Le 14 septembre 2015, Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, a répondu à Olivier Mazerolle dans l'émission "L'invité de RTL".
Yves Calvi
Olivier Mazerolle, vous recevez ce matin Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur.
Olivier Mazerolle
Bonjour Bernard Cazeneuve.
Bernard Cazeneuve
Bonjour.
Olivier Mazerolle
Jusqu’à hier, Angela Merkel était la conscience de l’Europe. A notre micro, Ségolène Royal s’exclamait : bravo Angela Merkel ! La chancelière s’exprimait de telle sorte que les réfugiés croyaient que l’Allemagne était la terre promise, elle faisait des selfies avec eux, ils l’appelaient « maman », et puis, elle leur ferment la porte ; c’est un pompier pyromane, Angela Merkel ?
Bernard Cazeneuve
Non, mais, elle ne leur ferme pas la porte, il faut, encore une fois, je le redis, sur ce sujet, qui a une dimension humanitaire extrêmement grave, dire des choses qui soient exactes, elle rétablit aux frontières des dispositifs de contrôle, de manière à s’assurer que ceux qui viennent sur le territoire de l’Allemagne ont bien le statut de réfugiés, et que les pays en amont de leur arrivée en Allemagne ont respecté les règles de Schengen. Parce qu’il n’y a pas de solidarité possible au sein de l’Union européenne si chaque pays n’assume pas sa responsabilité. Et on ne peut pas…
Olivier Mazerolle
Elle n’a pas été, pardon Monsieur le Ministre, elle n’a pas été quand même responsable, en faisant croire à tous ces malheureux que l’Allemagne allait les accueillir tous, les bras ouverts ?
Bernard Cazeneuve
Angela Merkel a indiqué que son pays était prêt à recevoir, en prenant ses responsabilités, les réfugiés qui sont victimes de persécutions dans leur pays. Et vous avez vu ces images de persécutions, vous avez vu quels sont les réfugiés syriens, irakiens qui viennent aux portes de l’Europe, il s’agit d’hommes, de femmes qui sont dans une situation terrible, parce qu’ils sont les persécutés de Daech ou les persécutés du régime de Bachar El Assad. Mais il y a derrière cette réalité humanitaire une réalité européenne. Quelle est-elle ? C’est qu’il faut que l’Europe, si elle veut faire face à cette situation, soit capable de prendre des décisions rapidement. Quelles sont les décisions qui doivent être prises ? Parce que c’est ça le fond de…
Olivier Mazerolle
Vous avez une réunion cet après-midi, à Bruxelles…
Bernard Cazeneuve
Oui, et c’est bien pour ça que j’en parle à votre antenne…
Olivier Mazerolle
Et qu’est-ce qu’elle va donner cette réunion ?
Bernard Cazeneuve
Quelles sont les décisions qui doivent être prises ? D’abord, il n’y a pas de soutenabilité de ce que nous faisons sur l’accueil des réfugiés s’il n’y a pas un contrôle efficace des frontières extérieures de l’Union européenne. Ça, c’est le premier sujet. Comment le faire ? En mettant en place des centres d’accueil des réfugiés et de retour pour ceux qui relèvent de l’immigration économique irrégulière, c’est ce que l’on appelle les hotspots, il en faut en Grèce, il en faut en Italie, et il en faut aussi en Hongrie. Et le mécanisme de solidarité pour l’accueil des réfugiés ne peut pas se mettre en place s’il n’y a pas ce dispositif de contrôle aux frontières. Deuxièmement…
Olivier Mazerolle
Ces dispositifs de contrôle, est-ce qu’il faut les mettre dans les pays qui sont membres de l’Union européenne ou en amont, aux frontières de ce pays, comme le suggère par exemple Nicolas Sarkozy ?
Bernard Cazeneuve
Mais il y a deux problèmes, il y a d’abord le problème de ceux qui sont arrivés sur le territoire de l’Union européenne. Pour ceux qui sont arrivés sur le territoire de l’Union européenne, et qui sont actuellement en Grèce, en Italie, et ils sont en nombre, ils sont par millier, il faut distinguer ceux qui relèvent du statut de réfugié, de ceux qui relèvent de l’immigration économique irrégulière, et procéder au retour de ceux qui relèvent de l’immigration irrégulière, parce que sinon, il n’y aura pas de soutenabilité de ce que nous faisons…
Olivier Mazerolle
De retour où ça ?
