Moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

7 mars 2016

Discours de M. Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, lors de son audition devant la Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 à l'Assemblée nationale, le 7 mars 2016.


- Seul le prononcé fait foi -

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Notre pays est aujourd’hui confronté à une menace terroriste d’une gravité sans précédent. En janvier et en novembre derniers, nous avons dû faire face à deux campagnes d’attentats perpétrés en plein cœur de Paris et dans sa proche banlieue. Entre ces deux événements et depuis lors, d’autres attaques à caractère terroriste ont été commises en différents points du territoire national, et d’autres attentats ont été déjoués par nos services. Jusqu’alors, jamais nous n’avions connu une menace d’une telle nature ni d’une telle ampleur sur notre sol.

Au cours de l’année passée, 149 victimes innocentes, frappées par la barbarie djihadiste, ont en effet perdu la vie, tandis que des centaines d’autres resteront encore longtemps marquées dans leur chair, parfois même pour le restant de leurs jours, et que des familles entières ont été brisées à jamais.

En janvier comme en novembre, je me suis moi-même rendu sur les lieux des attentats, et à chaque fois j’ai vu une horreur sans nom et une désolation que je n’oublierai jamais.

Je sais que plusieurs victimes, ainsi que certains de leurs proches, ont d’ores et déjà apporté leur témoignage auprès de votre Commission d’enquête. Malgré le traumatisme qu’elles ont subi, malgré le chagrin et la douleur du deuil qui les habite, elles ont pris la parole avec dignité, et nous devons les écouter. Aussi, je souhaite tout d’abord leur exprimer, ainsi qu’à leurs familles, ma plus profonde compassion, comme je pense également avec une très forte émotion à toutes celles et ceux à qui les terroristes ont brutalement pris la vie.

Je sais aussi qu’après moi, dans les jours et les semaines qui viennent, vous allez également, comme cela est normal, auditionner plusieurs responsables des forces de sécurité. Dès à présent, je veux souligner le sang-froid et la grande réactivité dont ils ont fait montre dans les épreuves exceptionnelles que nous avons traversées. Au cœur de la tragédie, ils ont accompli leur mission avec un professionnalisme et un sens du devoir qu’ils partagent avec les femmes et les hommes qui sont alors intervenus sous leur autorité, dans des circonstances que nul d’entre nous ne saurait imaginer. Il convient de ne point l’oublier.

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Entre 1996 et 2012, grâce à l’action de nos services, la France a été épargnée par la vague d’attentats qui a notamment frappé les États-Unis, l’Espagne puis le Royaume-Uni. Mais, depuis les crimes commis par Mohammed MERAH à Toulouse et à Montauban en mars 2012, nous sommes à notre tour confrontés sur notre sol à la menace djihadiste, laquelle a par ailleurs muté au cours de ces dix dernières années. En effet, nous faisons face aujourd’hui à des organisations – au premier rang d’entre elles DAESH – qui recrutent une partie de leurs activistes au sein même des sociétés occidentales qu’elles prennent pour cible et qui utilisent Internet et les réseaux sociaux pour diffuser leur propagande mortifère.

Ce terrorisme de proximité, à la fois endogène et exogène, nous commande donc de prendre les précautions qui s’imposent sur l’ensemble du territoire national. Car chacun doit avoir bien conscience que, pour des organisations telles que DAESH ou bien AQMI, la France constitue une cible prioritaire.

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Face à l’existence d’une telle menace et après les traumatismes collectifs que nous avons vécus l’année dernière, je crois qu’il était à la fois normal, sain et nécessaire que le Parlement puisse examiner dans le détail l’action des pouvoirs publics lors des événements de 2015 et dans le temps long de la lutte antiterroriste. Aussi, je veux remercier les membres de la Commission d’enquête, et tout particulièrement son président, Georges FENECH, et son rapporteur, Sébastien PIETRASANTA, pour les travaux importants qu’ils conduisent.

Je rappelle en effet qu’en matière de lutte antiterroriste, le Gouvernement s’est toujours efforcé de faire preuve de la plus grande transparence possible. Pour ma part, je n’ai jamais refusé de répondre aux sollicitations ni aux interrogations des parlementaires. Par trois fois depuis que je suis à la tête du ministère de l’Intérieur, j’ai ainsi été auditionné par des Commissions d’enquête portant sur la lutte que nous menons contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Par ailleurs, de nombreux débats ont eu lieu en séance et en Commission des Lois à l’occasion de l’examen des différentes lois proposées par le Gouvernement. Je pense tout particulièrement au grand débat qui a précédé l’adoption de la loi du 24 juillet 2015 relative à notre politique publique du renseignement, rompant ainsi avec ce qu’il faut bien appeler la « culture du secret » qui, sur ce sujet, avait longtemps prévalu en France.

Enfin, après les attentats du 13 novembre, nous n’avons pas hésité à mettre en place des procédures de contrôle inédites – et notamment de contrôle parlementaire – des mesures que nous prenons dans le cadre de l’état d’urgence. A mes yeux, l’exercice qui nous réunit aujourd’hui s’inscrit donc dans cette même logique vertueuse. Je suis moi-même convaincu que la démocratie ne peut que sortir renforcée d’une telle démarche, dès lors que celle-ci est conduite avec toute la rigueur nécessaire.

Je l’ai dit : jamais la menace n’a été aussi élevée qu’aujourd’hui. Mais, dans le même temps, jamais la réponse de l’Etat n’a été aussi forte. Tel est le sens du propos que je veux tenir aujourd’hui devant vous, sans pour autant ignorer que le risque zéro n’existe pas. Je commencerai ainsi par évoquer la réponse opérationnelle que nous avons opposée aux attentats de 2015, avant d’en venir à notre politique de lutte antiterroriste et aux moyens que nous mettons en œuvre sur le long terme pour empêcher la commission de nouvelles attaques.

