Le 24 janvier 2016, invité par Caroline Roux, Bernard Cazeneuve est intervenu dans l'émission C Politique de France 5
Caroline ROUX
Bonsoir à toutes et à tous. Il a sur ses épaules la charge la plus lourde, protéger le pays d’une nouvelle attaque terroriste. Face à une menace sans précédent, Bernard CAZENEUVE est devenu une des cartes maitresse du président de la République. Son urgence, réveiller une Europe sous-équipée pour faire face à Daesh, une Europe pétrifiée par la crise des migrants. Son quotidien, pister les ennemis de l’intérieur sans malmener l’Etat de droit. Portrait d’un ministre surexposé avec Elisa COUDRAY.
Elisa COUDRAY
Massif du Mont-Blanc, 3.300 m d’altitude, Bernard CAZENEUVE un peu secoué aux premières loges pour assister à un exercice de sauvetage en haute montagne.
Bernard CAZENEUVE
Il fait bon là…
Intervenant
Extraordinaire monsieur le ministre.
Bernard CAZENEUVE
Vous me dites qu’il va y avoir du vent, que c’est terrible, qu’on n’a jamais vécu ça, que…
Elisa COUDRAY
Pas de quoi perturber le flegmatique ministre, c’est qu'il en a vu d'autres : Crash aérien, catastrophes naturelles, attaques terroristes, monsieur « crise » du gouvernement est surtout les fronts.
Bernard CAZENEUVE
Le ministre de l’Intérieur doit être partout, ses hommes se mobilisent pour assurer la sécurité des Français. Et puis vous savez, moi je ne suis pas dans l'introspection, je ne me regarde pas en permanence agir, je suis dans ma fonction et j’essaie de bien la mener et je me sens en responsabilité.
Elisa COUDRAY
Droit dans ses bottes républicaines. Le ministre sillonne la France, 184 visites officielles en 2015, un record au sein du gouvernement. Bernard CAZENEUVE discret, omniprésent, partout le même visage grave, il martèle les mots de la République, ses valeurs, ses exigences aussi.
Bernard CAZENEUVE
L'Etat de droit, les principes de droit, la justice qui passe lorsque des violences ont lieu sont des principes qui ne sont pas négociables dans la République.
Elisa COUDRAY
Premier flic de France, homme de l'état d'urgence, CAZENEUVE où l'incarnation de la gauche sécuritaire.
Journaliste
Vous pouvez être de gauche et inflexible ?
Bernard CAZENEUVE
Je pense que quand on est de gauche, il faut être inflexible.
Elisa COUDRAY
Austère diront les uns, solennel c'est certain. Convaincu d'être investi d'une mission, cette conscience de l'Etat il l’a acquise très jeune, lui le fils d'un instituteur de l'école laïque.
Bernard CAZENEUVE
…Donner des leçons de morale, c'est des cours très nourris d'instruction civique et on parlait beaucoup de la République à l'école, jusqu'à l'écriture d'ailleurs avec les pleins et les déliés, mon père écrivait comme ça, qui envoyait une certaine application, une certaine exigence dans la République. Tout cela, c’est ma culture, c’est mon enfance, c’est ce qui m’a façonné et ce qui m’a amené à être ce que je suis aujourd'hui. Donc oui, ça compte énormément pour moi parce que c’est mon histoire, parce que ce sont mes convictions, parce que c'est l’idée aussi que je me fais de ce qu'est la France.
Elisa COUDRAY
Hussard de la République, un style qui séduit la France post-attentat chez lui à Cherbourg mais pas seulement. En un an, Bernard CAZENEUVE est devenu l'un des ministres les plus populaires.
Bernard CAZENEUVE
Il ne faut pas chercher à plaire, il faut chercher à faire ce qui est utile pour le pays. Et les Français de toutes les façons à la fin finissent toujours par se rendre compte.
Elisa COUDRAY
Alors pourquoi ne pas rêver à d'autres ambitions.Monsieur CAZENEUVE, l’Elysée, le palais de la République, ça vous inspire quoi ?
Bernard CAZENEUVE
Le goût du travail, il ne faut pas regarder les palais de la République parce qu’on est dépositaire toujours éphémère en démocratie d'une légitimité, et il ne faut pas se laisser griser par les décors, il faut rester mobilisé sur les dossiers.
Elisa COUDRAY
Ce palais, il fait rêver beaucoup de monde pourtant.
Bernard CAZENEUVE
Oui, pas moi.
Caroline ROUX
Bonsoir Bernard CAZENEUVE.
Bernard CAZENEUVE
Bonsoir.
Caroline ROUX
Alors nous reviendrons sur ce portrait, je vous remercie d'abord d'avoir accepté notre invitation pour une émission consacrée à 2 crises majeures qui secoue l'Europe : la lutte contre le terrorisme et la vague migratoire. Pour aborder ces sujets, à mes côtés ce soir Gilles DE KERCHOVE, vous êtes depuis 2007 le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, merci d'être avec nous ce soir. Jean-Dominique GIULIANI, vous êtes président de la Fondation Robert Schuman, le centre de recherche de référence sur l'Union européenne et c'est politique. Enfin Nicolas BARRE, vous êtes directeur de la rédaction des Echos, Les Echos qui sont notre partenaire sur C Politique. Je vous ai promis qu’on reviendrait sur ce portrait qu'on vient de voir d'un ministre (pardon) de l'Intérieur qui a la bougeotte, 184 déplacements sur l'année 2015, qui vous met en tête des ministres les plus mobiles (on va dire) de ce gouvernement. Ca veut dire qu'un bon ministre de l'Intérieur, c'est celui qui est forcément à l'extérieur ?
Bernard CAZENEUVE
Non, mais il y a des événements qui appellent la présence du ministre de l'Intérieur. Il y a eu des catastrophes naturelles en 2015, il y a eu le drame de la GERMANWINGS, il y a eu lieu des violences parfois commises sur le territoire national qui justifiaient de la présence du ministre de l'Intérieur. Donc…
Caroline ROUX
Vous pouvez les gérer, pardonnez-moi…
Bernard CAZENEUVE
Je vous en prie.
Caroline ROUX
De la Place Beauvau, pourquoi aller systématiquement sur le terrain ? Vous savez comment on vous appelle au sein du gouvernement, il paraît que vous avez un surnom : Monsieur Pépin. Dès qu'il y a un problème, on envoie Bernard CAZENEUVE au fond pour être en situation auprès des Français. Pourquoi c'est indispensable de gouverner comme ça ?
Bernard CAZENEUVE
Mais c'est indispensable parce que… mais c’est indispensable simplement parce qu’à chaque fois qu'il y a un drame qui se produit sur le territoire national, il y a des policiers, des gendarmes, des pompiers qui exposent leur vie pour assurer la sécurité des Français. Et ça, ce sont les fonctionnaires de mon ministère. Et parfois, il y a aussi des décisions à prendre, des adaptations à engager concernant les dispositifs qu’on met en œuvre. Donc moi, j'ai besoin d'être près de mon administration qui agit partout sur le territoire national, d’être près des préfets.
Caroline ROUX
C’est intéressant, vous dites près de mon administration, pas uniquement aussi près des Français ?
Bernard CAZENEUVE
Mais aussi près des Français parce que lorsque je me déplace comme je l’ai fait hier à Annemasse, à Cherbourg ou à Chamonix, je rencontre des citoyens qui me font part aussi de leurs préoccupations. Et dans un contexte de menace élevé, il n'est pas interdit au ministre de l'Intérieur d'expliquer aux Français quelle est la situation et de leur dire – avec le souci de la vérité – qu'on arrivera à surmonter les difficultés.
Caroline ROUX
Là où je veux en venir et vous le savez très bien, c'est qu’en ce moment sans doute parce qu'on a un climat anxiogène, est-ce que vous ne pensez pas que les Français ils ont besoin de voir un peu le ministre de l'Intérieur mobilisé partout sur le terrain, ça pèse aussi ça en ce moment !
Bernard CAZENEUVE
En tout les cas ce que je peux vous dire, c'est que partout où je me rends sur le territoire national à la rencontre des Français, la rencontre est chaleureuse, elle est authentique et elle me permet d'avoir avec les Français un dialogue auquel je tiens, parce que les Français et les ministres ont aussi parfois besoin de se parler et besoin d'être prêt des concitoyens de notre pays. C'est une relation qui m'enrichit, j'étais ainsi lorsque j'étais maire de ma ville et je suis ainsi comme ministre de l’Intérieur, je n'ai pas peur des Français et j’aime être à leur contact.
Caroline ROUX
Vous avez un prédécesseur illustre qui a marqué son passage à Bordeaux, c'est Nicolas SARKOZY. Il sort un livre, « La France pour la vie » où il confesse ses erreurs. Est-ce que vous voyez de la sincérité dans sa démarche ?
Bernard CAZENEUVE
Je vous le dirai quand j’aurai lu le livre…
Caroline ROUX
Dans sa démarche ?
Bernard CAZENEUVE
Non mais une démarche à travers un livre ne s'apprécie qu'à partir du moment où on a lu le livre.
Caroline ROUX
Il y a quelques bonnes feuilles qui sont sorties, en tout cas quelques phrases qui sont sorties de ces livres, dont une qui a attiré mon attention : qui pourra décemment prétendre que la sécurité des Français est entre bonnes mains ? Dit Nicolas SARKOZY, il parle naturellement de François HOLLANDE, cette phrase-là, vous voulez la commenter ?
Bernard CAZENEUVE
Ça commence mal pour la sincérité, parce que derrière les phrases moi je vois les faits. Et quels sont les faits, même quand les phrases convoquent l’outrance et les approximations. Nicolas SARKOZY, c'est moins 13.000 policiers et gendarmes, ce sont des moyens alloués aux policiers et aux gendarmes qui diminuent de 17 %. François HOLLANDE à la fin de son quinquennat, ce sera plus de 10.000 policiers et gendarmes et des moyens alloués à la police et la gendarmerie qui ont augmenté de 17 %. S'il commence l’épreuve de sincérité avec des phrases de cette nature, la direction n'est pas la bonne.
Caroline ROUX
Alors peut-être quelque chose qui va vous réconcilier avec lui, il était reçu hier…
Bernard CAZENEUVE
Je n’ai pas besoin de me réconcilier, je ne suis pas fâché avec lui.
Caroline ROUX
Bon ! Très bien, très bien. Alors…
Bernard CAZENEUVE
Si vous me posez la question de savoir si ces phrases recouvrent une réalité, je vous dis quelle réalité elles recouvrent. Mais je le dis sans acrimonie parce que je pense qu’on peut s’opposer sans être dans la polémique et sans être dans l’hostilité à l’autre.
Caroline ROUX
On avance…
Bernard CAZENEUVE
En ce qui me concerne, c’est comme ça que je…
Caroline ROUX
C’est comme ça que vous concevez le débat politique. L'état d'urgence, le président fera voter une prolongation de l'état d'urgence pour 3 mois. Manuel VALLS a affirmé que l'état d'urgence pourrait être prolongé le temps qu'il faudra, c’est les mots qu'il a utilisés. Alors ça veut dire qu'on ne peut plus assurer la sécurité du pays sans l’état d’urgence ?
