Mardi 14 avril 2015, Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, était l'invité de l'émission "L'interview politique" de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1.
Jean-Pierre Elkabbach
C’est parti, le débat à l’Assemblée nationale sur la loi antiterroriste, sur le renseignement, le vote aura lieu le 5 mai, bienvenue Bernard Cazeneuve, bonjour.
Bernard Cazeneuve
Bonjour.
Jean-Pierre Elkabbach
Cette loi sera-t-elle assez efficace pour empêcher les prochains attentats prévus, en France ?
Bernard Cazeneuve
C’est une loi qui diminue les risques, comme celles que nous avons prises. Il y a eu des dispositions prises par Manuel Valls, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur en 2012, j’ai moi-même fait adopter une loi au mois de novembre dernier, et là la loi que nous adoptons n’est pas une loi seulement contre le terrorisme. C’est une loi qui est destinée à encadrer l’activité des services de renseignement, en mettant davantage de contrôles, contrôle d’une autorité administrative indépendante dont les pouvoirs sont renforcés, contrôle du juge, contrôle du Parlement, et c’est aussi une loi qui permet de mobiliser des techniques, sous ces contrôles, pour être plus efficace dans la lutte contre le terrorisme, notamment, mais aussi contre la criminalité organisée.
Jean-Pierre Elkabbach
Elle donne plus de moyens aussi aux services spéciaux français, elle légalise ce qui était déjà pratiqué sur le territoire national. Mais on pourrait se demander en quoi c’est une révolution, en quoi ça déclenche cette sorte de crainte de ceux qui y voient, là, une menace contre les libertés, alors qu’on peut se demander au contraire si elle protège vraiment encore ?
Bernard Cazeneuve
… services de renseignement, et je lis bien entendu avec beaucoup d’attention tout ce qui s’écrit et tout ce qui se dit, il y a une part de fantasme considérable qui est très loin de ce qu’est la réalité de l’activité de ces services. D’abord, moi je souhaite, à travers cette loi, que les services de renseignement apparaissent, aux yeux des Français, pour ce qu’ils sont, c'est-à-dire des services publics à part entière, et non pas entièrement à part, parce qu’ils concourent à la mise en œuvre de politiques publiques qui protègent les Français.
Jean-Pierre Elkabbach
Jusqu’à présent ils ont été entièrement à part, c'est-à-dire à la limite de l’illégalité ?
Bernard Cazeneuve
Non, il y a, dans l’imaginaire français, des services qui travaillent dans l’opacité, qui mobilisent des techniques qui peuvent être attentatoires aux libertés, alors que dans la responsabilité qui est la mienne, tous les jours, notamment dans la lutte contre le terrorisme, je vois des grands républicains qui agissent dans le respect scrupuleux du droit, avec l’amour des valeurs de la République, pour protéger les Français. Eh bien, cela doit se savoir, et cette loi doit être un moyen de définir les principes qui encadrent l’activité des services de renseignement.
Jean-Pierre Elkabbach
Mais vous ne m’avez pas dit, est-ce qu’elle empêcherait d’éventuels attentats, puisque tout le monde dit que l’ennemi est là, dans le territoire ?
Bernard Cazeneuve
Je vais des exemples extrêmement concrets pour bien expliquer pourquoi nous prenons ces dispositions législatives. Il y a eu, par exemple, une cyber-attaque contre un grand organe de presse, une chaîne…
Jean-Pierre Elkabbach
TV5 Monde.
Bernard Cazeneuve
TV5, qui émet au plan mondial. Ceux qui ont été attaqué cette chaîne, en se réclamant d’ailleurs d’une organisation terroriste, l’ont fait pourquoi ? Parce qu’ils s’en prennent à la liberté d’expression. Nous nous voulons protéger la liberté d’expression, et nous voulons, par conséquent, prévenir ces cyber-attaques. Deuxièmement…
Jean-Pierre Elkabbach
Attendez.
Bernard Cazeneuve
Non, attendez. Deuxièmement, il y a un point très important…
Jean-Pierre Elkabbach
Parce que vous me lancez sur un sujet, j’ai des questions très précises.
