25.03.2015 : Intervention de Bernard Cazeneuve sur France 3

25.03.2015 : Intervention de Bernard Cazeneuve sur France 3
2 colonnes (principale et secondaire, 760px + 175px)

Bernard Cazeneuve était l'invité de France 3 mercredi 25 mars 2015


Véronique Auger :

Alors on l'a vu à travers tous les reportages, l'Union européenne est écartelée entre d’un côté ses traditions d'accueil et de l’autre côté ses craintes alimentées par la crise et par les partis populistes qui grossissent un peu partout dans les états membres. Bernard Cazeneuve, bonsoir.

Bernard Cazeneuve :

Bonsoir.

Véronique Auger :

Vous êtes ministre de l'Intérieur, et auparavant vous étiez en charge des affaires européennes. Alors je vais vous inviter en compagnie d’Arnaud Leparmentier qui est directeur adjoint des rédactions du "Monde", et l’un des meilleurs connaisseurs de l'Union européenne. Et ma première question, en fait elle est très concrète, aujourd'hui à Calais, il y a environ 2 000 migrants clandestins qui campent dans des conditions assez déplorables, les Anglais n'en veulent pas, les gens qui habitent Calais n'en veulent pas, l'Union européenne vient de  donner presque 4 millions d'euros à la France pour construire un centre d'accueil de jour, où est-ce qu’on en est exactement à Calais ?

Bernard Cazeneuve :

A Calais il y a effectivement 2 000 migrants qui viennent pour beaucoup d’entre eux de pays où ils sont emprisonnés, persécutés, torturés. Il y a des Erythréens, on connaît la situation en Erythrée, il y a des Syriens, il y a des Irakiens. La politique que nous menons à Calais est simple, nous voulons que tous ceux qui relèvent de l'asile demandent l'asile à partir de Calais, ou ailleurs en France, et soient sortis des mains des passeurs, qui sont des véritables acteurs du crime et de la traite des êtres humains. Nous avons pour cela mis des moyens très importants de l'Office français pour l'immigration, de l'OFPRA,  qui sont là ces moyens pour accompagner ces migrants et faire en sorte qu’ils demandent l'asile en France. Ils seront répartis ensuite dans des centres d'accueil de demandeurs d’asile. Deuxièmement il faut renvoyer tous ceux qui ne relèvent pas de l'asile et nous avons augmenté aussi, je le dis et je l’assume les reconduites à la frontière, elles ont augmenté hors Union européenne de près de 40 %, ce qui est très important. Il faut démanteler résolument les filières de l'immigration irrégulière, ces acteurs du crime organisé dont je parlais. C'est près de 30 % de filières de l'immigration irrégulière supplémentaires qui ont été supprimées entre 2013 et 2014 à Calais. Et il faut pour ceux qui sont dans l'attente de cet accès à l'asile, parce qu'ils sont persécutés dans leur pays, que nous puissions offrir des conditions d'accueil qui soient dignes, d'où le centre de jour, d'où le centre d'hébergement pour les femmes et les enfants qui sont en situation vulnérable. Et à Calais, il faut octroyer l'asile, il faut des conditions humaines pour ceux qui relèvent de l'asile, l’accueil de jour et il faut de la fermeté pour tous ceux qui relèvent de l'immigration irrégulière, avec le démantèlement des filières et des reconduites à la frontière.

Véronique Auger :

Alors avant d'en venir peut-être précisément par exemple aux Syriens, qui est vraiment un cas aujourd'hui très inquiétant, je trouve que les Anglais d'une certaine façon se rejettent totalement sur leur politique d'immigration sur la France.

Bernard Cazeneuve :

Les Anglais d’abord accueillent plus, contrairement à ce que l'on croit, d'immigrés que les Français. Quand on voit ce que nous accueillons en nombre de demandeurs d'asile et d'immigrés, c’est à peu près 260 000 chaque année, les Britanniques sont à plus de 700 000. Il y a donc une tradition d'accueil en Grande-Bretagne est plus forte que celle de la France. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il y a cette espèce de sentiment de l'eldorado britannique qui conduit des passeurs à laisser croire à des migrants qu'ils vont pouvoir passer en Grande-Bretagne et pouvoir y développer une vie dans des conditions qui seront confortables, ce qui n’est pas le cas. Et par ailleurs, moi j'ai souhaité depuis que je suis ministre de l’Intérieur, développer des relations avec les Britanniques en leur disant, vous devez prendre vos responsabilités, vous devez travailler avec nous sur le démantèlement des filières. Ils ont démantelé par delà le chanel un très grand nombre en liaison avec nos services de renseignements et de police. Vous devez contribuer à la sécurisation du port de Calais avec nous, c'est une obligation partagée. Vous devez y contribuer y compris financièrement, c’est près de 13 millions d'euros sur 24 mois ont été alloués. Vous devez aussi nous aider à créer les conditions du traitement de ceux qui relèvent de l'asile en France. En relation avec eux, non pas dans une stratégie où les uns se défausseraient et les autres agiraient, mais dans une stratégie de coopération, où je suis moi dans la relation avec mon homologue britannique, exigeant.

