Situation migratoire à Calais

20 octobre 2015

Intervention de M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur, sur la situation migratoire à Calais - Hôtel de Beauvau, 20 octobre 2015


-Seul le prononcé fait foi -

Mesdames et messieurs,

Depuis un an et demi, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, jetés sur les routes de l’exode par les guerres et les famines, prennent tous les risques pour rejoindre l’Europe. C’est une crise migratoire inédite, qui doit nous appeler à une réponse publique forte, à l’échelle de l’Union européenne d’abord. Dans cette perspective, la France a la première, parmi les nations européennes, formulé des propositions aux institutions de l'Union, le 30 août 2014, il y a de cela plus d'un an. Et chacun comprend désormais que c'est par une réponse européenne commune que nous pourrons être coordonnés,  efficaces et solidaires. Ce sont aujourd'hui les pays de première entrée, l'Italie, la Grèce, les pays des Balkans qui seront les plus exposés. L'Allemagne, a pour sa part, vu la demande d'asile augmenter considérablement ; 710 000 personnes sont entrées dans l'espace Schengen depuis le début de l'année. Chacun qui est en responsabilité doit prendre la mesure de cette situation nouvelle, et chacun doit bien entendu se mobiliser pour y répondre.  La situation de la France n'a rien de comparable avec celle des pays de première entrée. Le gouvernement a affirmé, au sein de l'Union européenne, la nécessité de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de Schengen,  défendu les modalités d'un accueil digne des personnes ont besoin manifeste de protection et de reconduction vers le pays d'origine, notamment les pays d'origine des migrants économiques. Nous menons également en lien avec nos partenaires européens et sur notre propre territoire, un combat sans merci contre les filières de la traite des êtres  humains et les passeurs.

Ce combat d'ailleurs porte ses fruits. 191 filières ont été démantelées par le travail opiniâtre des forces de l'ordre, avec l'appui de la justice. Et ce sont 3000 personnes qui ont ainsi été neutralisées depuis le début de cette année. Nous nous sommes engagés, vous le savez à accueillir 30 000 réfugiés en deux  ans, dans le cadre du mécanisme de solidarité européenne que nous avons nous-mêmes porté. Cet accueil a débuté et il permet à des familles d'être accueillies dans de bonnes conditions d'intégration avec l'appui des services de l’État, des élus, des associations qui sont tous fortement mobilisés dans un contexte inédit.

A Calais il existe une situation spécifique. Calais voit  converger depuis des mois des personnes désireuses de rejoindre le Royaume-Uni ;  la situation à Calais n'est pas nouvelle, mais elle a pris incontestablement un tour particulier avec l'accélération de la crise migratoire en Europe. Le nombre de migrants a augmenté de façon significative en quelques semaines et atteint désormais près de 6000 personnes. Je me suis rendu à Calais au cours des tout derniers mois au contact des élus, des associations, des forces de l'ordre et  de l'ensemble des services de l’État à 6 reprises. J'y suis en moyenne une fois toutes les 6 à 8 semaines. Tous ces  acteurs dont je viens de parler font un travail admirable, tous méritent respect et considération. Dans ce contexte, un certain nombre de voix, responsables politiques,  institutionnels, associatives, organisations non-gouvernementales s'émeuvent de la situation humanitaire des migrants présents à Calais, et de leurs conditions de vie.  Aujourd'hui même 800 artistes et intellectuels ont lancé un appel à ce sujet. Ils manifestent une préoccupation que j'entends et que je partage ; ils sont la voix d’une France mobilisée, solidaire, généreuse, une France qui refuse le repli sur soi et le rejet ; et chaque jour, je veux le dire solennellement, mon administration comme d'autres administrations de l’État - je pense à celle du logement - se mobilisent pour apporter des réponses humaines, dignes. Mon administration le fait sobrement, elle le fait avec conscience.  Les  conditions de vie des migrants sur la Lande sont plus difficiles, au fur et à mesure que leur nombre grandit. Ces populations doivent être protégées et la politique consiste depuis des mois à leur permettre de demander l'asile en France afin qu'elles puissent être relogées sur l'ensemble du territoire national. C'est également le sens du dispositif de déploiement des forces de l'ordre à Calais et du travail qu'elles fournissent, garantir la sécurité des Calaisiens, protéger les migrants contre les dangers qu'ils encourent en tentant le passage vers le Royaume-Uni au prix de graves blessures et au prix même de leur vie. Le défi auquel nous sommes confrontés est donc crucial et ce gouvernement a pris la question de Calais à bras-le-corps comme aucun gouvernement ne l'avait fait jusqu'à présent.

