22.01.2015 - Intervention de Bernard Cazeneuve dans l'émission "Des paroles et des actes"

22.01.2015 - Intervention de Bernard Cazeneuve dans l'émission "Des paroles et des actes"
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Bernard Cazeneuve était l'invité de David Pujadas dans l'émission "Des paroles et des actes" avec les intervenants Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, vice-présidente de l’UMP ; Marc TREVIDIC, juge antiterroriste, vice-président du pôle antiterroriste au tribunal de Paris ; Abdelali MAMOUN, imam d’Alfortville, président des imams de France et Alain JAKUBOWICZ, avocat, président de la LICRA

Bernard Cazeneuve était l'invité de David Pujadas dans l'émission  "DES PAROLES ET DES ACTES" avec les intervenants Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, vice-présidente de l’UMP ; Marc TREVIDIC, juge antiterroriste, vice-président du pôle antiterroriste au tribunal de Paris ; Abdelali MAMOUN, imam d’Alfortville, président des imams de France et Alain JAKUBOWICZ, avocat, président de la LICRA


David PUJADAS

Bonsoir. Que fait-on maintenant ? La France est bien vivante, elle l’a montré le 11 janvier dernier, mais elle redécouvre ses fractures. Comment trouver ou retrouver la cohésion ? Ce soir, après le choc c’est cette France qui s’interroge sur elle-même qui est l’invitée de ce numéro spécial « Des paroles et des actes ».

A circonstances exceptionnelles émission exceptionnelle, Emmanuel MACRON devait être l’invité ce jeudi, l’émission est reportée, elle aura lieu dans trois semaines, et on remercie au passage Emmanuel MACRON pour sa compréhension.

« La France après le choc », c’est donc l’intitulé ce soir. On va procéder en deux temps, dans quelques instants on va évoquer ce qu’ont révélé ces événements, les racines des attentats, les minutes de silence perturbées, cette partie de la société qui ne s’identifie plus semble-t-il à la République, l’école déstabilisée, on va en parler très directement avec des enseignants, avec des parents, avec des habitants ou des élus de ces quartiers, avec des intellectuels, Nacira GUENIF, Alain FINKIELKRAUT et avec la ministre qui est en première ligne et qui a fait des propositions cet après-midi, Najat VALLAUD-BELKACEM.

Mais d’abord la riposte, la riposte la plus immédiate, la plus vitale, celle qui concerne notre sécurité face à la menace. Est-elle suffisante cette sécurité ? Sommes-nous bien protégés ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? Le ministre de l’Intérieur, qui ne s’est pas encore exprimé, est avec nous, bonsoir Bernard CAZENEUVE, merci de le faire…

Bernard CAZENEUVE

Bonsoir.

David PUJADAS

…ici ce soir. Avec nous aussi Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, vice-présidente de l’UMP, bonsoir.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Bonsoir.

David PUJADAS

Un avocat soucieux des libertés, Alain JAKUBOWICZ, président par ailleurs de la LICRA, bonsoir à vous. Le vice-président du pôle antiterroriste au tribunal de Paris, le juge TREVIDIC, merci d’être avec nous. Vous avez eu en charge quelques-uns des plus gros dossiers du terrorisme ces dernières années. Nicolas ARPAGIAN, spécialiste des questions de sécurité sur Internet et vous nous ferez dans quelques instants une démonstration étonnante. On salue également l’imam Abdelali MAMOUN.

Abdelali MAMOUN

Bonjour.

David PUJADAS

Bonjour. Les enseignantes Laurence de COCK et Barbara LEFEBVRE, vous êtes surtout là pour participer au second débat, si vous souhaitez intervenir évidemment vous pourrez le faire. Je précise enfin à vous qui nous suivez que vous pouvez suivre cette émission sur francetvinfo.fr et que certains de vos messages s’afficheront à l’écran.

Bernard CAZENEUVE, à vous d’abord, 15 jours après les attentats est-ce que la menace est toujours aussi élevée aujourd’hui en France ?

Bernard CAZENEUVE

La menace est élevée, il faut la regarder en face, nous sommes face à un terrorisme en libre accès, très différent de celui auquel notre pays a pu être confronté dans les années 90 lorsque des petits groupes venus généralement de l’étranger fomentaient et perpétraient des attentats sur le sol national. Aujourd’hui, par l’effet de la numérisation, on ne parlera, par le fait aussi que la radicalisation se fait en prison et qu’un certain nombre de délinquants basculent dans le terrorisme.

David PUJADAS

Libre accès, ça signifie qu’à tout moment on peut « s’improviser » entre guillemets terroriste et donc que la menace peut surgir un peu partout ?

Bernard CAZENEUVE

Il y a le processus d’auto-radicalisation, il y a sur Internet une propagande avec des sites, avec des blogs, avec les réseaux sociaux qui diffusent des images, qui diffusent aussi des discours, qui appellent à la haine, qui provoquent au terrorisme et appellent au terrorisme et par conséquent nous avons aujourd’hui près de 3 000 de nos ressortissants qui sont concernés par ces phénomènes, ceux qui ont eu la tentation de partir en Irak et en Syrie ou ils sont partis, à peu près 1 200 avec une augmentation de 82 % du nombre de ces ressortissants français vulnérables qui se sont engagés dans ces opérations. Nous avons ceux qui sont en lien avec des organisations au sein de cellules dormantes ou de cellules plus ou moins actives, à peu près 400. Puis nous avons le millier d’internautes qui interviennent sur les réseaux sociaux, diffusent des messages, sont parfois issus de la petite délinquance et qui peuvent à tout moment basculer. Donc c’est un enjeu très considérable et c’est très différent de celui auquel nous avons eu à faire face jusqu’à présent. Et le Premier ministre comme le président de la République l’ont dit à plusieurs reprises et je veux le dire ce soir aux Français, nous sommes face à une menace qu’il faut regarder en face, qui est une menace élevée et face à laquelle nous devons maintenir un très haut niveau de vigilance.

David PUJADAS

Mais pour que les choses soient claires, quand on dit « menace élevée » on ne pense pas forcément à des gens dont on se dit qu’ils sont peut-être en train d’essayer de fomenter quelque chose, c’est une menace globale en fait, c’est plus un état de vigilance ultra-renforcé…

Bernard CAZENEUVE

Mais il y a un niveau de vigilance ultra-renforcé parce qu’il y a une menace diffuse, on la voit sur les réseaux Internet, on voit qu’il y a un climat, il voit qu’il y a un écosystème du terrorisme mais un écosystème numérique notamment, pas seulement. Et puis par ailleurs j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le Premier ministre l’a dit aussi, que le travail de nos services de renseignement a permis de déjouer un certain nombre d’actes au cours des derniers mois. Donc quand je dis vigilance maximale ça veut dire mobilisation de tous les services qui dépendent du ministère de l’Intérieur et pas seulement, attention à chaque signal y compris les signaux faibles de manière à faire en sorte que les Français soient protégés. Et en même temps 100 % de précaution, c’est ce que nous essayons de faire, c’est ce que nous voulons faire, ne signifie jamais le risque zéro.

David PUJADAS

Est-ce que ça signifie qu’il faut que tous ceux qui nous écoutent ce soir s‘habituent pendant les semaines, les mois qui viennent à vivre peut-être avec des militaires dans la rue, à vivre avec des consignes de sécurité renforcées comme c’est le cas actuellement ?

Bernard CAZENEUVE

Ca veut dire qu’il est de notre responsabilité au gouvernement de prendre toutes les précautions. C’est la raison pour laquelle le plan Vigipirate avait été rehaussé avant les attentats, qu’il a été mis au niveau Vigipirate Attentat après que les crimes abjects ont été commis et c’est la raison pour laquelle…

David PUJADAS

Mais ça peut durer des mois ?

Bernard CAZENEUVE

Mais aussi longtemps qu’il y aura une menace sur des lieux de culte, sur des institutions, sur des écoles, il est de notre rôle bien entendu d’assurer la protection des Français.

David PUJADAS

Il faut qu’on s’habitue à ça…

Bernard CAZENEUVE

Aussi longtemps que la menace existera, il faut vivre avec et en même temps il ne faut pas se laisser envahir par l’effroi, si nous prenons tant de dispositions c’est aussi pour envoyer le signal aux terroristes que nous avons l’intention de continuer à vivre debout comme nous avons toujours vécu, c’est aussi le sens de la grande manifestation qui eu lieu dimanche dernier et qui a permis à la République de montrer qu’elle était plus forte que l’effroi qu’on veut lui imposer. Mais en même temps si on veut continuer à vivre avec un bon niveau de sécurité il faut prendre des précautions.

David PUJADAS

Il faut s’habituer.

Bernard CAZENEUVE

Il ne faut pas céder à l’effroi parce que ce serait céder aux terroristes et en même temps face aux risques il faut prendre toutes les précautions.

