Discussion générale du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif en Commission des Lois

Discussion générale du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif en Commission des Lois
4 avril 2018

Le projet de loi est examiné cette semaine à l'Assemblée nationale.


- Seul le prononcé fait foi -

Madame la Présidente de la Commission des Lois,
Madame la Rapporteure,
Mesdames les Présidentes des Commissions saisies pour avis,
Madame la Rapporteure de la Commission saisie pour avis,
Mesdames et Messieurs les députés,

C’est avec une certaine gravité que je présente aujourd’hui à votre Commission le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif. Parce que le sujet dont il est question dans ce texte est sensible, et qu’on sait qu’il existe chez nos concitoyens une attente forte à l’égard des responsables politiques en ce domaine.
Leur attente est d’autant plus forte qu’ils ont vu déferler dans la plupart des pays qui n’ont pas su relever le défi migratoire une montée des extrêmes, prospérer des populismes qui conduisent à un rejet toujours plus fort de l’autre.
A l’aube de ce débat parlementaire, je forme donc le vœu qu’au cours de nos discussions, nous sachions collectivement nous montrer dignes des enjeux qui sont ceux de la période. Ceux-ci sont clairs, il s’agit de démontrer qu’il est possible de résoudre la crise migratoire tout en restant fidèles à ce qui a toujours été au cœur des grands idéaux républicains : une volonté d’humanisme, une volonté de générosité.

Résoudre la crise migratoire dans le cadre républicain.

C’est bien sûr être fidèle à ce message historique de la France, c’est aussi vouloir continuer à donner vie aux idéaux qui se sont concrétisés dans la convention de Genève dans la reconnaissance d’un droit d’asile «pour toutes les personnes susceptibles d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ».
Oui, il nous faut toujours défendre un droit d’asile qui doit être intangible pour tous les réfugiés. Mais nous le ferons d’autant mieux que nous saurons donner tout son sens à ce droit en montrant notre capacité à résoudre aussi les grands défis migratoires qui sont ceux de la période. Si l’Europe veut donc préserver le droit d’asile, il faut qu’elle montre qu’elle est aussi capable de lutter contre l’immigration irrégulière et en particulier contre tous ceux qui font trafic de la misère humaine. C’est pour ne pas avoir voulu prendre en compte cette réalité-là que beaucoup de pays européens connaissent aujourd’hui bien des dérives qui pourraient à terme les amener, à remettre en cause le droit d’asile lui-même.
C’est cette volonté-là qui animait le Président de la République pendant sa campagne.
« La France - écrivait-il dans son programme – doit être à la hauteur de sa tradition historique d’accueil, tout en se montrant, dans des conditions toujours dignes, inflexible avec les personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire. »
Et sur ce dernier point ses intentions étaient claires. « Nous devons – disait-il - nous organiser pour réformer les conditions d’examen des très nombreuses demandes d’asile. Les délais d’examen des demandes doivent être considérablement abrégés. Mais, en même temps, toutes les personnes qui n’ont pas vocation à rester en France, parce qu’elles n’ont pas le droit d’asile, doivent être reconduites à la frontière. » Depuis le Président de la République n’a cessé d’agir pour concilier ces deux principes : générosité mais aussi sens de la responsabilité.
Cette action, il la mène sur les fronts différents. D’abord par son action internationale.
Il s’agit pour lui de contribuer à stabiliser l’ensemble du monde méditerranéen et de l’Afrique. Éviter que de nouveaux conflits ne naissent, qui entraîneraient inéluctablement leurs flots de réfugiés. Reconstruire un État là où, comme en Libye, il s’est effondré, entraînant des crimes abominables avec comme premières victimes des migrants qui, on l’a vu ont subi là- bas les pires sévices, eux qu’avaient attiré un rêve européen transformé soudain en cauchemar. Mais aussi donner à l’Afrique les moyens de son développement, donner à sa jeunesse les possibilités de construire sa vie dans leurs propres pays. C’était là le discours de Ouagadougou.
Mais c’est aussi l’action de la France pour apporter à ces pays le premier élément d’une croissance nouvelle, la sécurité.
Car c’est par une sécurité retrouvée que ces pays pourront construire une croissance économique qui corresponde à leur croissance démographique. Qu’on songe que d’ici 2050, l’Afrique atteindra 2.5 milliards d’habitants ! Qui peut songer qu’une telle croissance de la population pourrait trouver de solutions au travers d’une immigration massive vers l’Europe. Le devoir de l’Union Européenne est donc aujourd’hui d’apporter tout son soutien au décollage économique de l’Afrique et c’est aussi en accroissant son soutien au travers de l’Agence Française de Développement que notre pays pourra le mieux aider les pays africains.
Oui, vis-à-vis des pays du Sud de la Méditerranée, notre premier devoir est de mener une politique pleinement responsable, en ne promettant pas le mirage européen à chacun mais en aidant chacun à pouvoir construire son avenir sur place.
C’est cette même exigence de responsabilité que nous devons avoir pour ce qui est de nos politiques d’asile et d’immigration. Dans la droite ligne des idées développées pendant la campagne électorale par le Président de la République, il nous faut à la fois faire preuve de solidarité, de générosité. Mais en même temps dire clairement qui si l’on veut accueillir dignement, si l’on veut donner toute sa dimension au droit d’asile, il ne faut pas le détourner de sa finalité. C’est double dimension qui guide ce projet de loi.