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Parce que, comme je viens de le dire, le risque zéro n’existe pas face à la menace terroriste, les pouvoirs publics ont l’obligation de se préparer au pire, de prévoir à l’avance les moyens de réagir face à une séquence d’attentats de haute intensité.

C’est dans cet esprit d’anticipation que les services du ministère de l’Intérieur ont travaillé au cours des dernières années. Et c’est pourquoi la qualité du retour d’expérience auquel nous avons procédé présente une grande importance. Comment les services du ministère de l’Intérieur, et plus largement l’appareil d’Etat, ont-ils réagi face aux deux vagues d’attentats de janvier et novembre 2015 ? Etaient-ils convenablement organisés et suffisamment préparés à cette mission ? Et quelles leçons doivent-elles en être tirées pour l’avenir ?

Ces questions sont extraordinairement complexes, en raison du très grand nombre des services et des personnels qui ont été mobilisés dans les heures qui ont suivi les attentats, et de la multitude des tâches qu’il leur aura fallu accomplir dans l’urgence. Pour la clarté de l’exposé, je me propose donc de distinguer quatre sujets de réflexion principaux, tout en sachant que nous aurons l’occasion d’y revenir aussi longuement que vous le souhaiterez dans le cadre des questions qui suivront cet exposé liminaire.

Ces quatre sujets principaux sont à mon sens :

  • la coordination générale des moyens engagés ;
  • la mobilisation des forces d’intervention ;
  • les procédures d’enquête ;
  • les opérations de secours aux victimes.

(1) La coordination générale des moyens engagés

Face à des événements exceptionnels, qui amènent à prendre des décisions dans l’urgence et à mobiliser des effectifs considérables, la question de la coordination générale des moyens de l’Etat est bien entendu cruciale. Toutefois, cette question me semble s’être posée de façon différente en janvier et en novembre.

En janvier en effet, l’action des forces de sécurité s’est d’abord concentrée sur la traque des frères KOUACHI, après que ceux-ci ont réussi à quitter la capitale. Tous les services et toutes les forces de sécurité se sont donc trouvés mobilisés : Préfecture de Police, DGSI, DGPN, DGGN. Il est très vite apparu qu’il fallait renforcer leur coordination et assurer entre eux un partage plus fluide de l’information. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu que leurs responsables se réunissent en permanence dans le salon « fumoir » du ministère de l’Intérieur. Cet outil de pilotage opérationnel a fait la preuve de son efficacité toute au long de la gestion de la crise des 7-9 janvier.

La situation était très différente le 13 novembre. En effet, la Préfecture de Police avait cette fois naturellement vocation à assurer le pilotage opérationnel du dispositif, à Paris comme à Saint-Denis. Mais il lui fallait coordonner des moyens bien plus nombreux pour répondre aux circonstances inédites de cet attentat : pluralité des sites, usage de ceintures d’explosifs par les terroristes, absence de ciblage et nombre élevé des victimes. En l’espace de quelques heures, nos services ont d’abord dû intervenir à la fois pour mettre hors d’état de nuire les terroristes demeurés sur place (au Bataclan), pour sécuriser les sites et prévenir le risque de sur-attentat, pour secourir les victimes et pour procéder au recueil des données utiles aux enquêtes. Dans un deuxième temps, il leur aura fallu réaliser l’enquête judiciaire et assurer le suivi des victimes, des familles et de leurs proches. Tout ceci sans oublier, ni les échanges d’information et la coordination avec les services étrangers, ni l’action de cyberdéfense, ni l’information du grand public.

Globalement, le pilotage opérationnel par la Préfecture de Police de ces moyens et missions complexes peut être jugé satisfaisant. La réactivité des forces de sécurité a permis de mobiliser les personnels nécessaires à la sécurisation des sites, à la conduite des enquêtes et au secours des victimes dans des délais très brefs. Sur le plan opérationnel, nous devons cependant tirer certains enseignements, concernant l’organisation du commandement, la répartition des personnels sur les différents sites et l’intégration dans notre dispositif des personnes qui offrent spontanément leurs concours (militaires de la force « sentinelle », médecins civils et riverains).

Enfin je rappelle qu’au-delà de la coordination opérationnelle, il existe un dispositif de coordination interministériel, la cellule interministérielle de crise (CIC), qui a été activée par le Premier Ministre en janvier comme en novembre 2015 et placée sous ma responsabilité. Elle a notamment joué un rôle très utile pour partager en continu les informations entre administrations, pour mobiliser au profit du préfet de police des renforts nationaux et, en novembre, pour assurer la mise en œuvre rapide des mesures prises au titre de l’état d’urgence et du rétablissement des contrôles aux frontières.

(2) La mobilisation des forces d’intervention.

La mobilisation des forces d’intervention (GIGN, RAID, BRI) constitue un deuxième aspect fondamental de notre dispositif en cas d’attaque terroriste, en particulier dès lors que nous sommes confrontés, comme c’est le cas avec les terroristes de DAESH, à un ennemi résolu à frapper au hasard et parfois à mourir pour faire le plus grand nombre possible de victimes.

Après les crimes de Mohamed MERAH, le RAID et le GIGN ont ainsi dû faire évoluer leurs doctrines d’emploi, ainsi que leurs schémas tactiques et opérationnels d’intervention. Leurs hommes doivent être préparés à agir vite pour sauver des victimes, empêcher les agresseurs d’initier des charges explosives et ne pas leur laisser l’opportunité de communiquer sur les médias d’information continue et les réseaux sociaux.