Arnaud Leparmentier :

Alors justement si on passe sur les demandeurs d’asile, les Syriens qui sont des réfugiés, qu’elle est la part que prend la France ? Amnesty International critique la France pour avoir accueilli que 500 réfugiés syriens, le ministère des Affaires étrangères dit 5 000, mais c'est beaucoup moins que les 30 000 en Allemagne, 30 000 accueillis en Suède.

Est-ce que la France est fidèle à sa tradition d'accueil des réfugiés syriens et d'asile ?

Bernard Cazeneuve :

La France n'accueille pas que des réfugiés Syriens, elle en accueille effectivement 5 000 depuis le début de la crise ...

Arnaud Leparmentier :

Est-ce que c'est à la hauteur de la crise ?

Bernard Cazeneuve :

Nous accueillons aussi  des réfugiés irakiens, près de 2 000 depuis l’an dernier. Nous allons continuer à le faire dans le cadre d'une relation étroite et d’un travail coordonné avec Laurent Fabius. Et nous accueillons d'autres ressortissants. Je parlais des Erythréens.

Arnaud Leparmentier :

Par rapport à la crise syrienne, c'est très faible. Il y en a des centaines de milliers en Turquie et en Jordanie, il y en a 120 000 en Europe, et il n’y en a que 5 000 en France maximum, pourquoi si peu ?

Bernard Cazeneuve :

Parce que quand on regarde ce qu’est notre contribution à la politique de l'asile globalement en Europe, nous accueillons près60 000 demandeurs d'asile chaque année, et moi je suis soucieux que ceux qui sont accueillis en France le soient dans de bonnes conditions. Et ce n’est pas le cas aujourd'hui, parce que nous n'avons pas suffisamment de places en centre d’accueil de demandeurs d’asile. C’est la raison pour laquelle dans les budgets que j’ai proposé au Premier ministre et qui ont été arbitré par lui, on crée 5 000 places chaque année. C’est la raison pour laquelle je présente une loi sur l'asile avec des moyens supplémentaires à l'OFPRA, à l'OFII, à la Commission nationale du droit d’asile pour faire en sorte que l’on...

Arnaud Leparmentier :

L'asile dépend des moyens, l’asile que l’on accorde dépend des moyens  en France ?

Bernard Cazeneuve :

Non, je dis que si nous voulons accueillir des demandeurs d’asiles en France, il faut que nous puissions le faire dans de bonnes conditions. Aujourd'hui entre le moment où un demandeur d'asile présente son dossier et le moment où il est traité, il s’écoule 24 mois, je veux ramener cette durée à 9 mois. Je veux que ceux qui arrivent en France et qui relèvent de l’asile en France soient accueillis dans des conditions dignes.

Arnaud Leparmentier :

Est-ce qu’il peut y avoir un risque, monsieur Cazeneuve qu'il y ait des immigrés de Daech infiltrés dans les demandeurs d'asile ?

Bernard Cazeneuve :

Ca peut toujours arriver. Mais nous travaillons avec nos services de renseignements et nous n'octroyons pas l'asile à ceux dont nous savons qu'ils ont des activités terroristes.

Arnaud Leparmentier :

Vous avez eu des cas ?

Bernard Cazeneuve :

Non seulement nous ne les accueillons pas, mais nous procédons à leur expulsion. Et j’ai depuis le début de l'année 2014, depuis que je suis en situation de responsabilités,  procédé à une dizaine d'expulsions d'étrangers en France dont j'étais convaincu qu'ils étaient impliqués dans des activités terroristes. Encore une fois pour en revenir à l'asile, parce que c’est très important la question que vous posez, nous nous  souhaitons pouvoir accueillir le maximum de personnes qui sont persécutées en Irak et en Syrie. Nous l'avons fait avec les Chrétiens, nous l’avons fait avec d’autres minorités, nous continuerons à le faire. Pour cela, il faut que nous ayons des moyens supplémentaires et un dispositif législatif  qui nous permette de réduire les délais de traitement des dossiers de demandeurs d'asile. C'est tout l'enjeu de la loi sur l'asile que je défends devant le Parlement qui doit être adoptée avant la fin de l’année et qui permettra à la France de remplir ses obligations conformément à sa tradition d'accueil.