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Apporter davantage de protections, c’est, dans la première partie du texte, réformer les cartes de séjour « protection subsidiaire » et « apatridie » en passant d’une durée d’un an à quatre ans.

C’est faciliter la délivrance aux membres d’une famille d’un réfugié mineur – et je dis bien d’un réfugié pour qu’il n’y ait aucune confusion.
C’est étendre, pour les mêmes, la réunification familiale aux frères et aux sœurs.
C’est protéger celles et ceux qui vivent en France des violences conjugales dont elles peuvent être l’objet, simplement parce que cela leur permet de se maintenir dans notre pays.
C’est enfin mieux protéger les jeunes filles ou jeunes femmes menacées d’excision.

Il y a ce qui protège. Mais il y a aussi tout ce qui peut contribuer, dans l’accueil, a une réussite réciproque.

Et c’est pourquoi, nous avons introduit dans la dernière partie de notre texte, une série de dispositions qui vont dans ce sens.C’est, bien sûr, l’extension du passeport talents.
C’est, pour les étudiants qui relèvent d’un programme de l’Union Européenne, la possibilité de pouvoir plus facilement accéder en France.
C’est la possibilité pour les chercheurs ayant terminé leur cycle d’études de mieux circuler entre les différents États-membres.
C’est la faculté pour les travailleurs de groupes européens de mieux circuler en fonction des différents contrats de leurs entreprises.
C’est, bien sûr, pour tous ceux qui sauront accueillis comme réfugié un vrai apprentissage de la langue française, une vraie volonté d’apporter une formation professionnelle qui leur permettra de s’insérer pleinement dans notre société.

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La France veut protéger, elle veut accueillir les talents.

