Jeudi 19 mars 2015, M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, est intervenu dans l'émission "L'invité" de Ruth Elkrief sur BFM TV.
Ruth Elkrief
Bonsoir Bernard Cazeneuve. Merci beaucoup d’être en direct avec nous depuis Toulouse au lendemain de l’attentat de Tunis et trois ans jour pour jour après l’attentat contre une école juive.
Bernard Cazeneuve
Bonsoir.
Ruth Elkrief
Vous êtes donc à Toulouse pour les cérémonies de commémoration à la mémoire donc des victimes de la tuerie de Merah. Nous allons en parler dans un instant. Mais demain, vous vous rendez à Tunis. Est-ce que vous en savez plus sur l’enquête ? Ce soir, c’est Daech, l’État islamique qui revendique cet attentat. On a évoqué l’hypothèse d’une troisième victime française. Que sait-on de plus ce soir sur cet attentat ?
Bernard Cazeneuve
D’abord, Daech a revendiqué cet attentat. Il y a une enquête en cours, elle confirmera cette revendication ou pas. Et j’aurai plus d’informations à donner lorsque j’aurai rencontré mon homologue tunisien demain puisque je me rends à Tunis, d’abord, pour apporter un message de solidarité de la France à l’égard du peuple tunisien durement frappé hier, ensuite parce qu’il y a une relation d’amitié, une tradition de coopération entre nos services de justice et de police. Et lorsqu’un pays ami est si durement frappé par le terrorisme, cette coopération doit se matérialiser vite parce qu’il faut vite neutraliser les auteurs, très vite démanteler les filières qui les ont accompagnés et leurs complices. Donc je me rends demain pour apporter un message de solidarité et parce qu’aussi nous sommes dans la coopération avec nos partenaires pour lutter contre le terrorisme. Nous luttons contre le terrorisme à l’intérieur de façon résolue à travers des dispositifs nouveaux et nous luttons à l’extérieur par la coopération avec nos partenaires et sur le théâtre d’opération où les terroristes frappent en s’en prenant aux valeurs que nous incarnons.
Ruth Elkrief
Concrètement, cette coopération, elle veut, elle va s’incarner de quelle façon ? Est-ce qu’il y a des moyens supplémentaires, des échanges d’informations, des… ? Donnez… Dites-nous-en plus.
Bernard Cazeneuve
Eh ben d’abord, nous avons le devoir de démanteler des filières qui agissent partout sur la bande sahélo-saharienne et qui peuvent frapper des pays de l’Union européenne. Nous savons que ceux qui nous frappent peuvent agir après avoir commandités par des organisations qui sont dispatchées sur la bande sahélo-saharienne. Donc, notre objectif, c’est de démanteler ces filières et nous ne pouvons le faire que si nous accroissons notre coopération policière, notre coopération en matière de renseignement. Et c’est ce que nous faisons et ce que je vais aller intensifier demain. Par ailleurs, nos amis tunisiens ont peut-être besoin, dans les circonstances, pour conduire les enquêtes, pour démanteler des filières, de moyens dont nous disposons et j’ai indiqué dès aujourd’hui au ministre des Affaires étrangères tunisien que la France se tenait à la disposition de la Tunisie pour lui apporter aide et concours. Et la Direction de la coopération internationale du ministère de l’Intérieur s’est mise dès aujourd’hui en relation avec le ministère de l’Intérieur tunisien de manière à préparer mon déplacement de demain. Et je rendrai compte de tout cela demain à l’occasion d’une conférence de presse à Tunis.
Ruth Elkrief
Trois ans après la tuerie de Merah, vous allez prononcer ce soir un discours à la mémoire de ces victimes. Mais franchement, avec le recul, est-ce qu’on a vraiment tiré suffisamment de leçons de cette attaque qui en a annoncé finalement tant d’autres ?