Bernard CAZENEUVE
Non, ce n'est pas ce qu’a dit Manuel VALLS, j'ai lu avec attention ce qu’a dit Manuel VALLS et puis nous nous parlons suffisamment que je sache exactement ce qu’est sa pensée. Ce qu’a dit Manuel VALLS, c’est qu’aussi longtemps que la menace terroriste serait là, nous utiliserions tous les moyens qui sont ceux que nous donne le droit pour le combattre. Dans les moyens que nous donne le droit, il y a des dispositions législatives que nous avons votées qui ne sont pas celles de l'état d'urgence. Je pense par exemple à l'interdiction de sortie du territoire, je pense au blocage administratif des sites, je pense aux moyens nouveaux juridiques donnés aux services de renseignement pour mieux identifier les terroristes qui préparent la commission de leurs actes sur internet, de telle sorte à ce qu'ils soient empêchés de commettre leurs actes. Mais il y a aussi les mesures de l'état d'urgence, nous les avons utilisées, l'état d'urgence est un outil parmi d'autres.
Caroline ROUX
Je vous repose ma question : est-ce que ça veut dire qu'on ne peut plus assurer la sécurité en ce moment même du pays sans les moyens de l’état d’urgence ?
Bernard CAZENEUVE
Je pense qu’aussi longtemps qu'il y a un péril imminent, nous avons besoin de l'état d'urgence. Je vous rappelle que parmi ceux qui nous ont frappés le 13 novembre, tous les terroristes n’ont pas été récupérés mais ça ne veut pas dire pour autant que l'état d'urgence est le seul outil de lutte contre le terrorisme.
Caroline ROUX
La façon… quand je vous écoute…
Bernard CAZENEUVE
Mais actuellement, nous en avons besoin sinon nous ne demanderions pas sa prolongation.
Caroline ROUX
Il n’y a aucune raison que ça s'arrête dans 3 mois !
Bernard CAZENEUVE
Mais…
Caroline ROUX
Parce que la menace, elle est réelle et vous nous l'avez dit vous-même, le président l'a redit à plusieurs reprises, ça va durer.
Bernard CAZENEUVE
Oui mais en même temps, nous faisons monter en puissance un certain nombre d'outils dont nous avons besoin pour lutter contre le terrorisme. Il y a les sujets européens dont nous allons parler dans quelques instants, et dont la résolution offrir un niveau de sécurité plus fort à l'ensemble des pays de l'Union européenne face à la menace terroriste, si toutefois l'Europe prend la mesure du temps, de l'urgence, ce que je souhaite. Et donc par conséquent, cette question elle doit être traitée de façon globale : quel est le niveau de la menace, quelles sont les solutions politiques qui émergent dans un certain nombre de pays comme la Libye, quelle est l'efficacité de ce que nous faisons avec la coalition, quelles sont les solutions qui émergent en Europe. Et par conséquent, il faut avoir cette vision globale, cette approche totale du sujet pour pouvoir raisonner de façon équilibrée et efficace sur la question de la lutte contre le terrorisme.
Caroline ROUX
Est-ce que depuis l'instauration de l'état d'urgence, on a votre avis déjoué des attentats sur le territoire français ?
Bernard CAZENEUVE
Nous avons depuis le printemps dernier déjoué 6 attentats, dont un certain nombre été commandité par ceux qui nous ont frappés le 13 novembre, les mêmes acteurs. Et nous avons au cours des derniers mois démantelé 18 filières et démantelé en tout dans le courant de l’année 2015 11 attentats, dont 6 depuis le printemps. Pendant l'état d'urgence, nous avons pris des mesures qui ont été efficaces, c'est plus de 3.000 perquisitions administratives, c'est près de 400 assignations à résidence. Quel est le résultat tout cela ? Nous avons saisi près de 500 armes dont près de 50 armes de guerre, c'est-à-dire un tiers des armes de guerre saisies au cours d'une année. Nous avons procédé à la fermeture de lieux de culte qui appelaient à la haine et diffusaient une pensée radicale qui était de nature à inciter des jeunes à déraper. Et donc par conséquent oui, l'état d'urgence a été utile.
Caroline ROUX
Quels types d'attentats ont été déjoués ?
Bernard CAZENEUVE
Les attentats qui ont été déjoués sont des attentats type de celui auquel la France a été confrontée le 13 novembre. L’un d’entre eux menaçait de s'attaquer à un concert dans une salle de spectacle, d'autres menaçaient de commettre des actes en tuant de façon massive des Français dans des rues ou dans des villes. Et par conséquent ces attentats qui ont été déjoués ont protégé les Français de drames et de crimes qui auraient pu se produire.
Caroline ROUX
C'est très lourd ce que vous êtes en train de nous dire.
Bernard CAZENEUVE
Mais oui c’est très lourd, mais ce que je dis correspond à ce que je dis depuis des semaines, la menace terroriste est à un niveau extrêmement élevé. Nous aurions tort de considérer que la date du 13 novembre s'éloignant de nous, la menace s’atténue, ce n'est pas vrai. Et si dans ma responsabilité de ministre de l'Intérieur, je disais cela je mentirais aux Français. Et je regarde cette réalité en face, je suis convaincu que nous pouvons éviter ces drames à condition qu’au plan national et au plan européen, nous puissions articuler nos actions, et c'est pour moi cela le combat…
Caroline ROUX
Et c’est pour ça que vous êtes là aujourd’hui.
Bernard CAZENEUVE.
Et c'est pour ça que je suis là aujourd'hui. Et donc il faut dire la vérité, il faut qualifier la menace, il faut dire quels sont les sujets que nous avons à traiter et résolument, nous engager dans le règlement des difficultés.
Caroline ROUX
Une dernière question sur la polémique qui est en train de monter autour de la prolongation de l'Etat de droit, quand vous entendez certains élus…
Bernard CAZENEUVE
La prolongation de l’Etat de droit ne pose pas…
Caroline ROUX
La prolongation de l’état d’urgence, justement j’en viens à l’Etat de droit, c’est que certains élus – y compris parmi les Verts, Europe Ecologie-Les Verts – disent justement c'est la mise en péril de l'Etat de droit. Est-ce que vous entendez ces critiques-là, ils expliquent qu’en gros ce qui était exceptionnel va devenir la norme et que ça leur pose un problème.
Bernard CAZENEUVE
Moi je pense que face à un niveau de menace extrêmement élevé, celui auquel notre pays est confronté, il faut moins de postures et plus de sagesse. L'état d'urgence, c'est un élément de l'Etat de droit, il est prévu par l'Etat de droit, ce n'est pas une décision de remise en cause des libertés prises par un gouvernement en dehors de tout cadre juridique. Et d'ailleurs, si nous voulons constitutionnaliser l'état d'urgence, c’est précisément parce que nous souhaitons donner davantage de fondement en droit à l'état d'urgence. Et il y a un certain paradoxe à dire « attention à l'état d'urgence et nous ne voulons pas de sa constitutionnalisation », on ne peut pas dire tout à la fois. Deuxièmement, l'état d'urgence c'est un dispositif qui est assorti d'un certain nombre de garanties. J'ai entendu beaucoup d'acteurs et lu beaucoup de papiers expliquant qu'il n’y ait pas de contrôle du juge, vous avez vu hier… je ne dis pas que ça m'a fait plaisir, qu’une assignation à résidence a été annulée par le Conseil d'Etat. Et par conséquent, ce que le ministère de l'Intérieur avait préconisé a été annulé par le juge. C’est donc bien qu'il existe un juge, c'est donc bien qu'il existe un contrôle, c'est donc bien que ce que nous faisons se fait dans le cadre rigoureux de l'Etat de droit et j'y tiens. Parce qu’autant je souhaite absolument mettre toutes ces mesures en œuvre qui permettent la protection des Français, autant je n'entends pas une minute, une seconde, un instant que cela se fasse au détriment des principes de droit qui fondent la République et qui lui donnent de la force. Et donc comme ministre républicain attaché à la fois aux libertés, au respect du droit et la sécurité des Français, je pense que l'équilibre est possible à condition que … les postures que la sagesse. Et donc chacun à la sagesse et à la responsabilité.
Caroline ROUX
Ca c’est dit, ça c'est dit. Mais est-ce que toutes les mesures de l'état d'urgence sont indispensables sur la durée ? L'effet de surprise, ça ne fonctionne plus désormais…
Bernard CAZENEUVE
Mais Caroline ROUX…
Caroline ROUX
Avec une prolongation d'un système qui devait être exceptionnel.
Bernard CAZENEUVE
Plusieurs points, d'abord l'état d'urgence est un système qui doit demeurer exceptionnel, et ce n'est pas parce que nous le prolongeons qu'il a vocation à se prolonger pour l'éternité. Deuxièmement, ce n'est pas parce que l'état d'urgence prévoit un certain nombre de mesures, que toutes ces mesures doivent être mises en œuvre de façon systématique et massive. La mise en œuvre de l'état d'urgence, elle implique du discernement et par conséquent le respect du principe de proportionnalité dans les moyens qu'on mobilise pour atteindre les objectifs que l'on s'est fixé à soi-même. Donc là aussi le principe de sagesse, le principe de discernement doivent être mis en œuvre dans la manière dont on mobilise l'état d'urgence. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, je n'ai cessé de donner des instructions – et j’en donne tous les jours à mes services – pour que ces principes prévalent. Parce que comme l'état d'urgence n'est pas une habitude française, il faut faire en sorte lorsqu'on le mobilise d’être d'une extrême vigilance. Et il a pu y avoir des manquements, ils sont sanctionnés par le juge et je m’en réjouis, il y a un contrôle parlementaire et il y a un ministre qui donne à son administration des consignes extrêmement rigoureuses, pour que la protection des Français ne se fasse jamais au détriment des libertés.
Caroline ROUX
Je reviens sur ce que vous nous avez dit à l’instant, quand par exemple on déjoue un attentat qui était prévu dans une nouvelle salle de concert, quelles sont les décisions immédiates du ministre de l'Intérieur ? Est-ce que c'est par exemple important de le faire savoir, comme vous le faites aujourd'hui, est-ce qu'il y a la tentation au contraire pour ne pas affoler de garder ces informations, comment est-ce que vous arbitrer ce genre de situation ?
