Intervention de M. Nicolas SARKOZY, ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire - Hôtel de Beauvau
Mesdames, Messieurs,
Dans le préambule annexé à la loi de modernisation de la sécurité civile on peut lire :
"Le constat est fréquemment fait que les travaux scientifiques portant sur les risques naturels et technologiques sont utiles mais demeurent le fait de spécialistes, sans que des conséquences pratiques en soient systématiquement tirées. De même, les catastrophes donnent lieu, le plus souvent, à des analyses approfondies et à des retours d’expériences, mais sans beaucoup d’échanges pluridisciplinaires."
C'est en partant de ce constat que j'ai voulu qu'une instance placée auprès du ministre de l’intérieur réunisse une grande diversité de compétences pour vérifier l’état de la préparation aux risques de toute nature et dresser les propositions qu'elle jugera utiles.
I. La société face aux risques
Le monde que nous léguerons à nos enfants ne sera pas moins risqué que celui hérité de nos parents
Les catastrophes naturelles, tout d’abord, font la une de l’actualité nationale et mondiale, à une cadence qui semble s’accélérer : pour la seule année 2005 ce sont le tsunami du golfe du Bengale, le cyclone qui a dévasté la Louisiane, le séisme du Pakistan, mais aussi les feux de forêt en France et au Portugal, ou les inondations devenues familières dans le Languedoc. Sans que l’on ait de certitude sur les causes et l’ampleur d’un changement climatique, cette accélération impose d’envisager comme vraisemblable l’aggravation des phénomènes météorologiques extrêmes.
En second lieu, le progrès technique et le développement économique ne vont pas sans multiplier les sources de risque technologique. Une explosion dans un site industriel a ravagé en 2001 l’une de nos grandes métropoles régionales. Plus quotidiennement nos soldats du feu affrontent des incendies meurtriers parce qu’il y a des engrais susceptibles d’exploser dans les hangars agricoles ou que la combustion des aménagements intérieurs des habitations provoque un embrasement éclair. La production d’énergie, les transports terrestres et aériens sont aussi sources de risque. Bien des installations industrielles sont porteuses de dangers considérables.
La mise en réseau des activités accroît par ailleurs la vulnérabilité de nos sociétés. Elle diminue l’autonomie des individus et des groupes. La moindre rupture des chaînes logistiques revêt très vite une importance vitale, les interruptions dans les transports frappent des familles éclatées dans la journée par la dispersion du domicile et des lieux de travail.
Enfin, ces vulnérabilités intéressent bien sûr les terroristes qui cherchent le talon d’Achille des pays développés : ils ont déjà frappé dans les lieux de rassemblement, qu’il s’agisse de nos métropoles ou des destinations touristiques les plus accessibles pour eux, mais ils peuvent choisir un jour l’attaque de nos systèmes d’information et de communication ou le recours à l’arme biologique.
Or, il est clair que les sociétés modernes sont plus vite désemparées face aux catastrophes
Notre mode de vie moderne diminue la capacité de réaction des communautés de base dans les situations d’urgence. La dilution des bassins de vie et l’affaiblissement des liens sociaux qui les caractérisaient autrefois en sont la cause principale. On connaît moins son quartier, on connaît moins ses voisins.
Parallèlement, notre société accepte de moins en moins la souffrance ou l'accident.
La compassion pour les victimes et pour les destructions qu’elles subissent déborde instantanément la proximité, à cause des moyens de communication de masse, et laisse cependant impuissants la plus grande partie de ceux qui voudraient contribuer à les soulager.
Tout cela provoque une formidable attente sociale à l’égard des pouvoirs publics, par un phénomène de transfert que les élus connaissent bien.
Notre réponse, c’est une stratégie de mobilisation de toutes les composantes de la communauté nationale
A l’évidence, la sécurité civile ne doit pas s’enfermer dans le cadre traditionnel de l’État régalien. Sa modernisation s’inscrit dans la définition renouvelée d’un État apte à promouvoir et fédérer les compétences et capacités de toute la société civile, et tirant son autorité du succès des coopérations qu’il organise.
C’est la raison pour laquelle j’ai écarté en 2003 la proposition d’étatiser les services d’incendie et de secours. Il ne faut pas diminuer l’implication des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des départements ou des communes. Les maires sont les premiers veilleurs face aux risques, et les premiers mobilisateurs de toutes les énergies et de toutes les formes d’engagement civiques postérieures à la suspension de la conscription : volontariat des sapeurs-pompiers, associations de sécurité civile, réserves communales en cours de développement. Je me félicite donc de la présence dans ce Conseil de nombreux élus et de celle des acteurs des secours dans leur diversité.
C’est aussi pourquoi je salue ici les représentants des organismes experts et les personnalités qualifiées qui apporteront aux administrations un soutien précieux.
Enfin, la continuité de la vie nationale et la gestion des situations d’urgence dépendent souvent dorénavant d’opérateurs de statut privé. Ils siègent également au Conseil national de sécurité civile et je les remercie de leur engagement.
II. J'en viens à la mission du Conseil national de sécurité civile
C’est en septembre 2003 que j’ai décidé la création de ce Conseil national, dans le cadre de la préparation de la loi de modernisation de la sécurité civile. Le Haut comité français de la défense civile du sénateur Girod, le Conseil national de la protection civile présidé par le préfet Rouanet, la Fédération des sapeurs pompiers de France me pressaient de donner du souffle à ce projet de loi.
Au même moment je tirais les leçons de la crise de la canicule qui révélait à la fois nos fragilités dans le recensement des risques et la défiance qui s’empare de la population face à un danger dont elle n’est pas prévenue.