David PUJADAS

Vous avez parlé de ces 3 000 personnes, vous les avez détaillées, ce ne sont pas 3 000 personnes qu’on est en train de surveiller jour et nuit, dont on surveille chaque déplacement ?

Bernard CAZENEUVE

Mais je vais vous donner quelques chiffres qui montrent l’enjeu auquel nous sommes confrontés et qui expliquent les mesures annoncées par le Premier ministre hier et auxquelles nous avons avec les ministres concernés collaboré à l’élaboration. Nous avons 3 100 personnes à la Direction générale de la sécurité intérieure qui consacrent 50 % de leur activité à la lutte antiterroriste. Nous avons d’autres services qui décèlent les signes faibles comme le Service du renseignement territorial ou la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris. Mais nous avons 3 000 personnes qui ne présentent pas d’ailleurs le même niveau de risque, d’où l’importance non seulement de collecter du renseignement mais d’être capable de l’analyser et de croiser les analyses pour prioriser ce que…

David PUJADAS

Là-dessus il y a une centaine de personnes qui sont vraiment suivies en permanence ?

Bernard CAZENEUVE

Non, il y a un très grand nombre de personnes qui sont suivies, nous veillons…

David PUJADAS

Quelques dizaines, quelques centaines ?

Bernard CAZENEUVE

Nous veillons à tout, nous avons plusieurs outils pour cela, la Direction générale de la sécurité intérieure examine la situation de ceux dont elle est convaincue qu’ils peuvent s’engager dans des actes terroristes et de manière à éviter que ces actes ne surviennent. Il y a la plateforme Pharos que j’ai visitée il y a de cela quelques jours qui est située au sein de la Direction centrale de la police judiciaire et qui examine tous les appels qui peuvent intervenir sur Internet d’appels au racisme, à la haine, qui provoquent et appellent au terrorisme, il y a la Direction du renseignement de la préfecture de police, il y a de nombreux services qui sont mobilisés.

David PUJADAS

Mais on comprend que vous ne pouvez pas donner de chiffres précis sur ceux qui font l’objet d’une surveillance jour et nuit maximale…

Bernard CAZENEUVE

Nous regardons de près la situation des combattants étrangers, nous regardons de près la situation des quelque 400 dont je viens de parler qui sont en lien plus ou moins fort avec des organisations terroristes. Et encore une fois le principe c’est le principe de précaution maximale par la mobilisation de tous les moyens dont nous disposons. Ces moyens sont des moyens humains, nous allons les renforcer considérablement alors que depuis deux ans nous avons déjà fait des efforts, deux lois sur le terrorisme, 432 recrutements à la Direction générale de la sécurité intérieure, 12 millions de budget annuel pour renforcer les moyens technologiques et améliorer la performance de nos services. La Premier ministre a annoncé hier plus de 1 000 emplois dans les services de renseignement dépendant du ministère de l’Intérieur pour que nous soyons plus efficaces encore. 233 millions de budget pour investir dans les infrastructures informatiques, dans les moyens dont la police et la gendarmerie ont besoin, des véhicules aux moyens numériques en passant par les réseaux, les infrastructures numériques et les applications du ministère de l’Intérieur. On a vu par exemple au moment du retour des trois jihadistes qu’on avait eu un problème avec le système CHEOPS qui rassemble au ministère de l’Intérieur tous les fichiers parce que les systèmes d’information ont fait l’objet d’un sous-investissement et quand vous mettez beaucoup d’implications sur des infrastructures qui ont vieilli vous avez un problème, nous allons investir massivement dans tous les outils dont le ministère a besoin.

David PUJADAS

Un investissement massif. Vous parliez…

Bernard CAZENEUVE

Un investissement massif de modernisation et d’efficacité. Nous l’avions engagé, deux lois sur le terrorisme, des recrutements, des investissements et nous poursuivons.

David PUJADAS

Et vous poursuivez. La loi sur le terrorisme, l’une de ces dispositions, peut-être l’une des plus, celle qui a le plus frappé le public, c’était la tentative faite pour empêcher ceux qui sont en France d’aller faire le jihad à l’étranger et en particulier en Syrie. Est-ce que vous dites ce soir « on peut empêcher complètement quiconque souhaite partir de le faire » ?

Bernard CAZENEUVE

D’abord les décrets d’application ont été passés en Conseil des ministres il y a de cela quelques jours, ce sont des décrets qui devaient passer en Conseil d’Etat, ils ont suivi la procédure dans un laps de temps extrêmement court. Donc aujourd’hui nous sommes en situation de mettre en œuvre cette mesure. Pourquoi est-ce nous mettons en œuvre cette mesure ?

David PUJADAS

C’est-à-dire que personne aujourd’hui ne peut plus partir sous peine de se voir confisqué son passeport, vous avez à peu près le tableau de ceux qui représentent un danger et qui ne pourront pas partir sur ces théâtres-là ?

Bernard CAZENEUVE

Soyons précis, dès lors qu’il y a une suspicion d’engagement d’un certain nombre d’acteurs dans des opérations à caractère terroriste notamment en Irak, en Syrie ou ailleurs, il y a la possibilité aujourd’hui de mettre en place sous le contrôle d’un juge administratif l’interdiction administrative de sortie du territoire, de prendre les papiers d’identité, on donnera un récépissé pour que la vie à l’intérieur du territoire national puisse se poursuivre. Pourquoi est-ce que n nous faisons cela ? Parce qu’il y a eu un débat !

David PUJADAS

On comprend bien les raisons, on se demande si ça peut être efficace à 100 % pour empêcher tous les départs…

Bernard CAZENEUVE

En tous les cas c’set beaucoup plus efficace, 100 % ça n’existe pas en aucune matière, en tous les cas ça permettra d’empêcher le départ d’un très grand nombre de ceux pour lesquels nous disposons d’informations et qui veulent partir. Et cet outil-là nous en avons besoin, nous ne l’avions pas jusqu’à présent, nous l’aurons maintenant. Pourquoi est-ce que nous le faisons ? Parce qu’il y a eu un débat sur l’opportunité de faire cela, il y a des représentants politiques français qui ont indiqué et des chercheurs et parfois des spécialistes qu’il valait mieux les laisser partir plutôt que de les retenir en France. Mais si nous les laissons partir que se passe-t-il ? Ils s’engagent dans des exactions sur le théâtre des opérations terroristes, on a vu des vidéos de décapitations, de crucifixions, d’exécutions en nombre, et quand ils reviennent, s’ils n’ont pas été détruits physiquement sur place, il y a 73 Français qui ont perdu la vie sur le théâtre des opérations terroristes, ils reviennent psychologiquement détruits et souvent inspirés par le seul instinct de la haine. Et lorsqu’ils reviennent en France dès lors qu’ils sont de nationalité française, ils sont plus dangereux qu’avant qu’ils ne soient partis. C’est la raison pour laquelle il fallait prendre cette disposition et je suis convaincu par la mobilisation des services de renseignement, des services de police, des services bien entendu du parquet antiterroriste que cette mesure sera efficace et qu’elle permettra d’éviter bien des risques.

David PUJADAS

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, est-ce que vous dites ce soir les orientations du gouvernement, même si on peut faire plus, même si on peut faire un peu différemment, vont dans le bon sens ?

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Je pense que les mots ont un sens et on a été nombreux à utiliser le mot « guerre », guerre déclarée par les jihadistes, par les terroristes à notre civilisation. C’est un mot qu’on ne prononce pas à la légère et c’est un mot qui emporte certaines conséquences, s’il y a la guerre il faut mettre tous les moyens. Et les moyens qui sont proposés, développés ce soir par le ministère de l’Intérieur, qui ont été présentés hier vont dans le bon sens. Est-ce qu’ils vont assez loin ? Il peut y avoir des débats sans fin là-dessus, je crois qu’on a besoin de beaucoup de moyens dans le renseignement et probablement ce qui est fait là est un premier pas. Est-ce qu’ils vont assez vite, c’est surtout là-dessus que je me pose la question, est-ce qu’on va assez vite ?

David PUJADAS

La formation des policiers, c’est à ça que vous pensez comme le disait Nicolas SARKOZY hier ?