En juillet 2014, le RAID a ainsi présenté sa nouvelle stratégie d’intervention sur les individus radicalisés ayant déjà tué, basée sur l’abandon dans ce cas précis de la négociation pour privilégier, si possible, un contact maîtrisé par les forces de l’ordre. Elle est complétée par une tactique dite de « non réversibilité » c'est-à-dire un assaut rapide et continu, quelquefois doublé d’une technique consistant à offrir l’opérateur du RAID (protégé par un gilet lourd et un bouclier balistique) aux tirs ennemis, afin de détourner l’attention du tueur potentiel d’otages. Ces techniques ont été utilisées à Vincennes.

De son côté, le GIGN a mis en place une cellule de veille du phénomène terroriste et sur les modes opératoires des « tueries planifiées ». Quatre exercices spécifiques ont été programmés en 2015 dans le cadre de la préparation opérationnelle de l'unité.

Parallèlement, un travail de collaboration entre les chefs du RAID et du GIGN a abouti le 24 juillet 2014 à la rédaction d’une note commune organisant la collaboration des deux unités en cas de crise grave. Ce dispositif a été mis en place en janvier 2015. De même, une collaboration étroite a été engagée entre le RAID et la BRI dans le cadre de la Force d’intervention de la police nationale (FIPN). Le 9 janvier 2015, pour la première fois depuis sa création, j’ai décidé de déclencher la FIPN, donnant ainsi le commandement du dispositif composé des deux forces au chef du RAID.

A la suite d’une autre de mes décisions, dans le courant de l’année 2015, le RAID a été doté de nouveaux équipements acquis sur financement anti-terroriste, dont des blindés urbains permettant de s’approcher des zones de feu y compris dans les centres commerciaux. Ces véhicules ont été engagés pour évacuer en toute sécurité des blessés et des otages du Bataclan.

Une autre question essentielle, face à une menace terroriste qui n’est pas concentrée sur la région parisienne, porte sur les capacités de projection des forces d’intervention spécialisées.

C’est pour répondre à ce défi que la décision a été prise en avril 2015 de faire des 7 groupes d’intervention de la police nationale situés à Lille, Strasbourg, Lyon, Nice, Marseille, Bordeaux et Rennes des antennes du RAID, mises en capacité d’effectuer les mêmes interventions que l’échelon central. Ces antennes permettent ainsi au RAID de se projeter plus rapidement sur tout point du territoire national.

Face à la même nécessité, le GIGN a mis au point un « plan d'assaut immédiat » reposant sur un départ immédiat du premier échelon (au moins 4 équipes de 5 pour le GIGN) capable de quitter Satory entre 15 et 30 minutes, 24 heures sur 24 et 365 jours par an.

Enfin, j’ai moi-même demandé aux directions générales de la police et de la gendarmerie nationales, ainsi qu’au préfet de police d’actualiser le schéma national d’intervention spécialisée afin d’adapter les conditions d’interventions d’urgence de ces unités en cas d’attentat. Ce schéma est en cours de finalisation et sera arrêté dans les prochains jours.

(3) La conduite des enquêtes

Je ne m’étendrai pas, comme vous le comprendrez, sur un sujet qui relève d’abord de l’autorité judiciaire, mais je voudrais souligner l’importance du travail d’enquête effectué par les services du ministère de l’Intérieur tout au long de ces crises.

En janvier et plus encore en novembre, les services d’enquête ont dû faire face à un double défi, puisqu’il leur fallait à la fois procéder de manière coordonnée aux actes d’investigation sur plusieurs scènes d’attentats ayant fait un grand nombre de victimes, et identifier les auteurs survivants et leurs complices éventuels afin de prévenir la commission de nouveaux attentats.

Dès le 13 novembre à 23H, le parquet de Paris a saisi conjointement la DGSI, la DRPJ de Paris et la DCPJ et a confié à la sous-direction anti-terroriste (SDAT) de cette dernière la coordination, la centralisation et la direction de l’enquête. A 23H45 la SDAT déclenchait le « plan attentat », comme en janvier, permettant notamment la mise en place d’un PC de crise, l’activation du numéro d’urgence « 197 » et du site internet dédié pour recueillir les témoignages de la population, l’activation de la « main courante attentats » et la mobilisation de renforts des services territoriaux de la DCPJ (Versailles, Lille, Orléans, Rennes, Bordeaux et Ajaccio). Ce sont ces renforts qui ont rapidement permis de répartir entre ces enquêteurs et ceux de la DRPJ de Paris les six scènes de crimes en vue d’établir les actes de constatation.

Entre le 13 et le 24 novembre, les enquêteurs ont établi 5300 procès-verbaux et confectionné plus de 4000 scellés. Ce travail a notamment permis de réaliser les constations sur les six scènes de crimes, d’identifier les 9 terroristes abattus ou s’étant suicidés, de localiser 2 lieux conspiratifs en banlieue parisienne et 3 en Belgique, de procéder à 26 interpellations en France. L’activation du numéro d’appel à témoins « alerte attentat 197 » a notamment permis de recueillir 3 informations décisives, dont celle qui a permis de localiser 3 terroristes dans un appartement de Saint-Denis avant qu’ils ne puissent commettre de nouveaux attentats.

Enfin je tiens à souligner l’importance de la coopération franco-belge, qui s’est notamment matérialisée par la mise en place d’une équipe commune d’enquêteurs ; ainsi que l’apport de la police technique et scientifique, à la fois pour l’identité judiciaire, pour la documentation criminelle et pour l’exploitation des traces informatiques et technologiques. Les supports exploités par la SDPTS à Ecully ont ainsi permis de démontrer la préparation préalable des attentats et de retracer une partie des déplacements effectués par les terroristes dans les jours précédant le 13 novembre.