Mais si elle veut vraiment le faire, il faut qu’elle soit à même de relever le défi migratoire auquel est confronté notre pays. De ce point de vue, nous sommes à contre-temps des autres pays européens. En effet, en l’espace de deux ans, l’Europe a vu la demande d’asile baisser de moitié, de 1 200 000 à 650 000.
Mais dans le même temps, la demande d’asile n’a cessé de monter en France. En 2010, la France accueillait 47 000 demandeurs d’asile. Elle a accueilli l’année dernière 100 000 demandes d’asile, soit une hausse de 17% par rapport à 2016, après 6% d’augmentation en 2016 et 23% d’augmentation en 2015. Encore avons-nous procédé l’année dernière à 85 000 non-admissions à nos frontières.
Les causes de cette augmentation sont connues.
Il y a d’abord une demande d’asile de pays d’Afrique occidentale considérés par tous les organismes internationaux comme des pays sûrs.
Il y a même – et c’est évidemment une vraie difficulté – une demande provenant de pays dont les ressortissants peuvent entrer en France sans visas et qui, quand ils y arrivent, déposent pourtant immédiatement une demande d’asile. C’est le cas de l’Albanie, dont les ressortissants occupent aujourd’hui 20% des places dans le Dispositif national d’asile. Et depuis quelques mois, de la Géorgie, qui vient elle aussi d’être dispensée de visas par l’Union Européenne.
Il convient donc de passer des accords avec les Gouvernements de ces pays. Et c’est ce que nous avons fait avec les dirigeants albanais, ce qui a déjà permis une baisse des départs en direction de la France de 34% et quand la loi sera adoptée de permettre de faire regagner rapidement l’Albanie à tous ceux qui auront été déboutés de leur demande d’asile.
Enfin, nous devons faire face à toutes celles et ceux qui, ont déjà demandé l’asile dans un autre pays européen (Suède, Allemagne) et ont vu leur demande rejetée. Pour ne prendre que ce pays, 500 000 personnes l’ont été en trois ans, et elles tentent souvent de reformuler une nouvelle demande en France.
On voit bien que répondre à la diversité de ces demandes d’asile n’est pas envisageable dans notre pays, si l’on souhaite que l’accueil se fasse dans de bonnes conditions. Si en effet nous restions sans réaction face à cette situation, ce sont quelques centaines de milliers de personnes qu’il nous faudrait accueillir chaque année. Peut-on penser que nous pourrions construire chaque année une ville moyenne pour répondre à une telle demande. Évidemment c’est impossible. Que se passerait-il alors ? L’ensemble de ceux que nous maintiendrions en France se retrouveraient dans un certain nombre de quartiers déjà paupérisés de nos grandes agglomérations, ajoutant de la misère à la misère. Y-a-t-il ici quelqu’un qui penserait qu’alors on pourrait encore évoquer dans ces lieux des valeurs de la République ? Moi je suis de ceux qui pensent que ceux que l’on accueille, il faut les accueillir bien, qu’il faut qu’ils participent d’une vraie mixité sociale, de ce lieu de rencontre, de partage des cultures que doit être la ville. C’est alors que tous ensemble nous pourrons « faire société ».
C’est pourquoi il convient d’agir par rapport à une situation dont on s’accordera, quel que soit le positionnement des uns et des autres, à souligner qu’elle n’est pas satisfaisante.
Qui peut accepter que notre dispositif national d’asile soit totalement saturé et ne puisse plus accueillir qu’environ 60% des demandeurs d’asile alors même qu’il est passé de 44 000 places en 2012 à plus de 80 000 aujourd’hui ?
Qui peut accepter que nos centres d’hébergement d’urgence n’accueille plus ceux pour qui ils sont naturellement destinés mais servent de plus en plus de palliatifs au dispositif national d’asile alors même que nous sommes passés de 82 000 places d’accueil en 2012 à 138 000 places d’accueil et même 145 000 places avec le plan Grand Froid ?
Qui peut accepter que continuent à s’installer des campements au sein même de nos grandes villes comme dans leurs périphéries ?
Non, cela est insupportable. Pour les migrants comme pour nos concitoyens. Il nous faut donc aujourd’hui changer de système.

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Pour cela, l’axe central de ce projet de loi est de réduire l’examen de la demande d’asile à six mois en nous alignant pour l’essentiel sur les procédures qui sont celles des autres pays européens de manière à ne créer aucun effet de distorsion.
Cette réduction des délais améliorera la situation tant de ceux qui seront reconnus comme réfugiés, parce que ils pourront plus vite s’insérer dans la société française, que de ceux qui, parce que leur taux de protection est faible et ne leur permet pas de bénéficier de l’asile, seront amenés à retourner dans un pays avec qui ils n’auront pas perdu le lien.
Pour réduire les délais, des premiers progrès ont été réalisés : alors que l’instruction de la demande d’asile prenait 14 mois en moyenne fin 2016, elle était de 11 mois fin 2017.
Nous avons obtenu ces résultats en créant des emplois : en 2018, 150 ETP dans les services étrangers des préfectures, 15 ETP à l’OFII, 15 ETP à l’OFPRA, et 51 ETP à la CNDA, en organisant de nouveaux dispositifs comme les CAES – et nous sommes en train d’en créer un par région.
Et ces dispositions sont en train de produire leurs effets. Nous étions il y a encore un an à 21 jours de procédure en moyenne pour le premier accueil, nous sommes aujourd’hui à 13, et nous aspirons à la fin de l’année à être partout à 3 jours.
Il n’en reste pas moins que, pour aller plus loin, le projet de loi dont nous commençons l’examen ce soir est indispensable.
Pour ce qui est de l’OFPRA, il s’agit de parvenir à traiter les dossiers en deux mois en moyenne à la fin de l’année 2018.
Cela se fera grâce à :

  • La possibilité d’un placement en procédure accélérée après 90 jours d’entrée sur le territoire
  • Des mesures portant sur la langue employée
  • Sur la possibilité pour l’OFPRA de notifier sa décision par tout moyen

Pour ce qui est de la CNDA, les mesures suivantes seront mises en œuvre :

  • Réduction du délai de recours à 15 jours.
  • Développement du recours à la vidéoaudience
  • Prise d’effets des décisions de la CNDA dès la lecture et non plus à la notification
  • Caractère non suspensif du recours dans un certain nombre de cas : pays d’origine sûr, menace trouble à l’ordre public, deuxième rééxamen par l’OFPRA.