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Pas seulement, je pense aussi à des mesures, on a déjà travaillé à l’Assemble nationale sur lesquelles on a déjà eu des débats parce que beaucoup des mesures qui ont été proposées ont déjà fait l’objet de débats dans les assemblées et que probablement on pourrait mettre en œuvre très vite sans attendre un travail en commission qui est sans doute utile pour d’autres mesures…

David PUJADAS

Alors un exemple peut-être…

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Je prends un exemple, je crois qu’on va en parler tout à l’heure, c’est la consultation, le délit de consultation, la création d’un délit de consultation habituelle sans motif des sites Internet appelant au jihadisme, des sites Internet sur lesquels les jeunes s’auto-radicalisent. Dans la loi qui a été votée à l’automne, il y a des mesures utiles qui permettent l’interdiction d’accès à certains de ces sites mais en revanche on n’est pas allés aussi loin que de créer un délit, de sanctionner ceux qui consultent régulièrement sans motif légitime, c’est-à-dire pas pour de la recherche ou parce qu’ils sont journalistes, les sites Internet quoi appellent au jihadisme. C’est un sujet qui est sur la table depuis deux ans, on a déjà eu l’occasion d’en débattre d’ailleurs avec Bernard CAZENEUVE, moi je pense qu’aujourd’hui on est mûr, on est prêt et on peut y aller sans passer par le biais d’une commission. Autrement dit je trouve que les mesures qui sont proposées vont dans le bon sens, je trouve qu’on doit aller encore plus vite, on peut probablement aller encore plus vite dans cette direction parce que comme vous l’avez signalé la menace est là, elle est présente, elle est forte, elle est vive.

David PUJADAS

Alors délit, délit de consultation de ces sites sur Internet, c’est possible de le faire immédiatement, sans attendre effectivement comme le dit Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, les consultations ?

Bernard CAZENEUVE

Alors Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET dit deux choses que je prends tout à fait en compte parce qu’elles sont importantes. Premier sujet, il faut aller vite. Je partage tout à fait ce sentiment, c’est le souhait du président de la République et du Premier ministre de faire en sorte que les décisions annoncées hier soient rapidement exécutées. C’est la raison pour laquelle je souhaite que dans les services où nous avons besoin de compétences, de techniciens, d’ingénieurs, de linguistes, d’analystes, nous puissions procéder à des recrutements sur titre le plus rapidement possible. Donc je veux rassurer Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET pour ce qui concerne la mobilisation des moyens budgétaires pour l’investissement, ils seront mobilisés très vite et pour les recrutements ils seront faits sur titre en nombre suffisant pour ne pas avoir recours de façon systématique aux heures supplémentaires qui peuvent conduire des policiers déjà sous tension à l’être davantage encore.

David PUJADAS

Vous pensez que ce n’est pas une solution les heures supplémentaires, je dis ça parce que Nicolas SARKOZY l’évoquait hier ?

Bernard CAZENEUVE

Non toutes les solutions doivent être examinées, les heures supplémentaires peuvent toujours être mobilisées de façon transitoire, elles le sont d’ailleurs à hauteur de 5 millions d’heures supplémentaires par an, mais il vaut mieux des emplois, des compétences nouvelles là où il en a été beaucoup supprimées, de manière à éviter qu’il y ait des tensions qui s’ajoutent à des tensions…

David PUJADAS

Et il ne faut pas deux ans pour former quelqu’un qu’on recrute ?

Bernard CAZENEUVE

Mais il y a certaines compétences pour lesquelles il faut du temps, mais lorsqu’on est confronté à un danger du type de celui auquel on est confronté, on peut procéder à des recrutements sur titre, il va falloir le faire et lorsqu’on le fait de façon classique, il faut regarder avec nos écoles de formation si on peut raccourcir le temps. Le deuxième sujet évoqué par Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET est un sujet important, c’est celui de la consultation de sites Internet qui appellent au terrorisme ou qui peuvent éventuellement parfois même inciter ou donner des informations sur la fabrication d’explosifs etc… On a deux problèmes sur cette affaire là. Le premier problème c’est que le conseil d’Etat s’est prononcé de façon extrêmement précise sur cette mesure en disant qu’elle n’était pas conforme aux principes généraux du droit et qu’elle n’était pas proportionnée par rapport aux risques et que par conséquent elle pouvait être frappée d’inconstitutionnalité, c’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas retenue à ce moment là. Et la deuxième raison, c’est que nous l’avons introduite dans le délit individuel terroriste comme l’un des éléments constitutif de ce délit. Donc pour ne pas tomber sous le coup de l’inconstitutionnalité…

David PUJADAS

C’est un peu technique, mais on comprend que vous n’avez pas pu passer par la porte et que vous êtes passé par la fenêtre.

Bernard CAZENEUVE

Oui mais c’est un sujet technique, il se pose un problème de fond.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Sauf que par la fenêtre, on ne rentre pas là dedans.

Bernard CAZENEUVE

Parce que quand on lutte contre le terrorisme, on ne lutte pas contre le terrorisme dans l’abandon des principes constitutionnels, des principes généraux du droit, avec le Conseil constitutionnel qui de toutes les façons à la fin casse la loi, donc on a perdu du temps, on a perdu de l’énergie et aussi du crédit. Et l’élaboration de la loi dans la République face au terrorisme, c’est un exercice qui est exigeant au regard des principes républicains.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Vous voyez, moi je trouve que c’est un bon exemple. Moi, je viens à ce débat dans l’idée que, qui est celle je crois de la manifestation du 11 janvier. On a un ennemi maintenant qui est identifié et chacun a ses divergences, ses points de vue, mais on a tous un ennemi et on doit mettre tous les moyens pour le combattre. Et la question, on ne va pas faire la liste de savoir si les mesures que vous avez proposées hier avaient été proposées avant, par d’autres et rejetées et pourquoi, je m’en moque mais alors complètement. Est-ce que les mesures ont été proposées par la droite, par la gauche, ce n’est pas le sujet, la question, c’est est-ce que c’est efficace, mais sur cette mesure précise, elle est sur la table depuis plus de deux ans. Moi, j’avais lancé un amendement en ce sens pour proposer d’interdire la consultation régulière de sites appelant au djihadiste en juillet 2012. A l’époque c’était Manuel VALLS qui avait fait le débat en commission des lois et d’ailleurs je crois qu’il était pour la mesure et qu’il n’avait pas eu l’arbitrage, mais on avait senti…

Bernard CAZENEUVE

Je vous le confirme.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

… voilà vous me le dites, qu’il était plutôt favorable. J’avais lancé cette proposition à la suite d’une expérience, en l’occurrence comme maire de Longjumeau en face d’une mère de famille qui avait été mariée à un Algérien radicalisé qui avaient ses fils ainés qui s’étaient radicalisés, qui avait son dernier qui était préadolescent et les ainés lui faisaient visualiser des vidéos de décapitation sur fond de psalmodiation du Coran et elle n’avait pas, il n’y avait pas de moyen, il n’y avait rien si vous voulez. Donc je m’étais dit cette mesure n’empêcherait pas, on est bien d’accord des gens qui sont déjà radicalisés de commettre des actes, mais elle peut être un outil. Un outil par exemple quand on sait qu’il y a un risque, on vient investiguer dans votre ordinateur, on voit qu’il y a des traces de la consultation de ces sites, on peut ouvrir une information, créer le délit, créer un outil. Et ce n’est pas vrai que c’est impossible puisque ça existe pour la pédopornographie.

Bernard CAZENEUVE

Mais ça on l’a fait.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Aujourd'hui ça existe pour la pédopornographie.

Bernard CAZENEUVE

Non mais Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, mais si on l’a fait…

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Non, on ne l’a pas fait de cette manière là. On l’a représentée au printemps dernier, je veux dire à l’été dernier et ce n’est pas fait de la manière qui permet d’en fait un délit.

Bernard CAZENEUVE

Non, non, je vous invite à lire de façon extrêmement précise la loi du 13 novembre 2014…

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

J’étais en commission des lois dans le débat avec vous.

Bernard CAZENEUVE

Mais justement, vous vous souvenez comme vous étiez en commission des lois, au moment où Guillaume LARRIVE a fait sa proposition de loi, dont j’ai pris une grande partie des préconisations…

David PUJADAS

On ne va pas rentrer dans le détail de la procédure peut-être.

Bernard CAZENEUVE

Non, mais c’est très important parce que, qu’est-ce que j’ai mis dans la loi concernant Internet, j’ai mis deux dispositions qui vont entrer en vigueur le 1er février. La première et ça a été très débattu y compris dans la presse, y compris d’ailleurs dans la discussion avec les associations, les Droits de l’homme. Premier point, j’ai proposé qu’on bloque les sites dont vous parlez, qui appellent au terrorisme et provoque au terrorisme dès lors que les grands opérateurs, après qu’on leur a signalé ces vidéos ne le font pas d’eux-mêmes, donc c’est dans la loi. C’est dans la loi, les décrets d’application paraissent le 1 février. Deuxièmement j’ai demandé le déférencement de ces sites aux grands opérateurs Internet, le décret est devant la Commission européenne, donc ce dont parle Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET est précisément ce que j’ai mis dans la loi 13 novembre.

