Le 04 novembre 2015, Bernard Cazeneuve a répondu aux questions de Jean-Pierre ELKABBACH dans l'émission "L'interview-politique" d'Europe 1.
Thomas SOTTO
« L’interview politique d’Europe 1 », Jean-Pierre ELKABBACH, de retour de Pékin, vous recevez le ministre de l’Intérieur, Bernard CAZENEUVE. Messieurs, c’est à vous !
Jean-Pierre ELKABBACH
De retour de Chine, et quelle actualité, d’abord avec vous et pour vous, Bernard CAZENEUVE, bienvenue et bonjour.
Bernard CAZENEUVE
Bonjour.
Jean-Pierre ELKABBACH
On vient d’apprendre par Frontex qu’il y avait 800.000 entrées illégales de migrants en Europe, et que le chiffre va continuer, ce n’est pas le paroxysme encore, est-ce qu’il y a de quoi être inquiet ?
Bernard CAZENEUVE
Mais la situation migratoire est une situation qui est inédite, qui est une véritable crise, comme l’Europe n’en a pas connu depuis la seconde guerre mondiale, et qui implique des moyens exceptionnels et surtout des décisions urgentes…
Jean-Pierre ELKABBACH
Mais on ne peut pas les arrêter ?
Bernard CAZENEUVE
Si, on peut prendre des mesures, et il faut les prendre rapidement, l’Union européenne en a décidé du principe, c’est d’abord la mise en place d’un véritable contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne, ce qui suppose qu’on fasse monter Frontex en puissance, et il faut le faire vite. Et deuxièmement, et j’insiste sur ce point, parce que c’est l’une des clefs du problème, il faut absolument rehausser dans les meilleurs délais les moyens du HCR pour que, dans les camps de réfugiés, au Liban, où je me suis rendu la semaine dernière, en Jordanie, en Turquie, il y ait suffisamment d’aide humanitaire pour que cet exode de ceux qui sont persécutés dans leur pays ne se poursuive pas. C’est ça, les deux urgences sont là…
Jean-Pierre ELKABBACH
Et ERDOGAN, le président turc, va jouer son rôle…
Bernard CAZENEUVE
Augmenter les contrôles aux frontières extérieures, et deuxièmement, rehausser le niveau d’aide du HCR dans les camps.
Jean-Pierre ELKABBACH
Bernard CAZENEUVE, Europe 1 vient de révéler une information sur les passeurs de migrants, on a découvert, et vos policiers ont arrêté un Zodiac, piloté par un marin français pêcheur de Dunkerque, qui faisait la navette avec l’Angleterre, ça se produit souvent, ça ?
Bernard CAZENEUVE
C’est une affaire que je ne commenterai pas parce que nous venons de procéder, il y a quelques heures, aux arrestations, et le procureur de la République doit s’exprimer sur cette affaire dans les heures qui viennent, et je ne m’exprime pas avant que le procureur de la République ne le fasse lui-même, sauf accord avec lui. Et nous avons, depuis le début de l’année, démantelé un très grand nombre de filières, en France, c’est près de 200 filières qui ont été démantelées, représentant 3.000 individus, et dans le Calaisis, c’est une trentaine de filières, qui représentent 700 individus. Pourquoi ? Parce que j’ai donné une instruction extrêmement ferme à mes services, à la police de l’air et des frontières, aux policiers que j’ai délégués en nombre sur le Calaisis et sur le Dunkerquois, d’être intraitables avec les filières de la traite des êtres humains, qu’il faut démanteler…
Jean-Pierre ELKABBACH
Et il y a des Français, là, on découvre qu’il y a des Français qui y participent…
Bernard CAZENEUVE
Mais il peut bien entendu y avoir, et ils doivent être sévèrement punis, après avoir été efficacement rattrapés par les forces de sécurité. Et d’ailleurs, la lutte contre l’immigration irrégulière, c’est un sujet que j’ai traité avant-hier à Londres avec mon homologue Theresa MAY, parce que si nous voulons aller plus loin dans le démantèlement des filières de l’immigration irrégulière, qui sont à la fois en France et en Grande-Bretagne, il faut renforcer la coopération policière, et il faut renforcer la coopération judiciaire…
Jean-Pierre ELKABBACH
Très bien, depuis qu’on le dit…
Bernard CAZENEUVE
Mais vous avez vu que ça donne des résultats…
Jean-Pierre ELKABBACH
Vous avez ouvert des centres pour dégorger en quelque sorte Calais, en Dordogne, en Moselle, en Bretagne, en Corrèze, en Creuse, ça fait combien de migrants qui sont déjà partis ?
Bernard CAZENEUVE
Un millier, la semaine dernière.
