Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur aux obsèques de Guillaume Le Dramp à Cherbourg-Octeville jeudi 26 novembre 2015
Mon Père,
Madame la Préfète,
Madame la Députée,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Président de la Communauté urbaine,
Mesdames et Messieurs les élus,
Chère Myriam Gilet,
Cher Jean-Jacques Le Dramp,
Cher David,
Chères Anaïs, Clémentine, Lucie et Julie,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Il y a deux semaines à peine, au cours d’une nuit qu’aucun de nous, jamais, n’oubliera, cent trente personnes, à Paris et à Saint-Denis, ont perdu la vie, lâchement assassinées.
Cent trente personnes qui laissent derrière elles autant de familles brisées, frappées par une douleur incommensurable.
Cent trente victimes de la barbarie aveugle qui s’est abattue sur notre pays avec une violence inouïe.
Demain, aux Invalides, c’est toute la Nation unie dans la douleur du deuil qui, par la voix du Président de la République, honorera leur mémoire.
Parmi ces cent trente victimes, se trouvait Guillaume Le Dramp, tombé sous les balles des terroristes alors qu’il était attablé à la terrasse du café « La Belle Equipe », rue de Charonne. A ses côtés, dix-huit autres personnes innocentes ont elles aussi perdu la vie.
S’il vivait et travaillait depuis quelques années déjà à Paris, Guillaume était un enfant de Cherbourg, où il était né voici trente-trois ans. Il était un fils, un frère, un ami. Il était l’un des nôtres. Il était l’un de nos enfants.
Depuis que nous avons appris la terrible nouvelle, dans l’après-midi du samedi 14 novembre, notre ville tout entière est en deuil.
Aujourd’hui, dans la nef de l’église et dehors sur le parvis, dans toutes nos rues et dans tous nos foyers, Cherbourg partage la même émotion. Nous avons tous ressenti la nécessité de nous rassembler pour rendre un dernier hommage à Guillaume et pour dire à sa famille et à ses proches notre solidarité et notre profonde compassion dans l’épreuve qu’ils traversent et que nous traversons à leurs côtés.
Bien sûr, nous avons également une pensée émue pour d’autres amis – Manchois, Normands ou tout simplement liés à la Normandie – qui sont eux aussi tombés sous les balles des terroristes le 13 novembre, et pour leurs familles.
Je pense à Matthieu Hoche, qui a grandi à Siouville-sur-Mer.
A Cédric Mauduit, qui était originaire de Rouxeville.
A Ariane Theiller, dont le père est le principal du collège de Saint-Pierre-Eglise.
Je pense aussi à Germain Ferey, originaire de Vienne-en-Bessin et qui avait fait ses études supérieures dans notre ville.
A Antoine Mary, caennais.
A Thomas Dupeyron, alençonnais.
A Christophe Lellouche, qui sera inhumé dans l’Orne, où vivent ses parents.
C’est toute notre ville, toute notre région, tout notre pays qui sont endeuillés aujourd’hui.
Il faut nous souvenir, car seul le souvenir permet de lutter contre l’absence.
Beaucoup parmi vous se souviennent et se souviendront longtemps du jeune Cherbourgeois qu’était Guillaume Le Dramp. C’est parmi nous qu’il a grandi. C’est dans nos écoles qu’il s’est formé – l’école primaire Cotis Capel à Urville-Nacqueville, le collège de Beaumont-Hague, le lycée Millet à Cherbourg – et qu’il a appris à devenir un citoyen éclairé, un jeune adulte prêt à prendre sa place dans la société.
C’est enfin à Cherbourg qu’il a forgé, au cours de son adolescence, des relations d’amitié intenses, de celles dont on dit qu’elles sont « pour la vie ». Je pense tout particulièrement aux liens qui l’attachaient à ses amis de lycée, Nicolas, Thomas et Guillaume, qui lui ont adressé une bouleversante lettre d’adieu et qu’habite aujourd’hui une « tristesse infinie ».
Oui, s’il vivait désormais à Paris, Guillaume n’en demeurait pas moins profondément attaché à Cherbourg et à sa région natale, où résidait sa famille tant aimée et qui lui rappelaient tant de souvenirs heureux.
Je pense aussi aux nombreux amis italiens que Guillaume s’était faits dans la belle ville de Parme. Eux aussi portent aujourd’hui le deuil, en souvenir du jeune étudiant qu’ils avaient accueilli à la faveur d’une année d’Erasmus et qui aimait tellement leur ville et leur pays qu’il avait finalement décidé d’y rester trois années supplémentaires pour y vivre et y travailler.
A Parme et à Paris, comme à Cherbourg, Guillaume était aimé de tous ceux qui le connaissaient. Sa famille le dira, dans quelques instants, bien mieux que je ne saurais le faire : il était un jeune homme lumineux, chaleureux et attachant, qui manquera terriblement à celles et ceux qui ont eu le privilège de le rencontrer et de le connaître.
Il était la joie de vivre incarnée, tout le monde en témoigne, mais aussi la gentillesse et la générosité.