Bernard Cazeneuve
Dans les pays de provenance, par exemple, pour ce qui concerne…
Olivier Mazerolle
On va les renvoyer en Turquie, au Liban ?
Bernard Cazeneuve
Mais, essayons d’être précis et sérieux, si vous voulez bien, quand ils arrivent en Italie, près de 60 % d’entre eux viennent de la bande sahélo-saharienne, c’est-à-dire d’Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire de pays qui sont des pays dans lesquels ils peuvent retourner, où ils ne sont pas persécutés, ils viennent pour des raisons économiques. Ces migrants économiques doivent être reconduits dans les pays de la bande sahélo-saharienne, et il faut pour cela que madame Mogherini, dont c’est le rôle, comme Haut commissaire, négocie avec ces pays des dispositifs de retour, c’est ce que j’ai fait lorsque je me suis rendu au Niger, pour examiner les conditions dans lesquelles le Niger était prêt à mettre en place des centres de maintien et de retour, et de signer des conventions avec l’Union européenne, il est prêt à le faire. Donc si nous n’avons pas un dispositif global où il y a de l’humanité, mais aussi de la fermeté, il n’y aura pas de possibilité d’accueillir des réfugiés…
Olivier Mazerolle
Eh bien, à propos de contrôles aux frontières, les Hongrois vous disent : eh bien, nous, on va faire intervenir l’armée à nos frontières, comme ça, la frontière extérieure de l’Europe va être protégée.
Bernard Cazeneuve
Mais vous avez vu les images des réfugiés en Hongrie…
Olivier Mazerolle
Oui, j’ai vu…
Bernard Cazeneuve
Vous avez vu les réfugiés battus…
Olivier Mazerolle
Mais justement, est-ce que finalement, l’appel d’air…
Bernard Cazeneuve
Vous les avez vus traités comme ils le sont…
Olivier Mazerolle
Madame Merkel, encore une fois, a convaincu les réfugiés qu’ils pouvaient venir en Europe, et particulièrement en Allemagne, est-ce que l’appel d’air ne provoque pas ces drames finalement de personnes qui croient que l’Europe va les accueillir, tous, sans limite ?
Bernard Cazeneuve
Mais Monsieur Mazerolle, moi, je me délecte chaque jour de voir les commentaires qui sont ceux de la presse sur ces sujets extraordinairement compliqués. Et il m’arrive de trouver ces commentaires sommaires, parce que la semaine dernière, il n’y avait un magazine français qui ne titrait pas sur la pertinence de ce que faisait l’Allemagne. Et quelques jours après, vous êtes en train de dire l’exact contraire, tous, lorsque vous interrogez les ministres français, la situation est plus compliquée que cela, et elle mérite une présentation plus subtile que cela. Quelle est la situation ? Il y a des hommes et des femmes qui sont martyrisés dans leur pays, ils viennent en nombre en Europe, parce qu’ils ont, là, l’espoir de pouvoir retrouver une vie normale, l’Europe ne pourra pas les accueillir dignement si elle ne s’organise pas. Voilà le sujet. Quelles sont les mesures que doit prendre l’Europe ? Je vous le redis, il faut un contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne, vous m’avez posé la question de savoir s’il fallait mettre en place des dispositifs d’accueil ou des dispositifs de maintien hors les frontières de l’Union européenne, nous avons, de ce point de vue-là, un travail à faire avec la Turquie, nous devons discuter avec la Turquie de ce sujet, et c’est le rôle de l’Union européenne que de le faire, et c’est une orientation que nous devons privilégier.
2°) : il faut discuter avec les pays de provenance.
Et 3°) : s’il y a un mécanisme de solidarité pour l’accueil des réfugiés en Europe, il ne peut pas conduire des pays à s’en abstraire. Et nous n’accepterons pas – la France – qu’un certain nombre de pays, en contrepartie d’une amende payée à l’Union européenne, décide de laisser peser la charge de l’accueil de ces réfugiés sur tous ceux qu’ils accueillent déjà…
Olivier Mazerolle
D’accord, mais on dit aussi que les réfugiés ne doivent pas choisir le pays dans lequel ils vont être accueillis, mais une fois qu’ils se trouvent dans un pays de l’espace Schengen, qu’est-ce qui va les empêcher de choisir finalement le pays qui semble être le plus à leur convenance s’il n’y a pas de contrôle aux frontières ?
