Présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi sur le droit d’asile

10 décembre 2014

Discours de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, du 9 décembre 2014


Monsieur le Président,
Madame la Rapporteure,
Mesdames et Messieurs les Députés,
C’est avec fierté que je présente aujourd’hui devant vous la réforme du droit d’asile proposée par le Gouvernement. Cette réforme est en effet ambitieuse, progressiste et profondément républicaine.
Depuis plus de deux siècles, la France accueille les opprimés et les persécutés de tous horizons, fidèle en cela à une exigence vieille comme l’humanité. Les anciens Grecs, les Romains, les Hébreux, les chrétiens du Moyen Age connaissaient déjà l’asile et l’accordaient, sous des formes diverses, à ceux qui en avaient besoin. C’est pourtant la France de la Révolution qui a donné au droit d’asile la forme et l’ambition que nous lui connaissons aujourd’hui.
Bien avant la Convention de Genève de 1951, notre pays a en effet apporté au monde une définition du droit d’asile, dont la modernité nous frappe encore. La Constitution de 1793 proclame ainsi que le peuple français « est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » et « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ». C’est là sans doute qu’est née la tradition d’une France terre d’asile pour les opprimés du monde, qu’elle a accueillis tout au long des XIXe et XXe siècles : patriotes italiens et polonais, Arméniens et Juifs persécutés, résistants antifascistes et républicains espagnols, dissidents soviétiques et Boat People vietnamiens. Le préambule de la Constitution de 1946 achève de consacrer le droit d’asile pour les combattants de la liberté en lui conférant une valeur constitutionnelle. La France se doit aujourd’hui d’être à la hauteur de cet héritage républicain.

Depuis plus de deux siècles, le droit d’asile est donc le miroir où nous éprouvons l’universalité de nos principes et de nos valeurs. Il nous invite en effet à déterminer les règles d’hospitalité que le citoyen d’ici doit respecter lorsqu’il est sollicité par un citoyen d’ailleurs. « Dis-moi comment tu accueilles l’opprimé, je te dirai qui tu es » : la France qui, en 1789, s’est soulevée contre l’arbitraire et a proclamé à la face du monde ses idéaux de liberté et d’égalité, la France ne peut se dérober quand frappent à sa porte ceux qui lui font confiance pour les protéger contre l’injustice, l’oppression et la barbarie. Il en va de la singularité du message que notre pays adresse au monde.
Néanmoins, l’énoncé des principes – si élevés soient-ils – n’est pas toujours suffisant. Encore faut-il les appliquer.

Aujourd’hui, l’exercice du droit d’asile est concrètement menacé en France. Trop souvent, nous n’accueillons plus les demandeurs d’asile comme nous le devrions.
Or, notre époque n’ignore pas, hélas, l’oppression ni les persécutions de masse. La guerre civile en Syrie et en Irak, les massacres perpétrés par DAESH, les exactions dont sont victimes les chrétiens d’Orient, nous le rappellent chaque jour.
En France, le nombre de demandeurs d’asile a presque doublé entre 2007 et 2013. Selon les données collectées par l’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), 58 000 demandes ont été déposées au cours des onze premiers mois de l’année 2014 – elles devraient donc être environ 63 000 au terme de cette année. En 2013, le nombre de demandes était d’environ 66 000. Cependant, 16% seulement d’entre elles ont reçu l’agrément de l’OFPRA ;  27% en tout, après intervention de la Cour nationale du Droit d’asile (CNDA). La France est donc loin de ployer sous le poids des demandes et des réfugiés, comme on l’entend trop souvent. Je rappelle que l’Allemagne accueillera en 2014 presque trois fois plus de demandeurs que nous. La Suède en accueillera, elle, plus de 80.000, alors que sa population est six fois inférieure à la nôtre. Cessons de nous fantasmer en forteresse assiégée ; cela ne correspond tout simplement pas à la réalité.
Nous n’avons qu’un seul objectif : offrir accueil et protection sur le territoire de la République à ceux qui nous en font la demande et qui sont victimes de l’oppression ou de l’injustice, à ceux qui sont persécutés en raison de leurs opinions ou de leurs convictions, de leurs croyances ou encore de leur orientation sexuelle.

Nous ne pouvons supporter que notre système d’asile soit affaibli, ni qu’il soit détourné de ses fins. Nous devons avoir le courage d’analyser, puis de corriger les dysfonctionnements qui l'affectent. Tel est l’objet du projet de loi que le Gouvernement soumet aujourd’hui à votre examen et à votre approbation.