Véronique Auger :

Je voulais vous interrompre et vous montrer un selfie que nous a envoyé une jeune femme, qui est grecque, et qui actuellement est en Erasmus en France, je vous propose de regarder.

Myrto :

En tant que Grecque, ça me rend triste quand on dit que c'est la faute de la Grèce, ou de l'Italie par exemple, que la situation de l'immigration clandestine s'aggrave en Europe. Je pense que c’est un problème collectif, je pense que tous les pays membres de l'Union européenne doivent agir ensemble pour lutter contre ce problème, et il faut qu’on arrête de dire que c'est le problème de l'Italie ou de la Grèce.

Véronique Auger :

Alors moi ce que je voudrais savoir c’est si il ne peut pas y avoir un partage des fardeaux ? C'est-à-dire qu’on voit que les immigrants arrivent principalement en Grèce et en Italie, que derrière il y a l'Allemagne, la Suède, la France et la Grande-Bretagne, mais est-ce que par exemple la Pologne, les Pays baltes, les Tchèques ne pourraient pas eux aussi prendre leur part de réfugiés ?

Bernard Cazeneuve :

Avec mon collègue allemand Thomas De Maiziere, nous agissons pour que l'Europe s'engage dans cette direction. Si nous voulons que l'Europe puisse accueillir tous ceux qui sont persécutés dans leur pays, dont les familles sont exécutées, emprisonnées, et que l'Europe puisse être une terre d'asile conformément aussi à ce qu’est le message et à ce que sont les valeurs des pères fondateurs de l'Union européenne, il faut que nous puissions répartir le nombre de demandeurs d'asile.

Véronique Auger :

Et ça marche, ils sont volontaires ?

Bernard Cazeneuve :

Nous avons déposé ce qu’on appelle un "non-papier", c’est-à-dire un ensemble de propositions devant la Commission européenne, nous l’avons adressé au commissaire européen Avramopoulos, de manière à ce qu'il y ait ce dispositif que l’on appelle "partage de l'asile" et qu’on ait une politique européenne de l’asile.

Véronique Auger :

Et ça, ça pourrait se faire quand ?

Bernard Cazeneuve :

Moi, je souhaite que nous puissions avancer avec des propositions concrètes avant la fin de l'année 2015, non pas que ce système sera mis…

Véronique Auger :

Et qui, qui serait volontaire éventuellement pour…

Bernard Cazeneuve :

Mais je pense qu’il faut que tous les pays de l'Union européenne …

Véronique Auger :

D’accord, qu’il y ait un partage…

Bernard Cazeneuve :

Absolument – puissent accueillir des demandeurs d'asile, qu'on puisse faire en sorte qu’il y ait progressivement une politique européenne de l'asile qui émerge, que nous puissions faire en sorte que toutes les règles de Dublin et de Schengen s'appliquent dans tous les pays de l'Union européenne, sinon, il n’y a pas de politique de l’asile...

Véronique Auger :

Schengen, ça marche ? On a vu dans le reportage que, en fait, c'était un peu une passoire, l'Europe.

Bernard Cazeneuve :

Non, mais ça, ce n’est pas vrai. Schengen, ça marche, parce que ça assure la libre circulation des étudiants européens au sein de l’espace intérieur…

Véronique Auger :

Il n’y a pas que des étudiants…

Bernard Cazeneuve :

En même temps, ça permet aussi, Schengen, d'avoir un véritable contrôle de ce qu’est le retour de ceux qui peuvent représenter un danger pour la sécurité de nos pays lorsqu'ils reviennent du théâtre des opérations terroristes. Sans le système d'informations Schengen, sans la possibilité de l’interroger, de façon systématique et coordonnée, on ne peut pas établir la traçabilité du parcours des terroristes. Donc tous ceux qui préconisent, pour nous protéger du terrorisme, de sortir de Schengen se proposent de rendre l'Europe, et notamment la France, aveugle et sourde face au risque terroriste. Et Schengen, ça marche, à condition qu'on s'en serve. Et pour cela, il faut que nous soyons, face au risque terroriste, face à la nécessité de protéger les frontières extérieures de l'Union européenne notamment, Méditerranée centrale, capables d'adapter en permanence ces règles de Schengen. Concrètement, face au risque terroriste, ça veut dire qu’il faut que l'on mette en place immédiatement sur tout le territoire de l'Union européenne des contrôles systématiques et coordonnés dans tous les aéroports, premièrement, et que deuxièmement, qu'on rende par une modification du code Schengen, c’est la proposition française que je porte devant le Conseil des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne, ces contrôles obligatoires.

