés à cette délinquance ordinaire qui peut toucher chacune et chacun des Français.
Je pense aussi à toutes les affaires initiées par les unités de proximité, nos brigades territoriales, nos commissariats, nos PSIG et nos BAC, qui permettent de contrarier la délinquance au quotidien et de garantir nos libertés les plus fondamentales. Je pense, par exemple, à l’interpellation, il y a quelques jours à peine, par les gendarmes de Bourgoin-Jallieu, de cinq individus qui avaient dérobé trois véhicules de grosse cylindrée dans une société de location de véhicules de la région lyonnaise et qui se préparaient visiblement à les utiliser pour commettre d'autres méfaits. Il s’agit là d’une illustration parmi de nombreuses autres de la capacité de réaction de nos policiers et de nos gendarmes.
En 2015 toujours, police et gendarmerie nationales ont résolu 14.704 affaires grâce au travail de police technique et scientifique et notamment grâce à l’exploitation aux empreintes digitales. Ce travail, essentiel à l’enquêteur, a ainsi permis à la police judiciaire d’identifier rapidement 7 des auteurs des tirs au fusil mitrailleur contre les forces de l’ordre le 9 février 2015 dans la cité de la Castellane à Marseille.
Ces résultats s’inscrivent également dans le cadre des plans mis en place à l’échelon national pour lutter contre les cambriolages et les vols à main armée, les vols de véhicules et les vols dans les exploitations agricoles. Chacun de ces plans fait l’objet d’un pilotage fin et ciblé, dans chaque département et de partenariats noués avec les acteurs locaux concernés. Le plan contre les vols à main armée et contre les cambriolages s’est notamment traduit par une politique d’occupation de l’espace public et par des partenariats avec les associations de commerçants. Il a donné, comme je l’ai dit, des résultats tout à fait positifs que nous devons encore amplifier. Car ce type de délinquance est particulièrement intolérable pour nos concitoyens, dans la mesure où elle les frappe dans leur intimité (le domicile) ou bien dans leurs activités professionnelles (les commerces, les entreprises).
De même, un plan national a été élaboré pour lutter contre les vols liés aux véhicules à moteur. Des diagnostics ont été élaborés dans chaque département pour lutter contre cette forme de délinquance, qui représente un quart des atteintes aux biens. Comme je l’ai dit, les résultats sont positifs mais, parallèlement, les vols à la roulotte – ceux qui sont commis dans les véhicules en stationnement – ont, eux, augmenté (+1,5%), signe que que nous ne devons pas relâcher notre effort.
Enfin, un plan a été adopté en 2014 pour renforcer la sécurité des exploitations agricoles, lesquelles sont exposées de façon croissante à l’action de réseaux criminels opérant à l’échelle européenne. Ce plan national a donné lieu à 79 plans départementaux et 24 conventions ont été conclues en 2015 avec les chambres d'agriculture ou les fédérations agricoles, afin de mettre en place des actions de proximité particulièrement utiles. Il convient de maintenir cette proximité avec les acteurs du monde rural afin de conforter l’excellent résultat observé cette année (- 10%).
Globalement, j’observe que les violences crapuleuses ont diminué de – 8,6 % à l’échelon national en 2015.
Par contraste avec ces succès, certaines formes de délinquance, peut-être moins visibles, mais qui constituent de véritables pathologies sociales, ont continué à augmenter en 2015 : délinquance économique, violences non crapuleuses, actes racistes et antisémites.
Ainsi, les agrégats constituant les escroqueries et les infractions économiques ont augmenté en 2015 et représentent des volumes dépassant le total des faits de vols violents ou de cambriolages.
D’autres indicateurs rendent compte d’une violence qui n’est pas crapuleuse mais qui n’en est pas moins insupportable, commise la plupart du temps dans le cadre familial : l’évolution des coups et blessures volontaires (+2,2%) et des menaces (+13%), comme celle des atteintes sexuelles, constitue ainsi un sujet de préoccupation très sérieux. Les statisticiens estiment en effet que 40% des coups et blessures volontaires sont commis au sein de la sphère familiale et touchent donc des populations particulièrement vulnérables. Leur nombre reste en outre sous-évalué, une part importante des victimes ne portant pas plainte.