Je voudrais insister sur le fait que ce projet de loi est le fruit d’une réflexion et d’une mobilisation de longue haleine, à laquelle nous sommes nombreux à avoir contribué.
En juillet 2013, mon prédécesseur Manuel VALLS organisait ainsi une concertation nationale sur le droit d’asile, qui a rassemblé l’ensemble des acteurs concernés : l’Etat, bien sûr ; les collectivités locales ; les associations, auxquelles la France a toujours réservé une place essentielle ; le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), l’OFPRA, la CNDA et l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII). Votre collègue Jean-Louis TOURAINE et la sénatrice Valérie LÉTARD ont également participé à ces travaux, démontrant par là même que l’on pouvait dépasser les oppositions partisanes pour rechercher ensemble des réponses efficaces. Je voudrais une fois de plus saluer leur travail remarquable.
La même rigueur d’analyse a inspiré les réflexions de vos collègues Jeanine DUBIÉ et Arnaud RICHARD, qui ont rendu en juin dernier, au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, un rapport très complet, dont le présent projet de loi reprend d’ailleurs nombre de préconisations. Qu’ils en soient également remerciés.
Enfin, avec le style inimitable qu’on lui connaît, notre collègue Eric CIOTTI a lui aussi pointé les mêmes dysfonctionnements, dans son projet d’avis sur la loi de finances pour 2015.
La volonté d’améliorer notre droit d’asile nous mobilise tous, par-delà les clivages, et c’est une excellente chose. C’est ainsi que nous avancerons.

En effet, nous faisons tous le même diagnostic : notre droit d’asile est aujourd’hui à bout de souffle. Il ne permet pas d’accueillir comme nous le voudrions ceux qui ont droit à notre protection. Il pénalise même les réfugiés authentiques tout en rendant possibles des dérives dont tentent de profiter les filières d’immigration clandestine.
Nous connaissons les dysfonctionnements qui nuisent au système : la lenteur et le manque d’efficacité du processus d’examen des demandes ; la trop grande hétérogénéité des conditions d’accueil, et l’inégalité des garanties juridiques que la France offre aux demandeurs d’asile. Aujourd’hui, ces derniers doivent triompher d’un véritable parcours d’obstacles avant d’obtenir peut-être le statut de réfugié. Un tel parcours du combattant est épuisant, et la France ne s’honore pas en l’imposant à celles et ceux qui remettent leur sort entre ses mains et qui ont souvent traversé de terribles épreuves. Personne ne s’exile par plaisir. Aussi, aux souffrances de l’exil, ne devons-nous pas ajouter les blocages et les lenteurs de la procédure.

Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux. Ils ne datent pas de 2012. Mais, face à une telle situation, il y a ceux qui analysent et proposent des réformes, et il y a ceux qui n’ont rien fait et qui, se prévalant de leur propre turpitude, n’hésitent pas aujourd’hui à fustiger un système qu’ils disent à la dérive.

En réalité, si dérive il y a, c’est parce que nous avons trop longtemps manqué de courage et tardé à prendre les mesures qui s’imposaient. Nous ne pouvons plus fermer les yeux. Le temps de l’action est venu.

Voilà pourquoi notre projet de loi entend à la fois transposer dans notre législation trois directives européennes – les directives « Qualification », « Procédure » et « Accueil » –  tout en corrigeant ces dysfonctionnements que nous n’avons que trop longtemps tolérés.