Il partageait les mêmes espoirs et les mêmes enthousiasmes que bien des jeunes gens de sa génération. Il était passionnément attaché à sa liberté, tout en ayant le souci constant de comprendre et de respecter celle d’autrui.
Il aimait la vie, il avait le goût des voyages – ceux que l’on accomplit et ceux que l’on rêve –, le goût des contacts, des discussions, des bons moments vécus en commun. Il aimait être surpris et découvrir de nouvelles personnes, de nouvelles cultures. Il avait confiance dans le monde qui l’entourait et qu’il voulait toujours mieux connaître pour contribuer à le rendre meilleur.
Ce qu’il appréciait par-dessus tout, dans le métier de barman qu’il exerçait depuis quelques années dans différents bars et restaurants parisiens, c’était précisément la convivialité, le hasard qui permet les rencontres, les échanges imprévus qui nourrissent de nouvelles idées et enrichissent la compréhension que nous avons du monde.
Voici peu, il s’était lancé un nouveau défi en préparant le concours de professeur des écoles. Ce défi, il l’aurait sans doute brillamment relevé. Il en avait les capacités, mais il avait surtout la foi dans les vertus de la transmission du savoir. Il était profondément convaincu que l’on s’enrichit au contact d’autrui et que l’école de la République doit être ce lieu où l’altérité pacifiée permet à chacun d’apprendre et de comprendre en toute sérénité, de se construire dans le respect des autres.
La vie de Guillaume, cette vie si belle, si pleine de promesses et de projets, des criminels sans scrupules la lui ont volée, parmi bien d’autres, un triste soir de novembre, à Paris, sur les rives du canal Saint-Martin.
Nul ne devrait mourir parce qu’il partage un moment d’amitié à la terrasse d’un café. Nul ne devrait mourir parce qu’il aime tout simplement rire, plaisanter, discuter, partager.
Mais ses assassins ne parviendront pas à effacer la trace unique et infiniment précieuse qu’aura laissée Guillaume de son passage parmi vous, parmi nous.
Guillaume continuera de vivre dans le cœur de chacun d’entre nous. Tel est le réconfort que nous apportent celles et ceux dont nous avons eu l’amour et l’amitié et qui, même après nous avoir quittés, demeurent pour nous présents à jamais.
Si nous n’oublierons jamais celles et ceux d’entre nous qui, comme Guillaume, ont disparu le 13 novembre, nous devons également nous montrer fidèles à leur mémoire et au message de vie qu’ils nous ont laissé.
Nous devons également tout faire pour que les auteurs et les commanditaires des attentats soient châtiés et pour prévenir la répétition de tels drames. C’est pourquoi le Président de la République a immédiatement décidé la promulgation de l’état d’urgence et le rétablissement des contrôles aux frontières.
Aujourd’hui, ce sont 120 000 policiers, gendarmes et militaires qui sont mobilisés pour assurer la sécurité des Français, partout sur notre territoire. La France sera impitoyable dans le combat qu’elle mène pour éradiquer le terrorisme de DAESH, sur son sol comme en Syrie et en Irak.
Mais elle mènera ce combat, comme elle l’a toujours fait, dans le respect de ses valeurs d’humanisme et dans la fidélité au message que le monde, comme disait François Mitterrand, a appris à aimer d’elle.
Face aux périls, la France demeurera la France, libre, forte et généreuse, telle que les morts dont nous portons le deuil l’ont aimée et telle qu’ils auraient souhaité qu’elle demeure.
Comme après les attentats du mois janvier, de très nombreux Français ont voulu exprimer à la fois leur compassion à l’égard des victimes et leur attachement à la République. Comme en janvier, ils n’ont pas eu peur. Ils se sont recueillis en silence, ils se sont tenus les uns aux côtés des autres, submergés par l’émotion et par le sentiment de leur fraternité, comme vous l’avez fait à Cherbourg ces jours derniers. *
Notre histoire l’a montré, quand notre pays est menacé, les Français savent faire taire leurs querelles et se rassembler sur l’essentiel. Face aux périls, nous devons rester unis. C’est la condition de notre résilience, dans le combat sans relâche que nous menons contre le terrorisme.
Nous savons ici, à Cherbourg, que nous ne tomberons pas dans le piège mortifère que nous tendent les terroristes, qui s’efforcent de susciter la division au sein des démocraties Nous serons vigilants chaque fois qu’il s’agira de préserver la cohésion de notre société, en nous rassemblant autour des valeurs qui nous sont communes.
Quelles que soient nos convictions et quelles que soient nos origines, nous formons un seul et unique peuple. Un grand peuple, uni et solidaire dans l’adversité, capable de se dresser d’un même élan pour défendre les valeurs qui le définissent. Un peuple qui a en lui d’infinies ressources de courage et de patriotisme. Comme le disait autrefois si bien André Malraux, en évoquant ce que fut l’âme de la Résistance française : « Nous savons aujourd’hui que chez beaucoup d’entre nous, femmes ou hommes, la patrie repose comme une eau dormante. »
Par fidélité et par devoir, par respect pour Guillaume et pour toutes celles et ceux qui sont tombés sous les balles des terroristes, en janvier comme en novembre, nous saurons ne jamais l’oublier.
Vive la République !
Vive la France !