L’annexe d’orientation de la loi du 13 août 2004 confie donc au Conseil national de sécurité civile le soin de vérifier l’état de la préparation aux risques de toute nature.
De cette mission précisée par le décret du 8 février 2005 instituant votre Conseil, je voudrais souligner les aspects suivants.
L’impératif du décloisonnement d'abord.
A ceux qui proposaient la création d’un ministre délégué à la protection de la population pour coordonner les ministères, je demandais pourquoi ils voulaient confier cela à un numéro 43 du gouvernement, plutôt qu’au numéro deux. Plus sérieusement, je suis favorable au resserrement des gouvernements.
Mais j’ai bien retenu qu’on ne pouvait plus admettre que la prévention et la lutte se conçoivent isolément, que les pompiers et les ambulanciers ne soient pas coordonnés, que les scientifiques ne rencontrent pas les praticiens, et que les travaux d’inspection restent dans les tiroirs.
Mesdames et Messieurs, votre première source de légitimité, c’est votre collégialité. Elle doit s’affranchir résolument des frontières traditionnelles entre les ministères, entre les disciplines, entre ceux qui ont en charge la prévention, la préparation, la réponse, la restauration ou la réparation.
Nous avons besoins d’une approche intégrée de la sécurité civile.
La nécessité de l’information préventive ensuite.
Les attentes sociales sont pressantes, nous l’avons vu, dans le domaine de la sécurité civile. La gestion des crises laissera toujours place à la critique.
Mais la seule chose que l’opinion ne pardonne pas aux responsables, publics ou privés, c’est de ne l’avoir pas prévenue, de ne pas l'avoir tenu informée de la réalité des risques. Or, pour prévenir, il faut prévoir. Prévoir au moins ce qui peut arriver.
C’est pourquoi vous avez la mission de recenser les risques, et la prérogative de fixer vous-même votre programme de travail. La diversité de vos connaissances et de vos expériences doit favoriser le choix des sujets prioritaires. Je vous invite à apprécier avec gravité la première proposition qui a été préparée par le comité directeur.
L’exigence de transparence enfin.
Il n’y a pas de contrôle des situations d’urgence sans un lien de confiance solide entre les autorités et la population.
Qu’on me comprenne : je suis évidemment convaincu de la nécessité des retours d’expérience et de la critique, voire de la mise en cause de ceux qui auraient failli. Mais dans le temps de la crise plus encore qu’en temps ordinaire, c’est l’union qui fait la force, et la polémique qui compromet la réponse collective.
Or la confiance se mérite. Et d’abord par une totale transparence sur les risques et le niveau de prévention ou de préparation auquel on est parvenu.
Le gouvernement vous confie une fonction d’évaluation. Vos avis se doivent d’être sincères et complets. Ils ne peuvent rester confidentiels.
Votre conseil publiera un rapport annuel puisque son décret constitutif l’exige. Mais je souhaite en outre que les avis délibérés soient systématiquement mis en ligne, c’est à dire rendus accessibles au plus grand public, au fur et à mesure que je les aurai transmis au Premier ministre.
III. J'en terminerai avec l’organisation des travaux
Je suis heureux d’avoir trouvé Alain Gehin pour assurer la vice-présidence de ce Conseil. C’est lui qui pilotera vos travaux et qui m’en rendra compte. Il est au faîte d'une belle carrière administrative, et riche d'une expérience de terrain et de centrale : conseiller d’Etat en service extraordinaire, après avoir été deux fois préfet de région, directeur adjoint de cabinet du ministre de l’intérieur, et directeur-adjoint de la sécurité civile. Il a géré toutes sortes de situations d’urgence. Il a le sens du travail en coopération.
Je crois que trois objectifs s'imposent :
Le premier est de collationner rapidement les connaissances.
Pour satisfaire dans des délais admissibles les besoins du gouvernement et de tous les acteurs, il faut d'abord mobiliser les connaissances disponibles, en faisant appel de façon complémentaire aux experts que mes collègues ministres pourront suggérer, chacun dans le champ de ses compétences. Je souhaite que les inspections puissent bâtir dans des délais de trois à quatre mois les rapports de synthèse et d’évaluation qui vous seront présentés comme base pour préparer vos avis.
Le deuxième est de relever le défi de la clarté des avis que vous produirez.
La présentation de ces rapports aux commissions ad hoc que vous constituerez marquera le début du vrai travail de votre conseil.
Délibérer un avis, même à la majorité, peut demander beaucoup de discussions préparatoires si le sujet est controversé.
Je vous remercie par avance de pendre à bras le corps les contradictions et divergences entre vous, avec la volonté de les résoudre. Comme les conférences de consensus qui réunissent par exemple les experts du monde de la médecine, pour adopter les protocoles de soins, votre Conseil doit garantir au gouvernement une adhésion ferme des meilleurs spécialistes aux orientations que vous recommanderez.
Le troisième est de diffuser et de communiquer.
Le secrétariat du Conseil a été confié à l’INHES. C’est un institut dédié au développement et à la diffusion des connaissances. Il offre un cadre indépendant de la pression de l’actualité, et habitué à respecter la diversité des opinions. Il offre aussi une expérience de la diffusion des travaux des chercheurs, avec l’habitude de servir de passerelle entre les penseurs et les praticiens.
Il vous apportera tout ce qui vous est nécessaire pour travailler. Vous lui apporterez une implication dans les sujets les plus sérieux de l’heure qui confortera sa vocation à appréhender tous les problèmes touchant à la sécurité globale.
Il me reste à souhaiter - mais je n'en doute pas - que vos travaux soient fructueux et que le gouvernement puisse en faire un usage aussi direct que possible, dans l'intérêt de la sécurité des Français.