Comment allons-nous y parvenir ? Les mesures que nous proposons constituent un ensemble cohérent : l’accélération des délais de procédure, l’amélioration des conditions d’accueil et d’hébergement, et l’augmentation des droits des demandeurs sont en effet trois objectifs qui se renforcent mutuellement. Tel est l’esprit de la réforme, que je voudrais maintenant vous présenter dans le détail, après avoir remercié Madame la Rapporteure du projet de loi, Sandrine MAZETIER, pour son implication décisive dans notre réflexion collective. Le droit d’asile est un sujet complexe, mais le travail exigeant qu’elle a su conduire avec les parlementaires lors de l’examen en Commission des Lois nous a permis d’avancer considérablement et d’aboutir à un texte que je crois meilleur que le texte initial. Plus précis, plus clair, il lève en effet les doutes qui pouvaient subsister ici ou là sur certains aspects du dispositif proposé sans pour autant en modifier l’équilibre général.
1/ Nous entendons tout d’abord réduire à 9 mois en moyenne la durée totale de l’examen d’une demande. A l’heure actuelle, celle-ci peut facilement excéder deux ans, contre un an en moyenne chez nos voisins européens.
Ce premier objectif constitue un préalable à toute amélioration de la situation que vivent les demandeurs d’asile. La priorité est d’accélérer les délais d’examen devant l’OFPRA, qui examine les demandes en première instance, mais aussi devant la CNDA, cour spécialisée que le projet de loi entend maintenir et renforcer. En effet, à chaque étape, les délais sont aujourd’hui excessifs : devant l’OFPRA comme devant la CNDA, sans parler du temps que prennent les échanges d’informations entre toutes les institutions concernées, ou bien de certains délais « cachés » tels que les délais d’enregistrement de la demande en préfecture. Il n’est pas acceptable de laisser si longtemps dans une telle situation d’incertitude des femmes et des hommes qui ont souvent enduré les pires souffrances et qui font confiance à la France pour les protéger. En outre, de tels délais rendent plus difficile l'éloignement des déboutés.
Voilà pourquoi l’OFPRA et la CNDA seront dotées en 2015 d’importants moyens humains supplémentaires. De tels renforts permettront à l’OFPRA, dès 2016, d’accélérer ses procédures, afin de limiter à 3 mois la durée moyenne d’examen d’une demande d’asile.

Cependant, avant même que nous n’en passions par la loi, des progrès importants ont été réalisés : 68 000 décisions ont ainsi été prises par l’Office en 2014, contre 62 000 en 2013, ce qui représente une augmentation de 12%. Par ailleurs, cette année et pour la première fois depuis 2007, le volume des dossiers en attente a diminué. Ces résultats sont très encourageants, et nous devons continuer dans cette direction.
La CNDA, quant à elle, bénéficiera d’un renfort de magistrats et de rapporteurs afin d'accompagner la réforme de ses procédures. Les demandes en procédure accélérée devront être examinées en moins de 5 semaines par un juge unique ; les demandes en procédure normale, en moins de 5 mois par une formation collégiale. Pour ce faire, nous prévoyons d’une part d’adapter les formations de jugement de la CNDA en mettant en place des audiences devant un juge statuant seul, et d’autre part de simplifier un certain nombre de règles devant la cour, notamment celles qui concernent l’aide juridictionnelle.

Je voudrais d’ailleurs répondre aux quelques inquiétudes qui ont été exprimées ici ou là, concernant le juge unique. Pour le demandeur d’asile, il ne s’agit pas d’une perte de droits, au contraire. Il disposera devant le juge unique des mêmes garanties que devant la formation collégiale.  Mais il faut répondre aux quelques cas dans lesquels le juge unique se retrouverait face à une situation complexe, posant une difficulté sérieuse d’interprétation. Le texte amendé par la Commission prévoit donc clairement que, s’il considère que la situation que les moyens invoqués posent une difficulté sérieuse, le juge peut renvoyer la demande d’asile devant une formation collégiale. En revanche, pour les dossiers qui ne posent pas de difficulté, le juge unique pourra statuer plus vite et permettra ainsi aux délais d’être tenus.

Nous devons également simplifier nos procédures d'asile en amont. Les délais d’enregistrement des demandes par les préfectures sont beaucoup trop longs : ils devront être ramenés à trois ou six jours, selon les cas de figure, grâce à la création de guichets uniques de l’accueil du demandeur d’asile, qui regrouperont sur un même site les agents de l’OFII et ceux des préfectures.

Enfin, nous devons savoir distinguer entre les demandes d’asile qui méritent un examen approfondi et celles pour lesquelles la réponse semble évidente, et qui donc peuvent être traitées plus rapidement – même si bien sûr toutes doivent faire l'objet d'un examen rigoureux. C’est aussi de cette façon que nous réduirons les délais de procédure : l’OFPRA sait traiter rapidement des demandes qui sont manifestement fondées, telles celles des Syriens ou des chrétiens d’Irak. A l’inverse, d’autres demandes ne nécessitent pas un examen approfondi, dans la mesure où elles ne reposent sur aucun motif sérieux.