(4) Les secours aux victimes

La prise en charge des victimes et de leurs proches a été pour l’État une préoccupation majeure, tout particulièrement en nombre compte tenu du nombre très élevé des victimes. Je rappelle qu’au matin du 14 novembre, le bilan provisoire était de 124 morts, 100 victimes en situation d’urgence absolue et 157 victimes en situation d’urgence relative.

Dans les heures et les jours qui ont suivi cet attentat, il a donc fallu à la fois porter le plus rapidement possible secours aux victimes et procéder à leur évacuation vers les structures hospitalières adaptées, mais aussi donner aux familles des éléments d’information fiables sur la situation de leurs proches. Et il a fallu ensuite accompagner dans la durée les victimes au plan médical, psychologique, juridique et financier.

Le soir du 13 novembre, les secours ont dû intervenir simultanément sur 6 sites, à Saint-Denis et à Paris. Ils l’ont fait avec une extrême réactivité, grâce notamment au maillage des centres de secours parisiens, en arrivant sur les lieux très rapidement. Pour la seule brigade des sapeurs-pompiers de Paris, ce sont 125 engins d’incendie et de secours, 450 sapeurs-pompiers, 200 secouristes des associations agréées de sécurité civile, 21 équipes médicales, qui se sont portés au secours des victimes sur les différents sites.

Ce très haut niveau de réponse est le fruit d’un long travail de préparation interservices. Je m’étais rendu le 4 décembre 2014 à la caserne Champerret où m’avaient été présentées les modalités de réponse de la BSPP à un attentat multi sites. Et un exercice conjoint entre la Brigade et le SAMU avait été organisé le matin même des attentats du 13 novembre.

Depuis novembre, j’ai donc souhaité que ce travail d’anticipation et d’entraînement se poursuive à l’échelle nationale, afin notamment de nous préparer aux enjeux de sécurité liés à l’EURO 2016. Le 16 mars, je réunirai les responsables de la sécurité et des secours de 16 grandes agglomérations et de villes accueillant l’EURO 2016, avec les pour évoquer les enjeux post attentats et l’adaptation des modes opératoires. Je me rendrai également à Nîmes le 17 mars pour un exercice simulant un attentat dans une « fan zone ».

Mais si personne ne conteste la réactivité, le professionnalisme et le dévouement dont ont fait preuve les services de secours, je sais que l’accompagnement par l’État des familles a suscité davantage d’interrogations. Les attentats de 2015 ont suscité de ce point de vue une évolution importante de la réponse de l’État.

Lors des attentats de janvier, le Premier Ministre a en effet décidé de créer une structure ad hoc, placée directement sous sa responsabilité, pour assurer l’information et l’accompagnement des familles de victimes, abritée et armée par le centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay, avec le concours des différents ministères. Cette cellule interministérielle d’aide aux victimes – la CIAV - a évidemment été fortement mobilisée en novembre. Je veux souligner l’apport majeur qui est le sien en situation de crise : elle offre un accompagnement permanent, assuré par des professionnels formés pour ce faire et expérimentés, qui sont dans la durée de véritables référents pour les familles de victimes.

Il reste que deux points ont concentré à juste titre les critiques. D’abord, de nombreuses familles ont indiqué avoir été dans l’incapacité de joindre le numéro vert mis en place par la préfecture de police, lequel a été destinataire de 93 000 appels en quelques heures, ce qui a entraîné sa saturation. Pareille situation ne doit plus se reproduire. Désormais, une nouvelle organisation sera mise en œuvre en cas de nouvel attentat, en lien avec la CIAV, pour s’assurer que les appels des familles et des proches soient traités.

Ensuite, le nombre élevé de victimes décédées a très fortement mobilisé les équipes de police judiciaire et de l’institut médico-légal de Paris, en charge de leur identification. Celle-ci ne peut être déterminée que par une commission d’identification présidée par un magistrat, au terme d’une procédure rigoureuse cadrée par des protocoles INTERPOL. Cette procédure a entraîné des délais très longs, souvent même insupportables, avant que les familles plongées dans l’angoisse soient formellement informées. Le samedi 14 novembre au matin, plus de 1700 personnes étaient ainsi restées sans réponse après s’être manifestées comme étant à la recherche d’un proche à travers la plateforme téléphonique de la CIAV.

A cet égard, je dois souligner que les services du ministère de l’Intérieur ont accompli, en novembre comme en janvier, un travail éprouvant afin de procéder à l’identification des victimes, avec un très haut niveau d’engagement. La DCPJ a utilement pu bénéficier à cette occasion de renforts de l’IRCGN. Leur professionnalisme ne saurait être mis en cause. Mais il reste que des mesures devront être prises pour accélérer ce processus d’identification afin d’éviter aux familles de demeurer longuement dans l’incertitude ; ceci naturellement sans remettre en cause l’exigence de rigueur, toute erreur pouvant entraîner des conséquences dramatiques.

Enfin, l’État doit bien évidemment accompagner dans la durée les victimes et leurs proches, aux plans médical, psychologique, juridique et financier. Lorsque la CIAV, structure de l’urgence, a fini son œuvre, le relais est pris par un comité interministériel de suivi des victimes. La création du secrétariat d’Etat aux victimes devra permettre de s’assurer de la cohérence et de l’efficacité de ce suivi, mais je laisserai ma collègue Juliette MEADEL vous apporter plus de précisions sur ce sujet.

