Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur à l’attention des chrétiens d’Orient à l'Hôtel de Beauvau le 21 mars 2015
Monsieur le Maire,
Messieurs les évêques,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui en l’Hôtel de Beauvau. Le 23 décembre dernier, j’avais déjà eu le privilège d’assister à une émouvante cérémonie à l’église assyro-chaldéenne de Sarcelles, durant laquelle j’avais entendu pour la première fois un chœur chanter en araméen, cette langue dont on dit qu’elle fut celle du Christ lui-même.
Votre accueil chaleureux m’avait touché, d’autant plus que les circonstances de notre rencontre étaient assorties d’une grande mélancolie. En effet, nous étions alors à la veille de Noël, et pour la première fois peut-être depuis des siècles, aucune messe de la Nativité ne devait être célébrée à Mossoul, cette ville qui, située sur les ruines de la Ninive biblique, fut longtemps l’une des capitales régionales du christianisme, abritant les tombes de plusieurs évangélisateurs.
Aujourd’hui, je veux à nouveau vous adresser, au nom de Laurent Fabius, en mon nom, au nom du Gouvernement et au nom de tous les Français, qu’ils soient croyants ou non, un message d’amitié et de solidarité. Nous voulons adresser ce message à tous les chrétiens, aux chrétiens d’Orient, et en particulier à ceux d’Irak et de Syrie, qui ont trouvé asile en France après avoir été chassés de leur terre natale par la guerre et par la terreur. Je vous l’ai dit en décembre, en l’église chaldéenne de Sarcelles, je vous le redis aujourd’hui : sachez que vous êtes tous les bienvenus chez nous.
Les chrétiens sont en effet parmi les premières victimes du projet criminel d’épuration religieuse que DAESH cherche à imposer à l’ensemble des territoires qu’il contrôle aujourd’hui, où vivent pourtant parmi les plus anciennes communautés chrétiennes du monde, aux côtés des musulmans de toutes obédiences et des yézidis.
Les terroristes djihadistes, qui dévoient le message de l’islam dont ils se réclament, ne leur laissent le choix qu’entre la conversion, la soumission – en renonçant à une citoyenneté égale et en s’acquittant d’un impôt supplémentaire – ou l’exil. Ceux qui refusent de choisir risquent la mort.
Bien des chrétiens de Syrie et d’Irak n’ont pas accepté de se soumettre à un tel chantage. Je pense notamment à ceux de Mossoul, siège de plusieurs évêchés. Après que les maisons des chrétiens ont été marquées par les djihadistes, les évêques des diverses confessions chrétiennes ont en effet décidé collectivement de refuser les conditions imposées par DAESH. Presque tous ont dû se résoudre à l’exil.
Entre 2003 et 2014, 90 % des chrétiens ont quitté l’Irak. Entre 2011 et 2014, plus de 300 000 chrétiens ont fui la Syrie. Aujourd’hui, cette partie du Moyen-Orient se vide d’une population fermement attachée à sa foi, à sa culture, à ses traditions et à cette terre où reposent les siens.
Nul ne peut aujourd’hui demeurer insensible au sort tragique des chrétiens d’Orient, et la France moins que quiconque. D’où les initiatives fortes prises par le Ministre des affaires étrangères Laurent Fabius pour dénoncer les crimes dont vous êtes les victimes et assurer votre protection face aux barbares qui les commettent. D’où l’engagement du ministère de l’intérieur d’assurer votre accueil et votre protection en France. C’est l’histoire qui explique une telle solidarité et qui permet de comprendre les liens si forts qui nous unissent aux communautés chrétiennes, comme ils nous lient aux peuples d’Irak et de Syrie. Une histoire longue qui aujourd’hui nous oblige.
En septembre 1840, le poète allemand Heinrich HEINE, de séjour en France, notait ainsi, alors que Beyrouth était bombardé par une escadre britannique : « tout Paris avait tressailli au son du canon de Beyrouth ». Encore aujourd’hui, les Français sont solidaires des peuples du Levant et s’émeuvent du sort fait aux minorités religieuses de cette région du monde.
Face à une telle tragédie, les Eglises jouent un rôle admirable, contribuant à l’organisation des secours, l’aide aux personnes et au réconfort de ces populations, tout en alertant l’opinion internationale. Elles ont bien sûr tout notre soutien.
Mgr Georges PONTIER, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, et Mgr André VINGT-TROIS, cardinal-archevêque de Paris et ordinaire des catholiques de rite oriental, ont parfaitement résumé la situation dans leur déclaration du 27 février 2015 : « Nulle persécution ne peut être commise au nom de Dieu ».