Pour cette raison, le texte réforme les placements en procédure prioritaire, celle-ci devenant la procédure accélérée. Ces placements seront décidés en dernière instance par l’OFPRA et non plus par la préfecture, même si cette dernière pourra effectuer un premier tri en fonction de critères étrangers au contenu de la demande.

C’est également le même souci d’accélération des délais qui nous anime lorsque nous permettons à l’OFPRA de déclarer certaines demandes irrecevables ou de les clôturer lorsque le demandeur ne coopère pas suffisamment avec l’Office.

2/ Notre deuxième objectif est d’améliorer l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile. 
Actuellement, notre système est bien trop inégalitaire et n’honore pas la République. Certains demandeurs sont hébergés en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) et bénéficient d’un accompagnement administratif, social et juridique approprié. Ce n’est en revanche pas le cas des trois quarts d’entre eux, qui sont soit pris en charge dans des structures d’hébergement d’urgence, soit sont tout simplement livrés à eux-mêmes et survivent tant bien que mal dans des campements de fortune. Cette différence de traitement n’est pas tolérable.

D’ici à 2017, l’hébergement en CADA doit donc devenir la norme, et l’hébergement d’urgence, l’exception.
Nous allons pour ce faire augmenter le nombre de places en CADA. Nous en avons déjà créé 4000 de plus en deux ans, et nous avons l’ambition d’en ouvrir encore 5000, si possible dès 2015,  par création nette ou bien en transformant certaines places d’hébergement d’urgence.
Nous devons ensuite en finir avec les allocations éclatées dont bénéficient les demandeurs d’asile. L’allocation temporaire d’attente et l’allocation mensuelle de subsistance seront fondues en une allocation unique qui prendra en compte la situation familiale de chaque demandeur.

Enfin, nous allons – et c’est un point indissociable des deux précédents – mettre en place un véritable hébergement directif. Comme vous le savez, l’accueil des demandeurs d’asile peut être difficile à gérer sur le terrain, lorsqu’un trop grand nombre d’entre eux convergent en même temps vers un même point du territoire. Aujourd’hui, deux régions – la région parisienne et la région lyonnaise – concentrent plus de la moitié des demandes. L’Ile-de-France concentre à elle seule 42% des demandeurs. Et je n’ignore pas non plus les difficultés rencontrées en Bretagne ou en Lorraine. Cette situation n’est pas acceptable.
C’est la République qui offre l’asile à ceux qui en ont besoin, et non telle ou telle région, ni telle ou telle ville. Par conséquent, afin de mieux répartir l’effort sur l’ensemble du territoire, nous prévoyons de mettre en place une orientation directive des demandeurs.

Mieux orienter leur a*ccueil permettra également de mieux les accompagner et de leur offrir de meilleures conditions d’hébergement.
Concrètement, le versement d’une allocation dépendra de la sollicitation, puis de l’acceptation d’un hébergement. Les places de CADA seront attribuées en fonction des besoins des demandeurs, notamment de leur situation familiale et de leur état de santé. Si l’un d’entre eux ne souhaite pas bénéficier des conditions d’accueil prévues par la République, il aura naturellement droit à un examen de sa demande d’asile, dans les mêmes conditions qu’un autre demandeur. En revanche, il ne pourra pas bénéficier de l’hébergement, ni des allocations prévues. J’y insiste, il s’agit là d’un point crucial, qui conditionne le succès de la réforme.
3/ Enfin, le troisième objectif de cette réforme consiste à renforcer les droits des demandeurs d’asile, dans un souci d’égalité.
Nous savons que les filières d’immigration clandestine tentent de tirer profit des lenteurs et des dysfonctionnements de notre système. Pour autant, la lutte que nous menons pour les démanteler ne doit pas nous conduire à nourrir des soupçons contre la masse des demandeurs d’asile.

C’est pourquoi, tout en continuant de limiter – comme il est normal de le faire – les possibilités de réexamen d’une même demande, la loi garantira d’abord à chacun de ceux dont la demande est recevable le droit d’accéder à un recours suspensif. Jusqu’à présent, 35% des demandeurs d’asile – c’est-à-dire tous ceux qui ne bénéficiaient pas de la procédure normale – pouvaient être éloignés sans même que le juge de l’asile se soit prononcé. C’est dire l’importance du changement introduit grâce à cette réforme.