David PUJADAS

Alors on fait une parenthèse si vous le voulez bien avant d’entendre le juge TREVIDIC, je voudrais qu’on donne la parole à Nicolas ARPAGIAN, parce qu’on va parler justement de ces questions d’Internet et vous c’est un peu votre spécialité. Et on va se livrer avec vous pour tous ceux qui ne voient pas très bien à quoi ça correspond, on sait bien que c’est le principal, peut-être l’un des principaux vecteur d’endoctrinement, on va se livrer à une petite démonstration, en fait vous nous montrez en pianotant quelques secondes, quelques clics ce sur quoi on peut tomber aujourd'hui en France sur Internet.

Nicolas ARPAGIAN

Alors en fait il faut garder à l’esprit que les sites Internet dont on parle, les informations dont on parle ne sont pas cachées dans les tréfonds de ce réseau et qu’au contraire ils sont rapidement accessibles, c'est-à-dire qu’il va falloir juste quelques minutes pour se consacrer à cette recherche avec les navigateur qu’on connait, les Google, les Bing également, les plateformes qu’on connait, c’est Youtube, Facebook, Tweeter, on est là dans un univers qui est très familier, sur lequel se trouvent pleins d’informations illicites.

David PUJADAS

Pas de connaissance particulière à avoir ?

Nicolas ARPAGIAN

Au contraire, et vous allez voir la deuxième particularité, c’est que les gens qui mettent à disposition ces informations le font dans un esprit de service. Ils sont là pour vous répondre, à vos questions. Par exemple, comment partir au djihad ? Comment est-ce que je dois convaincre mes parents ? Et donc on s’aperçoit qu’à chaque fois c’est d’essayer d’être un vrai professionnel de la prestation de service, c'est-à-dire je réponds aux problèmes que vous avez et je participe à la solution.

David PUJADAS

Comme si on vendait des aspirateurs et qu’on assurait le service après vente.

Nicolas ARPAGIAN

Exactement. Et d’ailleurs souvent, voilà par exemple c’est assez flagrant sur le site en question, l’image là, on vous dit voilà comment obtenir la permission de ses parents pour partir faire le djihad ?

David PUJADAS

Vous avez effacé quelques données pour ne pas qu’on puisse les identifier.

Nicolas ARPAGIAN

Bien sûr même si c’est accessible.

David PUJADAS

Mais enfin c'est très simple d’après ce que vous dites.

Nicolas ARPAGIAN

C’est une, comment dire, un paravent de pure forme. Il s’agit en tout cas d’avoir des formulations qui sont très explicites. Tes parents, tu as commencé à en parler à tes parents, ils ne veulent pas, voilà les arguments pour les convaincre, sachant effectivement que c’est mieux si ta maman te donne, en quelque sorte son encouragement.

David PUJADAS

On vise un public d’ados.

Nicolas ARPAGIAN

Exactement qui va être confronté à des problèmes du quotidien, je veux partir, mes parents ne veulent pas, quels arguments puis-je employer ? Enfin on va faire effectivement, donner des conseils pour ceux qui sont dans l’entourage, l’entourage familial, avec des formulations là aussi très concrètes. On a pris cet deuxième exemple avec, comment est-ce que vous êtes, alors la qualification de sœur, mais qui sont à la fois des sœurs et également des jeunes parents, faire en sorte de… voilà habituer vos enfants à jouer avec des armes, faire effectivement… l’éloigner de la télévision qui est un élément de passivité, d’ennui et vraiment qui a beaucoup, toutes les turpitudes, également les jeux vidéo qu’il faut éviter. Par contre regarder… faire du sport, avoir effectivement des discussions, savoir prévoir tout un encadrement familial avec des conseils très pratiques de manière… les sports que l’on recommande. Et donc on est dans des espèces de manuels en quelque sorte, écrits en français, écrits éventuellement en anglais, mais on est là en priorité dans des publics qui ne sont pas arabophones, qui ne sont pas spécialistes de la religion, mais on est là pour répondre à leurs attentes.

David PUJADAS

Pardon mais il y a une question très simple qui vient à l’esprit, où sont abrités ces sites, qui les héberge ? Est-ce qu’on ne peut pas agir là par ce biais ?

Nicolas ARPAGIAN

Alors vous vous doutez bien qu’ils ne sont pas hébergés chez ORANGE sous la protection de cyber défense, ayant pignon sur rue dans des quartiers, évidemment ils sont chez des prestataires qui prévoient, souvent d’ailleurs quand vous allez sur leur notice d’utilisation, ils ont par exemple, j’ai un souvenir d’un prestataire turc qui proposait un guide avec des points rouges, des feux rouges et des feux verts. Ils vous disaient, voilà par exemple les images pédopornographiques, il y avait un feu rouge, ça je ne prends pas. Par contre les sites politiques et d’appel à la haine, ça je prends. Les sites de jeux, je prends et c’est écrit là aussi en messages très clairs, vous avez une prestation, vous payez par trimestre. Si vous recommandez quelqu’un vous avez même un rabais. Vous avez un service d’assistance 24/24, exactement comme on le serait dans le monde légitime. Et là on voit bien qu’on est dans une facilité, il n’y a pas de barrière technique pour accéder à cela et la mobilité, gardez à l’esprit que fermer un site, on n’est pas là pour des sites qui ont vocation à durer, on n’est pas là dans une marque qui a vocation à s’inscrire sur la durée.

David PUJADAS

Ca ferme, ça rouvre sous d’autres noms.

Nicolas ARPAGIAN

Exactement c’est la mobilité.

David PUJADAS

Vous vouliez nous montrer autre chose, je crois.

Nicolas ARPAGIAN

Alors le dernier exemple récent qui est flagrant, c’est arrivé, ça a affecté une grande institution, c’est le commandement américain pour le Moyen-Orient qui a un site, un compte tweeter de manière justement, de manière à communiquer et à diffuser ses informations, il y a quelques jours ce site, ce compte tweeter a été piraté. C'est-à-dire qu’il y a eu un nouvel habillage évidemment appelant à l’avènement d’un Khalifa qui évidemment n’est pas l’esthétique naturel de ce compte.

David PUJADAS

Piraté par des djihadiste.

Nicolas ARPAGIAN

En fait c’est assez simple, c’est un identifiant, un nom et un mot de passe, ce n’est pas quelque chose de très robuste. Par contre ce qui est intéressant, c’est qu’il a fallu moins de 40 minutes à twitter pour rétablir la situation et remettre ce compte twitter aux couleurs du commandement américain. Et donc on voit que la participation du prestataire, là on est hors de procédure judiciaire, on est dans une chaine de commandement très courte, entre la Maison blanche et la direction de twitter et là en 35 minutes le problème est résolu.

David PUJADAS

La Maison blanche passé un coup de fil à twitter, sortez ça, arrêtez ça ?

Nicolas ARPAGIAN

En 35 minutes la situation est rétablie. Il est évident qu’on constate notamment sur Youtube, on a eu des vidéos très violentes, notamment celles montrant l’assassinat du policier dans le cas des attentats de Charlie Hebdo, où il a fallu plusieurs jours, presqu’une semaine pour que certaine vidéos soient retirées. Pareil sur Facebook on avait des vidéos de décapitation. A chaque fois il y a une espèce de discussion presque éditoriale parce que ces sites sont considérés comme des hébergeurs, et pas des éditeurs. Un éditeur vous pouvez invoquer sa responsabilité ; un hébergeur il faut déjà que quelqu’un lui signale le contenu et qu’il prenne effectivement la mesure et choisisse au final manuellement de retirer ou pas le contenu.

David PUJADAS

Pourquoi monsieur le ministre, une semaine, avec Youtube sur ces images et face à 35 minutes ou 40 minutes aux Etats-Unis?

Nathalie KOSCIUSKIO-MORIZET

Parce qu’on n’a pas le même niveau de coopération que les Américains.

Bernard CAZENEUVE

Deux points. D‘abord la plateforme Pharos enregistré, dans les jours qui ont suivi l’attentat, 1300 attaques de sites publics. Et nous avons eu 25 000 signalements d’appels à la haine, de propos, de soutien aux terroristes. Et lorsque des vidéos ont été diffusées, après que des contacts ont été pris avec les grands majors d’internet, elles ont été interrompues immédiatement. La visite que j’ai faites auprès de la plateforme Pharos a montré qu’après le traumatisme causé par les attentats de Paris il y a eu une prise de conscience beaucoup plus forte des grands opérateurs d’internet, mais elle n’est pas suffisante.

Nicolas ARPAGIAN

En fait il y a des situations très disparates.

Bernard CAZENEUVE

Les choses se sont beaucoup mieux passées que d’habitude. On a une nette amélioration.

David PUJADAS

Pourquoi c’est si difficile ?

Bernard CAZENEUVE

Il faut faire deux choses. D ‘abord les dispositions que nous avons prises, dont je parlais avec Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET à l’instant, seront en œuvre à partir du mois prochain. Les décrets d’application…

David PUJADAS

Ca c’est pour ceux qui consultent les sites.