Bernard Cazeneuve
Mais deux choses, d’abord, il faut que l’Europe dise des choses claires aux réfugiés, et au monde, l’Europe est prête à jouer son rôle conformément…
Olivier Mazerolle
D’accord, mais une fois qu’un réfugié, dans les pays Baltes par exemple, il veut venir en France, comment on l’empêche de venir en France s’il n’y a pas de contrôle aux frontières ?
Bernard Cazeneuve
Et est-ce que vous voyez un inconvénient à ce que je puisse aller au bout des questions que vous me posez, parce que sinon…
Olivier Mazerolle
Mais oui, mais c’est important, parce que c’est des questions que tout le monde se pose…
Bernard Cazeneuve
Oui, mais ce qui est important pour que les auditeurs comprennent, c’est que, on puisse développer un raisonnement devant vous. Donc vous me posez la question de savoir si en Europe, on peut aller où on veut, je vous réponds donc : il est préférable que l’Europe envoie un message clair à ceux qui souhaitent venir sur son territoire en leur disant : l’Europe s’organisera, on ne demande pas l’asile à l’Allemagne, à la France ou à d’autres pays, on demande l’asile à l’Europe, et c’est l’Europe qui s’occupe, en fonction des mécanismes de solidarité qu’elle met en place, de déterminer les…
Olivier Mazerolle
Comment elle contrôle ?
Bernard Cazeneuve
… Les mécanismes de solidarité…
Olivier Mazerolle
Comment elle contrôle ?
Bernard Cazeneuve
Comme je viens de vous l’indiquer, parce que, comme les réfugiés…
Olivier Mazerolle
A l’intérieur de l’Europe ?
Bernard Cazeneuve
Les réfugiés franchissent les frontières extérieures de l’Union européenne en Grèce et en Italie, et à partir du moment où vous avez des centres d’accueil des réfugiés en Italie et en Europe, c’est là que se fait la distinction entre ceux qui relèvent du statut de réfugié et ceux qui sont migrants économiques…
Olivier Mazerolle
J’ai compris ça, mais une fois qu’ils sont là…
Bernard Cazeneuve
Eh bien, c’est à partir de là que, en fonction du mécanisme européen de solidarité, ils sont répartis dans le cadre de ce mécanisme, dans les différents pays de l’Union européenne…
Olivier Mazerolle
Et ma question, c’est une fois qu’ils sont répartis, comment on les empêche d’aller là où ils veulent s’il n’y a pas de rétablissement de contrôle aux frontières ?
Bernard Cazeneuve
Mais parce que, il y a, à ce moment-là, un dispositif qui est mis en place par les différents pays de l’Union européenne d’accueil, qui permet leur intégration dans le tissu social des pays, et c’est le pari qu’il faut faire. Quant au contrôle aux frontières, intérieur de l’Union européenne, il faut dire deux choses sur le contrôle intérieur aux frontières de l’Union européenne,
1°) : si vous mettez en place ce contrôle, ça a un coût considérable pour tous les pays de l’Union européenne.
2°) : vous allez non seulement avoir un aléa quant à la possibilité de contrôler les réfugiés parce qu’ils pourront malgré tout, pour un certain nombre d’entre eux, passer.
Et 3°) : vous allez bloquer complètement le fonctionnement économique de l’Union européenne…
Olivier Mazerolle
Comme le nombre de réfugiés va très largement dépasser celui qu’on nous annonce, vous êtes sûr que sous la pression, il ne faudra pas un jour rétablir le contrôle à la frontière, entre la France et l’Allemagne, comme le suggère le Front national ?
Bernard Cazeneuve
Mais c’est stupide, le Front national devrait regarder ce qui se passe à la frontière entre la France et l’Allemagne actuellement. Et s’ils veulent aller regarder combien de réfugiés passent de l’Allemagne à la France, qu’ils le regardent, il y en a très peu. Donc c’est une proposition qui est une proposition une fois de plus tout à fait courte, et tout à fait inappropriée, comme souvent lorsqu’elles viennent du Front national.
Olivier Mazerolle
Merci Bernard Cazeneuve.
Bernard Cazeneuve
Merci à vous.
Yves Calvi
Bernard Cazeneuve, qui soutient et approuve la décision d’Angela Merkel de fermer sa frontière avec l’Autriche, il faut un dispositif global, qui assure humanité mais aussi sécurité, vient de nous dire le ministre de l’Intérieur.