A l’évidence, les réponses que nous pouvons apporter dans ce domaine ne sont pas celles qui concernent la délinquance de voie publique. Il n’est ni possible ni souhaitable de mettre un policier ou un gendarme dans chaque famille. Le ministère de l’Intérieur a donc prévu de longue date des dispositifs d’aides spécifiques pour les victimes de ces violences: les brigades des mineurs, les dispositifs de protection des familles, les intervenants sociaux dans les commissariats ou dans les unités de gendarmerie, sont autant d’outils que nous nous sommes employés à développer en 2015. J’ai souhaité que nous renforcions ces aides à travers la généralisation du dispositif « téléphone grave danger », mais aussi en demandant un traitement plus attentif des mains courantes et en prévoyant une formation renforcée pour les personnels concernés.
Dans un autre ordre d’idées, l’augmentation des actes racistes, antisémites, anti-musulmans, ainsi que celle des atteintes aux lieux de culte, constitue également un sujet de très grande vigilance. Les chiffres ont été communiqués en détail la semaine passée par le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Je vous les rappelle : en 2015 il y a eu 806 actes antisémites commis en France, un nombre en légère diminution (- 5, 3%) par rapport à une année 2014 déjà très préoccupante. Le nombre des actes anti-musulmans (429) est en très forte hausse (+ 223 %) et celui des actes racistes (797) croît également, quoique de façon plus modérée mais qui reste significative (+ 17,5 %). Le nombre des atteintes aux lieux de culte et aux cimetières a également cru de façon globale (+ 22, 8 %).
Dans la République, les violences commises contre les individus en raison de leurs origines ou de leurs croyances constituent une atteinte au pacte citoyen. C’est pourquoi en 2015 le Gouvernement a non seulement mis en place un dispositif très puissant de protection global des lieux de culte, mais lancé un plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme sans précédent, doté de 100 millions d’euros. Ses premiers résultats se font sentir, puisque la grande majorité des violences que j’ai évoquées ont été commises au cours du
premier semestre 2015.
Enfin, je souhaite appeler votre attention sur un chiffre frappant, celle du nombre des homicides qui augmenté de + 16,1 % en 2015.
En réalité, cette hausse – 149 homicides supplémentaires - correspond presque exactement au nombre des victimes des attentats terroristes qui ont été commis sur notre sol en 2015.
Mais ce constat ne saurait nous dispenser de continuer à lutter avec obstination, non seulement contre la menace terroriste, mais contre les formes les plus violentes de la criminalité. Celles-ci sont responsables d’un grand nombre des homicides constatés, notamment dans le cadre de règlements de compte.
Ce combat contre le crime organisé s’est notamment traduit par l’adoption d’un plan de lutte contre le trafic des stupéfiants. Dans la continuité de la « méthode ZSP », nous avons retenu une « approche globale » qui consiste à identifier avec précision les lieux de trafics, les trafiquants et leurs pratiques, pour ensuite passer à la phase d’interpellations et d’éradication des réseaux. Dans un troisième temps, nous maintenons sur la voie publique de forces de police en nombre afin d’éviter la réimplantation du trafic.
A Marseille, par exemple, nos efforts ont permis de saisi cette année près de 14 tonnes de cannabis, 260Kg de cocaïne et 8.3 millions d’euros d’avoirs criminels. A Saint-Ouen, au début du mois janvier, une vaste opération de police destinée à démanteler un réseau de trafic de cannabis a permis l’arrestation d’une dizaine de personnes. L'enquête a permis de mettre à jour l’existence d’un réseau structuré, qui alimentait plusieurs points de vente à Saint-Ouen où s'approvisionnaient plus de 100 clients par jour.
La répression la grande criminalité passe également par la lutte que nous menons contre le trafic d’armes.
C’est pour moi une priorité absolue.
De nombreuses affaires nous montrent en effet que l’emploi de plus en plus fréquent des armes à feu nourrit la délinquance, élève le niveau de la violence constatée, alimente les réseaux terroristes et nourrit le sentiment d’insécurité. Pour lutter plus efficacement contre ce phénomène et déstabiliser les filières qui l’organisent, nous avons adopté toute une série de mesures nouvelles, passant notamment par le renforcement des contrôles, l’adoption de mesures de traçabilité et l’adaptation de la procédure pénale, ainsi que par le renforcement de la coopération européenne. J’observe par ailleurs que les perquisitions administratives conduites dans le cadre de l’état d’urgence ont permis de saisir 402 armes, dont 40 armes de guerre.
Toujours au titre du bilan de l’année 2015, je voudrais enfin mentionner un chiffre, qui ne relève pas des statistiques de la délinquance, mais qui montre que, dans la lutte contre l’immigration irrégulière, les forces de sécurité font preuve de la même rigueur et obtiennent également des résultats.