Bernard CAZENEUVE
J’arbitre ce genre de situation de façon extrêmement simple. D'abord moi ce que je souhaite, c'est qu’à chaque fois que des éléments de ce type sont portés à notre connaissance et que le nom des auteurs est identifié, il puisse être interpellé dans le cadre de procédure judiciaire déclenchée par le Parquet antiterroriste. Et ce fut le cas pour ceux dont je viens de parler à l'instant, pourquoi ? Parce que la judiciarisation, l'intervention des juges antiterroristes me paraît être la meilleure garantie de la mise hors d’état de nuire ceux qui peuvent nous frapper. Et donc je ne m'exprime sur ces sujets que dès lors que contact a été pris avec le procureur du Parquet antiterroriste, de manière à ce que nos ses interventions convergent, qu'elles permettent de faire de la pédagogie, qu'elles n'obèrent pas le bon déroulement des enquêtes. Parce que souvent ceux que nous avons identifiés peuvent être en lien avec d'autres réseaux qui, alertés par l'identification de ceux dont nous nous apprêtons à judiciariser la situation, peuvent nous échapper. Donc c'est un ensemble de considérations que nous prenons en compte et qui vise 1) à donner l'information aux Français qu'on leur doit, 2) à ne pas obérer le bon déroulement des enquêtes et 3) à faire en sorte qu’il y ait un retour d'expérience de chaque situation que nous examinons et qui peut nous amener à prendre des dispositions supplémentaires oui nouvelles.
Caroline ROUX
En fait l’état d’urgence…
Bernard CAZENEUVE
Par exemple, je prends un exemple très concret pour que les Français comprennent bien…
Caroline ROUX
Allez-y.
Bernard CAZENEUVE
Lorsque nous constatons que des terroristes préparent la commission d'attentats en utilisant des moyens de communications cryptés ou utilisent Internet afin de préparer la commission de tel ou tel acte, et que nous décidons pour la question du terrorisme seulement de donner de nouveaux pouvoirs aux services de renseignement pour détecter en amont ces actes, nous adaptons notre dispositif à ce que nous avons constaté du comportement des terroristes.
Caroline ROUX
L'état d'urgence dont vous rêvez Bernard CAZENEUVE, c’est un état d'urgence européen, c'est ça votre sujet et c'est pour ça que vous êtes là aujourd'hui. Vous allez répondre sur ce sujet-là mais d'abord, je voudrais que vous regardiez ce reportage…
Bernard CAZENEUVE
Mais attendez, juste un point quand même…
Caroline ROUX
Dites-nous.
Bernard CAZENEUVE
Moi lorsque je m’endors et que je rêve, je ne rêve pas à l’état d’urgence…
Caroline ROUX
Ça nous rassure, ça nous rassure.
Bernard CAZENEUVE
Je rêve à un pays qui garantit les libertés, qui combat ceux qui veulent les mettre à mal et qui évite qu'il y ait des tueries de masse. C'est à cela que je rêve, d'un pays qui a retrouvé sa sérénité et qui a gagné la guerre contre le terrorisme. L’état d’urgence c’est un moyen, ce n’est pas un but.
Caroline ROUX
Le problème c’est que ça n’est qu’un rêve pour l’instant. Demain, vous vous rendez à Amsterdam à la rencontre de vos homologues, car la solution à la menace terroriste ne peut pas être uniquement franco-française. Il est avéré que la Belgique a été la base-arrière des attentats de Paris, en particulier la commune de Molenbeek, plaque tournante du djihadisme. La mère d'une des victimes du Bataclan envisage même de porter plainte contre la Belgique qu’elle accuse d'avoir laissé faire. Reportage.
(…)
Caroline ROUX
Alors nous reprenons la discussion avec vous Gilles DE KERCHOVE, vous êtes coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, c'est depuis 2007. Vous êtes belge, par ailleurs on vient de voir le reportage sur Molenbeek, est-ce qu’à l’heure où on se parle, on peut dire que Molenbeek n'est plus un repère des djihadistes ?
Gilles DE KERCHOVE
Je ne suis pas en situation de faire ce genre de constatation. Ce que je peux dire c'est que le gouvernement actuel a pris des mesures et continue de prendre des mesures extrêmement énergiques pour essayer d'éviter que ça se reproduise, en termes budgétaire, en termes de mobilisation de moyens policiers, judiciaire mais aussi en termes d'intégration.
Caroline ROUX
Bernard CAZENEUVE, après ce reportage on dit qu'il y a eu à un moment donné un problème belge. Est-ce qu'il demeure ce problème belge, est-ce que vous utiliseriez ce mot-là ?
Bernard CAZENEUVE
D’abord moi, je partage tout à fait ce qui a été dit dans ce reportage sur la nécessité face au risque terroriste – qui peut toucher bien des capitales européennes – d'agir ensemble dans la solidarité et dans la cohérence. Quels enseignements peut-on tirer des attentats du 13 novembre ? Des individus qui sont en Syrie, donc en dehors du territoire européen, envisagent des attentats qui sont préparés en Belgique par des individus qui sont pour une majorité d'entre eux Belgo-marocains, avec le concours de Français qui ne sont pas sur le territoire national mais qui sont en Syrie. Quels sont les problèmes qui se posent concrètement lorsqu'on analyse ce phénomène-là ? 1) ceux qui reviennent reviennent munis de faux documents et se dissimulent. Et Daesh a récupéré des faux passeports vierges en Syrie, en Irak, en Libye, une véritable usine de faux documents pour permettre ces dissimulations, premier point. Deuxième point, le contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne n'est pas au niveau auquel il doit être, on fait monter en puissance Frontex, mais les gens arrivent et ce contrôle doit être extrêmement efficace, extrêmement puissant si on veut éviter que ne rentrent des terroristes. Troisième point, le système d'information Schengen, qui permet aux pays de l'Union européenne de pouvoir consulter ensemble des fichiers qui donnent des informations sur l'activité terroriste de certains individus, ne sont pas alimentés de la même manière par tous les pays de l'Union européenne. Et ce fichier, Gilles DE KERCHOVE le sait, n'est pas connecté aux autres fichiers criminels.
Caroline ROUX
Vous soulevez beaucoup de problèmes et beaucoup de sujets les uns après les autres…
Bernard CAZENEUVE
Donc moi… mais Caroline ROUX, les vrais problèmes sont cela. Et pour moi, ce sont ces problèmes que l'Europe doit résoudre.
Caroline ROUX
Alors justement, parce que ce sont les vrais problèmes, si vous le voulez bien, on va les prendre les uns après les autres avec vous, Gilles DE KERCHOVE, notamment sur (on en a beaucoup parlé) ce système d'information Schengen. O dit ça existe, on dit il y a des fiches, chaque pays a la possibilité avec ses enseignements intérieurs d'abonder et de nourrir cette espèce de base de données européenne. Pourquoi ça ne marche pas ?
Gilles DE KERCHOVE
Alors, on y travaille et ça fait plus de 2-3 ans, non, non, on y travaille et on essaie de tirer les leçons des échecs, par exemple NEMMOUCHE a été contrôlé à Francfort, il a tué à Bruxelles, il était Français, on peut prendre une situation inverse, et il était dans le système mais on n'avait pas pu identifier qu'il était lié au terrorisme, donc on a essayé d'améliorer le système. Mon rôle – et j'ai distribué à chaque ministre de l'Intérieur une fiche avec l'état de leur contribution dans le système, non seulement le SIS mais aussi Europol, le système dont a parlé le ministre à Interpol de détection des faux documents, c’est extrêmement important…
Caroline ROUX
On va y revenir mais sur le système d’information, c’est ça l’important…
Gilles DE KERCHOVE
Le SIS, il y a une diversité de situations. D'abord c'est les Etats membres qui alimentent le système, ce n'est pas l'Union européenne, nous avons créé le système et ça dépend des Etats membres. Il peut y avoir des questions culturelles, des questions de confiance, des questions techniques et des questions juridiques.
Caroline ROUX
Ca fait beaucoup.
Gilles DE KERCHOVE
Ça fait beaucoup et on essaie de les résoudre. Il faut convaincre les services de renseignements d'alimenter une base de données policière, ce n'est pas toujours évident. Il y a des situations dans lesquelles l'information appartient à la justice et la police ne peut plus en dessaisir. Et donc c'est un peu quelque chose de très technique mais c'est en voie de s'améliorer significativement. Si je prends le cas de la France, la France a alimenté depuis (je dirai) plus d'une année, une année et demie de manière considérable le signalement de toutes les personnes connues par le service de renseignement français, la DGSI. Ce n'est pas encore le cas de tous les Etats membres, mais nous y travaillons.
Caroline ROUX
Lesquels par exemple trainent les pieds, allons-y ?
Gilles DE KERCHOVE
Je ne suis pas là pour désigner les bons et les mauvais élèves.
Caroline ROUX
Oui mais c’est le problème, vous comprenez, c’est qu’il ya des gens qui vous regardent et qui disent : attendez, vous êtes gentil mais il va falloir avancer. Et si à un moment donné, on ne peut pas mettre la pression, je me tourne vers vous Bernard CAZENEUVE, est-ce qu'à un moment donné… on a bien compris d'ailleurs ce que dit Gilles DE KERCHOVE, le problème ça n’est pas l'Europe en tant que tel, mais ce sont les pays eux-mêmes qui refusent de partager le renseignement. Est-ce qu’à un moment donné la France que vous représentez demain à Bruxelles doit mettre la pression sur les pays qui traînent les pieds ?
Bernard CAZENEUVE
Mais la France va mettre une pression considérable à Amsterdam lundi, je le dis, c'est demain cette réunion, j’y partirai après votre émission. Et nous allons mettre une pression considérable sur les institutions européennes et sur les Etats membres de l'Union européenne.
Caroline ROUX
C'est quoi une pression considérable ?
Bernard CAZENEUVE
Une pression considérable, je vais vous dire. Je vais prendre par exemple l'exemple de cet individu qui a essayé de tuer des policiers au commissariat du 18ème arrondissement. J’avais donné à chaque représentant des Etats membres un tableau qui montre dans quel pays cet individu a commis des délits ; et qui montre que dans chaque pays où il a commis des délits, il avait des papiers différents et des identités différentes et se réclamait de nationalités différentes. Est-ce que l'Europe peut – et je le dis face à de grand européens, l’étant moi-même – assurer l'accueil de ceux qui doivent l'être parce qu'ils sont persécutés dans leur pays, est-ce qu'elle peut affirmer qu'elle est un rempart contre le terrorisme, si un certain nombre de sujets extrêmement précis sur lesquels il y a urgence, je le dis à Gilles DE KERCHOVE, on ne peut pas traiter ces questions en 2 ans, 3 ans, il faut les traiter immédiatement…
Caroline ROUX
C’est quoi…
Bernard CAZENEUVE
Mais je souhaite que nous sortions de la réunion d’Amsterdam, qui est une réunion informelle, avec un projet de calendrier dont nous pourrons débattre à l'occasion du Conseil JAI et avec la volonté de faire en sorte qu’il y ait des premières actions concrètes avec un calendrier à la fin du 1er trimestre de l’année 2016.
Caroline ROUX
Ca paraît crédible comme calendrier monsieur DE KERCHOVE ?
Gilles DE KERCHOVE
Moi je suis tout à fait partisan de ce calendrier, je fais tout ce que je peux pour…
Caroline ROUX
Oui mais vous avez une expertise sur le fonctionnement européen, il peut y avoir un volontarisme politique d’un côté et les institutions européennes de l’autre.
Gilles DE KERCHOVE
Non, il y a… soyons clairs, il n’y a pas d'un côté une Europe qui serait passive et des Etats membres qui seraient actifs. Je pense que ça c'est de la mauvaise foi de le dire…
Bernard CAZENEUVE
Ce n’est pas ce que j’ai dit.