Sécuriser la frontière, reconduire ceux qui doivent l'être, proposer des solutions d'accueil à ceux qui ont besoin de protection et dont l'avenir n'est pas à Calais.
Depuis, sur le plan humanitaire, nous avons d'abord obtenu,  par le dialogue et sans qu'il soit nécessaire de recourir à la force publique, l'évacuation des terrains et squats occupés illégalement et pour lesquels avaient été pris des décisions de justice. Ces squats étaient non seulement illégaux mais ils représentaient bien souvent un danger pour les migrants eux-mêmes. Nous avons ensuite ouvert un centre d'accueil de jour, il n'existait pas il y a 9 mois, le centre Jules Ferry, en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés. L’État assure le financement de ce centre pour 13 millions d'euros par an dont 3,7 millions proviennent de fonds européens.La ville de Calais a mis le terrain à disposition et  un opérateur associatif « la vie active » en assure le fonctionnement quotidien. Ouvert  au mois de janvier 2015, il y a donc encore peu de temps, le centre fonctionne à plein depuis le mois d'avril et offre les prestations élémentaires aux migrants, sanitaires, accès à l'eau, 500 douche prises par jour, 2000 repas servis en moyenne est mise en place d'une permanence médicale.

La situation sanitaire a, par ailleurs, vous le savez, fait l'objet d'une mission que Marisol TOURAINE et moi-même avons dépêché sur la Lande la semaine dernière. Il y avait des rapports, il y avait des interrogations, je ne tiens aucune sollicitation pour dérisoire, bien au contraire, et j'ai donc souhaité avec Marisol TOURAINE, que cette mission de médecins soit déléguée sur place. Cette mission rendra ses conclusions demain, et j'annoncerai en lien avec Marisol TOURAINE les adaptations de la couverture sanitaire en fonction des recommandations qui nous seront adressées. Nous avons également ouvert un centre d'hébergement des personnes vulnérables - femmes, enfants – d’une capacité d'une centaine de places. Ce centre a ouvert en mars, il est installé dans un espace sécurisé dans l'enceinte même du centre Jules Ferry. Il sera porté à 200 places avant la fin de l'année, les travaux débutent cette semaine à ma demande, sous la maîtrise d'ouvrage de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises pour une mise à l'abri rapide de 200 femmes ses enfants. Et le dis ici solennellement, aucune femme, aucun enfant ne sera sans abris à Calais au cours des mois qui viennent. Et s’il fallait prendre la décision d'augmenter ses capacités d'accueil encore nous le ferions comme nous l'avons fait jusqu'à présent. Je m'engage à cela comme je m'y suis engagé auprès des associations que j'ai reçues il y a de cela 3 semaines, comme jeu mission engagé auprès des élus de Calais, je renouvellerai cet engagement à Calais demain et mon administration a pris toute disposition pour se faire. Nous avons déjà procédé à des aménagements sur le campement qui s'est constitué spontanément sur la Lande situé à proximité immédiate du centre Jules Ferry.  Chemin d'accès, éclairage public, accès permanent à l'eau et des WC  chimiques,  bennes à ordures, etc. Comme nous l'avons annoncé avec le Premier ministre sur place le 31 août de nouveaux aménagements sont programmés au niveau du campement de la Lande, une demande de subvention urgente a été présentée par la France au titre du « Fonds asile, migration et intégration », le FAMI, l'Union européenne, a annoncé le déblocage de 5,2 millions d'euros ;  le coût total de ce projet - qui a vocation à être mise en œuvre d'ici le mois de décembre – est de 18 millions d'euros.