Bernard CAZENEUVE

Deuxièmement, nous avons une action très forte à conduire avec l’ensemble des gouvernements européens et américains à destination des grands majors d’internet pour leur expliquer ce que nous attendons d’eux, la responsabilité qui leur incombe, et les Américains – ils étaient présents à la réunion du dimanche de la manifestation au ministère de l’Intérieur – sont désormais très déterminés à agir avec les autorités européennes à destination de ces opérateurs pour les sensibiliser.

David PUJADAS

Les grands groupes comme Youtube ils trainent un peu les pieds?

Bernard CAZENEUVE

Oui, mais il faut agir de façon massive, il faut les Etats se mobilisent ensemble vis à vis d’eux, et il faut que l’Union européenne elle-même prenne des dispositions, nous avons une plateforme européenne qui s’appelle « check the web » qui est positionnée à Europol, elle doit faire son travail de sensibilisation – vous la connaissez – et deuxièmement il faut que tous les pays de l’Union européenne ensemble, autour du coordonateur à la lutte anti terroriste au sein de l’Union européenne, Gilles de KERCHOVE, mobilisent toute leur énergie à destination des opérateurs pour les sensibiliser. Et moi je souhaite que l’Union européenne prenne une directive qui prennent les mêmes dispositions que ce que nous avons mis dans la loi française, en matière de blocage des sites, de référencement des sites pour que les législations des pays de l’Union s’adaptent et que la pression sur les opérateurs s’accroisse pour qu’ils s’autorégulent.

David PUJADAS

Vous aviez une dernière chose à nous montrer.

Nicolas ARPAGIAN

Simplement garder à l’esprit que David CAMERON a rencontré la semaine dernière Barack OBAMA, précisément sur cette question, et que l’Europe doit avancer également d’un point de vue commercial, parce que là on parle de plateformes qui sont financées par la publicité et il faudrait que l’Europe joue son rôle d’acteur économique de manière à être tout aussi convaincant qu’une directive, parce qu’il faut quand même rappeler qu’on est un marché pour eux et que les annonceurs n’apprécient quand même pas trop d’être associés et de voir leurs publicités associées à des pages effectivement d’appel à la violence. Ce qui est certain c’est que la logique même du réseau social comme Facebook par exemple est ce qu’on appelle la logique affinitaire, c'est-à-dire que l’algorithme est fait en sorte d’identifier vos centres d’intérêt et de faire en sorte de vous présenter et de vous suggérer. Connaitriez-vous, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET qui est intéressé par l’écologie, l’environnement et les questions de technologie.

David PUJADAS

Et ça marche aussi pour le djihad.

Nicolas ARPAGIAN

Effectivement puisque dès lors que vous avez marché votre intérêt, vous avez « laïqué » la page de Daesh, vous avez mis des vidéos, ou vous avez fréquenté des pages qui sont liées à cet islam extrémiste, évidemment on vous associe et l’algorithme en fait sert presque d’agent recruteur en quelque sorte puisqu’il vous amène d’autres contacts et vous suggère d’autres sites et d’autres informations. Alors ce cas-là tel qu’il a été présenté, et d’ailleurs on a un bon exemple d’illustration avec ce journaliste de l’Obs, effectivement il faut quelques jours à partir du moment où vous montrez, vous témoignez des marques d’intérêt, pourront faire en sorte qu’on vous présente, la machine s’autoalimente et vous fait découvrir des contacts ou des individus qui ensuite, au bout d’un moment s’ils vous jugent suffisamment crédible, vous donnent rendez vous sur d’autres plateformes qui là sont beaucoup plus discrètes et permettent de gravir les échelons et de se rapprocher éventuellement d’une quête physique.

David PUJADAS

Moi j’ai une question très simple, quand il y a une image pédophile qui est consultée il y a automatiquement un signalement et puis l’image est enlevée, ou celui qui l’a consulte…

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

C’est pour ça qu’il faut le même dispositif pour le djihadisme que pour la pédophilie ! Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut simplement le même dispositif.

Nicolas ARPAGIAN

La seule chose c’est que la pédophilie il y a un consensus, il y a une convention du Conseil de l’Europe…

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Une vidéo de décapitation, il n’y a pas besoin d’avoir un débat.

Nicolas ARPAGIAN

Bien sur, mais il s’avère que … Si on prend l’exemple de Facebook, Facebook a une discussion éditoriale, c’est à dire que de la même manière on a eu d’ailleurs aujourd’hui le cas du procès, ce jeudi du tableau « l’origine du monde », de COURBET, le début de la plaidoirie a eu lieu aujourd’hui, et effectivement l’argument juridique de l’avocat de Facebook c’est de dire « mais je ne comprends même pas que nous Facebook nous soyons devant un tribunal français parce que l’utilisateur – qui se plaignait que son compte avait été fermé parce qu’il avait présenté ce célèbre tableau de COURBET qui avait été jugé comme de la pornographie par Facebook – et il dit mais je ne comprends pas que vous me meniez devant un tribunal français puisque quand vous avez coché les conditions générales d’utilisation vous avez renoncez à poursuivre ailleurs que devant un tribunal américain selon le droit américain ».

David PUJADAS

On voit que c’est compliqué. Dernière question, très simple, la Chine réussit à interdire à tous ses citoyens de consulter des sites sur le Tibet libre. Ce n’est pas une démocratie, mais est-ce que c’est ça qui fait la différence ?

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Tout l’enjeu est de trouver des solutions sans se retrouver dans la situation chinoise quand même ! On essaye de trouver des équilibres entre la défense des libertés et la sécurité.

David PUJADAS

Je ne le comprenais pas comme modèle, mais techniquement c’est possible ?

Nicolas ARPAGIAN

Internet n’est pas un gaz. A partir du moment … vous pouvez l’arrêter, ce n’est pas comme certains nuages qui s’arrêteraient à des frontières. Il est évident que ce sont des tuyaux et des infrastructures. La seule chose c’est que vous voyez bien le contrôle démocratique, la logique démocratique veut qu’effectivement on est quand même d’habitude dans un contexte de liberté d’expression. Les moyens mis en œuvre en terme humain, monsieur le ministre évoquait des centaines, quelques milliers de fonctionnaires de police et de gendarmerie, on n’est pas dans l’infrastructure chinoise qui est effectivement dédiée, même si juste pour précision, ils ont mis en place un logiciel qui s’appelle « le bouclier d’or » qui est un filtre, un espèce de dictionnaire avec des mots clés. Mais là aussi ça atteint ses limites parce que évidemment quand les activistes parlent entre eux ils n’utilisent pas forcément les mots clés déjà inscrits dans le dictionnaire.

Bernard CAZENEUVE

En deux secondes, il faut quand même rappeler aux téléspectateurs que si nous ne pouvons pas le faire jusqu’à présent c’est parce que la loi ne le prévoyait pas. La nouvelle loi le prévoit. Les décrets d’application seront prêts au début du mois de février, y compris les décrets d’application sur les sites pédopornographiques qui n’étaient pas encore prêts. Ils seront pris en même temps dans le même décret que celui qui concerne la lutte contre le terrorisme. Donc nous nous sommes armés par rapport à ça. Aujourd’hui on peut bloquer des sites, on peut déréférencer des sites, on peut avec la plateforme Pharos signaler aux grands opérateurs internet la provocation, l’appel au terrorisme. Tout cela n’existait pas. Et ce sont les dispositions …

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Et on ne peut pas poursuivre quelqu’un qui consulte habituellement.

Bernard CAZENEUVE

Quand quelqu’un consulte habituellement, au titre de l’entreprise individuelle terroriste, il sera désormais susceptible d’être incriminé pénalement.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Mais quelqu’un, un jeune qui est en voie de radicalisation il n’est pas dans une entreprise individuelle terroriste, il est juste victime d’un système. C’est le protéger que de pouvoir faire un délit, de consulter régulièrement.

Bernard CAZENEUVE

Mais justement il n’aura plus accès à ces sites compte tenu des dispositions législatives que nous avons prises.

Nathalie KOSCIUKSO-MORIZET

Mais bien sur qu’il aura encore accès, parce que ces sites sont faciles à répliquer, et ils sont régulièrement répliqués. Pour combattre ce qui se passe sur internet de mal il faut comprendre comment fonctionne internet. C’est très facile de répliquer ces sites, ce sont des sites qui sont très simples, ce n’est pas des choses qui sont technologiquement compliquées. On pourra, et c’est utile, voter cette loi, on pourra déréférencer, on pourra en interdire certains, mais on ne pourra pas les interdire tous. C’est pour ça qu’il faut avoir aussi l’autre volet de l’action qui est la possibilité de réprimer ceux qui consultent. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga mais c’est un outil parmi d’autres. Pourquoi s’en priver. Ce que je dis seulement c’est que si on est dans une guerre contre le terrorisme, il faut en tirer toutes les conclusions, prendre toutes les mesures. Il n’y a pas une mesure magique, mais il faut les prendre toutes. On est quelque part encore trop hésitant.