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J’en viens à présent aux dispositions que nous avons prises sur le long terme pour empêcher la commission de nouveaux attentats.

A cet égard, je souhaite faire une précision liminaire sur un point qui revêt à mes yeux une grande importance et auquel nul ne semble pourtant prêter attention : aujourd’hui, nous ne parlerons pas des attentats qui n’ont pas eu lieu. Par définition, personne n’en parle jamais. Et par définition aussi, vous ne me poserez aucune question sur la façon dont nous les avons empêchés, alors que vous n’auriez pas manqué de m’interroger s’ils avaient eu lieu. En fait, personne ne sait même qu’ils n’ont pas eu lieu. Pour la simple raison que nous les avons entravés avant même qu’ils puissent être commis.

Ainsi, depuis 2013, grâce au travail minutieux de nos services, pas moins de 11 projets d’attentats ont été déjoués – dont six depuis janvier 2015 – outre les deux tentatives qui ont échoué à Villejuif et à bord du Thalys reliant Amsterdam à Paris.

J’ajoute qu’à ce jour, 325 individus impliqués d’une façon ou d’une autre dans des filières djihadistes ont été interpellés par la DGSI. Parmi eux, 201 ont été mis en examen, 155 ont été écroués et 46 ont été placés sous contrôle judiciaire. D’une manière générale, je rappelle que la DGSI est saisie, en propre ou avec la Police judiciaire, du suivi de 236 dossiers judiciaires, concernant 1 088 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste.

Ces chiffres vous donnent ainsi une idée du nombre potentiel d’attaques ou d’attentats dont nous sommes jusqu’à présent parvenus à entraver la commission sur notre sol. Par là même, ils vous montrent à quel point l’action quotidienne des services, sous l’autorité de la justice, porte ses fruits. S’il est bien légitime que vous m’interrogiez sur les attentats de 2015, je considère en effet qu’il serait regrettable que nous passions sous silence les résultats importants que nous obtenons par ailleurs.

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Le Gouvernement a très tôt pris la mesure du caractère inédit et protéiforme de la menace. Depuis 2012 et l’adoption de la loi VALLS relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, nous n’avons eu de cesse de renforcer notre dispositif antiterroriste et d’adapter notre arsenal juridique aux évolutions de la situation. Dès le mois d’avril 2014, nous avons ainsi mis en place un Plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes, lequel a constitué la matrice de notre stratégie globale de prévention, de sécurisation et de répression du terrorisme. Depuis lors, celle-ci n’a cessé de monter en puissance pour nous donner les moyens d’agir sur les différentes composantes de la menace.

Car, s’il est avéré que les attentats du 13 novembre ont été planifiés depuis la Syrie et coordonnés en dehors de nos frontières, d’autres attaques ont, elles, été le fait de personnes radicalisées sur notre sol – parfois dans un délai très court et au contact d’un milieu propice à une telle dérive – et jusqu’alors connues des services de police pour de simples faits de délinquance. Le plus souvent, ces individus ou ces petits groupes ont bénéficié d’une formation accélérée au maniement des armes en Syrie ou en Irak, avant de revenir sur notre sol pour se fondre dans notre tissu social et, le cas échéant, passer à l’acte très rapidement. D’autres, enfin, entendent répondre à un « appel » général au djihad lancé par DAESH ou par toute autre organisation terroriste d’inspiration djihadiste, sans que l’on puisse parler, pour ce qui les concerne, d’une mission précise à remplir.

Dans le même temps, les modes opératoires ont évolué : les exécutions isolées par arme de poing ou arme blanche se sont muées en attentats commis à l’arme de guerre et, pour la première fois le 13 novembre, au moyen de ceintures explosives.

J’ajoute enfin que les cibles elles-mêmes des terroristes ont évolué. Si elles avaient été choisies, en janvier 2015, en raison de leur évidente portée symbolique (communauté juive, « blasphémateurs »), tel n’était plus le cas le 13 novembre, où les assassins ont cette fois délibérément frappé au hasard. A travers ces meurtres de masse indiscriminés, c’était donc une cible plus globale qui était visée : notre mode de vie, les solidarités qui nous unissent, bref le moral et l’unité de notre nation.

A l’heure actuelle, nous savons qu’un peu plus de 1.850 Français ou résidents habituels sont impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans les filières de recrutement djihadiste. 600 d’entre eux sont présents en Syrie et en Irak. 236 sont d’ores et déjà revenus sur le territoire français et nous faisons preuve à leur endroit de la plus grande vigilance. Parmi ces derniers, 143 font l’objet d’un suivi judiciaire : 74 ont été incarcérés après avoir été placés en garde à vue et 13 ont été placés sous contrôle judiciaire. Par ailleurs, 100 Français de retour de Syrie ou d’Irak sont actuellement surveillés par nos services de renseignement ; 67 d’entre eux ont d’ores et déjà fait l’objet d’entretiens administratifs avec la DGSI.

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Premier objectif : renforcer les services de renseignement.

En raison du caractère diffus de la menace, le principal objectif que nous nous sommes fixés, dès 2012, a consisté à renforcer l’organisation, le cadre d’action et les moyens dont disposent nos services de renseignement, qu’ils soient chargés de la surveillance du haut du spectre (DGSI) ou bien de la détection des signaux faibles de radicalisation (SCRT). C’était là une nécessité absolue si nous voulions tirer les leçons des tueries de Toulouse et de Montauban et éviter que notre pays ne se retrouve dans une situation d’extrême vulnérabilité.