Jean-Pierre ELKABBACH
Mais il y en a toujours 6.000.
Bernard CAZENEUVE
Non, il y en a moins que 6.000, puisque…
Jean-Pierre ELKABBACH
Mais c’est un flux continu !
Bernard CAZENEUVE
Non, non, non, soyons précis, Jean-Pierre ELKABBACH, j’ai pris des dispositions pour rendre étanche la frontière franco-britannique pour bien envoyer le signal aux passeurs, qui sont des criminels, que, il n’était pas utile de continuer à exploiter les migrants, et les migrants d’écouter les passeurs, de manière à mettre fin à ce trafic. Deuxièmement, j’ai établi des dispositifs de contrôle sur les axes qui mènent à Calais, pour faire en sorte que le flux soit maîtrisé. Et par ailleurs, je veux une solution humanitaire à Calais, qui ne soit pas une solution incantatoire, qui soit une vraie solution humanitaire, qui ne consiste pas à maintenir des milliers de personnes à Calais, parce que concentrer toutes les difficultés…
Jean-Pierre ELKABBACH
Mais là, il y a urgence, il y a urgence…
Bernard CAZENEUVE
Et nous agissons en urgence, c’est la raison pour laquelle, la semaine dernière, ce sont 700 migrants qui ont été protégés dans des centres mis en place, qui sont des centres en dur, qui les protègent, et qui leur permettent de demander l’asile dans les meilleures conditions d’humanité.
Jean-Pierre ELKABBACH
Le grand problème aujourd’hui et hier aussi, c’était le problème de la sécurité des Français. Nicolas SARKOZY vient de dire que selon l’Observatoire de la délinquance, qui dépend du gouvernement, depuis trois ans, il y a une explosion de la délinquance et de l’insécurité en France. Qu’est-ce que vous répondez ?
Bernard CAZENEUVE
Oui, qui est là, le document de l’Observatoire de la délinquance, qui donne les résultats sur les douze derniers mois, je préfèrerais que vous le lisiez, ça en aurait encore plus de force, mais je vais vous donner les chiffres, homicides sur les douze derniers mois : moins 7,3 %. Vols avec arme : moins 15,8 %. Vols violences sans arme : moins 9,8 %. Vols sans violences : moins 0,2. Cambriolages de logements : moins 4,4. Vols de véhicules : moins 1,5. Vols d’accessoires de véhicules…
Jean-Pierre ELKABBACH
Mais il n’a pas le même document, alors Nicolas SARKOZY !
Bernard CAZENEUVE
Le seul document, c’est celui-ci, voilà le document de l’Observatoire, je vous le montre, je vous le donne, vous pouvez le communiquer à l’AFP. Et donc Nicolas SARKOZY s’est autorisé matinalement une approximation de plus, ce qui est regrettable, lorsque l’on s’exprime tous les jours sur l’autorité de l’Etat, parce que l’autorité de l’Etat s’appelle le sens de l’Etat, et le sens de l’Etat, ça a quelque chose à voir avec la vérité…
Jean-Pierre ELKABBACH
Pourquoi, vous êtes touché quand il dit que la République recule et que l’Etat n’a plus d’autorité, qu’elle est bafouée aujourd’hui en France ?
Bernard CAZENEUVE
Moi, je ne suis pas touché par les mensonges, je ne peux que les regretter…
Jean-Pierre ELKABBACH
Vous dites mensonges de Nicolas SARKOZY…
Bernard CAZENEUVE
Je viens de vous en faire la démonstration. Il dit ce matin…
Jean-Pierre ELKABBACH
Il ne peut pas avoir un autre document que celui-ci, puisqu’il a cité l’Observatoire…
Bernard CAZENEUVE
C’est le seul. Et ce document-là est le document qui est publié par l’INSEE, c’est-à-dire, c’est un document qui fait foi, de la même manière que l’INSEE publie chaque mois les statistiques du chômage ou les statistiques du déficit budgétaire, l’INSEE publie maintenant les statistiques de la délinquance, et voilà les chiffres que je viens de vous indiquer, en vous remettant le document. Et ce document – pour que les choses soient bien claires – sera publié de façon visible, il l’est déjà, mais de façon visible, sur le site du ministère de l’Intérieur, parce que lorsque l’on convoque tous les jours l’autorité de l’Etat, on doit avoir le sens de l’Etat, et le sens de l’Etat, ça a quelque chose à voir avec la vérité…
Jean-Pierre ELKABBACH
Nicolas SARKOZY, président du Parti Les Républicains, a encore dit hier, et il le répète : les djihadistes de retour en France, dans la lutte contre le terrorisme, sont en prison, ceux qui sont étrangers aux binationaux ne pourront rentrer en France.