Arnaud Leparmentier :

Alors, si on revient sur les contrôles aux frontières de Schengen, Alexis Tsipras en Grèce menace, propose, d'ouvrir les centres de réfugiés en Grèce. Alors, est-ce que c'est une mesure humanitaire, parce que ces centres ont été très critiqués, ou au contraire, une pompe à aspirer et à renvoyer des immigrés vers les autres pays de l'Union européenne ? Comment jugez-vous cette attitude ?

Bernard Cazeneuve :

Je considère qu'il n'y a pas d'Europe qui puisse jouer son rôle en matière d'asile, qui puisse avoir une véritable politique de partage des demandeurs d'asile, qui puisse avoir une politique migratoire si on utilise la question migratoire à des fins de menace.

Arnaud Leparmentier :

Ça veut dire qu’il ne faut pas ouvrir ces camps

Bernard Cazeneuve :

Moi, j’ai considéré que la proposition des Grecs d'ouvrir immédiatement ces centres de rétention, en menaçant de laisser déferler sur l'Union européenne des migrants en nombre, n'était pas une proposition qui était conforme à ce qu’est l'esprit de l'Union, ce n’est pas une proposition qui était conforme aux valeurs que porte l'Europe en matière d'accueil des étrangers, et ce n'était pas une proposition qui était conforme à la conception qu'un grand nombre de partis humanistes, progressistes, en Europe portent, puisque quand on est attaché à ce que l’Europe ait une politique rationnelle en matière d'immigration, on n'use pas d'arguments qui sont là pour instrumentaliser…

Arnaud Leparmentier :

Vous l’avez dit à votre homologue grec ?

Bernard Cazeneuve :

Qu’on n’instrumentalise pas cette question pour faire peur ou pour utiliser la question migratoire à des fins politiques. Je lui ai dit avec la plus grande netteté, et pas simplement à lui, je l’ai également dit au commissaire européen, j’ai trouvé que cette…

Véronique Auger :

Qui est Grec…

Bernard Cazeneuve :

Absolument, et j’ai trouvé que cette proposition était irresponsable et tout à fait inacceptable, et je l’ai fait savoir avec la plus grande netteté.

Véronique Auger :

Alors, je voudrais qu’on termine simplement par…

Bernard Cazeneuve :

L’Europe, ça n’est pas cela, l’Europe, c’est une responsabilité partagée. Et sur la question des migrations, quand on voit la percée d'un certain nombre de mouvements en Europe, on doit, lorsqu’on est résolument européen et absolument humaniste, être responsable.

Véronique Auger :

Je voudrais vous montrer un deuxième petit selfie, là, c’est Victoria,  qui est étudiante à Maastricht. Et on y répondra, et on terminera par ça.

Victoria, 21ans, belge, université de Maastricht

Pourquoi l’opération Triton, qui remplace l’initiative du gouvernement italien de Matteo Renzi, Mare Nostrum, ne reçoit-elle qu’un tiers du budget de Frontex, une organisation de coordination et de recherche ? Ne devrait-on pas tout autant investir dans le secours humanitaire étant donné le nombre exponentiel de migrants tentant la traversée chaque année ?

Véronique Auger :

En une minute, il nous reste une minute.

Bernard Cazeneuve :

Je pense que, il n'y a pas de possibilité de faire de l'humanitaire en Europe, si on n'est pas ferme dans l'application des règles et dans la lutte contre l’immigration irrégulière. Moi, quand je mobilise les services de police et de renseignement pour démanteler les filières de l'immigration irrégulière, c’est en raison de préoccupations humanitaires que je le fais. Parce que ces filières mettent des migrants de plus en plus nombreux sur des embarcations de plus en plus frêles, qui font de plus en plus de morts. Donc quand on demande à nos forces de police de démanteler les filières de l’immigration irrégulière, on le fait pour des raisons humanitaires. Et en même temps, nous devons créer les conditions en Europe, encore une fois, de l'accueil de ceux qui relèvent de l'asile dans des conditions dignes, partage du nombre des demandeurs d’asile, mise en place de centres d'accueil pour demandeurs d'asile, raccourcissement des procédures, humanisation des procédures devant la justice. C'est cette politique où il y a à la fois de la fermeté et de respect du droit et de l’humanité, qui est la politique de la France en Europe.

Véronique Auger :

Merci Bernard Cazeneuve…

Bernard Cazeneuve :

Merci à vous.

Véronique Auger :

D’avoir été notre invité. Merci Arnaud Leparmentier. Je vous rappelle que cette émission était réalisée en partenariat avec le journal "Le Monde".


Aucun objet associé.
Aucun objet associé.