Dès 2013, nous avons ainsi commencé à réformer en profondeur les services de renseignement intérieur. C’est la raison pour laquelle nous avons transformé la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI) en Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), créée par le décret du 30 avril 2014 et directement placée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur. Par ailleurs, dès 2013, nous avons programmé la création de 432 postes supplémentaires sur cinq ans pour renforcer les compétences de la DGSI et diversifier son recrutement.

Après les attentats de janvier 2015, nous avons continué de faire monter notre dispositif en puissance. Des moyens humains supplémentaires ont tout d’abord été alloués aux services dans le cadre de la lutte antiterroriste. Dans le cadre du Plan de janvier, il a ainsi été décidé que 500 agents viendraient renforcer progressivement la DGSI, en plus des 432 déjà prévus, et ce jusqu’en 2017. Des analystes techniques, des informaticiens, des linguistes sont notamment recrutés pour renforcer ses capacités d’analyse, de détection et de prévention des risques terroristes.

Par ailleurs, 500 effectifs supplémentaires – 350 policiers et 150 gendarmes – renforcent progressivement le Service central du Renseignement territorial (SCRT), tandis que 100 effectifs nouveaux ont été alloués à la Direction du renseignement de la Préfecture de Police. Enfin, les autres services contribuant d’une façon ou d’une autre à la lutte antiterroriste et appuyant l’action des services de renseignement ont quant à eux été renforcés par l’arrivée de plus de 300 agents. Un tel effort vient bien sûr s’ajouter à la mobilisation des forces de police, de gendarmerie et des militaires dans le cadre du plan Vigipirate.

S’il est indispensable d’accorder davantage de moyens à nos services, pour autant un tel effort resterait insuffisant si nous ne réformions pas en parallèle la façon dont ils coordonnent leur action. Pour mieux prendre en compte le caractère diffus de la menace, ainsi que les phénomènes de porosité entre délinquance et terrorisme, priorité a ainsi été donnée à la coopération et au partage de l’information entre les différents services concernés. Nous avons consolidé l’articulation entre le « premier cercle » du renseignement (la DGSI et ses partenaires de la Communauté du renseignement) et le « deuxième cercle » (le SCRT et les services d’investigation). A cet égard, l’Unité de Coordination de la Lutte antiterroriste (UCLAT) joue bien sûr un rôle décisif. Des « cellules de coordination » ont été mises en place, qui rassemblent l’ensemble des services de renseignement dans une organisation réactive et fluide. Enfin, nous renforçons les liens entre les renseignements intérieur et extérieur : une équipe de la DGSE est désormais présente dans les locaux de la DGSI. Nous progressons donc, et je dois à la vérité de dire que ces rapprochements n’ont suscité aucune réserve, tant la menace est globale et que la réponse, pour être efficace, se doit d’être collective.

Pour gagner en efficacité, nous avons également réformé et renforcé le positionnement du SCRT. Ses attributions ont été ainsi clairement élargies pour lui permettre de contribuer à la prévention du terrorisme, notamment par la détection en amont des signaux faibles de radicalisation. C’est la raison pour laquelle son maillage, en métropole comme outre-mer, a été renforcé pour mieux territorialiser son action et densifier le réseau de ses capteurs. De même, nous avons décidé de développer des relais du renseignement territorial dans les compagnies ou les brigades de gendarmerie, ainsi que dans les commissariats de police, à chaque fois que cela se révèle nécessaire. Une telle proximité est absolument indispensable. A Lunel, par exemple, dans l’Hérault – où nous avons, le 27 janvier 2015, procédé à plusieurs interpellations et perquisitions dans les milieux islamistes locaux – l’implantation de la Gendarmerie au plus près de la population a permis de recueillir les renseignements qui ont contribué au démantèlement d’une filière de recrutement djihadiste.

Enfin, avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, nous avons élaboré, pour l’activité de nos services, un cadre légal moderne et cohérent, adapté aux nouvelles menaces, aux mutations technologiques les plus récentes et à l’évolution du droit national et international. Ce cadre fixe des règles d’emploi claires des techniques de renseignement afin de protéger les agents qui y ont recours tout en garantissant le respect des libertés individuelles. La loi renforce ainsi les indispensables dispositifs d’évaluation de l’action des services. Un triple niveau de contrôle a été instauré (administratif, juridictionnel et parlementaire). Bref, la loi du 24 juillet 2015 nous a permis de renforcer à la fois notre dispositif de protection des Français, de protection de notre souveraineté et de protection de nos agents.

Je signale d’ailleurs à votre attention que l’ensemble des décrets d’application de la loi a été publié dans des délais très rapides, entre le 28 septembre 2015 et le 29 janvier 2016, nous permettant de commencer à mettre en œuvre des innovations aussi décisives que le Fichier des antécédents judiciaires terroristes (FIJAIT) ou, dans une logique de décloisonnement et de partage de l’information, d’élargir l’accès administratif au traitement des antécédents judiciaires ou aux données de connexion pour les services qui en avaient besoin et ne pouvaient jusqu’à présent y accéder.

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Deuxième objectif : des effectifs et des moyens renforcés pour les forces de l’ordre.

La volonté de renforcer les effectifs et les moyens dont disposent les forces de sécurité n’a pas seulement concerné les services de renseignement. En raison de l’ampleur de la menace, il était en effet absolument indispensable qu’un tel mouvement affecte l’ensemble des forces de l’ordre.