Par ailleurs, le demandeur d’asile pourra désormais bénéficier, à l’OFPRA, d’un conseil de son choix, de même qu’il pourra, s’il le souhaite, accéder de plein droit à l’aide juridictionnelle devant la CNDA.
Les demandeurs d’asile en situation de vulnérabilité pourront également bénéficier d’un examen et d’une prise en charge adaptés à leur situation. Je pense bien sûr aux mineurs. Je pense aussi aux femmes victimes en tant que femmes des pires atrocités. Je voudrais insister sur ce point : parler de l’asile, c’est aussi parler des droits des femmes. Trop souvent, on oublie que les persécutions ciblent en particulier les femmes. Grâce à l’asile que la République leur accorde, 3 500 jeunes filles sont ainsi protégées contre l’excision. Dans un autre registre, pensons également aux viols de guerre – aux viols comme armes de guerre – qui, depuis le début du conflit syrien, ont détruit la vie de nombreuses femmes, et par là même brisé des communautés entières.

Enfin, la loi permettra à tous les demandeurs d’asile – en procédure normale comme en procédure accélérée – de bénéficier d’un droit au maintien sur le territoire pendant l’examen de leur demande, c’est-à-dire – je voudrais insister sur ce point – de bénéficier de l’ensemble des droits qui sont aujourd’hui reconnus aux demandeurs en procédure normale.

Concrètement, tout demandeur d’asile dont la demande est recevable pourra désormais, tant que son recours devant la CNDA n’a pas été rejeté, accéder à la Couverture maladie universelle, à un hébergement en CADA et à une protection contre les éloignements. Actuellement, seuls les demandeurs d’asile en procédure normale bénéficient de ces protections : là aussi, vous pouvez mesurer l’étendue du changement.

De même, je sais que beaucoup d’entre vous s’inquiètent de ce que la notion de pays d’origine sûre soit maintenue dans le projet de loi. Mais, il ne faut pas oublier que le demandeur ressortissant d’un pays réputé sûr bénéficiera en réalité des mêmes droits que le demandeur d’asile en procédure normale. Comme lui, il aura accès au CADA et à l’allocation, et pourra se maintenir sur le territoire jusqu’au terme de son recours. Enfin, si sa demande est sérieuse et nécessite un examen approfondi, l’OFPRA pourra décider de le placer en procédure normale. Rien de commun, donc, avec la situation actuelle.

Pour finir, je voudrais dire quelques mots au sujet des amendements adoptés en Commission des Lois.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, le travail réalisé par la Commission mérite d’être salué, tant il a permis d’améliorer le texte sur lequel nous allons débattre. Loin d’opposer entre elles des postures stériles, le débat qui a eu lieu a en effet permis un examen scrupuleux et efficace du contenu même de la réforme.

Plusieurs amendements de clarification ont été adoptés, qui portent sur la définition et la détection des vulnérabilités, sur le rôle du conseil devant l’OFPRA, sur le délai d'enregistrement de la demande d’asile ou encore sur l’assistance juridique dont peuvent bénéficier les personnes en rétention qui font une demande d’asile. Je m’en félicite.
D’autres amendements ont permis de garantir l’efficacité du projet de loi, sans en modifier l’équilibre, ni l’état d’esprit.

Tel est par exemple le cas de l’amendement qui, pour les demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin, étend à 6 mois, renouvelables une fois, la durée d’assignation à résidence.
Tel est, également, le cas de l’amendement supprimant la procédure d’autorisation administrative de sortie du CADA, qui, telle que le Gouvernement l’avait envisagée, apparaissait trop lourde d’un point de vue administratif. 
Une troisième catégorie d’amendements apporte des garanties supplémentaires, conformes à l’esprit du texte, et qui sont autant d’améliorations substantielles réalisées par la Commission. Je tiens vraiment à remercier l’ensemble des parlementaires qui ont participé à la réflexion : leur esprit constructif et leur volonté de consensus nous ont permis de progresser, sans que jamais il ne soit question de dénaturer la réforme.
L’amendement limitant la clôture de demande d’asile aux demandeurs qui quittent leur hébergement sans laisser d’adresse – et non, d’une manière générale, à l’ensemble des demandeurs quittant leur hébergement – va ainsi dans le sens du texte, de même que celui qui réécrit les cas d’irrecevabilité en zone d’attente.