Bernard Cazeneuve
Oui, mais vous allez pouvoir les poser.
Jean-Pierre Elkabbach
Merci, de m’y autoriser.
Bernard Cazeneuve
Deuxième exemple très concret. Il y a des individus qui utilisent Internet, des moyens cryptés, pour préparer la commission d’actes graves, des attentats, des crimes, etc. Est-ce que nous devons attendre que ces crimes soient commis pour agir ou est-ce que nous devons les prévenir ? Voilà pourquoi, j’ai pris deux exemples, nous prenons ces dispositions.
Jean-Pierre Elkabbach
Donc, alors que tous reconnaissent que la menace est forte, qu’elle est omniprésente, qu’elle est là sur notre territoire, qu’il y a urgence, quand on perd du temps on prend des risques et on joue avec le feu.
Bernard Cazeneuve
Et c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de temps à perdre, que nous avons demandé à ce que ce texte soit examiné dans l’urgence, après un long travail parlementaire, conduit notamment par Jean-Jacques Urvoas, qui est rapporteur du texte avec son collègue Verchere, député de l’opposition, mais maintenant il est temps de décider et il est temps de prendre des dispositions, qui protègent les Français, et qui définissent un cadre légal pour nos services.
Jean-Pierre Elkabbach
C’est ce que vous dites à la gauche morale qui représente une partie de vos amis et qui est plutôt contre vous, alors que vous êtes soutenu par vos adversaires de la droite politique.
Bernard Cazeneuve
Non, mais moi je n’ai pas le sentiment…
Jean-Pierre Elkabbach
C’est le paradoxe de la politique.
Bernard Cazeneuve
D’abord, moi je n’ai pas le sentiment de ne pas appartenir à la gauche morale, quand on définit des règles qui encadrent les services de renseignement, quand on veut protéger les Français, quand on lutte contre le terrorisme et ces acteurs du crime organisés qui sont de véritables acteurs de la traite des êtres humains, on est dans l’éthique, et moi je n’ai pas de leçon de morale à recevoir de qui que ce soit.
Jean-Pierre Elkabbach
Bernard Cazeneuve, jusqu’à présent il n’y avait pas de fichier des condamnés pour terrorisme, on vous réclame ce fichier, il va être créé ?
Bernard Cazeneuve
Ce fichier va être créé par un amendement à la loi, qui sera présenté par Christiane Taubira, qui est un fichier qui permettra de mieux suivre ceux qui ont été impliqués et condamnés pour des activités terroristes, et qui peuvent à tout moment récidiver.
Jean-Pierre Elkabbach
Et s’il y a effectivement condamnation, les noms resteront sur les listes. On dit que le délai sera très long, parce que c’est 40 ans. Ça peut être un délai réduit ?
Bernard Cazeneuve
Il y a une discussion parlementaire, il peut y avoir des amendements et le gouvernement est très favorable à ce que ce texte soit coproduit avec l’Assemblée nationale, et c’est la raison pour laquelle, le débat d’hier l’a montré, nous sommes ouverts aux propositions du Parlement.
Jean-Pierre Elkabbach
La loi ne parle pas de la mystérieuse PNCD, la Plateforme Nationale de Cryptage et de Décryptement, qu’on est en train de découvrir, elle existe à la DGSE depuis 2007, et maintenant elle est révélée au public. Vous me regardez on faisant le mauvais œil, je dis des choses qui ne vous plaisent pas, mais pourquoi elle n’entre pas dans la loi ?
Bernard Cazeneuve
D’abord, vous dites des choses ni qui ne me déplaisent, ni qui me plaisent, moi, si vous voulez, je suis en charge de la protection des Français…
Jean-Pierre Elkabbach
Oui, pourquoi elle n’est pas dans la loi ?
Bernard Cazeneuve
Ce qui est dans la loi ce sont les éléments qui sont collectés par l’ensemble des services, et les services sont encadrés, très rigoureusement, en raison des éléments qu’ils collectent. Et le Premier ministre, comme le ministre de la Défense, hier à l’Assemblée nationale, ont très clairement indiqué ce qu’est la vérité, et que je confirme sur votre antenne ce matin, il n’y a pas de surveillance de masse de la part des services français, et il n’y a pas, pour ce qui concerne le territoire national, de collecte massive de données sur les Français.