Je vous rappelle ainsi que, d’une manière générale, le Gouvernement a consenti, depuis 2012, un effort national sans précédent sur le plan des recrutements au sein de la Police et de la Gendarmerie nationales. Nous avons ainsi mis un terme aux coupes claires qui avaient considérablement réduit les effectifs des forces de sécurité entre 2007 et 2012. Nous avons remplacé tous les départs à la retraite, et nous avons créé près de 500 emplois nouveaux par an dans les deux forces. Cet effort a bien évidemment eu un impact positif sur notre dispositif antiterroriste : nous avons notamment pu le constater quand par exemple, après les attentats de janvier 2015, il a fallu déployer dans l’urgence 120.000 femmes et hommes, toutes unités et tous services confondus, pour assurer la protection de nos concitoyens et garantir l’efficacité du plan Vigipirate.

A cette politique de fond, nous avons ajouté, après les attentats de 2015, deux plans pluriannuels d’une ampleur sans précédent :

  • plus de 1 400 créations nettes d’emplois au titre du Plan anti-terroriste (PLAT) décidé par le Premier Ministre en janvier 2015 ;
  • 5 000 emplois au titre du Pacte de sécurité annoncé par le Président de la République devant le Congrès le 16 novembre dernier, au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis.

D’ici la fin du quinquennat (et en ajoutant les 900 postes supplémentaires créés dans le cadre du Plan de lutte contre l’immigration clandestine), 9 000 emplois en tout auront donc été créés dans la Police et la Gendarmerie.

Je précise qu’actuellement, aux côtés de nos forces armées de l’opération Sentinelle, de nombreux effectifs des forces de l’ordre sont mobilisés pour la surveillance et la protection de 5 700 lieux jugés sensibles, répartis sur l’ensemble du territoire national. Parmi eux, 882 font l’objet d’une garde statique, tandis que des dispositifs dynamiques sont mis en œuvre pour les 4 818 restants. Les sites surveillés sont principalement des sites religieux (3 713 sur 5 700, soit 65%), parmi lesquels 51% de sites chrétiens (1 919 sites), 27% de sites musulmans (1 007 sites) et 21% de sites juifs 21% (790 sites). Un tel dispositif de sécurisation implique lui aussi que nous disposions de forces de l’ordre en nombre suffisant.

Par ailleurs, les créations de postes que je viens d’évoquer s’accompagnent d’un renforcement sans précédent des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement du ministère de l’Intérieur, à hauteur de 233 millions d’euros sur 5 ans. L’année dernière, 98 millions d’euros ont d’ores et déjà été progressivement alloués aux services concernés pour qu’ils puissent accomplir leurs missions de la façon la plus efficace possible. Un plan de modernisation des systèmes d’information et de communication au bénéfice des forces antiterroristes a également été lancé, à hauteur de 89 millions d’euros sur trois ans. Grâce à ces financements, nous modernisons le système CHEOPS pour la circulation des enregistrements de la police, ainsi que la plateforme PHAROS d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements.

L’accent a également été mis sur la protection et sur les nouveaux équipements (véhicules et armements) des effectifs de police et de gendarmerie. En 2015, nous avons tenu nos engagements et, en 2016, cet effort massif sera poursuivi. D'ores et déjà, le Service de l’Achat, des Equipements et de la Logistique de la Sécurité Intérieure (SAELSI) a commandé des matériels pour un montant total de 55 millions d'euros.

C’est dans le même esprit que j’ai annoncé, le 29 octobre dernier, la mise en œuvre, dès l’année 2016, d’un plan ambitieux et inédit de renforcement, sur l’ensemble du territoire national, des équipements des BAC de la Police nationale et des Pelotons de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie (PSIG). Ces unités jouent en effet un rôle indispensable pour protéger nos concitoyens, notamment en cas de tueries de masse. L’objectif du « Plan BAC-PSIG 2016 » consiste donc à apporter des moyens supplémentaires à des personnels mieux formés, dans le cadre d’une doctrine d’intervention adaptée à la réalité des menaces auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés et notamment à l’usage de plus en plus fréquent dans les milieux terroristes et délinquants d’armes de guerre. Qu’il s’agisse des armements, des moyens de protection ou des véhicules, sachez qu’une partie des équipements prévus dans le cadre du « Plan BAC-PSIG 2016 » a d’ores et déjà été livrée ; d’ici à la fin du mois de juin, le reste arrivera progressivement dans les unités concernées.

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Troisième objectif : un arsenal juridique renforcé.

Depuis 2012, nous avons également fait en sorte de renforcer et d’adapter notre arsenal juridique à la réalité de la menace terroriste.

Tel fut d’abord l’enjeu de la loi du 21 décembre 2012 : grâce à elle, nous pouvons désormais poursuivre des Français ou des personnes résidant habituellement en France qui ont participé à des activités liées au terrorisme à l’extérieur de nos frontières, et non plus seulement sur notre sol.

La loi du 13 novembre 2014 nous a ensuite permis de nous doter de moyens de police administrative nouveaux pour prévenir et empêcher la commission d’actes terroristes. Au cours de ces derniers mois, après l’adoption de l’ensemble des décrets d’applications, les innovations introduites dans notre législation ont été, comme vous le savez, appliquées avec la plus grande détermination. A ce jour, 294 interdictions de sortie du territoire, visant des ressortissants français soupçonnés de vouloir rejoindre les organisations actives au Moyen-Orient, ont été prononcées, et près de 80 sont en cours d’instruction. Par ailleurs, 97 interdictions d’entrée et de séjour ont été prononcées contre des ressortissants étrangers soupçonnés d’être liés aux réseaux djihadistes. 54 prêcheurs de haine ont également été expulsés du territoire français, car de tels individus – je le dis avec force – n’ont pas leur place dans notre pays. Depuis 2014, six individus qui s’étaient rendus coupables d’actes de nature terroriste ont également été déchus de la nationalité française.