Gilles DE KERCHOVE
C’est un défi collectif et nous avons trois défis, soyons très clairs. On a un défi de sécurité, il faut que le citoyen ait le sentiment que l'Europe apporte de la sécurité, mais il ne faut pas sur-jouer la responsabilité de l’Union européenne. Le deuxième défi, c'est le défi de Schengen, c'est une des plus belles réalisations de l'intégration européenne et elle est en grande difficulté…
Caroline ROUX
Ça, on en parlera plus tard.
Gilles DE KERCHOVE
Et le troisième défi dont on parlera aussi plus tard, c'est ce lien toxique entre immigration et terrorisme.
Caroline ROUX
Pourquoi…
Bernard CAZENEUVE
Je veux dire un mot… Caroline ROUX…
Caroline ROUX
Oui, allez-y.
Bernard CAZENEUVE
Ce que vient de dire Gilles DE KERCHOVE est très important et je voudrais appuyer ce qu’il vient de dire. Lorsque l'on est face à une difficulté énorme au sein de l'Union européenne, on ne peut pas faire comme le font tous les populismes, charger l'Europe en exonérant les Etats de leurs responsabilités, vous avez raison de le dire. Et si je prends le sujet dont on vient de parler, le système d'information Schengen il existe, vous avez eu la gentillesse de dire qu’on alimente fortement ce fichier, je l'ai souhaité parce que j'ai très vite vu que c'était une arme extrêmement importante de lutte contre le terrorisme. Et ce sont les Etats qui doivent alimenter ce fichier, il ne l'est pas aujourd'hui parce que les Etats ne l'aliment pas comme il doit l'être… comme il doit être alimenté, pour 2 raisons. La première raison c'est qu'un certain nombre d'Etats estiment qu'ils ne seront pas frappés par le terrorisme…
Caroline ROUX
Ils ont tort, ils ont tort.
Bernard CAZENEUVE
Ils ont grandement tort parce que les terroristes montrent qu'ils peuvent frapper à tout moment tous les Etats de l'Union européenne. Et c'est au modèle européen dans son ensemble qu’ils veulent s'en prendre. Deuxième raison, les fiches S qui servent à l'alimentation du SIS font l'objet de débats absolument incongrus, hallucinants à chaque fois qu'il y a un attentat. Donc un certain nombre…
Caroline ROUX
De manière légitime, certains Français qui vous écoutent ce soir se disent : c’est curieux parce qu’ils étaient identifiés dans les fiches S.
Bernard CAZENEUVE
Non parce que ces fiches S ne sont pas des fiches de culpabilité, ce ne sont pas des sanctions pénales, ce sont des fiches de mise en attention. Et nous, nous utilisons ces fiches précisément parce que nous estimons qu'elles sont un instrument européen de lutte contre le terrorisme. Mais quand un certain nombre de pays voit le niveau de polémique auquel on parvient sur des fiches de renseignements, ils peuvent se poser la question de savoir si l'émission de ces fiches n'est pas un instrument de souci politique davantage qu'un instrument de résolution des problèmes. Donc moi ce que je souhaite, c'est que le système d'information Schengen soit alimenté à l'identique de façon homogène par tous les pays, c'est le sens de la proposition que j'exprimerai au Conseil JAI informel de demain à Amsterdam. Je souhaite aussi que ce fichier d'information Schengen soit connecté à tous les autres fichiers criminels. Je souhaite que la banque Eurodac qui est la banque de prise des empreintes puisse être aussi utilisée à des fins judiciaires dans le contexte de risque terroriste auquel nous sommes confrontés. Donc tout ça…
Caroline ROUX
C'est-à-dire que pour l’instant, ça existe, ils arrivent, ils posent leurs empreintes mais ce n’est pas croisé avec les fichiers…
Bernard CAZENEUVE
Non, ce que je veux dire…
Caroline ROUX
C’est ça, c’est intéressant, pardon, peut-être…
Bernard CAZENEUVE
Ce que je veux dire en disant cela, c’est que je vais au sein des institutions de l'Union européenne, n'ont pas avec la volonté de faire des polémiques, mais avec la volonté d'exercer une pression maximale autour d'un agenda extrêmement précis qui est l'agenda des solutions face aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Caroline ROUX
Gilles DE KERCHOVE, la problématique à laquelle est confrontée l'Europe vis-à-vis du terrorisme, c'est qu'il y a des Etats (on le disait à l'instant) qui se sentent moins concernés que la France qui est directement visée. Donc là, on en revient en fondamentaux de l'Europe, à savoir la solidarité. Comment est-ce que vous réagissez à cette problématique-là, comment est-ce qu'on peut faire en sorte que certains pays qui ne se sentent pas concernées disent « banco » au calendrier de Bernard CAZENEUVE, en clair.
Gilles DE KERCHOVE
Alors ce n’est pas tout à fait noir et blanc, il faut être assez…
Caroline ROUX
Je sais.
Gilles DE KERCHOVE
Les 21 ministres de l’Intérieur quand ils se réunissent ont tous un sens de l'urgence et un sens du danger. Mais effectivement, il y a sans doute un groupe de 10 à 11 Etats membres, parce qu'ils sont confrontés plus à ce phénomène, qui sont plus mobilisés. En partie mon rôle, c'est de faire en sorte que ceux qui le sont moins participent à tous les mécanismes. Mais il ne faudrait pas dire non plus que parmi ceux qui sont très concernés, tout va formidablement bien. Le ministre l’a dit, c'est aussi une question de leadership politique. Il y a beaucoup de choses qui sont décidées à Bruxelles et quand les ministres reviennent dans leur capitale, les choses ne sont pas mises en œuvre de la manière dont elles devraient l'être. Et là, l'Europe n’est pas tout-à-fait outillée pour s'assurer qu’un service de renseignements précis alimente le système, ça je suis désolé, nous n'avons pas de compétences en matière de renseignement.
Caroline ROUX
Il y a un sujet qui a beaucoup choqué, c'est le PNR, c'est un sujet qui tient à cœur à Nicolas BARRE, mais on a vu… Nicolas je me tourne vers vous, on a vu qu’il a fallu énormément de temps et ça n'est toujours pas en place, ce passenger name record, combien de temps, juste…
Gilles DE KERCHOVE
5 ans.
Nicolas BARRE
Ca fait depuis 2011 qu'on en parle, qu’il y a eu ce projet de directive en 2011, qui est retoqué ensuite en 2013 par le Parlement européen, reprojet de directive l'année dernière et ensuite, ce projet qui doit être adopté maintenant doit être retranscrit dans les…
Gilles DE KERCHOVE
Vous avez raison…
Nicolas BARRE
Entre 2011 et le jour où ça s’appliquera, c'est-à-dire dans un an ou deux, il se sera écoulé 5 ans
Gilles DE KERCHOVE
Tout à fait, monsieur CAZENEUVE et moi-même, on a fait tout ce qu'on pouvait pour essayer d'accélérer le tempo, je le regrette franchement. Il y a des points sur lesquels l’Europe est trop lente, je le reconnais et le PNR en est une bonne explication. C'est tout de même à une préoccupation du Parlement européen d'assurer un bon équilibre, entre liberté et sécurité, la protection des données à caractère personnel. Ça a été fortement accentué par les révélations de monsieur SNOWDEN, et quand on parle de croiser les fichiers, ça ne se fera pas en un jour parce qu'il y aura des préoccupations de protection des données. Il y a une règle cardinale du droit de la protection des données qui est la question des finalités. Les données d’Eurodac dont parle le ministre, ce sont des données qui sont collectées pour des raisons de traitement de demandes d'asile, il va falloir trouver des formules…
Caroline ROUX
Oui, vous connaissez ça mieux que moi et l’un et l’autre. Abdelhamid ABAAOUD quand il est arrivé, il a posé ses empreintes, je veux dire il est arrivé par le flux migratoire j'ai envie de dire, donc à un moment donné la nécessité de croiser les fichiers, elle apparaît de manière très claire, non ?
Gilles DE KERCHOVE
Je suis tout à fait d’accord avec vous, je le pousse depuis longtemps, je pousse depuis longtemps la nécessité de remettre ensemble 2 communautés qui ne travaillent pas assez au plan européen : la communauté des gardes-frontières et de l'immigration et à la communauté de la sécurité.
Caroline ROUX
Ca vous gêne de rapprocher ces 2 sujets ou pas, et l’un et l'autre ?
Bernard CAZENEUVE
Mais moi, ça ne me gêne pas du tout de rapprocher ces deux sujets, non seulement ça ne me gêne pas mais je demande qu’on rapproche ces deux sujets, parce que…
Caroline ROUX
On parle bien, pardonnez-moi, d’un côté des migrants et de l’autre côté les terroristes ?
Bernard CAZENEUVE
Mais bien sûr, je propose que l'on traite cette question, pourquoi ? Parce que je ne suis pas de ceux qui, comme l'extrême droite et une partie de la droite française, considèrent que la France et l'Europe n'ont pas assumé conformément aux valeurs des pères fondateurs de l'Union européenne l'accueil de ceux qui sont persécutés dans leur pays, il faut assurer cet accueil. Et pour assurer cet accueil, il faut garantir les conditions de sécurité qui s'attachent à l'accueil de ceux qui relèvent du statut de réfugiés en Europe, parce que si nous ne le faisons pas, à la fin nous ne seront plus en situation d'assurer cet accueil. Donc non seulement, j'assume totalement qu'il faille traiter cette question, mais je le revendique et ça fait l'objet des demandes que j'exprime à l'Union européenne, à travers notamment la possibilité d'utiliser les éléments d’Eurodac pour assurer cette sécurisation. Mais vous prenez la question du PNR, j’en redis un mot parce que c'est très important le PNR, pour assurer la traçabilité du retour des terroristes en Europe et procéder à leur judiciarisation. Gilles DE KERCHOVE sait parfaitement qu'il y a encore un an, le PNR était hors de portée. Lorsque je suis allé en février 2015, il n'y a pas si longtemps, devant la Commission LIBE du Parlement européen, on m'a regardé avec des yeux comme des soucoupes lorsque j'ai indiqué qu'à la fin de l'année 2015, il fallait que ce sujet soit traité. Pourquoi ? Pour des raisons qui tiennent au débat au sein du Parlement sur les libertés etc. Mais nous y sommes parvenus et nous avons même réussi à intégrer dans le PNR les vols charters, les vols intra-européens, nous sommes tombés d'accord sur la durée de conservation des données. Donc quand il y a des gouvernements, quand il y a des ministres, quand il y a des acteurs comme Gilles DE KERCHOVE au sein des institutions de l'Union européenne qui décident de mettre sur le métier des sujets et de les faire aboutir avec volonté, on y parvient. Ce que je veux dire sans incriminer les institutions européennes, parce que les Etats ont aussi leur part de responsabilité, si on aime l'Europe et si on croit que l'Europe est la solution, il faut que l'Europe prenne moins de temps à prendre de bonnes décisions ; et quand elle les a prises qu'elle mette moins de temps à les appliquer. Voilà ce que nous voulons.