Bernard Cazeneuve
Mais la lutte contre le terrorisme, compte tenu de l’ampleur du phénomène auquel nous sommes confrontés, Ruth Elkrief, c’est une lutte sans trêve ni pause qui implique que l’on prenne tous les jours des mesures parce que nous sommes face à des barbares, à des acteurs qui, en permanence, adaptent leurs modalités d’intervention pour nous frapper avec violence. Donc, oui, nous prenons des mesures et ce gouvernement en prend. Nous avons augmenté considérablement les moyens des services de renseignement en emplois : près de 1 500 emplois créés en l’espace de quelques années. Une augmentation considérable des budgets pour permettre la numérisation, pour permettre le développement de nouvelles technologies, pour permettre l’accès à la modernisation des systèmes d’information et de communication sans lesquels on ne peut pas efficacement lutter contre le terrorisme. Nous renforçons aussi les moyens du renseignement territorial. Nous avons voté deux lois contre le terrorisme dont la récente met en place l’interdiction de sortie du territoire, le blocage administratif des sites ou met en place l’entreprise individuelle terroriste pour lutter contre les actes de ceux qui s’autoradicalisent. Et ce matin, nous avons annoncé de nouvelles dispositions qui permettent d’encadrer l’activité des services de renseignement, d’exercer sur eux un contrôle, en même temps, qu’on leur donne plus de moyens pour prévenir les actes terroristes. Donc nous agissons, ce gouvernement, la France, en liaison avec les pays de l’Union européenne, encore une fois, sans trêve ni pause. Et nous agissons aussi au plan européen pour qu’il y ait une réforme du code Schengen, pour qu’il y ait des contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures de l’Union européenne, pour arrêter les combattants étrangers qui reviennent des théâtres d’opérations terroristes. Nous nous battons pour la mise en place du PNR européen. Bref, ce gouvernement est sur le métier et j’estime que mon rôle de ministre de l’Intérieur, c’est de faire bouger l’Europe, c’est de prendre des dispositions en France, c’est de prendre toutes les précautions pour que les Français soient le mieux protégés possible.
Ruth Elkrief
Cette loi sur le renseignement, qui a été présentée ce matin par Manuel Valls – vous étiez à ses côtés –, elle semble faire consensus mais elle inquiète aussi un certain nombre de personnalités : les avocats, certains juges et, pour le nommer, le juge Trévidic, spécialiste de l’antiterrorisme, qui considère qu’elle est valable tant qu’elle se limite à la lutte antiterroriste mais qui s’inquiète lorsqu’elle pourrait s’appliquer à la défense nationale, à la défense des intérêts économiques, scientifiques, à la prévention de la criminalité organisée parce que vous allez avoir, grâce à cette loi, recours à un très grand nombre de moyens – logiciels espions, appareils de géolocalisation, capteurs de proximité des téléphones mobiles. Est-ce que, eh bien ce n’est pas carte blanche à une intrusion dans notre vie privée ?
Bernard Cazeneuve
Mais je veux rassurer le juge Trévidic et d’autres acteurs que je connais et pour lesquels j’ai considération sur un sujet sur lequel il est normal qu’il y ait un débat. Mais dès lors qu’il y a un débat, il faut que ceux qui portent un texte de loi soient dans la clarté. Qu’est-ce que nous voulons faire ? Nous voulons d’abord que l’activité des services de renseignement – ce qui n’est pas le cas en France contrairement à ce qui se passe dans d’autres grandes démocraties – soit encadrée, contrôlée, contrôlée par une autorité administrative indépendante dont les pouvoirs seront renforcés, ainsi que les moyens, qu’il y ait la mobilité pour un juge de se prononcer sur les techniques qui sont mises en œuvre et leur opportunité et qu’il y ait un contrôle parlementaire. Cela n’était pas le cas et nous le mettons en place parce que nous voulons précisément, parce que nous sommes soucieux des libertés publiques, que nous sommes attachés à voir les services de renseignement s’inscrire comme de grands services publics dans la démocratie, nous voulons que ces services soient encadrés et contrôlés. Et ensuite, nous avons besoin, face au terrorisme, parce que nous devons prévenir des actes terroristes – c’est ça que les Français attendent de nous –, nous avons besoin de techniques qui nous permettent, sous le contrôle d’une autorité administrative – du Parlement, du juge –, d’être efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Je comprends que certains veuillent que tout se passe sous le contrôle du juge judiciaire. Mais le juge judiciaire, il intervient quand des actes ont été commis, dès lors que des affaires sont judiciarisées. Nous, nous souhaitons prévenir ces actes pour qu’ils ne soient pas commis, pour que les Français n’aient pas à souffrir encore de violences, de meurtres, de crimes dont on a vu la dimension de barbarie. Et pour cela, nous prenons des mesures de police administrative mobilisent des techniques et ces techniques doivent être encadrées, elles doivent être surveillées, elles doivent pouvoir faire l’objet de l’appréciation du juge administratif et de l’appréciation d’une autorité administrative indépendante. Notre loi, c’est plus de démocratie et de contrôle, plus de respect des libertés et plus d’efficacité dans la lutte antiterroriste et dans la défense des intérêts supérieurs de la nation. Et ça – j’en suis convaincu –, les Français le comprennent parfaitement. Et je suis convaincu aussi que le débat qui va s’ouvrir au Parlement va être l’occasion pour le gouvernement, avec sincérité, avec rigueur, avec précision, d’apporter toutes les réponses aux questions légitimes qui se posent de manière à ce que chacun soit rassuré.
Ruth Elkrief
Justement, à l’UMP, on se prépare peut-être à approuver votre loi à condition qu’elle ne soit pas édulcorée par le débat, qu’elle ne soit pas transformée par des amendements qui viendraient de la gauche, de votre majorité et qui pourraient la transformer. Ça vous inquiète ?