L’an passé, le chiffre des éloignements forcés de personnes étrangères en situation irrégulière s’est établi à 15 485, contre 15 161 en 2014 et seulement 12 034 en 2010. En 2015, ce sont également 251 filières d’immigration clandestine qui ont été démantelées par les forces de sécurité, un chiffre en hausse de 60 % par rapport à 2014. Cette évolution est à rapprocher de l’augmentation parallèle du nombre des personnes auxquelles la France a accordé l’asile : 19 447 en 2015 contre 15 489 en 2014. Ce qui nous montre que la France sait se montrer, face à une crise migratoire sans précédent en Europe, à la fois plus généreuse à l’égard de ceux qui fuient les persécutions et peuvent prétendre à sa protection, et plus rigoureuse à l’égard des
migrants économiques en situation irrégulière qui doivent être reconduits dans leur pays. Il s’agit en réalité des deux facettes de la même politique républicaine.
Les résultats que je viens de rappeler, c’est d’abord à la force d’engagement des femmes et des hommes qui composent les forces de l’ordre que nous les devons. Pour exécuter les décisions que je prends, mettre en œuvre les plans que je fixe, je sais qu’il y a des policiers et des gendarmes qui, chaque jour, dans leurs services ou dans leurs brigades, travaillent d’arrache-pied pour les traduire au mieux sur le terrain et les adapter aux spécificités de chaque territoire. Je sais qu’ils patrouillent dans nos rues et veillent sur nos concitoyens, qu’ils poursuivent les délinquants et entravent les projets criminels. Je sais qu’ils s’exposent, se dévouent et s’engagent. Je veux remercier le Préfet de Police, le Directeur général de la Police nationale, le Directeur général de la Gendarmerie nationale, qui sont présents ce matin, pour l’engagement des femmes et des hommes qu’ils commandent.
Sans les policiers et les gendarmes pour les appliquer nos décisions resteraient lettres mortes. J’aimerais que chacun en ait pleinement conscience et que chacun mesure le prix que, trop souvent, ils paient en remplissant leurs missions. Chaque année, des policiers et des gendarmes tombent, victimes du devoir.
Je pense notamment au lieutenant de police Sandrine MORTAS, tué à Caen par un chauffard récidiviste voici maintenant un peu plus d’un an. Je pense aussi au major de gendarmerie Laurent PRUVOST, assassiné à Roye, dans la Somme, le 25 août dernier, alors qu’il intervenait aux côtés de ses camarades pour neutraliser un forcené qui venait de décimer une famille. Je pense enfin au brigadier Yann SAILLOUR, grièvement blessé en octobre dernier, sur l’Ile-Saint-Denis, alors qu’il cherchait, avec ses collègues de la BAC de Saint-Denis, à neutraliser deux braqueurs en fuite qui venaient de dévaliser un entrepôt de bijouterie à Saint-Ouen.
Je pense bien entendu au lieutenant Ahmed MERABET, au lieutenant Franck BRINSOLARO et au brigadier Clarissa JEAN-PHILIPPE, tombés sous les balles des terroristes les 7 et 8 janvier 2015.
Je pense au commissaire et au brigadier de la BAC qui ont manifesté un courage absolument hors du commun, le 13 novembre dernier, en pénétrant les premiers dans la salle du Bataclan où ils ont dû affronter l’horreur. Ils ont ainsi neutralisé l’un des trois terroristes, sauvant par là même de nombreuses vies.
Par-delà les services et les unités spécialisés, ce sont les mêmes policiers et les mêmes gendarmes qui luttent au quotidien contre la délinquance et contre le terrorisme, car nous savons aujourd’hui qu’il existe des porosités entre ces deux milieux. Nous savons que le terrorisme se nourrit aussi des trafics qui empoisonnent la vie de certains quartiers. Nous savons bien que les activités de grande ou de petite délinquance constituent parfois, au gré des rencontres et des séjours en prison, des étapes sur un chemin de radicalisation violente susceptible de s’achever dans le passage à l’acte terroriste.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement prend toutes les décisions qui s’imposent pour donner aux forces de l’ordre les moyens dont elles ont besoin pour accomplir au mieux leurs missions. Nous avons ainsi mis un terme à la politique du rabot conduite entre 2007 et 2012 et nous avons au contraire créé près de 500 postes par an depuis trois ans. A cette politique de fond, trois plans pluriannuels sont venus s’ajouter :
Alors que la police et la gendarmerie avaient perdu près de 13 500 emplois entre 2007 et 2012, nous en aurons donc recréé plus de 9000 durant ce quinquennat.