Caroline ROUX
C’est dit.
Gilles DE KERCHOVE
Je voudrais dire un mot sur l'immigration encore…
Caroline ROUX
Vous restez avec nous parce que de toute façon, on va en parler justement de la crise migratoire. La France s’est engagée auprès de l'Union européenne à accueillir un quota de 30.000 migrants sur 2 ans. Pour l'instant, seules 19 personnes sont arrivées, des Erythréens, nous sommes donc très loin du compte. Reportage.
(…)
Caroline ROUX
C'est la question que je vous pose Bernard CAZENEUVE, si la France tient ses engagements, ça ne va pas assez vite ?
Bernard CAZENEUVE
Mais la France est le pays qui tient le plus ses engagements en matière de relocalisation. Je donnerai les chiffres au Conseil JAI à Amsterdam pour que les choses soient bien actées. Nous avons accueilli depuis le mois de juillet, donc courant d’année 2015 322 personnes, nous en accueillons de nouveaux 40 en Loire-Atlantique lundi ; et nous en accueillons encore à la fin du mois de janvier. Quelques dizaines.
Caroline ROUX
40 en en Loire-Atlantique qui viennent d'où ?
Bernard CAZENEUVE
Qui viennent de Grèce et d'Italie, puisque nous avons décidé de procéder à la relocalisation à partir de Hotspots, et qui sont des ressortissants syriens, irakiens et érythréens, c'est-à-dire des personnes qui relèvent du statut de réfugié en Europe. Et donc nous tenons nos engagements, non seulement nous tenons nos engagements mais nous nous sommes préparés à les tenir pour que la loi asile s'applique dans de bonnes conditions, c'est-à-dire en donnant des moyens significatifs aux administrations qui ont en charge le traitement des demandes d’asile.
Caroline ROUX
Bernard CAZENEUVE, vous êtes trop exigeant dans votre façon d'exercer vos responsabilités pour vous satisfaire de ces chiffres-là, par rapport aux objectifs qui sont fixés, par rapport à la réalité de ce qu'est la crise migratoire avec des millions… des milliers de réfugiés qui arrivent sur les côtes européennes ?
Bernard CAZENEUVE
C’est parce que je suis exigeant que je tiens ce raisonnement-là, parce que si nous considérons demain que l'Europe peut accueillir tous les réfugiés, que tout cela peut se faire sans aucune maîtrise, que nous devons laisser chacun entrer sans aucun contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne sans que les Hotspots ne fonctionnent et prennent les empreintes et définissent l'identité des migrants, alors là on n’est pas exigeant, on est irresponsable. C'est précisément parce que je suis exigeant que je considère que l'accueil que nous devons organiser implique de la maîtrise et de l'organisation. Et il reste au coup de choses à faire. Ce que je veux dire devant vous, parce que c'est le cas, que les différents pays de l'Union européenne donnent les chiffres du nombre de personnes relocalisables qui sont accueillies, nous sommes ceux qui remplissons au titre des obligations européennes le mieux nos engagements. Et nous le faisons en prenant toutes les précautions parce que ceux que nous accueillons sont des personnes qui… dont on connaît l'identité, dont on peut établir la traçabilité du parcours, parce que l'accueil doit se faire dans des conditions de sécurité que chacun comprend.
Caroline ROUX
Je voudrais vous montrer deux images, enfin notamment un tableau que vous connaissez bien sûr le problème du nombre d'entrées irrégulières dans l'espace Schengen. On voit bien que les chiffres et la croissance est exponentielle, l'autre information parce que la migration, les migrants ce sont des chiffres mais aussi des drames, puisqu'il y a eu 44 morts dont 20 enfants qui sont morts donc en tentant de rejoindre nos côtes, ça se passé entre la Grèce et la Turquie. Je me tourne vers vous Jean-Dominique GIULIANI, vous voulez revenir sur cette réalité à la fois en chiffres, cette réalité humaine en abordant particulièrement le cas grec.
Jean-Dominique GIULIANI
Oui. Monsieur le ministre, un million au moins de réfugiés immigrés, on ne sait plus trop, en 2015 et vraisemblablement – je rentre d'Allemagne – 3.000 par jour en plein hiver, donc on peut craindre un doublement pour l'année prochaine. La frontière extérieure de l'Union a cédé entre la Grèce et la Turquie, elle n'est plus contrôlée malgré tous les efforts. Alors des institutions européennes, Jean-Claude JUNCKER propose un corps de gardes-frontières européens, qu'en pensez-vous, est-ce que c'est la bonne solution ? Et puis j'ai une deuxième sous-question. Nous sommes, nous, le président de la République en est fier, un peu les amis privilégiés des Grecs, qu'est-ce qu'on fait pour les aider à sécuriser cette frontière très difficile à organiser, puisqu'il y a une multitude d'îles ? Madame MERKEL, on l'a vu, traite avec les Turcs, je suis très sceptique là-dessus, est-ce qu'on aide les Grecs physiquement avec nos douaniers, nos policiers, nos ordinateurs à faire en sorte qu'on puisse partager et faire la part entre ceux qui méritent une protection sous contrôle, comme vous le faites, et ceux qui relèvent de l'immigration et qui doivent être traités dans un autre cadre ?
Bernard CAZENEUVE
Là aussi une réponse extrêmement précise. Si nous voulons aider les Grecs, il faut d'abord que ce que nous avons décidé au sein de l'Union européenne à la frontière extérieure, la Grèce, l'Italie également soit mis en œuvre. Les Hotspots dont on a décidé de la mise en place
Caroline ROUX
Vous pouvez nous rappeler ce que c’est que les Hotspots ?
Bernard CAZENEUVE
Les Hotspots ce sont des lieux d'accueil des migrants au sein desquels, ils sont enregistrés, leur identité établie. Et c'est à partir de ces lieux que se fait la relocalisation entre les différents pays de l'Union européenne…
Caroline ROUX
Il y en a 4.
Bernard CAZENEUVE
Et ils doivent fonctionner correctement. Aujourd'hui ce n'est pas le cas, je le dis très clairement, à partir du moment où ces Hotspots ne sont pas aussi des lieux de rétention aussi longtemps qu'on n'a pas pris les empreintes et les identités, ça ne marchera pas. Et donc il faut aujourd'hui faire monter en puissance ces dispositifs européens pour que ça fonctionne. Frontex, nous avons proposé – Gilles DE KERCHOVE sans souvient puisqu'il était autour de la table – la mise en place de garde-côtes, on a décidé de mettre en place des gardes aux frontières, des gardes-côtes. On augmente de 250 millions d'euros le budget de Frontex, la France donnera toute sa contribution à Frontex, y compris en compétences humaines. Et nous sommes prêts à le faire tout de suite parce que nous voulons que ce dispositif se mette en œuvra dans les semaines qui viennent. Deuxièmement, il faut que, au moment où les personnes arrivent dans les hot-spots, ce que j’indiquais tout à l'heure sur l’interrogation du SIS, la banque Eurodac soit faite. Et ça pour moi c’est un point fondamental, il faut que les polices, les services spécialisés de police de l’Union européenne EUROPOL mettent en place des structures d’identification des faux documents. Donc cela doit être fait. Et nous, nous sommes prêts – je me rendrai en Grèce le 4 février avec mon homologue allemand – pour dire à mon homologue grec - nous rencontrerons monsieur TSIPRAS également - que nous sommes prêts à mobiliser les moyens français pour aider les Grecs à mettre en place parce qu'on ne peut pas ne pas être aussi solidaire de ceux qui assurent cet accueil. Donc nous sommes disponibles, nous avons un agenda précis, nous sommes prêts à faire mais ça ne suffira pas. Je pense qu'il faut aussi tenir un discours clair sur ces sujets-là. L'Europe ne peut pas accueillir tous les migrants qui, soit pour des raisons économiques, soit pour des raisons politiques cherchent un avenir pour eux-mêmes et leurs familles.
Caroline ROUX
Ça, c’est à Angela MERKEL que vous dites cette phrase.
Bernard CAZENEUVE
Il faut le dire très clairement au sein de l'Union européenne, sinon quelles que soient les précautions que nous prendrons, nous n'y arriverons pas. Enfin, il y a un troisième point sur lequel je voudrais insister.
Caroline ROUX
Il est important ce message parce qu’on voit bien qu’il y a un débat, y compris au sein de l’Union européenne, sur l’attitude à avoir. On a vu que c’était sur la question du terrorisme aussi, mais aussi sur la gestion de la question des migrants. Quand je vous disais : « C'est à Angela MERKEL que vous dites ce message », est-ce que c’est bien le cas ? Est-ce qu’il y a eu une erreur dans l’affichage de l’Allemagne vis-à-vis de ce qu’elle a dit aux migrants, sous entendu : « Soyez les bienvenus » ?
Bernard CAZENEUVE
C’est un message qui doit être celui de l'Union européenne, pas de l'Allemagne en particulier, et je pense que ce message doit être dit clairement par l'ensemble de ceux qui ont une responsabilité au sein de l'Union. Enfin, j'ajoute un point qui est très important et sur lequel il faut être clair : ceux qui ne relèvent pas du statut de réfugié en Europe doivent être reconduits. Les hot-spots doivent être aussi des lieux à partir desquels on procède aux reconductions.
Jean-Dominique GIULIANI
Ce n'est pas le cas.
Bernard CAZENEUVE
Ce n'est pas le cas parce que les hot-spots ne fonctionnent pas comme ils doivent fonctionner. Ce n'est pas le cas non plus, il faut aussi le reconnaître, parce que nous n'avons pas réussi alors que nous avions donné un mandat à la haute représentante de le faire, à négocier des conventions de maintien et de retour avec les pays de la bande sahélienne. Et là je le dis au représentant de la Commission qui est ici, il faut le faire, parce qu’il faudra reconduire ceux qui doivent être reconduits, et en France nous le faisons. Nous le faisons en démantelant les filières de passeurs ; 25 % de filières de passeurs démantelées en 2015, plus qu'en 2014, et nous allons maintenir cette action en 2016. Nous reconduisons plus, contrairement à ce que j’ai lu dans un certain nombre d'articles il y a de cela quelques heures, nous reconduisons plus à travers les reconductions forcées qui seront les vraies reconductions, qui n'incluent pas ces reconductions qu'on faisait à destination de la Bulgarie et de la Roumanie à grand renfort d'argent public. Et le nombre de reconduites à la frontière hors Union européenne a augmenté de 11 %, ce qui est absolument considérable au regard de ce qui avait été fait les années précédentes.