Jean-Pierre Elkabbach
Mais qu’est-ce que la PNCD contrôle et stocke ? Il faut rappeler qu’elle couvre et capte l’Afrique, l’Europe, l’Afghanistan, grâce à ces câbles sous-marins placés par ALCATEL, et comment elle distingue les individus qui nous menacent ? A quoi elle sert ?
Bernard Cazeneuve
Mais, l’ensemble des services ont des moyens techniques, qui sont d’ailleurs précisés dans la loi, dont l’utilisation est encadrée par la loi, et qui visent à protéger les intérêts supérieurs de la Nation et à protéger les Français. La question qui se pose, et je comprends qu’elle se pose d’ailleurs, elle est légitime, c’est est-ce qu’il y a une captation massive de données des Français à travers les outils mobilisés par les services ? La réponse est non. Non, c’est interdit par la loi, le dispositif que nous prévoyons encadre davantage les services de renseignement, et si nous mettons en place des techniques nouvelles, je pense par exemple à ces fameux algorithmes dont on parle, un suivi en continu des terroristes…
Jean-Pierre Elkabbach
Eh bien ?
Bernard Cazeneuve
C’est précisément pour ne pas avoir à procéder à de la surveillance de masse, mais cibler ceux qui doivent être surveillés en raison du danger qu’ils représentent. Et, par exemple, les instruments dont je parle là, sont concentrés exclusivement sur la lutte antiterroriste.
Jean-Pierre Elkabbach
Autrement dit, ceux qui vous réclament, encore à voix basse, la levée du secret Défense pour la PNCD, se trompent, il n’y en n’aura pas, de levée du secret Défense ?
Bernard Cazeneuve
Il peut toujours y avoir la levée du secret Défense dans le cadre des procédures en cours, c'est-à-dire qu’il y a une commission nationale du secret de la Défense nationale qui peut être saisie, dans le cadre d’une procédure judiciaire, et le gouvernement peut, au terme de son avis, décider ou pas de la levée du secret Défense, c’est la loi.
Jean-Pierre Elkabbach
Monsieur le ministre de l’Intérieur, Daesh a lancé une cyber-attaque sur TV5 Monde, vous l’avez rappelé tout à l’heure, est-ce qu’il est vrai qu’il s’en est fallu de peu que TV5 Monde diffuse les programmes criminels de Daesh ?
Bernard Cazeneuve
L’enquête révélera ces éléments. Ce que je peux vous dire, parce que ça correspond aux éléments qui ont été rendus publics par ceux qui sont en charge de l’enquête, c’est que cette attaque a été massive, qu’elle a mobilisé des compétences techniques exceptionnelles.
Jean-Pierre Elkabbach
C'est-à-dire des commandos de cyber-pirates, ils n’étaient pas deux ou trois bons hommes.
Bernard Cazeneuve
Il y a un ensemble de compétences élevé, qui ont été mobilisées, pour procéder à cette cyber-attaque, et cette cyber-attaque elle a contribué à rendre inaccessibles les programmes d’une chaîne qui émet mondialement, et qui représente…
Jean-Pierre Elkabbach
Mais sinon on aurait eu droit aux programmes de propagande…
Bernard Cazeneuve
Et qui représente, au plan international, la liberté d’expression. Vous dire, maintenant, quelles auraient pu être les conséquences de cette intrusion informatique, l’enquête le révélera, et moi je ne vais pas faire, à votre micro, des révélations hasardeuses sur la base d’éléments, auxquels je n’ai pas accès, puisque je ne suis pas en charge de l’enquête.
Jean-Pierre Elkabbach
Essayons encore. On dit que l’agression contre TV5 Monde est partie d’un pays du bassin de la Méditerranée, peut-être même de France, est-ce possible ?