D’autre part, 83 adresses Internet ont fait l’objet d’une mesure de blocage administratif et 355 adresses ont été déréférencées pour avoir diffusé de la propagande terroriste.

Enfin, j’ajoute que les autres dispositions prévues ou renforcées par la loi du 13 novembre 2014 sont tout aussi résolument appliquées, qu’il s’agisse du gel des avoirs terroristes ou encore des mesures spécifiques de sûreté imposées aux entreprises de transport aérien desservant le territoire national. Je pense également à l’extension de l’enquête sous pseudonyme ou à l’adaptation des modalités de perquisition informatique.

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Quatrième objectif : consolider une politique offensive de prévention et de suivi de la radicalisation.

Si nous avons renforcé nos capacités de répression et d’intervention, si notre arsenal antiterroriste n’a cessé de monter en puissance, nous avons parallèlement développé un dispositif de prévention de la radicalisation violente qui nous permet d’intervenir en amont des dérives fanatiques susceptibles de déboucher sur un passage à l’acte terroriste.

C’est dans cet esprit que j’ai créé en juin dernier, après le drame survenu à Saint-Quentin-Fallavier, un Etat-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), qui contrôle le suivi effectif des individus signalés pour radicalisation. Pour ce faire, il regroupe des représentants de l’ensemble des forces et des services concernés dans une logique de transversalité, de décloisonnement et de partage de l’information.

L’EMOPT s’appuie sur le Fichier de Traitement des Signalements, de la Prévention de la Radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Ce fichier, qui concerne l’ensemble du territoire national depuis le 5 octobre dernier, garantit le partage d’information entre les services, dont j’ai déjà dit à quel point il constituait un enjeu fondamental. A partir du FSPRT, le travail de l’EMOPT nous permet ainsi d’opérer des retraits d’agréments et contribue à la mise en place d’une cartographie fine des risques, et notamment des risques propres à l’exercice de certains métiers sensibles (transports, éducation, jeunesse, installations industrielles sensibles).

L’EMOPT est venu couronner, si je puis dire, le dispositif de prévention que nous avons mis en place voici plus d’un an et demi. Je pense à la plateforme téléphonique nationale (numéro vert) regroupant une équipe de professionnels formés à écouter et orienter les familles confrontées au phénomène de la radicalisation. Ces dernières bénéficient ainsi d’un soutien précieux et peuvent signaler les risques de départ en Syrie ou en Irak quand l’un de leurs proches est sur le point de quitter le territoire. Cette plateforme a désormais atteint sa pleine maturité opérationnelle. A ce jour, 4 762 signalements pertinents ont été recensés par le Centre national. Ce dispositif, à la fois simple et inédit, s’est donc révélé particulièrement efficace, comme il a permis de mettre en lumière l’ampleur de ce phénomène complexe et hétérogène qu’est la radicalisation.

Ensuite, chaque signalement est communiqué au préfet concerné en fonction du lieu de résidence de la personne signalée afin que nous puissions la prendre en charge. Dans chaque département, nous avons en effet mis en place une « cellule de suivi et de prévention de la radicalisation », pilotée par le préfet et le procureur de la République. Ces cellules réunissent l’ensemble des services de l’Etat concernés, ainsi que leurs partenaires, collectivités locales et acteurs associatifs. Elles prennent en charge les personnes radicalisées ou en cours de radicalisation, leur proposant des protocoles de désengagement et des dispositifs de réinsertion individualisée.

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Cinquième objectif : renforcer la coopération en Europe.

Enfin, chacun sait – et les attentats de novembre nous l’ont encore démontré – que l’enjeu décisif du renforcement de notre protection face aux terroristes se joue sur le terrain européen.

Pour mieux repérer les trajets des terroristes et les empêcher de frapper, il est en effet urgent de renforcer la coopération européenne. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé et obtenu de l’Europe trois avancées majeures lors du conseil JAI du 20 novembre dernier :

  • une modification du code Schengen pour établir enfin des contrôles systématiques aux frontières extérieures de l’Union avec consultation systématique des bases de données SIS ;
  • l’adoption d’un PNR européen permettant d’accéder aux données des passagers aériens et ainsi de détecter des mouvements suspects dès la réservation des billets d’avion ;
  • enfin un plan de lutte contre le trafic d’armes à feu, notamment en provenance des Balkans, en cohérence avec le plan spécifique que j’ai moi-même lancé, le 12 novembre dernier.

Ces avancées indispensables, la France les demandait non pas depuis le 13 novembre, non pas depuis le 7 janvier, mais bien depuis des mois et même des années. Désormais, nous devons nous atteler à les mettre en œuvre le plus rapidement possible.

Sur le PNR, je précise que nous avions posé trois conditions strictes pour qu’il soit pleinement efficace. Ces trois conditions sont désormais remplies : la durée de conservation des données pendant 5 ans ; une simplification de la procédure de consultation, notamment après le masquage des données au bout de six mois ; enfin, l’engagement de tous les Etats membres pour que les vols intra-européens et les vols charters soient également inclus dans le PNR.

J’ai par ailleurs fait des propositions très concrètes à la Commission européenne et à la présidence néerlandaise de l’UE pour lutter contre le grave problème du trafic de faux passeports syriens, qui est un sujet de préoccupation majeur. On sait que plusieurs terroristes du 13 novembre ont vraisemblablement utilisé de fausses identités. Là aussi, soyez certains que le Gouvernement est totalement déterminé à défendre les mesures qui s’imposent auprès de nos partenaires et des instances de l’Union européenne.

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Mesdames et Messieurs les Députés,

Je vous remercie pour votre attention et me tiens naturellement prêt à répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.