Jean-Dominique GIULIANI
Deux questions rapides. Les Allemands ont ce problème d'immigration, peut-être de leur faute ; nous avons ce problème de sécurité, deux problèmes de nature différente qui relèvent tous les deux de votre responsabilité. Vous êtes un Européen, vous avez été ministre des Affaires européennes, je connais vos convictions. N'est-ce pas le moment d'avoir avec l'Allemagne d'abord et rapidement une sorte de relance un peu ? Parce qu'on ne peut pas attendre six mois pour que la directive soit votée, mise en œuvre. Vous l’avez dit : les citoyens ont l’impression que tout ça traîne, que l'Europe ne répond pas. Est-ce qu’on ne peut pas agir d'abord à deux, montrant l'exemple ? Et puis ma deuxième question, elle est plus à Bernard CAZENEUVE que je l’adresse, parce que je vous connais, vous êtes un homme de cœur, de conviction, vous êtes aussi un socialiste. Quand on voit ces images quand même, toute l'histoire nous saute aux yeux. Entre les deux guerres mondiales, les ministres européens se disputaient déjà des quotas de juifs qui fuyaient le nazisme. Les Américains les remettaient à la mer. Sur la durée, comment vous vivez ça ?
Caroline ROUX
Commençons peut-être par cette question-là.
Bernard CAZENEUVE
Je vis ça comme une extraordinaire blessure, comme tous les humanistes qu'ils soient socialistes ou pas, et qui sont attachés à l'idéal européen, et qui sont attachés à ce que l'Europe reste une terre d'accueil. Quand je vois qu'il y a eu trois mille morts, qu'encore avant-hier il y a eu un naufrage avec quarante enfants qui ont perdu la vie, comment ne pas être dans l'effroi, dans l'horreur et dans la blessure de nos convictions et de ce qu'est notre idéal européen ? C’est précisément parce que je ressens cela comme je viens de vous le dire que moi je ne suis pas dans la posture, je ne suis pas dans le discours généreux. Je suis dans la recherche de solutions qui permettent d'accueillir ceux qui doivent l'être, qui permettent de démanteler les filières du crime qui sont les filières de la traite des êtres humains, qui permettent aussi d'apporter la démonstration à tous les citoyens d'Europe, dans un contexte où l'Europe se brunit, où les populismes, les extrémismes montent, en France avec toutes les outrances que l'on sait, qu'il n'y a pas d’incompatibilité entre la sécurité pour les citoyens et la tradition d'accueil à la laquelle nous sommes attachés.
Caroline ROUX
La deuxième question très vite sur le rapport avec le couple franco-allemand. Très vite, s'il-vous-plaît.
Bernard CAZENEUVE
La deuxième question pour ce qui concerne le couple franco-allemand. Nous avons obtenu la réforme du code Schengen, article 7-2 du code Schengen modifié – Gilles de KERCHOVE le sait. Nous avons obtenu la mise en place de ces hot-spots qu’il faut conforter, la réforme de Frontex. S'il n'y avait pas eu l'axe franco-allemand, s’il n’y avait pas eu l'extraordinaire relation de confiance entre Thomas de MAIZIERE et moi-même au Conseil JAI, nous n’aurions pas obtenu ces résultats. Nous allons parler ensemble avec Thomas de MAIZIERE lundi. Je vais à Berlin mercredi matin pour participer au Conseil des ministres allemand.
Caroline ROUX
Oui. Donc le couple franco-allemand se porte bien sur ces sujets-là.
Bernard CAZENEUVE
Ensuite, je ferai une conférence de presse avec Thomas de MAIZIERE, donc je m'exprimerai devant le Conseil des ministres allemand en présence de la chancelière sur ces sujets. Je crois à l'axe franco-allemand, je crois qu'il faut le faire monter en puissance, et nous nous y employons Thomas de MAIZIERE et moi-même.
Caroline ROUX
Alors, Nicolas BARRE ?
Nicolas BARRE
Il y a quelque chose qui me frappe moi en vous écoutant tous, c'est qu’on sait très bien quand il s'est agi d'éviter la faillite financière de la Grèce, d'éviter la faillite des banques, de résoudre la crise de la zone euro, là on a su mobiliser des centaines de milliards d'euros en Europe. Et là aujourd'hui, avec cette crise des migrants et ce problème de sécurisation des frontières extérieures de l'Union européenne, on sent bien que ça traîne et qu'on n’y arrive pas. Comment se fait-il ? C'est quoi ? C’est une forme de cynisme ? On sait résoudre les problèmes financiers massifs mais là, quelque chose qui concerne tous les citoyens européens, on a l'impression qu'on patauge en fait.
Bernard CAZENEUVE
Beaucoup de choses ont été faites, beaucoup de choses restent à faire. C'est triste à dire mais c'est la réalité, il est plus facile de mobiliser des centaines de milliards pour surmonter une crise bancaire que de faire face à des flux migratoires qui renvoient à des difficultés structurelles, qui ont une dimension géopolitique et qui ne concernent pas l'Europe seule, et qui trouvent leur source dans d'autres pays que l'Union européenne. La situation en Libye, la situation de l'immigration économique dans la bande sahélienne sont des sujets sur lesquels nous pouvons influer à travers notre politique de développement, mais ce sont des sujets qui ne relèvent pas de la seule décision européenne donc ce sont des sujets, pour résumer, beaucoup plus compliqués. Mais je partage votre sentiment que, sur ces sujets-là, le temps de la prise de décision est trop long et le temps de l'application des décisions prises l'est tout autant. C'est la raison pour laquelle la France demande une accélération du calendrier et des décisions. Nous avons beaucoup obtenu en 2015 ; il faut aussi valoriser ce qui a été obtenu.
Nicolas BARRE
Justement jusqu'alors vous citiez la Libye et c'est intéressant parce qu'il y a un pays voisin de la Libye en ce moment, en Tunisie, où depuis quelques jours on assiste à des troubles très importants dans le centre de la Tunisie, à Kasserine - c'est près de Sidi Bouzid, là où il y a eu la révolution il y a cinq ans. Effectivement la Tunisie, c'est finalement le seul pays qui peut se prévaloir d'un printemps arabe réussi puisque c'est aujourd'hui une vraie démocratie.
Bernard CAZENEUVE
C'est d'ailleurs pour ça que les terroristes veulent détruire cette œuvre démocratique.
Nicolas BARRE
Voilà. Les islamistes profitent d'un terreau économique difficile. Est-ce que là on n'a pas manqué une occasion, nous en Europe, d'aider un pays comme celui-ci ? Parce que la Tunisie est certes un petit pays, mais on voit bien que si cette bande, si ces pays sont déstabilisés par la situation en Libye et ailleurs, forcément ça va alimenter une vague de migration ? Est-ce qu’on n’aurait pas dû être davantage actifs pour aider un pays comme celui-ci ?
Bernard CAZENEUVE
Nous sommes très présents en Tunisie. Lorsqu'il y a eu l'attentat sur la plage à Sousse, nous nous sommes rendus avec Thomas de MAIZIERE, et Theresa MAY en Tunisie. Nous avons proposé un programme complet d'accompagnement de la Tunisie dans la lutte antiterroriste qui concernait à la fois la maîtrise des frontières, la lutte contre les faux documentaires, la maîtrise de la sécurité dans les aéroports. J’ai moi-même rencontré à plusieurs reprises mon homologue tunisien. Vous savez que nous avons signé une convention de partenariat sur tous les sujets dont vous venez de parler.
Caroline ROUX
Il faut des moyens supplémentaires ou pas ? C’est ça que vous voulez dire, Nicolas BARRE ?
Bernard CAZENEUVE
S’il faut des moyens supplémentaires dans le cadre de la mise en œuvre de ces protocoles que nous avons signés, nous les mettrons en œuvre à la demande de la partie tunisienne sans aucune ambiguïté parce que nous sommes dans un partenariat historique avec la Tunisie, que d'autres pays de l'Union européenne que la France sont mobilisés en Tunisie.
Gilles de KERCHOVE
L’Union européenne s’est mobilisée en Tunisie.
Bernard CAZENEUVE
L’Union européenne elle-même est de façon absolument remarquable en Tunisie, donc il est faux de dire que nous ne sommes pas présents en Tunisie. Si le gouvernement tunisien considère que nous devons l'être davantage en fonction de ce que sont ses propres priorités, nous le serons. Parce que nous avons bien conscience qu'il y a un risque pour la Tunisie résultant notamment du désordre qui s'est enkysté en Libye.
Nicolas BARRE
L’une des raisons qui font que, en Europe et particulièrement en France, cette crise des migrants inquiète, c'est qu’on se dit qu’avec un taux de chômage important comme on en a en France autour de 10 %, avec surtout des zones, des quartiers ,des régions où ce taux de chômage peut être de 30, 40, 50 % parfois, on ne voit pas très bien comment on peut accueillir une vague importante de migrants. L’autre jour, le ministre allemand des Finances disait : « Nous avons déjà accueilli un million de migrants, on ne peut pas faire davantage. En quelque sorte, c'est à nos voisins de faire l'effort ». Comment est-ce qu'on répond à ça ? Puisqu’il y a un vrai sujet économique derrière, il ne faut pas être naïf. On voit bien que, au-delà de la tragédie humaine, il y a un sujet économique qui inquiète les citoyens européens et français en particulier.
Bernard CAZENEUVE
Mais c'est bien la raison pour laquelle, je dis très clairement à votre antenne que nous devons accueillir dans le respect des valeurs des pères fondateurs de l'Union européenne, mais que nous devons le faire en maîtrise parce que sinon le problème que vous venez d'indiquer se posera. Comment est-ce qu'on répond à cette difficulté ? On vient d'évoquer tous les sujets qui renvoient à la solidarité européenne, à l'axe franco-allemand, je n'y reviens pas. Il y a aussi la nécessité, avec le HCR qui fait un travail remarquable, qui a fait un travail absolument formidable sous la présidence dont une António GUTTERES, de faire en sorte que nous puissions donner des moyens très rapidement au HCR, et nous avons pris la décision de le faire, pour permettre le maintien de ceux qui veulent venir en Europe dans les camps de réfugiés, de telle sorte à ce que ceux-ci aussi puissent retourner dans leur pays lorsque la situation se sera rétablie.
Caroline ROUX
Vous y croyez vraiment en disant ça, Bernard CAZENEUVE ? Vous pensez vraiment qu’ils viennent en Europe pour repartir dans leur pays ?
Bernard CAZENEUVE
Je parle de ceux qui sont dans les camps au Liban ou ailleurs. Je pense qu'il faut tout faire pour qu’ils puissent y être maintenus. Pourquoi ? Parce qu’on ne veut pas priver la Syrie de demain ou la Libye de demain de toutes les forces vives que constituent ces étudiants, ces diplômés, qui une fois qu’ils seront installés en Europe n'auront peut-être pas envie de retourner dans leur pays ; vous avez raison de le dire. C'est aussi la raison pour laquelle il faut organiser cela. Puis par ailleurs, il est absolument indispensable que ceux qui viennent s'intègrent dans les meilleures conditions. Si je dis aussi que nous ne pouvons accueillir tout le monde, et si je réorganise l’administration française, c’est pour garantir à haut niveau l’intégration.
