Tribune de Bernard Cazeneuve publiée dans Libération du 02 septembre 2015.
Jour après jour, l’annonce de nouveaux drames frappant à mort, dans des conditions tragiques, les migrants qui tentent de franchir les frontières de l’Europe nous dicte d'agir vite. Entassés à fond de cale, abandonnés en haute mer, asphyxiés à l’arrière des camions, leur chemin de souffrances semble ne pas connaître de fin.
Depuis le début de l’année, 340 000 hommes, femmes et enfants, venus du Moyen-Orient et d’Afrique, ont pris le risque d’affronter cet enfer. Les rescapés se sont souvent accueillis avec humanité, mais parfois aussi rejetés dans une extrême précarité. Tandis que les populistes jettent sur eux l’anathème, d’autres s’apprêtent à les suivre, pour fuir la guerre civile et les persécutions dont ils font l’objet, ou tout simplement dans l’espoir de mener une vie meilleure.
Face à ce drame des migrants, aucun Gouvernement en Europe, aucun homme politique ne peut échapper à un examen de conscience. Avons-nous pris assez tôt la mesure de cette crise ? Avons-nous su faire preuve de la diligence et de la générosité qu’exigeait cette situation hors-norme ? Avons-nous su respecter la promesse faite par la République depuis la constitution de 1793 : « Le Peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté » ?
La France, pourtant, n’a pas failli. Nous avons ainsi adopté la plus ambitieuse réforme du droit d’asile des dernières décennies, afin de nous donner les moyens d’accueillir enfin tous les demandeurs qui se trouvent sur notre sol dans des conditions dignes et généreuses. Nous créons plus de 8000 places nouvelles dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), ainsi que 11000 places supplémentaires pour mettre à l’abri des migrants et reloger les réfugiés. A Calais, où se trouvent 3000 migrants ayant formé le projet d’entrer au Royaume-Uni, nous avons ouvert un centre d’accueil de jour, nous mettons à l’abri les femmes et les enfants, et nous offrons à ceux en besoin de protection la possibilité de demander l’asile en France. Notre politique y bénéficie du soutien de l’Union européenne qui vient de lui apporter de nouveaux financements, comme l’a annoncé lundi le vice-président de la Commission en présence du Premier Ministre.
Au sein de l’Union européenne, c’est à notre initiative qu’a été décidé voici un an, le triplement des moyens de l’agence FRONTEX, chargée de surveiller les frontières de Schengen et dont les bateaux portent secours aux migrants au large des côtes grecques et italiennes. Des milliers de vies sont ainsi épargnées chaque jour.
C’est aussi suite à nos propositions et grâce à nos efforts qu’un dispositif global et solidaire se met peu à peu en place pour assurer le respect intégral du droit d’asile aux réfugiés qui parviennent en Europe. Le nombre des arrivées fait en effet que les trois principaux pays de première entrée – la Grèce, l’Italie et la Hongrie – ne peuvent assurer à eux seuls cette charge, comme le prévoient normalement les règles européennes. Nous soutenons le principe, pour le temps que durera la crise, d’un mécanisme de solidarité permettant de répartir certains de ces migrants dans le reste de l’Union européenne. La France a déjà annoncé qu’elle accueillerait pour sa part 9000 réfugiés au cours des deux prochaines années, qui s’ajoutent naturellement à tous ceux qui demandent directement l’asile sur notre sol chaque année. En parallèle, des centres d'accueil dit "hot spots" doivent ouvrir en Grèce et en Italie.
Pour que cette approche soit soutenable, il faut cependant que les Européens s’accordent sur une politique de l’asile commune, comme l’ont recommandé la semaine passée le Président de la République et la chancelière allemande. Il faut également que les migrants irréguliers, qui ne peuvent bénéficier de l’asile, soient dissuadés de venir en Europe, où ils ne pourront demeurer de façon régulière. Cela implique que leurs retours soient organisés et aidés, en pleine coopération avec leurs pays d’origine et avec les pays de transit. La France a ainsi proposé la mise en place avant la fin de l’année au Niger d’un centre d’aide au retour et de prévention des départs sous l’égide de l’Office international des Migrations. Bien des pays africains sont demandeurs d’un tel dispositif, parce qu’ils souhaitent épargner à leurs ressortissants les risques d’un voyage vers la mort et parce qu’ils veulent que leurs élites contribuent au développement de l’économie locale.
A long terme, c’est le développement du continent africain qui constitue pour l’Europe la véritable réponse au défi des migrations. L’Afrique est la réserve de croissance du monde et l’Europe doit accompagner cette croissance par une politique de coopération tournée vers le développement durable et la maîtrise des mouvements de population. Ce sera tout l’enjeu du sommet de la Valette, où seront réunis les pays européens et les pays africains en novembre 2015, et qui sera préparée à Paris.
La responsabilité de l’Union européenne et de ses Etats membres est aujourd’hui engagée. Elle ne concerne pas seulement l’avenir de nos peuples, mais la survie immédiate d’hommes et de femmes qui tentent d’échapper à la mort et aux persécutions. C’est la raison pour laquelle, j’ai appelé, avec mes collègues allemands et britanniques à une réunion exceptionnelle et immédiate des ministres de l’intérieur européen. Elle se tiendra le 14 septembre. Le temps nous est compté.