Il faut raccourcir les délais d’examen de la demande d’asile, mais il faut aussi renforcer l’efficacité et la crédibilité de la lutte contre l’immigration irrégulière.

Pour cela, toute une série de mesure sont prévues par la loi :

  • Améliorer les conditions d’exercice du contrôle juridictionnel en zone d’attente. - préciser le régime d’interdiction de retour
  • Augmenter, de 16h à 24h, la durée de la retenue administrative pour vérification du droit au séjour et de renforcer les pouvoirs d’investigation.
  • Élargir les motifs pour lesquels il peut être décidé de ne pas assortir une OQTF d’un délai de départ volontaire
  • Recourir à l’assignation à résidence pendant le délai de départ volontaire, et de l’assortir de l’obligation de demeurer au domicile pendant une plage horaire
  • Aménager les conditions de délais relatifs à l’intervention du JLD comme du juge administratif.
  • Accroître le recours à la vidéoaudience pour le JLD et le tribunal administratif.
  • Étendre les possibilités pour le parquet de faire appel contre les ordonnances du JLD sans que le retenu ne sois systématiquement libéré dans l’intervalle.
  • Prévoir que le dépôt d’une demande d’asile ne fait pas échec à la faculté de placer en rétention un étranger qui présente une menace grave pour l’ordre public.

Je sais qu’une des dispositions du projet de loi qui prévoit l’augmentation de la durée de rétention administrative de 45 à 90 jours.
Il s’agit pourtant pour nous de nous aligner sur les autres pays européens. Car c’est la directive retours qui prévoit une durée de 180 jours, prolongeable jusqu’à 18 mois.
Le but de cette mesure, c’est de permettre l’obtention de Laisser Passer Consulaires comme la dissuasion des comportements qui visent à faire obstacle à l’éloignement.
Elle a pu susciter des interrogations parmi vous et j’entends les préoccupations exprimées. Sans perdre de vue la nécessité d’un allongement du temps de la rétention, je suis prêt à étudier avec votre Commission les modalités les plus appropriées pour concilier humanité et efficacité.

***

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, le sens et les grandes mesures de la loi que nous allons ensemble examiner.
Comme je l’ai dit à chacun des groupes politiques, le Gouvernement est bien sûr ouvert à la discussion.
Il l’a été durant la phase d’élaboration du projet de loi. Il le sera durant le débat parlementaire.
Toutefois, la ligne définie par le Président de la République, elle, ne saurai être remise en cause : il s’agit, je le dis une nouvelle fois, d’accélérer de manière forte le traitement de la demande d’asile et de permettre une bonne application de notre droit.
C’est pourquoi si nous accepterons les enrichissements et en particulier ceux qui visent à améliorer les parcours d’intégration des réfugiés ou bénéficiaires de protection, il ne saurait être question de vider le texte de sa substance en nous éloignant des objectifs que je viens de rappeler.
Le défi est trop grand, les enjeux trop graves, pour que notre réponse soit une réponse en demi-teinte.
Le Président Emmanuel Macron a été élu il y a dix mois non pas pour mener des réformes à la marge. Mais bien pour transformer le pays.
Ce Gouvernement a commencé à le faire sur le plan économique, sur le plan social, je porte des chantiers importants sur la lutte contre le terrorisme ou encore la sécurité du quotidien.
Nous devons aussi être au rendez-vous sur ces questions d’asile et d’immigration qui correspondent – et ce de plus en plus – à une des premières préoccupations de nos compatriotes.
Merci, Mesdames et Messieurs les députés, de votre attention.
Pour que nos débats soit les plus francs et les plus fructueux possibles, j’assisterai, en Commission, à la discussion de l’ensemble des amendements.

Je vous remercie

Intervention de M. Gérard COLLOMB, ministre d’État, ministre de l’Intérieur - Discussion générale du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif en Commission des Lois le mardi 3 avril 2018