C’est dans le même esprit que j’ai décidé de renforcer considérablement les équipements (armes, protections, véhicules) dont disposent les policiers des BAC et les gendarmes des PISG pour qu’ils puissent mieux se protéger contre les violences dont ils peuvent faire l’objet dans l’accomplissement de leurs missions.
L’ambitieux Plan BAC/PSIG que j’ai présenté le 29 octobre à Rouen repose également sur deux autres aspects fondamentaux : une meilleure formation des personnels pour mieux sécuriser leurs interventions et l’élaboration d’une doctrine spécifique d’intervention.
Enfin, c’est également pour donner aux policiers et gendarmes les moyens nécessaires à leur action que le projet de loi que défendra dans les toutes prochaines semaines le garde des Sceaux devant le Parlement comprendra un important volet de simplification de la procédure pénale.
A cet égard, je veux rendre hommage devant vous à Christiane TAUBIRA, qui, pour des raisons qui lui appartiennent, a choisi de quitter le Gouvernement. Aux côtés du Président de la République et du Premier Ministre, nous avons traversé ensemble des épisodes extrêmement douloureux – je pense bien sûr aux attentats de janvier et de novembre 2015 –, et je dois à la vérité de témoigner de la solidité et de la détermination de Christiane TAUBIRA dans l’épreuve.
Jean-Jacques URVOAS lui succède et j’en suis heureux. Je lui adresse tous mes vœux de succès dans la difficile mission qui est la sienne. Je connais également ses très grandes qualités. Et je ne doute pas une seconde qu’ensemble, dans la complicité et la complémentarité, nous servirons les Français avec le même désir d’efficacité que celui qui nous a liés, Christiane TAUBIRA et moi, au cours de ces deux dernières années.
Après les trois projets de loi adoptés en 2012, 2014 et 2015 sur le renforcement de la lutte antiterroriste et le renseignement, nous poursuivrons l’adaptation de nos outils législatifs pour doter les forces de l’ordre de moyens juridiques nouveaux et adaptés. Ainsi, le projet de loi relatif à la procédure pénale prévoit notamment une nouvelle exonération de responsabilité pénale des forces de l’ordre, pour mieux assurer la sécurité des personnels et des citoyens qu’ils protègent, dans le cas très particulier d’usage des armes lors de périples meurtriers. Il organisera également le cadre juridique de l’emploi des caméras-piétons, qui permettront tout à la fois de protéger les personnels, en conservant la trace objective de leurs actions et de faire baisser la tension lors de situations délicates.
Toutes ces mesures visent à donner aux forces de l'ordre les moyens nécessaires pour qu'elles fassent respecter en toutes circonstances l’autorité légitime de l’Etat républicain.
Quiconque conteste le droit des Français à vivre en sécurité, quiconque met en cause l’autorité de l’Etat et viole les lois de la République, doit savoir qu’il sera poursuivi et interpellé afin d’être traduit devant la justice et puni à la mesure de la gravité des actes qu’il a commis. Telle est notre conception de la justice et de l’ordre républicains, loin des gesticulations opportunistes, des commentaires approximatifs ou des propos de tribune proférés par ceux qui abaissent la politique en l’éloignant de la vérité.
Car l’état de droit, ce n’est pas l’état d’agitation, ce n’est pas le vacarme, ni les déclarations à l’emporte-pièce, mais c'est au contraire ce qui nous permet d’agir avec efficacité face aux crises, de rétablir le calme en quelques heures sans aggraver les tensions, de conduire avec rigueur des investigations efficaces pour identifier formellement les auteurs des infractions commises. Il en a été ainsi à Roye, à Moirans, à Calais et très récemment à Grande-Synthe. Seule l’application stricte de la loi et des moyens de contrainte qu’elle confère préserve l’autorité de l’Etat aussi bien que les droits des citoyens. Il n’est pas besoin, pour défendre tous les jours l’autorité de l’Etat d’être tous les jours énervé.
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Enfin, je souhaite insister sur le fait que la lutte contre certaines formes de délinquance, comme contre le terrorisme, passe nécessairement par le renforcement de la coopération européenne et internationale.
Du reste, les services ont dorénavant acquis le réflexe de recourir aux outils de la coopération policière européenne et internationale dans leur pratique quotidienne. En 2015, 15 000 officiers de police judiciaire, policiers et gendarmes, ont ainsi pu bénéficier de l’accès direct depuis leur poste de travail aux principales bases de données INTERPOL.