Une réponse humanitaire digne de ce nom ce n'est pas seulement répondre aux besoins  humains urgents c'est aussi dessiner un avenir humain pour les réfugiés qui fuient les persécutions en Syrie, en Erythrée ou dans d'autres pays. Cela passe donc pour moi,  je l’ai  à Calais  depuis des mois, par la facilitation de l'accès au statut de réfugiés auquel beaucoup ont droit. Nous avons donc considérablement améliorer l'accès à la procédure d'asile, notamment en réduisant les délais et en mettant en place un dispositif incitatif d'information animé par l'Office français de l'immigration et de l'Intégration, l’OFII, qui a considérablement renforcé ses équipes. Une attention particulière est portée aux demandes présentées à Calais  pour qu'elle donne lieu à l'attribution prioritaire d'un hébergement en dehors de Calais, le temps de l'examen de la demande d'asile. Je veux donner les résultats de cette action précisément. Depuis le début de l'année 2015, plus de 1000 migrants ont pu quitter Calais et bénéficié d'un hébergement au titre de leur demande d'asile,  plus de 1000. Pour compléter ce dispositif, la direction des étrangers en France est mobilisée à ma demande pour ouvrir 2000 places en centre d'accueil pour demandeurs d'asile pour les personnes présentes à Calais. L’ensemble du dispositif de mise à l'abri des personnes présentes à Calais, d'ici à la fin de l'année 2015, représentera donc précisément 3700 places d'accueil ;  2000 au titre des CADA,  1500 au titre de l'aménagement de la lande et  200 au titre de l'accueil des femmes et des enfants, des personnes vulnérables. Convaincre de demander l'asile, ouvrir des places en CADA, protéger les personnes vulnérables, voilà la vraie réponse humanitaire. Car la Lande de Calais, et je le dis à tous ceux qui m'interpellent, ne peut pas être un espace de vie durable pour les migrants. La France offre à tous ceux qui relèvent du statut de réfugié la possibilité d'accéder à chaque instant à l'asile, et d'être hébergés en CADA sur le territoire national, et de pouvoir ensuite bénéficier d'un accompagnement qui permette l'intégration de ces personnes dans la vie normale, dans notre pays, comme cela a été fait pour les réfugiés que nous sommes allés accueillir à Munich il y a de cela quelques semaines et dont j'ai accompagné le parcours dans le logement au cours des derniers jours.

Mais la réponse humanitaire ne sera jamais suffisante si dans le même temps nous n'assurons pas une réponse ferme et je l'assume, face à ceux qui exploitent la détresse et la misère humaine. Je rappelle que j'ai décidé de renforts en nombre qui portent  aujourd'hui à près 1300 le nombre de gendarmes et de policiers qui sont présents en permanence à Calais pour assurer la sécurité des Calaisiens, dont près de 350 effectifs dédiés à la sécurisation du centre-ville de Calais et la surveillance des infrastructures. Je  pense notamment aux 500 effectifs postés en permanence aux abords du seul tunnel. Dans le contexte que connaît notre pays, notamment avec le plan Vigipirate, cela représente pour les forces de sécurité, un effort considérable que je veux saluer.

La réponse en termes de sécurité, c’est aussi l’action résolue que nous avons engagée pour démanteler les filières d’immigration clandestine et l’immigration irrégulière : le nombre de filières démantelées dans le Calaisis en 2014 a progressé de 30% par rapport à l’année précédente et les résultats obtenus au début de l’année 2015 confirment cette tendance (23 filières opérant vers le Royaume-Uni ont été démantelées sur les neuf premiers mois de 2015 contre 4 sur toute l’année 2014). Le nombre d’éloignements exécutés est également en progression : 1 784 éloignements réalisés en 2014 (+ 30% par rapport à 2013) ; 1 500 mesures ont déjà été exécutées sur les neuf premiers mois de 2015(, soit une augmentation de près de 11% par rapport à la même période de l’année 2014). Jamais auparavant de tels résultats n’avaient été obtenus.