Nicolas BARRE
« S’intègrent dans de bonnes conditions », qu’est-ce que ça signifie ? Est-ce que ça veut dire qu’il faut construire davantage d'écoles, qu'il faut recruter des enseignants pour prendre en charge ces populations-là ? Parce que concrètement, c'est ça qui se passe, on le voit bien d'ailleurs en Allemagne. Il y a en quelque sorte un stress sur l'ensemble des services publics et notamment sur le service public de l'éducation qui est extrêmement fort. C'est très difficile d'accueillir ces populations. Est-ce que donc vous êtes prêt à faire ce genre d'efforts en France ?
Bernard CAZENEUVE
Une réponse extrêmement précise. D'abord quelle est la situation de l'asile en France ? Nous aurons 79 000 demandes d'asile en 2015 là où nous en avions 65 000 les années précédentes, donc on n'est pas du tout dans une explosion de la demande d'asile en France. 2/ La France prendra toutes ses responsabilités dans le cadre du processus de relocalisation, mais la France ne souhaite pas un dispositif permanent de relocalisation, précisément parce qu'elle veut bien faire les choses. Troisièmement, oui nous nous organisons pour assurer l'accueil dans les meilleures conditions possibles. On aura créé pendant le quinquennat 18 000 places supplémentaires en centre d'accueil pour demandeurs d'asile. Je mets en place le contrat d'intégration pour que l'apprentissage de la langue française soit plus exigeant. Nous mobilisons avec la ministre de l'Education nationale les écoles pour pouvoir favoriser l'intégration des enfants dans les meilleures conditions. Nous mettons en place, dès lors que la demande d'asile est déposée, tout un processus d'intégration d'apprentissage de la langue française. J’ai nommé, vous le savez, un préfet qui est chargé sur l'ensemble du territoire national de mobiliser les collectivités locales, pour permettre l'accueil dans des logements de droit commun, des logements habituels, de tous ceux qui relèvent de l'asile en France et qui, par conséquent, doivent avoir rapidement la possibilité de pouvoir s'intégrer dans la société. Nous avons mobilisé pour cela des moyens, et ce que vous dites est exactement notre préoccupation, et par conséquent ce que nous faisons.
Caroline ROUX
Alors nous avons un peu parlé de l'Allemagne, nous y allons pour découvrir le projet House of one. L’idée, c'est de rassembler dans un même bâtiment une église, une mosquée, une synagogue. Le but de l'opération : évidemment, prôner le dialogue interreligieux. La première pierre sera posée en 2018. Reportage.
(…)
Caroline ROUX
Le vivre ensemble comme on dit, le voilà notre sujet à tous. Je voudrais vous donner des chiffres que vous connaissez par cœur. Le triplement des actes antimusulmans à 400 pour l'année 2015, 806 actes antisémites -néanmoins c'est beaucoup - mais en baisse de 5 %. Il fait bon être musulman, il fait bon être juif aujourd'hui en France, Bernard CAZENEUVE ?
Bernard CAZENEUVE
Les musulmans et les juifs de France savent qu'ils sont protégés. Ils sont protégés précisément parce que l'antisémitisme a beaucoup augmenté au cours des dernières années, depuis le début des années 2010, que les actes antimusulmans ont augmenté après les attentats de janvier. Ils ont été beaucoup moins importants en progression après les attentats de novembre, précisément je crois parce que nous avons pris des dispositions. La laïcité, c'est la possibilité de croire ou de ne pas croire et dès lors que l'on a fait librement le choix de son chemin et de sa religion, on doit avoir la garantie d'être protégé par l'Etat qui assure la liberté de culte. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle il n'en reconnaît aucun. C'est ce que nous faisons en mobilisant des milliers de policiers, de gendarmes, de militaires devant les lieux de culte.
Caroline ROUX
Pour les éviter, mais est-ce que ceux-ci seront sanctionnés ?
Bernard CAZENEUVE
Ils seront sanctionnés avec une extrême sévérité. J'ai donné des instructions aux préfets de saisir les procureurs de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale à chaque fois que sur un territoire il y a un acte antisémite, antimusulman, antichrétiens. Il y a aussi des profanations de lieux de culte chrétiens ou de cimetières qui sont inacceptables, et j'ai demandé à ce que cela soit fait avec la plus grande fermeté. Cela est fait systématiquement, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous commençons à obtenir des résultats.
Caroline ROUX
Donc le ministre du Culte se cache derrière la casquette du ministre de l'Intérieur. La solution, c'est la sanction.
Bernard CAZENEUVE
Le ministre de l’Intérieur est ministre des cultes, donc la solution c'est la protection des lieux de culte, ce n'est pas la sanction. C'est la sanction parce qu'il faut être extrêmement sévère à l'égard de tous les actes racistes, antisémites, de toutes les profanations parce que c'est une blessure pour les fidèles. Troisièmement il faut favoriser le vivre ensemble, le dialogue interreligieux. C’est ce que je fais constamment.
Caroline ROUX
Ça raconte quoi ce chiffre-là, Bernard CAZENEUVE ? Ils racontent quoi ces chiffres-là de notre pays ?
Bernard CAZENEUVE
Cela raconte de notre pays que – et ça raconte des choses sur notre pays mais pas seulement, parce que nous sommes pas le seul pays concerné - que dans un monde où la notion de respect s’efface et s'étiole, dans un monde où on peut sur Internet s'insulter dans l'anonymat sans qu'il n’y ait plus aucune limite, plus aucune borne, dans un monde où l'insulte de l'autre est devenue parfois dans un certain nombre d'espaces, la règle où l'altérité s'efface, la vigilance de l'Etat c'est de rappeler chacun à la règle du respect, au principe du respect, d'entretenir l'altérité et de faire vivre le vivre ensemble. C'est la raison pour laquelle moi je suis absolument intraitable, et les préfets ont des consignes à l'égard de tous ceux qui commettent ces actes, et que par ailleurs comme ministre des Cultes je m'emploie à entretenir ce dialogue interreligieux, à parler du vivre ensemble, et là aussi à essayer de faire en sorte qu’il y ait des paroles de sagesse plutôt que des paroles d'outrance qui créent de la division, de la confrontation dans le pays sur ces questions.
Caroline ROUX
Des paroles de sagesse, allons-y sur la question de la laïcité. Il y a une polémique autour de la laïcité en ce moment entre le président de l'Observatoire de la laïcité Jean-Louis BIANCO d’un côté, de l’autre côté Manuel VALLS. Certains appellent même – vous parliez du climat ambiant - à la démission de Jean-Louis BIANCO. La question, c'est au fond jusqu'où va la laïcité ? Vous, vous dites : « La laïcité n'a pas à se durcir mais à s'affirmer ». Qu’est-ce que ça veut dire dans ce débat-là qu'on est en train de vivre au sein même de votre famille politique ?
Bernard CAZENEUVE
Je vais vous dire une chose très simple. Ça veut dire que 1/ il y a tout dans les textes de loi pour que la laïcité soit vécue comme une valeur de respect et de liberté. 2/ Ça veut dire…
Caroline ROUX
Ça, tout le monde est d’accord.
Bernard CAZENEUVE
Oui, mais c'est déjà bien le dire parce qu'il y a toujours des acteurs politiques qui préconisent de nouvelles lois. Moi, je pense qu'il y a tout dans les textes existants pour faire. S'il devait y avoir des choses supplémentaires, elles ne pourraient être que marginales. Deuxième point, la laïcité n'est pas une déclaration de guerre aux religions. C'est un principe de liberté et c'est d’ailleurs la raison pour laquelle l'Etat doit se tenir à distance de la question religieuse, conformément à l'esprit des pères fondateurs de la laïcité. Possibilité de croire, de ne pas croire, possibilité de choisir soi-même son chemin en toute liberté, le libre arbitre, la libre conscience, le respect et l’Etat en contrepartie de cela garantit la liberté de culte. S'affirmer, ça veut dire quoi ? Ça veut dire tout simplement que lorsqu’il y a un risque sur la liberté des cultes, l’Etat doit protéger les lieux de culte, que lorsqu'il y a des manifestations d'irrespect, il doit les sanctionner durement, c’est ce que nous faisons.
Caroline ROUX
Mais par exemple quand la laïcité recule, disent certains praticiens, dans les hôpitaux qui complique au fond l'exercice de leur de leur métier, le fait d'être soumis aux exigences de certains patients qui ne veulent pas - certaines femmes par exemple musulmanes - qui ne veulent pas de médecin homme, ce genre de chose, là ça n'est pas le rôle de l'Etat, ce genre de situation-là ? Parce que le débat qui oppose encore une fois Manuel VALLS et Jean-Louis BIANCO, c'est que d'un autre côté, certains disent : « Attention, les incidents sont minoritaires. Ne nous braquons pas », et de l'autre certains disent : « Il ne faut rien passer ». Vous êtes où là ?
Bernard CAZENEUVE
Moi je suis sur : « Il ne faut rien passer », je suis très favorable à ce qu'on applique la loi systématiquement et de manière extrêmement ferme et de manière extrêmement tranquille. Je pense qu'il ne faut rien passer de ce que la loi n'autorise pas, parce que sinon il y a une interprétation de la loi qui devient à géométrie variable. Il y a une illisibilité de la loi, il y a un affaiblissement de l'Etat de droit et moi, très clairement, je suis pour qu'on ne laisse rien passer. Je considère que l'état actuel du droit permet de ne rien laisser passer et que l'application tranquille du droit est ferme et permet aussi d'apaiser. Donc voilà quelle est ma doctrine.
Caroline ROUX
Donc ce débat, encore une fois entre Manuel Valls et Jean-Louis BIANCO, vous trouvez qu’il ne faut pas trop en faire, il faut que les esprits se calment. Je vous le disais, certains appellent à la démission de Jean-Louis BIANCO, vont jusque là.
Bernard CAZENEUVE
Vous n'imaginez pas, que je vais venir, alors que précisément ma démarche est celle-ci, sur votre plateau pour en rajouter.
Caroline ROUX
Vous dites que les esprits se calment.
Bernard CAZENEUVE
Mon tempérament généralement ce n'est pas d'en ajouter.
Caroline ROUX
Ca, on avait compris.
Bernard CAZENEUVE
Vous posez la question de savoir si je suis pour une laïcité qui s'applique fermement, je réponds oui, très clairement. Vous posez la question de savoir si cette laïcité qui s'applique fermement est une laïcité qui peut apaiser. Je pense que précisément parce qu’elle s'applique fermement et tranquillement, elle est de nature à apaiser. Ensuite vous me dites, est-ce qu’il faut qu'untel et untel démissionnent, comme je suis pour la fermeté et l'apaisement : je ne vais pas être pour l'irresponsabilité de ceux qui en rajoutent.
Caroline ROUX
Allez, on va passer maintenant aux photos d'actualité de la semaine, ce sera votre actualité dans les jours qui viennent, les chiffres de la sécurité routière, ils étaient mauvais en 2014, est-ce qu'ils seront meilleurs pour 2015 ?