De nombreux amendements ont été déposés pour marquer la nécessité d’être attentifs, dans le cadre de l’examen de la demande d’asile, à la situation des femmes victimes de violences ou en situation de vulnérabilité. Là aussi, de tels amendements rejoignent  les préoccupations du Gouvernement. Plusieurs propositions ont ainsi été faites : que le Ministère des Droits des femmes puisse faire partie du Conseil d’administration de l’OFPRA ; que, dans certains cas limités, un demandeur puisse bénéficier d’un entretien avec un agent du même sexe ; que l’OFPRA soit tenu de communiquer des éléments sur les données sexuées, etc.

Enfin – et c’est une grande première –, il a été proposé que la procédure de réunification familiale soit également ouverte aux concubins de réfugiés, ce qui nous semble en effet nécessaire et que, d'ailleurs, la jurisprudence prévoit : quand une personne est persécutée, son concubin peut l’être aussi, et il n’y a alors aucune raison de s’opposer à la réunification familiale sous prétexte que les personnes en question ne seraient pas mariées.
Néanmoins, d’autres amendements – peu nombreux – sont à mes yeux susceptibles de poser des difficultés :
la rédaction adoptée en matière de droit à la formation professionnelle semble peu opérante ;

la disposition permettant à la CNDA de ne pas soumettre au contradictoire certaines pièces de la procédure, lorsque cela mettrait en jeu la sécurité nationale ou la vie de certaines personnes, soulève également de délicates questions juridiques. 
Le Gouvernement soumettra bien sûr ces diverses difficultés à l’appréciation de la représentation nationale, de même qu’il s’efforcera de clarifier, au cours des débats, tous les autres points qui le méritent encore. Je pense notamment au régime de la domiciliation, ou encore à celui de l’apatridie, qui nécessite une base législative plus claire, même si ce n’est pas l’objet du présent projet de loi.

Mesdames et Messieurs,
En la matière, nous n’avons pas le droit de fuir nos responsabilités, ni de nous complaire en postures maximalistes – quelles qu’elles soient – qui peuvent certes flatter nos egos respectifs, mais ne rendent pas service aux authentiques demandeurs d’asile. Voilà pourquoi nous proposons une réforme à la fois globale et équilibrée.
Il ne suffira pas de voter des dispositions, même ambitieuses, pour transformer la demande d’asile en France. Je peux vous l’assurer : chacune des institutions concernées est aujourd’hui prête à participer à cette grande réforme que nous jugeons nécessaire. L’OFPRA, comme je l’ai dit, a déjà obtenu des résultats tangibles et va poursuivre son traitement vigilant et adapté des dossiers des demandeurs d’asile. Les missions de l’OFII sont progressivement redéfinies pour coïncider avec les exigences affirmées par la loi. La CNDA est engagée dans un effort de raccourcissement des délais de jugement, qui doit se poursuivre. Les préfectures sont à pied d’œuvre pour enregistrer la demande d’asile dans des délais compatibles avec les directives.

Avec l’amélioration de nos dispositifs  d’intégration, l’accueil des étudiants et des talents étrangers, la lutte contre les  filières d'immigration clandestine, la réforme du droit d’asile est l’un des quatre piliers – le plus symbolique sans doute – de notre politique à l’égard des étrangers en France.

En effet, le droit d’asile n’est surtout pas l’expression de la mauvaise conscience qu’un pays riche nourrirait à l’égard des misères du monde. C’est un droit qui nous oblige, parce qu’il est l’incarnation de ce que nous sommes : une République fière des valeurs universelles qu’elle défend en toute occasion, une République solidaire de l’humanité qui souffre.
Voilà pourquoi la présente réforme est indispensable si l’on veut rendre au droit d’asile le rôle fondamental qui est le sien, conformément à la vocation historique de la France et aux valeurs de la République.
Le 28 mars 1933, à la Chambre des députés, le socialiste Jules MOCH apostrophait ainsi le ministre de l’Intérieur de l’époque, Camille CHAUTEMPS : « La France, j’en suis sûr, voudra rester, dans cette Europe en folie, le refuge de tous les persécutés. Des ordres, n’est-ce pas, monsieur le Ministre, seront donnés à toutes nos frontières pour que ceux qui auront pu fuir les fusils nazis ou les mitrailleuses de la Reichsweir, là où on en a déjà placé, trouvent chez nous cet accueil fraternel qui a été de tous temps la gloire et l’honneur de la France ».

Cette ambition est toujours la nôtre.

Je vous remercie.