Bernard CAZENEUVE
Je pense qu’il y a un petit problème de relation entre le groupe des Républicains à l’Assemblée nationale et le président du Parti des Républicains, pourquoi ? Parce que les deux dispositions qu’il évoque dans son interview d’hier, et qu’il souhaite voir advenir, sont des dispositions qui ont été votées par ses amis du groupe Républicains, qui ont voté ma loi, du 13 novembre 2014. C’est-à-dire que désormais, tous ceux qui sont binationaux et qui sont à l’étranger et qui ont commis des actes terroristes sont interdits de revenir sur le territoire national. J’ai pris près de 80 interdictions de retour sur le territoire national depuis le début de l’année, dans le cadre de mesures de police administrative, nous avons 190 dossiers judiciaires ouverts, qui ont conduit près de 200 personnes à être mises en examen…
Jean-Pierre ELKABBACH
Mais vous savez ce que vous devriez faire, Monsieur CAZENEUVE…
Bernard CAZENEUVE
Et 147 personnes sont en prison…
Jean-Pierre ELKABBACH
Vous devriez inviter Nicolas SARKOZY à venir vous voir ou à aller discuter avec lui, et en même temps…
Bernard CAZENEUVE
Ah, mais je suis même prêt à faire un débat, avec Nicolas SARKOZY, public sur ce sujet…
Jean-Pierre ELKABBACH
Eh bien, c’est lancé, l’invitation est lancée, allons-y !
Bernard CAZENEUVE
Parce que tous ces éléments-là sont sur la table, ce sont des éléments qu’il devrait connaître, soit, il ne les connaît pas, et le débat me permettra de lui donner ces informations, soit, il les connaît, et dans ce cas, il est dans l’approximation, et ces sujets méritent mieux que l’approximation.
Jean-Pierre ELKABBACH
Mais il y a un plan des Républicains pour renforcer la sécurité des Français, je vous dis rapidement quelques mesures : débarrasser policiers et gendarmes de toutes les tâches que Nicolas SARKOZY juge secondaires, déléguer au privé le contrôle de la sécurité sur les autoroutes, c’est possible, ça ?
Bernard CAZENEUVE
Non, mais il y a plusieurs propositions que fait Nicolas SARKOZY…
Jean-Pierre ELKABBACH
Parce que je pourrais continuer, et construire plus de 20.000 places de prison, etc…
Bernard CAZENEUVE
Oui, mais il y a plusieurs propositions que fait Nicolas SARKOZY, dont certaines d’ailleurs ne sont pas inintéressantes, la première proposition qu’il fait, c’est de décharger les policiers d’un certain nombre de missions qui les empêchent d’être sur la voie publique…
Jean-Pierre ELKABBACH
Vous êtes d’accord là-dessus ?
Bernard CAZENEUVE
Mais, non seulement, je suis d’accord, mais c’est ce que le Premier ministre a proposé en indiquant qu’il fallait engager une grande démarche de simplification de la procédure pénale avec un ensemble de mesures, 16 très exactement, qui ont été présentées par le Premier ministre, il y a de cela quelques jours. Deuxièmement, lorsqu’il y a eu sur la sécurité routière le conseil interministériel de la sécurité routière, nous avons décidé que nous appellerions pour les contrôles de vitesse, dans les véhicules, des réservistes, mais ce que je ne veux pas en revanche, c’est qu’on délègue des missions régaliennes à des acteurs de sécurité privés sur les routes, parce que ça, ça n’est pas sérieux.
Jean-Pierre ELKABBACH
Il propose la création d’un grand ministère de la Sécurité publique, un super Beauvau avec les douanes, l’administration pénitentiaire, c’est possible ? Enfin, s’il est élu, il le fera peut-être, mais…
Bernard CAZENEUVE
Ce que nous avons trouvé lorsque nous sommes arrivés, c’est un tout petit Beauvau, puisque 13.000 postes avaient été supprimés, les moyens de fonctionnement de la police et de la gendarmerie avaient été diminués de 8 %. Le parc automobile était vieillissant, les armes étaient vieillissantes…
Jean-Pierre ELKABBACH
Très bien, mais on…
Bernard CAZENEUVE
Donc le grand Beauvau, nous sommes en train de le faire, en recréant des postes, en réhaussant le niveau des moyens de nos services de renseignements, et surtout, en donnant aussi à l’administration préfectorale, parce que l’autorité de l’Etat, ce sont aussi des…
Jean-Pierre ELKABBACH
Heureusement qu’il y a Nicolas SARKOZY, c’est une cible politique privilégiée, à la fois de la majorité et du gouvernement !