Bernard CAZENEUVE
Je fais tout pour cela, mais je ne fais pas de promesse quand je ne suis pas sûr que je peux les tenir. Nous avons pris à l'occasion du conseil interministériel de la sécurité routière, sous l'autorité du Premier ministre, des mesures nouvelles, je pense que ces mesures sont de nature à compléter l'arsenal dont nous disposons, mais il faut là aussi et je le dis à toutes les associations qui parlent énormément à chaque fois que les statistiques sortent qu’il y a bien entendu la responsabilité de l'Etat, mais il y a aussi la responsabilité des automobilistes. Et ce que l'on constate lorsque l’on regarde les chiffres de la sécurité routière, c'est que le nombre d'accidents diminue et le nombre d'accidents graves diminue, le nombre de personnes hospitalisées diminue, mais le nombre d'accidents mortels augmente, c'est-à-dire qu’il y a moins d'accidents mais plus mortels, ça veut dire qu'il y a moins de responsabilité des automobilistes qui sont à l'origine de ces accidents, dans leur comportement. Et je pense que là aussi la responsabilité collective devrait nous inciter tous, d'une même voix, à dire l'Etat prend des précautions, il multiplie les contrôles, mais rien ne peut se substituer à la responsabilité individuelle. Et je tiens aussi beaucoup comme ministre de l'Intérieur en charge de l'application ferme du droit, à dire que le droit doit faire tout ce qu’il peut faire mais que le droit ne peut pas tout, parce qu'il y a aussi la responsabilité individuelle de chacun.
Caroline ROUX
Allez, une image de vos camarades de classe, le gouvernement. On est visiblement dans une période très remaniement, alors je vous pose la question qu’on va vous poser beaucoup dans les semaines qui viennent, est-ce que vous souhaitez vous restez ministre de l'intérieur jusqu’à la fin du quinquennat ?
Bernard CAZENEUVE
Moi, je souhaite faire ce que, et je le dis sincèrement, je leur ai dit d'ailleurs au président de la République et au Premier ministre, ce que le président de la République et le Premier ministre souhaitent pour le pays. Et je souhaite être là où je suis plus utile. il y a deux catégories d'hommes politiques, il y a ceux qui pensent qu'ils sont indispensables et ceux qui pensent qu'ils peuvent être utiles, j’appartiens à la deuxième catégorie, donc comme je ne m'estime pas indispensable, si le président de la République et le Premier ministre souhaitent mettre à ma place un autre ministre de l’Intérieur, ils savent qu'il y aura de ma part aucune autre déclaration que de soutien absolu à leur action, que je serai au Parlement dans la même responsabilité qu’au gouvernement et que je ne m'empresserai pas de susciter des articles et des écrits, pour dire à quel point lorsque j'étais au gouvernement, les choses ne devaient pas, ne se sont pas passées comme elles devaient se passer.
Caroline ROUX
C’est curieux parce que vous pourriez dire que vous êtes attaché à ce ministère-là.
Bernard CAZENEUVE
Ca ne se voit pas ?
Caroline ROUX
Si, vous pourriez dire dans un moment…
Bernard CAZENEUVE
Non mais si vous voulez, il y a deux sujets, est-ce que je suis attaché à ce ministère, tous ceux qui travaillent avec moi au sein de ce ministère et qui vivent avec moi la relation, je dirais affective que nous avons noué les uns avec les autres s’en rendent compte. Mais ça ne me donne aucun droit, on est dépositaire éphémère de légitimité, on n’a pas le droit sous prétexte qu’on est attaché à ses fonctions, d’estimer que l’on en est dépositaire à vie et qu’on a le droit de l’exercer plus qu’un autre. Parce que cela, c'est une mauvaise éthique de l’action publique.
Caroline ROUX
Ca met quand même un peu de fébrilité au sein du gouvernement, ces périodes là après remaniement.
Bernard CAZENEUVE
J’ai d’autres sujets de fébrilité pour le coup, si ça vous avait échappé.
Caroline ROUX
Ca, on l’a compris pendant une heure d’émission, merci beaucoup Bernard CAZENEUVE. On va passer maintenant à vos questions, vos questions sms. Daesh perdant du terrain en Irak et en Syrie, ne faut-il pas s'attendre à des attentats encore plus meurtriers en Europe ?
Bernard CAZENEUVE
Si nous ne mettions pas en place des actions destinées à faire perdre du terrain à Daesh en Irak et en Syrie, il y aurait encore plus d’attentats en Europe. Ce n'est pas parce que nous intervenons en Irak et en Syrie, qu’il y a des risques supplémentaires d'attentats en Europe, c'est parce qu'il y a des attentats en Europe, que nous intervenons en Irak et en Syrie. Et si nous voulons éradiquer ce groupe de barbares, il faut agir à l'intérieur, à l'extérieur sans avoir la main qui tremble avec une totale résolution.
Caroline ROUX
Combien de temps encore va durer l'état d'urgence, c'est compliqué de répondre à cette question ?
Bernard CAZENEUVE
J’ai répondu au début de… moi je souhaite que l'état d'urgence dure le moins longtemps possible mais, aussi longtemps qu'il est nécessaire pour assurer la protection des Français.
Caroline ROUX
Un sens de la pirouette.
Bernard CAZENEUVE
Non, c'est exactement comme ça que se pose problème. Et quand j'appelais tout à l'heure à la sagesse, c'est vraiment cela dont je parlais, c'est-à-dire autant qu'il est nécessaire, mais pas pour toujours, et si nous le prolongeons chaque mesure doit être utilisée de façon absolument rigoureuse et proportionnée au regard de l'objectif à atteindre.
Caroline ROUX
Que va-t-il se passer après la fin de l’état d’urgence ?
Bernard CAZENEUVE
La poursuite de la lutte résolue contre toutes les formes de violence et le terrorisme pour assurer la sécurité de l'Union européenne et des Français.
Caroline ROUX
Avec d'autres outils.
Bernard CAZENEUVE
Mais nous avons multiplié les outils, si nous donnons des moyens très significatifs, j'ai parlé des 9 000 créations de postes au sein de police et de la gendarmerie, de la réforme des services de renseignement, les moyens numériques supplémentaires que nous donnons. Voyez par exemple, je vais faire une tournée des commissariats et des pelotons de gendarmerie pour constater la livraison des véhicules, des armes, des moyens de protection. Nous sommes dans une modernisation considérable de la police et de la gendarmerie et c'est aussi ça une police bien formée, une gendarmerie bien formée, bien équipée.
Caroline ROUX
Bien formée et bien armée, avec cette question, pardonnez-moi de vous couper, faut-il armer nos policiers toute l’année hors état d’urgence ?
Bernard CAZENEUVE
Les policiers qui sont dans la rue sont armés, je n’ai pas l'état d'urgence qui les a conduit à avoir des armes, ils sont armés dans la situation de droit commun, fort heureusement sinon la sécurité des Français ne serait pas assurée.
Caroline ROUX
Visiblement pour ce téléspectateur ou cette téléspectatrice, c’était bien de me rappeler.
Bernard CAZENEUVE
Mais je lui donne cette réponse parce qu’elle correspond à la réalité de ce qui est la situation.
Caroline ROUX
Envisagez-vous de renforcer le pouvoir des policiers en matière de légitime défense ?
Bernard CAZENEUVE
Nous avons une disposition législative qui est prévue, et qui permet, face à des tueries de masse et dans un contexte là aussi, proportionné de permettre aux policiers de se protéger afin d'éviter que eux-mêmes ne soient tués, que d'autres Français le soit après eux.
Caroline ROUX
Une autre question, que fait la France pour lutter contre le trafic d'armes, la France et l'Europe, on a vu que c’était un sujet de préoccupation aussi au niveau européen ?
Bernard CAZENEUVE
en Europe, nous avons obtenu, là aussi ça a pris trop de temps mais c'est fait, la modification de la directive de 91 sur le trafic d'armes, qui va permettre de marquer les armes en Europe, de les démilitariser, de lutter davantage contre le trafic d'armes sur Internet, et j'ai présenté, hasard tragique du calendrier, quelques heures avant les attentats du 13 novembre quelques heures avant, un plan global de lutte contre le trafic d’armes qui renforce les services de contrôle des préfectures, qui développe les moyens des services spécialisés de la direction centrale de la police judiciaire pour veiller sur Internet aux échanges d'armes et qui renforce les moyens des services de police et de gendarmerie en la matière, donc nous sommes dans une action là aussi très globale et très volontariste.
Caroline ROUX
On n'en a pas parlé pendant cette émission et c’est bien qu’il y ait cette question : que se passera-t-il à Calais, si le Royaume-Uni sort de l'Union européenne ?
Bernard CAZENEUVE
Calais, c’est un sujet assez déconnecté de la position du Royaume-Uni sur l'Union européenne, puisque de toute façon Royaume-Uni n'est pas dans Schengen donc, ce que je veux faire à Calais, c'est très simple, c'est renvoyer les réseaux de passeurs en prison, nous avons de très bons résultats en 2015, de reconduire dans leur pays ceux qui n'ont pas vocation à obtenir le statut de réfugiés en France, humaniser les conditions d'accueil et plutôt que d'avoir une solution humanitaire qui n'en serait pas une à Calais où on rassemblerait tous les migrants offrir à ceux qui sont à Calais, des solutions d'intégration et d'hébergement, partout ailleurs en France, parce que c'est pour cela que, parce que c’est pour moi la vraie solution…
Caroline ROUX
Ils veulent aller en Angleterre, ils ne veulent pas aller en France.
Bernard CAZENEUVE
Peut-être mais ce n’est pas possible, donc les réseaux de passeurs leur expliquent en prélevant des sommes considérables sur eux, qu’ils passeront, ils constatent qu’ils ne passent pas, il vaut mieux par conséquent demander l’asile en France pour ceux qui relèvent de l’asile en Europe.
Caroline ROUX
Comment avez-vous réagi quand vous avez appris ce qui s'était passé à Cologne, que feriez-vous si ça arrivait en France, je me permets d'ajouter : est-ce arrivé en France ?
Bernard CAZENEUVE
Lorsque j'ai appris ce qui s'était passé à Cologne, j'ai été absolument indignés de ce qui s'était passé et j’ai eu d’ailleurs avec mon homologue allemand un échange pour exprimer bien entendu cette indignation au moment où il me donne les informations et si ça arrive en France, c’est très simple, c’est déclenchement de l’action publique et la plus grande sévérité à l'égard de ceux qui ont commis ces actes.
Caroline ROUX
Donc ça n'est pas arrivé en France ?
Bernard CAZENEUVE
Non mais qu’il y ait eu des actes qui aient pu être commis en France par des étrangers en situation irrégulière, c’est possible, je vous dis que ça n’a pas eu lieu, et que vous me sortez c’est tout à fait possible, et c’est condamné avec la plus grande fermeté par les forces de sécurité…
Caroline ROUX
On a entendu parler de quatre plaintes…
Bernard CAZENEUVE
Mais ces plaintes, elles doivent être inscrites avec la plus grande fermeté, le droit doit passer et la justice sur la base des éléments des enquêtes doit faire passer le droit avec une fermeté sans faille.
Caroline ROUX
C’est dit, merci beaucoup Bernard CAZENEUVE.