Et puis j’entends dire souvent que les Anglais doivent prendre leurs responsabilités. Oui c'est vrai. Et ils les prennent, grâce au travail de persuasion que le Gouvernement mène auprès du Gouvernement britannique depuis un an et demi. Au total les Britanniques ont engagé 45 millions d’euros pour sécuriser le port – aujourd’hui les intrusions de migrants par cette voie sont très marginales – pour sécuriser les abords du tunnel sous la Manche et pour l’hébergement d’urgence des personnes vulnérables. Un accord détaillant ce soutien a été signée par ma collègue Theresa May et moi-même à calais le 20 août dernier. Les opérations de sécurisation du port ont permis de diminuer par dix les intrusions de migrants dans le tunnel sous la Manche entre août et septembre. Malheureusement, le doublement récent du nombre de migrants oblige à sécuriser encore davantage les accès au tunnel et je vais prendre des mesures nouvelles en ce sens. Les 16 migrants morts depuis le début du mois de juin sont des drames inacceptables et il faut y mettre fin. Nous y sommes déterminés.

Et laissez-moi vous redire une chose simple : appeler à l’ouverture de la frontière avec les Anglais n’est pas une solution responsable. Elle constituerait un signal que les passeurs entendraient aussitôt, qui conduirait à faire affluer les migrants en nombre beaucoup plus important vers Calais. Un désastre humanitaire en résulterait. C’est une voie qui est hasardeuse, et le Gouvernement ne s’y engagera pas. Au contraire, nous allons rendre la frontière encore plus étanche pour dissuader les passeurs et les migrants, respecter les règles internationales et diminuer la pression à Calais.

C’est donc par ces moyens conjugués, en termes humanitaires et en termes sécuritaires, que nous parviendrons à vider cette lande, qui ne peut pas être un espace de vie durable pour les migrants et qui ne peut pas être accepté durablement par les Calaisiens.

Et nous faisons tout cela avec les élus locaux. Je souhaite le faire toujours plus avec les associations sur place, avec nos partenaires britanniques, avec la Commission européenne, avec le Haut-Commissariat pour les Réfugiés, en suivant les recommandations de la mission Aribaud-Vignon que j’ai commandée sur place, avec tous les acteurs et partenaires qui contribuent à des solutions. Il s’agit d’une mission d’intérêt général, qui demande la mobilisation de tous, et qui supposent que tous les humanistes s’engagent dans le même sens. Ceux qui cherchent à diviser, les irresponsables, les extrêmes, ceux-là ne visent qu’à une chose : entretenir les problèmes et rejeter les solutions. Au contraire, au-delà des sensibilités politiques de chacun, nous devons mettre en place les solutions républicaines qui permettent de surmonter les problèmes, avec à l’esprit une haute exigence de responsabilité, à laquelle j’appelle chacune et chacun.

C’est la feuille de route du Gouvernement, c’est ma feuille de route et c’est ce que je continuerai à faire, sous l’autorité du Président de la République et du Premier Ministre, avec un engagement et une détermination sans faille.

Depuis ma nomination Place Beauvau, j’applique ces principes et je mets en œuvre les solutions décidées dans la concertation, en étant personnellement extrêmement attentif à leur bonne application sur le terrain. Je me suis déjà rendu à Calais à cinq reprises : les 3 novembre et 24 décembre 2014, ainsi que cette année le 4 mai, le 20 août - avec Theresa May, et le 31 août dernier - aux côtés du Premier Ministre.

J’y retournerai à nouveau demain après-midi. Comme à chaque fois, je rencontrerai les élus locaux, et en particulier la Sénatrice-Maire de Calais, Natacha Bouchart, le député Yann Capet, avec lesquels nous travaillons en bonne intelligence au-delà des clivages partisans, les responsables associatifs qui œuvrent sur le terrain auprès des migrants, et les forces de l’ordre, dont j’ai déjà considérablement renforcé la présence à Calais, et qui accomplissent au quotidien un travail harassant et indispensable que je veux saluer avec force. Et puisque la situation a évolué sensiblement ces dernières semaines avec le doublement du nombre de migrants, j’annoncerai demain sur place, les nouveaux moyens que l’État engage pour faire face et surmonter les difficultés.