Bernard CAZENEUVE
Mais, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, Jean-Pierre ELKABBACH, mais moi, je ne déclenche jamais de polémique…
Jean-Pierre ELKABBACH
Oui, mais vous venez de dire que vous êtes prêt à un débat avec lui, mais attention, Monsieur le Ministre, attention au harcèlement, il est sanctionné !
Bernard CAZENEUVE
Mais non, mais il n’y a aucun harcèlement, Nicolas SARKOZY a fait des déclarations hier extraordinairement belliqueuses…
Jean-Pierre ELKABBACH
Et aujourd’hui…
Bernard CAZENEUVE
Bon, ces déclarations, il a le droit de les faire, ce n’est pas moi qui les ai faites, à partir du moment où il les fait, il est de mon devoir de ministre de l’Intérieur de rappeler ce qu’est la réalité, et je le fais, vous l’aurez remarqué, sans esprit de polémique, avec l’esprit de précision, et comme je n’aime que l’esprit de précision, je suis prêt tout à fait à débattre avec lui…
Jean-Pierre ELKABBACH
Eh bien, on retient cette idée. Simplement, dernière question…
Thomas SOTTO
Rapidement, il est déjà 15h25 à Pékin !
Jean-Pierre ELKABBACH
Thomas, oui, oui, Thomas, mais on est encore réveillé.
Bernard CAZENEUVE
Vous êtes encore à Pékin, vous.
Jean-Pierre ELKABBACH
Thomas, oui...
Jean-Pierre ELKABBACH
Thomas a reçu tout à l’heure Cécile DUFLOT, elle va aller, avec Emmanuelle COSSE, apporter son soutien ou leur soutien aux opposants à la reprise des travaux de Notre-Dame-Des-Landes. Est-ce que c’était une mesure cohérente alors que l’on est à trois semaines de COP21, pour laquelle le président de la République se donne tant de mal ? On a l’impression que le gouvernement, et pas seulement là, agit dans l’incohérence totale ?
Bernard CAZENEUVE
Non, mais Jean-Pierre ELKABBACH…
Jean-Pierre ELKABBACH
D’autant plus que Ségolène ROYAL a dit qu’elle était contre.
Bernard CAZENEUVE
Non, mais de quoi s’agit-il ? Il s’agit de laisser des procédures de droit se poursuivre, lorsque les procédures de droit ne se poursuivent pas, lorsque le droit a parlé et qu’on n’en tire aucune conclusion, il n’y a pas d’autorité de l’Etat. Et lorsque le droit poursuit son chemin pour qu’il passe, on est dans l’incohérence. Donc est-ce que vous pouvez m’indiquer ce qu’il faut faire pour vous être agréable ?
Jean-Pierre ELKABBACH
Non, d’abord que vous soyez… enfin, que le gouvernement soit cohérent…
Bernard CAZENEUVE
Mais je viens de vous répondre ! Il l’est !
Jean-Pierre ELKABBACH
Mais alors, est-ce que par exemple, Cécile DUFLOT et Emmanuelle COSSE sont en train d’encourager le désordre, et vous les mettez en garde avant qu’elles y arrivent, de ne pas trop soutenir les…
Bernard CAZENEUVE
Mais moi, je pense que nous sommes dans une période où il y a énormément de tensions, et que l’éthique de la responsabilité, quel que soit l’endroit d’où l’on parle, doit consister encore une fois, avec l’esprit de Pierre Mendès France, à convoquer la vérité, et la responsabilité. Et je vois peu d’esprit de vérité et de responsabilité…
Jean-Pierre ELKABBACH
Il n’y aura jamais de Notre-Dame-des-Landes ! Le chantier sera reporté après 2017, 2018, etc., non ?
Thomas SOTTO
Merci. Merci Bernard CAZENEUVE.
Bernard CAZENEUVE
Eh bien écoutez, si vous avez…
Jean-Pierre ELKABBACH
On fait le pari !
Bernard CAZENEUVE
Si vous avez, vous, le pouvoir de décision, les choses se passeront peut-être comme vous venez de le dire…
Jean-Pierre ELKABBACH
Peut-être, plus cohérent.
Bernard CAZENEUVE
Mais jusqu’à présent, ce n’est pas vous qui l’avez.
Thomas SOTTO
Merci donc Bernard CAZENEUVE. Vous maintenez l’appel à débattre de Nicolas SARKOZY ? On le fait sur Europe 1 s’il répond favorablement ?
Bernard CAZENEUVE
Non, mais écoutez, j’ai été clair, moi, je suis tout à fait prêt sur les sujets qui sont de ma compétence à débattre avec tous ceux qui s’intéressent à ces questions, et qui parfois convoquent beaucoup d’approximations là où le pays a besoin de beaucoup de vérités…