Je veux également saluer l’action de Mgr Pascal GOLLNISCH, que je salue et qui est sur tous les fronts grâce à l’Ordinariat, l’œuvre d’Orient et le Comité catholique d’accueil des réfugiés chrétiens d’Orient (CCARDO). Je me permets de le citer lui aussi, qui le 21 février dernier nous délivrait un message d’espoir et de lucidité : « Je pense qu'il n'y a pas d'avenir au Moyen-Orient sans les chrétiens. Ils pourraient sans doute être heureux ailleurs que dans cette région, mais un Moyen-Orient sans chrétiens connaîtrait beaucoup de difficultés. (…) Ce ne sont pas des violences de musulmans contre des chrétiens. Ce sont des violences de fondamentalistes face à des gens de bonne volonté. Et parmi ces gens de bonne volonté, il y a des musulmans. Je ne pense pas du tout que la fracture se situe entre musulmans et chrétiens.».
Le Conseil français du culte musulman a pour sa part dénoncé, en août dernier, « les exécutions et persécutions révoltantes que subissent les minorités religieuses chrétiennes et yazidites en Irak », incitant ainsi « les consciences de bonne foi, en particulier les musulmans, à exprimer leur solidarité et la défense du principe sacré du droit d’autrui à croire ».
Il est en effet nécessaire qu’aujourd’hui, nous soyons tous mobilisés, par-delà nos convictions et nos croyances, pour venir en aide aux populations martyrisées d’Irak et de Syrie. C’est un devoir de solidarité et d’humanité.
Je veux dire aux chrétiens d’Orient que la France est à leurs côtés.
Sous la conduite de Laurent Fabius, la diplomatie française défend partout dans le monde la liberté d’expression, de conviction et de conscience.
Plus que jamais, La France intervient auprès des Etats concernés afin qu'ils garantissent à leurs citoyens la protection du libre exercice des cultes et éliminent toute forme de discrimination fondée sur la religion ou la conviction. Cette ambition à portée universelle inclut évidemment le respect des droits des personnes appartenant aux minorités religieuses.
Notre priorité est aujourd’hui de créer les conditions du maintien des minorités religieuses, et notamment chrétiennes, dans leur pays, là où sont à la fois leur passé et leur avenir, indissociables du passé et de l’avenir de leurs compatriotes musulmans. Ce qui suppose que la paix et la stabilité soient restaurées afin de permettre aux chrétiens, comme à toutes les populations du Moyen-Orient, de vivre en sécurité.
L’action de la France en faveur des chrétiens d’Orient est donc indissociable de ses efforts pour résoudre les crises qui bouleversent cette région du monde. C’est le sens de notre participation à l’opération Shammal contre DAESH, de notre soutien au gouvernement irakien, des efforts de notre diplomatie pour trouver une solution à la tragédie syrienne ou pour relancer le processus de paix israélo-palestinien.
C’est dans cet esprit que le Président de la République a rencontré les responsables de la communauté chrétienne lors de sa visite à Bagdad en septembre 2014.
C’est également dans cet esprit que Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères, s’est rendu en Irak et dans le Kurdistan irakien où il a rencontré les autorités religieuses, ainsi que de nombreux réfugiés. Laurent FABIUS et moi-même sommes ainsi engagés ensemble, avec détermination, pour favoriser et faciliter l’accueil en France des réfugiés syriens et irakiens.
Je souhaite enfin remercier tous nos concitoyens qui se mobilisent pour soutenir les chrétiens d’Orient menacés, et pour accueillir, de la meilleure façon possible, ceux qui connaissent les douleurs de l’exil. Je pense aux bénévoles, aux familles, aux paroisses, aux associations, aux administrations et aux collectivités locales. Je veux aujourd’hui, devant vous, saluer le travail que tous accomplissent, souvent dans la discrétion, qui est une marque supplémentaire de noblesse.
Nous ne devons pas nous tromper de combat. Pendant des siècles les trois grandes religions du Livre ont coexisté dans cette région du Moyen-Orient, berceau de civilisation. Nous ne devons pas tomber dans le piège mortel que nous tendent les terroristes, qui cherchent à attiser une nouvelle guerre de religions.
Nous ne devons pas non plus perdre espoir. La communauté internationale doit rester mobilisée et comprendre qu’il y a urgence à agir. C’est pourquoi Laurent Fabius a obtenu qu’une réunion spéciale du Conseil de sécurité des Nations Unies soit consacrée à la situation des minorités religieuses dans la région le 27 mars prochain. Il présidera lui-même cette réunion au côté du secrétaire général des Nations-Unies, afin de réaffirmer que les minorités chrétiennes sont constitutives de l’histoire, de l’identité et de l’avenir du Proche et du Moyen-Orient.
Nous devons tenir bon sur les principes d’humanité, de solidarité et de liberté religieuse. En Europe comme en Orient, quelles que soient nos origines, quelles que soient nos convictions et nos croyances, nous sommes tous frères en humanité.
Je vous remercie.