Bernard CAZENEUVE

On n’est pas trop hésitant, on est désireux simplement de faire en sorte que la lutte contre le terrorisme dans un Etat de droit ne nous conduise pas à prendre des mesures qui sont anti constitutionnelles.

Nathalie KOSCIUKO-MORIZET

Ce n’est pas mieux d’être djihadiste que d’être pédophile.

David PUJADAS

Marc TREVIDIC, c’est passionnant de parler avec vous parce que vous êtes un praticien, autrement dit vous avez eu des dizaines de ces djihadistes face à vous dans votre bureau. D’abord sur internet vous confirmez que c’est un des instruments de la radicalisation ?

Marc TREVIDIC, juge d’instruction

Oui bien sur, c’est pour ça qu’on a une explosion des jeunes radicalisés depuis 2003, la guerre en Irak, parce que là on avait toute une propagande sur internet très hiérarchisée, très programmée. C’était des professionnels qui le faisaient. On crée des sites pour attirer les jeunes.

David PUJADAS

Ceux qui sont face à vous, est-ce que vous les trouvez effrayants parce qu’ils sont structurés, décidés, ou bien vous avez le sentiment d’avoir affaire à des paumés ?

Marc TREVIDIC

Le problème c’est qu’il y a de tout. Ca va peut-être décevoir, il n’y a pas une typologie si simple que ça. A partir du moment où aujourd’hui on a devant nous des jeunes de 15 ans, des jeunes femmes, des femmes, des hommes, des hommes parfois qui ont 18, 19, 25 ans, mais même des vieux de la vieilles, actuellement il faut comprendre que la Syrie et l’Irak attirent tout le monde. Quand je dis tout le monde, c’est une nouvelle génération de djihadistes, des jeunes qui n’étaient pas radicalisés, qui en trois quatre mois - il faut le dire par internet, ou par un séjour en maison d’arrêt - ce sont radicalisés. Vous avez aussi tous les anciens. On a vu partir en Syrie et en Irak des gens des années 90. On a condamné des gens de 90.

David PUJADAS

Plus aguerris.

Marc TREVIDIC

Oui bien sur. Donc on a un attrait qui touche toutes les populations de djihadistes. Avant ça ne concernerait que certains professionnels dans des groupes, là maintenant le spectre est énorme. Et cerise sur le gâteau, on a toutes ces jeunes femmes qui rêvent d’épouser un « moudjahel » en Syrie et en Irak, et qui là le font sur Facebook. On sait très bien les contacts sont d’une simplicité extrême.

David PUJADAS

Elles rêvent de les épouser ?

Marc TREVIDIC

Oui, il y a quelque chose de romancé peut-être là dedans, je ne sais pas, mais pour elles c’est le summum. La vérité c’est qu’on a un monde qui est ouvert, pour des raisons économiques, d’échanges internationaux, on est une seule planète, c’est mondialisé, et les terroristes en profitent. Aujourd’hui c’est très facile de se radicaliser, c’est très facile de radicaliser quelqu’un d’autre, c’est très facile de le recruter, c’est très facile, d’ailleurs en Turquie pour 200 euros, c’est très facile de prendre le bus pour aller jusqu’à la frontière…

David PUJADAS

C’est facile mais en même temps on parle d’un monde effrayant, ceux qui nous écoutent ont du mal à imaginer que ça soit une perspective attrayante que de se rendre dans un endroit où la violence est reine, où tout n’est que combat…

Marc TREVIDIC

Il y a beaucoup de déçus. Vous parlez de ceux qu’on voit devant nous, dedans il y a beaucoup de déçus, il y en a ce n’est pas ce qu’ils attendaient, il y en a qui y prennent goût, parce qu’ils font des choses qui décident eux être intéressantes, c'est-à-dire combattre, tuer quelqu’un d’autre, parce qu’ils se fanatisent, parce qu’ils sont en contact de véritables terroristes. Mais d’abord notre difficulté dans toutes les lois qu’on prendra aujourd’hui c’est leur rendre la vie moins facile. C’est le BA.B.A. En terme de praticien quand on voit qu’un phénomène criminel a la porte ouverte et que c’est trop facile de pouvoir se livrer à ce phénomène criminel, la réflexion est : comment je leur rends la vie moins facile ? Comment je vais leur rendre la vie moins facile d’aller sur internet se radicaliser ? Comment je vais faire qu’ils ne pourront pas radicaliser les autres en maison d’arrêt, comment je vais faire qu’ils ne vont pas pouvoir aller en Turquie si facilement…

David PUJADAS

A chaque étape en fait, voilà.

Marc TREVIDIC

Oui. Il va falloir travailler à chaque étape pour qu’à chaque fois on leur mette des bâtons dans les roues. C’est comme ça qu’on lutte contre des phénomènes criminels.

David PUJADAS

Pardon pour cette question candide mais qu’est-ce qui vous a le plus impressionné au cours de ces nombreux face à face avec ces personnes ?

Marc TREVIDIC

Ecoutez, je pense que c’est malgré tout ces jeunes qui reviennent et qui, pour quand même pas mal d’entre eux ont un discours plutôt apaisé. Je pense aux atrocités actuellement à Paris et donc si j’ai ce discours, ça va quand même peut-être paraître bizarre, mais il y en a beaucoup qui actuellement partent, essayent de quitter l’Etat islamique, ont du mal à fuir l’Etat islamique, se présentent au consulat à Ankara ou autre, donc nous sont envoyés par les Turcs, ils savent qu’ils vont aller en prison, et qui racontent des horreurs, des atrocités, des choses que moi, je n’avais jamais vues. J’ai commencé en 2000 l’antiterrorisme, je n’avais jamais vu des gens me raconter des scènes aussi horribles que ce qui se passe en Syrie ou en Irak. Ça n’a jamais existé. On peut parler de 95, de tout ce que vous voulez dans l’histoire de l’antiterrorisme, je n’ai jamais vu, moi, des décapitations en place publique, des viols de communautés considérées comme hérétiques, et cætera, en tout cas mécréantes. Il se passe des choses qui sont du domaine du crime contre l’humanité, clairement. D’ailleurs, on pourrait aussi poser la question de l’intervention ou pas de la cour pénale internationale dans ce qui se passe. Ils sont très frileux là-dessus, peut-être parce qu’il faut aller voir aussi ce que Bachar a fait. Je n’en sais rien, je ne fais pas de politique de ce point de vue-là. Manifestement, on a un phénomène d’une ampleur et d’une violence extraordinaires et des gens effectivement reviennent détruits. Raison de plus pour les empêcher de partir.

David PUJADAS

Votre intuition, c’est que ce sont ces filières internationales qui sont les plus à craindre ? ceux qui partent et puis qui reviennent ? Ou est-ce qu’il y a aussi des profils – Amedy COULIBALY n’est jamais parti, Amedy COULIBALY est toujours resté en France ; il est passé à l’acte.

Marc TREVIDIC 

Là, c’est malheureux, je vais faire un peu de statistiques. Jusqu’à présent, tous ceux qui ont essayé de faire des attentats en France ou qui ont réussi à faire des attentats étaient allés sur une zone de djihad. C’est vrai que COULIBALY est une exception. Ceci dit, il était bien encadré par des gens qui, eux, avaient été sur des zones de djihad, pas les moindres parce que le Yémen ce n’est pas rien. On a quand même quelqu'un qui n’est pas tout seul, qui était quand même bien encadré. Jusqu’à présent, il se trouve que les gens les plus dangereux sont ceux qui sont allés faire la guerre ailleurs, qui ont intégré un groupe terroriste, qui ont eu une formation, vraiment une formation idéologique très forte et qui, à force de voir des cadavres autour d’eux, considèrent que tuer à Paris des civils, ce n’est pas grand-chose.

David PUJADAS

Ça relativise l’idée de la violence et de la mort.

Marc TREVIDIC

Par rapport à une bombe qui tombe ou par rapport aux atrocités qu’on leur a fait commettre aussi. Qu’est-ce que vous voulez ? Un petit jeune qui arrive là-bas, qui a dix-neuf ans, on va le tester, on va lui faire décapiter un être humain. Qu’est-ce que vous voulez ? Comment vous voulez qu’il s’en sorte ? Il devient ou très dangereux, ou dégoûté et on n’est même pas capable de faire la différence entre les deux.

David PUJADAS

Alain JAKUBOWICZ, je voudrais qu’on évoque simplement l’avenir de notre société. On l’a dit, cette menace risque de durer. Il y a toujours dans la balance la sécurité et puis les libertés. Est-ce que vous êtes inquiet, vous en tant qu’avocat, peut-être aussi en tant que défenseur des droits de l’homme, du cours que sont en train de prendre les choses ?