Bernard Cazeneuve
Mais on ne peut pas aborder un débat parlementaire en disant : le texte qui vient sur le bureau du Parlement est un texte qui doit sortir du Parlement comme il y est rentré. Ou alors il faut mettre fin à la démocratie parlementaire. Mais ce texte, il a un équilibre. Et parce qu’il a un équilibre entre nécessité de protéger les libertés et nécessité de protéger les Français, c’est un texte qui a sa force, sa cohérence intrinsèque et nous ne souhaitons pas le voir dénaturé. Mais ne pas vouloir voir un texte qu’on porte avec sincérité, après y avoir beaucoup travaillé, ne pas vouloir le voir dénaturé ne signifie pas qu’on exclut pour ce texte qu’il y ait un débat. Et je suis convaincu d’ailleurs que le débat aidant, l’UMP, une fois de plus, aura une position plus nuancée. D’ailleurs, vous le savez, moi, sur les grandes questions qui concernent le pays, qui engagent son avenir – la lutte contre le terrorisme, la défense de la laïcité, les valeurs républicaines –, je ne cherche pas le conflit, je cherche la cohésion, la cohérence, la force parce qu’on n’affronte pas ces défis dans la division, dans les calculs politiciens, dans l’abaissement des tactiques de parti. C’est dans l’évocation des valeurs de la République, en s’élevant au niveau de l’enjeu que l’on parvient à convaincre les Français et à demeurer debout face aux terroristes qui cherchent à nous frapper.
Ruth Elkrief
Le Front national dénonce cette loi en disant que ça va être l’État Big Brother, un texte qui bafoue ouvertement les règles élémentaires de l’État de droit…
Bernard Cazeneuve
Je ne vous entends plus…
Ruth Elkrief
Le Front national dénonce votre texte en disant qu’il bafoue les règles élémentaires de l’État de droit et…
Bernard Cazeneuve
Je ne vous entends plus…
Ruth Elkrief
Voilà, donc il… Marine Le Pen dit que la seule manière de lutter contre le terrorisme, c’est le gel de la construction de nouvelles mosquées. Est-ce que vous m’entendez ? Apparemment, vous ne…
Bernard Cazeneuve
Nous avons un petit problème technique. Je ne sais pas si vous m’entendez.
Ruth Elkrief
Voilà…
Bernard Cazeneuve
Je vous entends de nouveau. Je vous entends.
Ruth Elkrief
Non, moi, je vous entends très bien, voilà. Je voudrais vous dire que le Front national considère que votre texte…
Bernard Cazeneuve
Parfait ! Je vous entends de nouveau…
Ruth Elkrief
Voilà. Donc le Front national considère que votre texte bafoue les règles de l’État de droit et que ce sera un État Big Brother et qu’en revanche, pour lutter vraiment contre le terrorisme, il faut geler la construction de nouvelles mosquées. Que répondez-vous ?
Bernard Cazeneuve
Je réponds au Front national qu’une fois de plus, sur ce sujet comme sur d’autres, il cherche non pas les solutions mais les problèmes, il cherche non pas non la cohésion de la nation, la force de la République face aux défis auxquels elle est confrontés mais son abaissement dans les divisions, les querelles, les approximations, les amalgames et – je dois le dire – les mensonges. Madame Le Pen est contre toutes les solutions qui sont proposées par la plupart des pays européens dans l’unité d’ailleurs de ces pays pour lutter efficacement contre le terrorisme. 70 % de ceux qui basculent dans le terrorisme basculent par Internet et toutes les études montrent que c’est très marginalement dans la fréquentation des mosquées que la radicalisation s’effectue, même s’il y a effectivement des imams radicaux qui contribuent à faire basculer des jeunes. Pas seulement des imams d’ailleurs, des recruteurs que nous nous employons, pour les premiers, à expulser lorsqu’ils sont de nationalité étrangère, et pour les seconds, les filières, à démanteler. Mais aujourd’hui, la solution au terrorisme, ce n’est pas une déclaration de guerre aux musulmans de France qui sont, pour une immense majorité d’entre eux, dans la République et qui souhaitent, dans le respect de la laïcité, pouvoir pratiquer leur culte sereinement…
Ruth Elkrief
Merci beaucoup…
Bernard Cazeneuve
Respectueusement de ce que sont les règles de la République et respectueusement de ce que sont les autres religions. Donc, à chaque fois que nous proposons une solution pertinente – que, d’ailleurs, tous les autres pays de l’Union européenne prennent également comme des solutions à promouvoir pour sortir du terrorisme –, Madame Le Pen, elle, casse les solutions et cherche les problèmes parce que c’est sur le terreau des problèmes, des divisions, des petites haines qu’elle espère prospérer électoralement.
Ruth Elkrief
Merci beaucoup Bernard Cazeneuve d’avoir été en direct avec nous depuis Toulouse.