C’est là une des raisons pour lesquelles je me suis réjoui des résultats de la réunion des ministres de l’Intérieur qui s’est tenue lundi dernier à Amsterdam. Je m’y étais rendu avec un agenda précis, qui sera mon agenda pour l’année 2016 en matière de coopération européenne. Au titre de la lutte contre le terrorisme, car nous y avons obtenu, au terme de mois d’efforts, une révision du code de procédure Schengen qui permettra de procéder à des contrôles approfondis de l’ensemble des ressortissants européens qui quittent le territoire de l’Union ou y reviennent. Nous avons également obtenu que le Parlement européen valide la proposition de directive sur le PNR européen, qui permettra d’établir la traçabilité de ceux qui franchissent les frontières de l’union européenne en utilisant des moyens aériens. Cette mesure nous aidera considérablement dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi contre le crime organisé. Enfin, nous y avons obtenu une révision de la directive européenne relative aux armes à feu qui reprenne nos principales demandes : l’extension du champ d’application de la directive aux armes blanches et neutralisées, l’adoption d’un système commun de marquage, ou encore l’encadrement plus rigoureux de la vente d’armes sur internet.
Mais je ne vous cache pas que beaucoup reste à faire pour mettre enfin les Européens en capacité de répondre aux périls qui les menacent. J’insiste sur ces points car les véritables enjeux sont là. Nous devons faire en sorte que nos partenaires alimentent systématiquement le système d’information Schengen en informations sur les individus présentant un risque terroriste.
Nous devons mettre en place sans tarder une « task-force » européenne pour identifier les faux documents qu’utilisent les terroristes de Daesh, en mobilisant Interpol et nos services de police spécialisés. Nous devons enfin obtenir que l’interopérabilité du SIS et des autres fichiers criminels dont disposent les Etats membres soit considérablement améliorée. Voici très concrètement les mesures qui doivent être mises en place d’ici le prochain JAI du 25 février, comme nous en sommes convenus hier à Berlin avec mon homologue Thomas de MAIZIERE, où j’ai constaté que le couple franco-allemand demeurait sur ces sujets absolument déterminé et efficace. Si nous ne sommes pas capables de parvenir à des décisions sur ces sujets, nous n’aurons pas fini d’épiloguer sur les « trous dans la raquette » du renseignement européen.
Mais n’oublions pas que ce combat engage des solidarités qui vont au-delà du périmètre européen. La lutte contre le terrorisme engage la Turquie, puissance régionale qui a été cruellement frappée à son tour par la barbarie de DAESH. Je m’y rendrai dès la semaine prochaine. La lutte contre le terrorisme engage nos alliés du Maghreb, qui combattent eux aussi contre la menace radicale, à l’image de l’Algérie où je me rendrai au mois d’avril, après y avoir accompagné le Premier Ministre dans quelques jours. La lutte contre le terrorisme engage bien évidemment les Etats-Unis où je prévois de me rendre au mois de mars pour poursuivre le travail que j’ai engagé avec les autorités de ce pays.
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Protéger les Français contre la menace terroriste, protéger les Français contre la délinquance. Cet objectif conduit le ministère de l’Intérieur à ne laisser aucun angle mort : à agir dans la proximité, au plus près des citoyens dont il doit conserver la confiance, aussi bien qu’à entraver les projets de ceux qui menacent leur sécurité en mobilisant ses partenaires européens et étrangers. Aucune politique de sécurité efficace ne peut aujourd’hui faire l’économie de ce double investissement.
Protéger les Français est une mission qui exige beaucoup de rigueur et de lucidité. Le travail statistique sans concession effectué par le SSMSI constitue le socle de cette discipline, en nous montrant où sont les faiblesses à corriger, aussi bien que les tendances vertueuses à conforter. Ensuite, il nous faut savoir analyser les raisons de nos réussites et de nos échecs. Comme vous l’aurez remarqué, dans le cours de cet exposé, j’ai tenu à rendre compte de tous les chiffres de la délinquance, les mauvais comme les bons.
Protéger les Français est une mission qui exige un fort engagement de la part de tous ceux qui participent à l’action de ce ministère. Il n’est ainsi qu’une doctrine au sein de cette maison : travailler, travailler et toujours travailler. Dans un contexte de menace terroriste très élevé, alors que nous procédons chaque jour, dans la discrétion que commande ce type d’enquête, à des interpellations, alors que des projets d’attentats sont régulièrement déjoués, la sécurité des Français nous commande de donner le meilleur de nous-mêmes, sans souci de gloriole, mais dans la conviction de servir les intérêts de notre pays.
Je vous adresse tous mes vœux pour l’année 2016.