Alain JAKUBOWICZ

Je vais vous dire, c’est le citoyen qui a envie de vous répondre tout simplement. Vous avez commencé votre sujet en parlant de riposte et nécessairement, et tout à fait logiquement, vous avez donné la parole à Monsieur le Ministre de l’Intérieur. Je crois que la plus belle riposte, la plus forte, la plus puissante, c’est celle du peuple de France dès le 7 janvier. Ces Français qui sont descendus dans leurs villes sans mot d’ordre, sans bannières, sans rien, dans le silence et une France qui était debout. Une France qui résiste, la vraie France, j’ai envie de dire, et qui s’est prolongé évidemment au cours de ce dimanche avec une organisation plus importante, et cætera. Ça, c’est absolument essentiel. Vous savez, le gouvernement gouverne ; le législateur légifère ; les imams prient ; les citoyens ont le rôle et je crois que c’est extrêmement important de le dire à cet instant. Tout ce que nous venons de dire, qui est extrêmement technique d’une certaine façon, je ne suis pas sûr que ce soit intelligible pour le plus grand nombre de nos concitoyens et de vos téléspectateurs. Et puis, beaucoup de pessimisme, beaucoup de noirceur dans tout ça, mais il y a également, puisque c’est votre question, des raisons d’espérer. Des raisons d’espérer dans cette unité nationale dont on espère qu’elle aura un lendemain véritablement et pas seulement un lendemain de façade. Vous savez, j’appartiens à ces vieux militants des droits de l’homme, comme vous disiez tout à l'heure, des manifestations autour desquelles on a dit : ˮ Plus jamais çaˮ ; j’en ai un certain nombre au compteur.

David PUJADAS

Et ce dont vous parlez, pardon !, ce dont vous parlez c’est de l’esprit civique, de l’esprit de réaction, du sursaut d’un pays qui est attaqué. Mais pour contrer les terroristes, il faut aussi de la technique, il faut aussi des hommes. Il y a un projet de loi qui va être voté et qui va permettre aux services de Renseignement de faire plus. Bernard CAZENEUVE va peut-être nous dire comment il voit les choses. Est-ce que ça va permettre d’écouter les compagnes des terroristes puisqu’apparemment, semble-t-il, c’est impossible jusqu’ici ? Est-ce ça va permettre de les surveiller ? de sonoriser les appartements comme on dit, toutes choses qui étaient plus difficiles jusque-là ? Est-ce que ça vous inquiète ?

Alain JAKUBOWICZ

Après le citoyen, l’avocat et le président de la LICRA vous répond volontiers.

David PUJADAS

Mais le citoyen était le bienvenu aussi.

Alain JAKUBOWICZ

Ce n’est qu’un juste équilibre. Ce n’est qu’un juste équilibre entre la nécessité absolue évidemment de se protéger, et pour le gouvernement de protéger l’ensemble des Français bien sûr, et l’Etat de droit. Qu’est-ce qui s’est passé aux Etats-Unis après le 11 septembre ? Ce fameux Patriot Act, une loi qui est prise en quelques semaines. Je vais vous le dire, en tant que citoyen français, je n’en veux pas. Et on a vu les effets qu’avait cette loi. Je crois qu’il y a un juste équilibre à trouver, et au-delà de cette multiplication, surmultiplication de lois – on a entendu le discours entre madame KOSCIUSKO-MORIZET et monsieur CAZENEUVE. Moi, je vais vous dire en tant que praticien, je ne crois pas que ce soit en empilant les lois qu’on va trouver la solution. C’est en se donnant des moyens. D’abord, la volonté politique. Même en matière d’Internet, des choses sont possibles. Sur la pédopornographie, nous y sommes arrivés. On parlait tout à l'heure de la plateforme Pharos qui est essentielle. Vous savez combien il y a de fonctionnaires à la plateforme Pharos ? Quatorze, quatorze fonctionnaires de police pour plus de cent mille signalements. Le plus grand nombre d’ailleurs, c’est sur les escroqueries. Les sujets dont nous parlons, c’est pratiquement la portion congrue avec des policiers qui font un travail, Monsieur le Ministre, absolument admirable, avec des priorités : préserver la vie humaine et la sécurité des mineurs. 

David PUJADAS

Question précise, Alain JAKUBOWICZ. Vous parlez des moyens, mais est-ce que vous souhaitez aujourd'hui ou est-ce que vous estimez que c’est une bonne chose qu’on donne plus de moyens aux services de Renseignement hors procédure judiciaire ? On est d’accord qu’on ne parle pas là dans le cadre d’une procédure judiciaire mais plus de moyens juridiques de renseignement.

Alain JAKUBOWICZ

Poser ce type de question à un avocat, c’est déjà y répondre. D’ailleurs, je suis face à un avocat puisque Bernard CAZENEUVE est avocat.

Bernard CAZENEUVE

Ce n’est pas à ce titre que je suis là.

Alain JAKUBOWICZ

Je l’avais compris mais c’était pour souligner l’intérêt que vous portez évidemment aux libertés fondamentales, comme ministre bien sûr aussi. Non, bien sûr, je veux dire que le garant des libertés individuelles, c’est le juge judiciaire. C’est évident. Maintenant, ceci étant, avant qu’on passe au judiciaire, il faut du contrôle, il faut de la surveillance et cela relève du domaine administratif.

David PUJADAS

Bernard CAZENEUVE, quels seront les nouveaux droits des services de Renseignement que vous allez mettre dans ce projet de loi qui sera théoriquement voté en juin, si j’ai bien compris. Ça va aller assez vite.

Bernard CAZENEUVE

D’abord ce projet de loi va être discuté en étroite liaison avec les parlementaires, notamment les parlementaires qui travaillent au sein de la délégation parlementaire au Renseignement. Mais quels sont les principes ? Les principes, c’est de faire en sorte que nous puissions renforcer l’activité des services de Renseignement pour ce qui concerne ceux qui sont dans des activités terroristes, qui ont été condamnés pour ces activités et qui seront porté dans le fichier qu’a annoncé le Premier ministre, et de le faire dans un cadre où la capacité de contrôle de l’autorité administrative sera renforcée. Parce que pour moi, la lutte contre le terrorisme si elle appelle des moyens particuliers d’intervention de la part des services de Renseignement au titre de la police administrative, pas dans un cadre judiciaire, tout cela ne peut que se concevoir que si l’on renforce considérablement les pouvoirs de contrôle des autorités administratives indépendantes et du Parlement. Plus de possibilité ne peut être envisagée que dès lors qu’il y aura plus de contrôle.

David PUJADAS

Plus de possibilités dans un cas, plus de contrôle dans l’autre. Mais quelles possibilités alors ?

Bernard CAZENEUVE

Par exemple, nous avons vu que nous opérions des interceptions de sécurité sur un certain nombre de ceux qui s’engagent, qui se sont engagés dans les opérations terroristes par le passé. Nous avons vu que ces interceptions de sécurité…

David PUJADAS

Quand vous dites ˮinterceptionsˮ ?

Bernard CAZENEUVE

Ça veut dire des écoutes téléphoniques.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

C’est des écoutes, je pense que personne de ceux qui nous écoutent ne comprennent.

Bernard CAZENEUVE

Ces écoutes téléphoniques-là se font dans un cadre juridique avec une autorité administrative indépendante qui contrôle et on ne peut pas, quand il n’y a pas de résultat de ces écoutes téléphoniques, quand ces écoutes téléphoniques ne révèlent pas qu’il y a des actes terroristes en préparation, les poursuivre à l’infini.

David PUJADAS

Au bout de quatre mois, ça s’arrête.

Bernard CAZENEUVE

Je pense qu’il faut pouvoir, pour des publics extraordinairement dangereux, face à des cellules dormantes qui à tout moment peuvent se réveiller et faire des actes terroristes, pouvoir dans un cadre très précis, avec le contrôle du juge administratif, prolonger ces écoutes.

David PUJADAS

Est-ce qu’il faut le faire pour l’entourage des personnes qu’on surveille ?

Bernard CAZENEUVE

Mais de toutes les façons, il y a plusieurs situations possibles. Vous pouvez très bien avoir procédé à des écoutes téléphoniques sur une personne en France qui est partie à l’étranger, si vous n’avez pas de possibilité de l’écouter à l’étranger et que la seule personne qui vous permet d’avoir des renseignements est quelqu'un de son entourage, il faut pouvoir le faire dans un cadre légal, et tout cela doit se faire sous le contrôle du juge.

David PUJADAS

Donc ça se fera aussi.