Bernard Cazeneuve
Encore une fois, Jean-Pierre Elkabbach, je comprends votre impatience, elle n’a d’égale que la mienne d’ailleurs, soyez rassuré de ce point de vue là, mais moi je ne peux pas vous donner d’éléments qui sont dans l’enquête peut-être, ou qui seront le résultat de l’enquête, dont je ne dispose pas, parce que cette enquête elle est couverte par le secret de l’instruction, et qu’on est dans un régime de séparation des pouvoirs, ce qui devrait, d’ailleurs, rassurer tous ceux qui s’inquiètent sur le bon fonctionnement des pouvoirs publics.
Jean-Pierre Elkabbach
Oui, oui, et on peut ajouter que les djihadistes de Daesh, qui écoutent tout, qui lisent tout, qui savent tout, des débats dans les démocraties, face à la guerre qu’ils nous livrent, les réserves, les nuances qu’ils entendent, doivent beaucoup les amuser, au passage.
Bernard Cazeneuve
Mais je pense que notre responsabilité c’est aussi, quand on porte une parole publique, et face à un risque majeur, et à une menace qui reste très importante, de faire attention à ce que l’on dit, et je pense quand on est ministre de l’Intérieur, en particulier.
Jean-Pierre Elkabbach
Alors, 6000 Européens font leur Jihad en Syrie, et le Premier ministre disait hier, 1550 Français, vous l’avez souvent dit vous-même Monsieur Cazeneuve. Ce qui nous a frappés c’est qu’il a été noté, par le Premier ministre et vous, que 7 Français sont morts engagés dans des actions suicides, en Syrie. Ça veut dire que vous craignez que ce type d’action, par des Français, puissent avoir lieu ici sur le territoire national ?
Bernard Cazeneuve
Mais la barbarie de ceux qui nous frappent, qui s’en prennent à nos valeurs, avec la violence que l’on sait, est une barbarie sans limite, donc effectivement, ces acteurs ne reculent devant rien, les décapitations, les exécutions, les attentats suicides. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, avec gravité, et avec exigence de vérité, lucidité, face aux risques, notre rôle c’est de prendre toutes les précautions.
Jean-Pierre Elkabbach
On pourrait vous poser beaucoup d’autres questions, mais simplement ceci : à Dunkerque, et c’est Thomas Sotto dans le journal de 8H00 qui le disait avec les reporters d’Europe 1, à Dunkerque un policier a été agressé, et il a été grièvement brûlé. Il y a un suspect, qui est habitué à ce type de braquages, etc., qui est en garde-à-vue, quelle est la réaction du ministre de l’Intérieur face, encore, à un acte de délinquance de cette nature ?
Bernard Cazeneuve
Dégoût, indignation, et exigence de la plus grande sévérité. Il y a 3 jours, dans l’Aveyron, un policier est mort parce qu’il avait été frappé par un chauffard, je me rendrai à ses obsèques dans le Tarn jeudi après-midi, et donc cette violence dont sont victimes les forces de l’ordre, qui assurent la protection des Français, qui s’exposent au péril de leur vie pour assurer cette protection, est une violence qui est inacceptable et qui doit appeler à la plus grande sévérité.
Thomas Sotto
Merci Bernard Cazeneuve. Vous parlez d’une menace qui reste très importante, les forces de l’ordre sont fatiguées après des mois de Vigipirate, il se dit que le dispositif pourrait être discrètement allégé. Est-ce que vous confirmez cette information ?
Bernard Cazeneuve
Non, il y a une vigilance très importante, le Premier ministre l’a confirmé. Qu’on adapte le dispositif pour le rendre plus efficace, plus performant, ça c’est toujours possible, qu’on le fasse par un dialogue entre les administrations, c’est quotidien, mais il n’y a pas…
Thomas Sotto
On ne sera pas moins bien protégés ?
Bernard Cazeneuve
Non, au contraire, la volonté qui est celle réaffirmée par le Premier ministre c’est, face à un niveau de menaces important, des précautions maximales.
Jean-Pierre Elkabbach
Personne n’osera arrêter Vigipirate avant 2017, l’élection présidentielle.
Bernard Cazeneuve
C’est une décision qui appartient au Premier ministre, mais vous avez bien compris que ce que souhaite le gouvernement c’est un haut niveau de protection des Français.
Thomas Sotto
Merci Bernard Cazeneuve d’être venu en direct sur Europe 1 ce matin.