Bernard CAZENEUVE

Ça peut se concevoir si c’est nécessaire pour prévenir des actes terroristes graves et je crois que les Français sont quand même désireux, après ce qui s’est passé, de voir le gouvernement français les protéger, mais ça ne peut pas se faire sans contrôle, sans règle, sans principe. La philosophie qui est la nôtre, c’est plus d’efficacité, et s’il y a plus d’efficacité, plus de contrôle.

David PUJADAS

Les fameuses balises qu’on peut placer sous les voitures et qui avaient été interdites, encore une fois, hors procédure judiciaire

Bernard CAZENEUVE

Mais cela ne peut se faire que dans un cadre judiciaire.

David PUJADAS

Voilà. Ça, ça ne changera pas.

Bernard CAZENEUVE

En tous les cas, pour l’instant, ça ne peut se faire que dans un cadre judiciaire.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Moi sur les balises par exemple, je trouve que c’est un problème.

Bernard CAZENEUVE

Si on doit procéder à de nouveaux dispositifs destinés à être plus efficaces, il faudra de toutes les façons en très étroite liaison avec le Parlement le faire dans un cadre où le contrôle sera renforcé. Et je l’ai fait sur tous les sujets. Quand on a mis en place par exemple l’interdiction administrative de sortie du territoire, j’ai souhaité que ce soit sous le contrôle du juge administratif, lorsqu’on a mis en place le contrôle sur Internet sous le contrôle du juge administratif toujours, pourquoi ? Parce que plus de contrôle, ça doit apporter plus d’efficacité dans la maîtrise du fait terroriste doit appliquer plus de contrôle et plus de respect des libertés.

David PUJADAS

On a compris votre idée. Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, un dernier mot.

Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET

Est-ce qu’on peut dire les choses simplement ? Le Renseignement, ça se passe en amont bien souvent du judiciaire. C’est normal, on cherche à savoir des choses sur des gens qui ont éventuellement vocation un jour à être amenés devant monsieur TREVIDIC. Il faut pouvoir mener un certain nombre d’investigations qui ne se font pas forcément dans le cadre d’une procédure qui a déjà été lancée. Moi je pense qu’on a besoin aujourd'hui, dans la loi cadre, de pouvoir mettre une balise sur une voiture, de pouvoir géolocaliser un portable, de pouvoir mener des écoutes de manière un peu extensive. Ça ne veut pas dire que le juge n’intervient pas ; ça veut dire qu’on peut mettre en œuvre une procédure dans laquelle on lance les choses, on fait les choses et on informe le juge, et le juge a la possibilité d’interrompre s’il pense que ce n’est pas ce qu’il faut. Mais il a la possibilité d’interrompre après. On n’a pas besoin systématiquement de demander des autorisations et des ceci, et des cela, parce que sinon nos services de Renseignement se trouvent au nom des libertés publiques pieds et poings liés pour pouvoir nous défendre contre ceux qui attaquent nos libertés fondamentales. C’est ça l’équilibre entre sécurité et liberté et il faut le déplacer un peu.

Bernard CAZENEUVE

Non, non, non ! L’équilibre entre sécurité et liberté, ça consiste à donner plus de pouvoir aux services de Renseignement pour qu’ils soient plus efficaces mais jamais sans qu’il y ait un contrôle de l’autorité administrative indépendante. Parce que sinon, le principe d’équilibre entre sécurité et liberté est rompu. Nous, nous sommes favorables à donner plus de pouvoir à nos services, nous allons le faire dans le cadre de la loi Renseignement et je tiens à le dire clairement à Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, ce sera dans le cadre d’un pouvoir accru de contrôle de l’autorité administrative indépendante, associant d’ailleurs le Parlement parce que plus de capacité d’intervention des services quand on veut être efficace dans la lutte contre le terrorisme doit être assortie de plus de contrôle. Nous allons donner, après la loi de 91 qui avait été conçue, qui était une première loi définissant les conditions de contrôle de l’activité des services, après la numérisation de la société, le développement des téléphones portables, nous allons donner une véritable loi aux services de Renseignement qui leur permettront d’intervenir dans la légalité et sous le contrôle d’autorités administratives indépendantes ou du juge unique.

David PUJADAS

Le mot de la fin sur cette partie-là pour vous, Abdelali MAMOUN. Est-ce que vous avez vu, vous – vous êtes imam dans le 94, dans le Val-de-Marne – est-ce que vous avez vu dans le cadre de vos fonctions, est-ce que vous avez vu passer, est-ce que vous avez côtoyé des jeunes qui étaient en voie de radicalisation comme ceux-ci ?

Abdelali MAMOUN

Il faut savoir que j’ai une carrière de vingt-cinq ans d’imam et je n’ai pas vu cela que dans le Val-de-Marne, mais dans la banlieue parisienne un peu partout. Ça a commencé dès les années 90, déjà ce phénomène existait. J’étais à Mantes-la-Jolie, nous avons eu aussi affaire là-bas à cette radicalisation à laquelle nous avons effectivement collaboré avec les pouvoirs publics pour éradiquer et endiguer totalement ce groupe qui s’était effectivement propagé dans cette région-là.

David PUJADAS

Très concrètement, vous voyez quelqu'un dont vous vous dites qu’il a une conduite étrange. Quels sont les signes par exemple qui vous permettent de déceler la radicalisation ?

Abdelali MAMOUN

C’est tout simplement un certain vocabulaire qu’il va reprendre.

David PUJADAS

Lequel ?

Abdelali MAMOUN

Par exemple, le mot « tarote » (phon) en parlant du mal absolu, de l’Occident. Il va utiliser des mots tels que l’allégeance et le désaveu, la notion de désavouer le « kofa » (phon) et de le combattre, le « kofa » qui veut dire le mal absolu, le mécréant, et cætera. Il y a un certain nombre de vocabulaire que l’on va, nous, détecter et malheureusement, nous n’avons aucune collaboration officielle et on ne nous demande jamais quoi que ce soit. Nous savons qu’effectivement il y a des personnes dans ce sens-là, qui vont dans ce sens-là mais on ne nous a jamais rien demandé.

David PUJADAS

Est-ce que vous avez déjà pu avoir une conversation, une vraie conversation avec quelqu'un qui était dans cette spirale pour tenter, entre guillemets, de le ramener dans le droit chemin ?

Abdelali MAMOUN

Oui. J’ai eu affaire bien sûr, même plusieurs fois. Un jeune par exemple dans une ville – je ne vais pas citer de nom pour ne pas stigmatiser une région – qui me dit : « Comment on peut combattre le taraute ? – Mais de quel taraute tu parles ? – Mais de l’Occident ! Ils tuent les musulmans, ils combattent l’islam, et cætera, Israël ». Ils alimentent beaucoup cette haine à travers bien sûr des événements qui se passent un peu partout dans le monde. Je lui dis : « Mais toi, tu vis de quoi ? » Il me dit : « Je vis du RSA. – Tu ne travailles pas ? – Non, je ne travaille pas ». Je lui dis : « Comment tu fais si tu as besoin de te soigner ? » Il me dit : « Moi, j’ai la chance d’avoir la CMU ». Très bien. « C’est qui qui te donne la CMU ? C’est le taraute. C’est ce même système-là qui t’a choyé, qui t’a entretenu, qui t’a protégé, qui a fait tout en sorte pour que tu puisses devenir aujourd'hui ce que tu es, un homme marié avec des enfants et tu me parles de taraute ? Mais c’est complètement absurde !

David PUJADAS

Vous l’avez convaincu ?

Abdelali MAMOUN

J’ai essayé, du moins je lui ai dit : « Rentre chez toi et réfléchis bien au chemin que tu es en train de prendre parce que tu marches à côté de tes chaussures ». On parle de langage des jeunes : « A côté de tes pompes » je lui ai dit. « Réfléchis bien parce que ça ne va pas ». En tout cas, pour moi aussi m’impliquer dans ce débat auquel vous vous exposez depuis le début, je pense aussi qu’il faut agir en amont. Il faut d’abord immuniser cette jeunesse avant d’attendre qu’elle devienne… Parce que pour qu’il ait envie de cliquer dans le site que vous évoquiez tout à l'heure et commettre le délit que vous avez envie de – il faut déjà qu’il ait été motivé, il faut qu’il y ait quelqu'un qui lui ai dit : « Tiens ! Va consulter tel site ». Il y a déjà un début d’embrigadement. Et je voudrais signaler que les imams aujourd'hui font un travail extraordinaire pour immuniser cette jeunesse musulmane, pour éviter qu’elle devienne… Et la quasi-totalité des mosquées et les imams font ce travail-là mais malheureusement parfois certains nous échappent.

David PUJADAS

Vous nous fournissez une transition parfaite pour le débat qui va suivre. Voilà pour l’aspect sécurité, merci Monsieur le Ministre d’avoir été avec nous.

Bernard CAZENEUVE

Merci à vous.


Bernard Cazeneuve dans l'émission "Des paroles et des actes" (c) France Télévision
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