Le plus jeune SDIS de France

Le plus jeune SDIS de France
8 août 2018

En juillet 2014, le service d’incendie et de secours de Mayotte devient SDIS (service départemental d’incendie et de secours). Un alignement nécessaire dans la continuité de la départementalisation, mais qui n’occulte pas les particularités du terrain. Le colonel Frédéric Robert, directeur départemental par intérim, souligne des « antagonismes très forts avec les références métropolitaines ».


230 sapeurs-pompiers professionnels, 600 volontaires et 47 personnels administratifs et techniques arment les six centres de secours, l’état-major avec le centre de traitement des appels et l’école départementale de Mayotte, pour réaliser près de 16 000 interventions par an.

« Nous ne pouvons compter que sur nous car il y a une absence totale d’appui de nos voisins immédiats et les premiers renforts sont à la Réunion ou en métropole. Il est alors nécessaire d’adapter nos équipements, nos formations et nos stratégies pour assurer la couverture de l’ensemble des risques », souligne le colonel Frédéric Robert, directeur départemental adjoint, directeur par intérim. Mais l’éloignement n’est pas la seule particularité ! Dans la lutte contre l’incendie, les sapeurs-pompiers ont affaire aux feux de bangas, souvent provoqués par les réchauds à pétrole servant à cuisiner.

Ils sont caractérisés par une propagation très rapide dans les habitats imbriqués les uns dans les autres. L’enjeu pour les sapeurs-pompiers est alors de sortir le plus vite possible les victimes de ces labyrinthes, et dérouler des centaines de mètres de tuyau dans des pentes boueuses, le tout dans des conditions de chaleur, d’humidité et d’insalubrité qui compliquent les interventions.

Dans certains quartiers, les secours, comme en métropole, ne sont pas toujours bien reçus : « Il nous arrive de nous faire caillasser, il faut toujours discuter, être conciliant, essayer de trouver les mots qui ne les agressent pas, car ça peut dégénérer très vite dans les quartiers ! Mais une fois que l’on est avec la famille ou la victime, le travail se fait très bien », affirme le lieutenant Karim Scherif. « Nous sommes secouristes avant tout et nous avons la passion du métier, même si parfois c’est très compliqué », reconnaît Gordon, sapeur-pompier depuis six ans.

Autre caractéristique, le secours aux « kwasas sanitaires » : régulièrement, des kwasas-kwasas (embarcations précaires servant à conduire les étrangers en situation irrégulière venant des îles voisines) transportant des personnes malades, blessées ou en détresse vitale, débarquent à Mayotte pour se faire prendre en charge par les sapeurs-pompiers puis emmener à l’hôpital de Mamoudzou. « Ils nous appellent directement de Anjouan. On nous prévient qu’il y a un blessé qui va débarquer sur telle plage et qu’il faut aller le chercher, raconte Frédéric Robert. Ce sont des interventions délicates pour nous car le trajet n’a pas arrangé l’état de la victime, et elles sont déposées souvent de nuit dans des lieux inaccessibles ».

Le colonel Frédéric Robert, à Mayotte depuis deux ans et demi, insiste sur l’expérience, l’ouverture d’esprit et la grande capacité d’écoute dont il faut faire preuve pour travailler dans ce département : « Nous sommes sur une terre de tradition orale. Dans les relations au quotidien, la parole et l’écoute sont prédominants. On est bien loin des références et des repères que peuvent constituer des notes de services ou des règlements, et il faut savoir s’y adapter ! Enfin, il est important de mesurer les progrès par rapport aux références locales et non pas nationales ». 

Accouchement par sapeurs-pompiers mahorais

Des pompiers accoucheurs

Les accouchements dits « inopinés » ou « extra-hospitaliers » sont le quotidien des sapeurs-pompiers de Mayotte. Une pratique rodée et renforcée par des formations spécifiques.

« Une maison jaune avec un papayer dans la cour, pas loin de la mosquée ». La localisation donnée au centre de traitement des appels du SDIS 976 est, comme à l’ordinaire, imprécise, alors que les sapeurs-pompiers sont appelés pour un   accouchement. Le deux-tons retentit à travers les embouteillages colossaux de la voie unique qui mène vers Koungou, puis le VSAV s’arrête au détour d’un virage. Autour, c’est la brousse. Il faut finir à pied, dans les méandres des allées étroites, entre les chèvres, les zébus, les enfants qui jouent et des papayers dans chaque cour. Des habitants indiquent en grand-comorien l’un des abris de tôles, les sapeurs-pompiers entrent au pas de course : c’est un garçon !

La maman, entourée des femmes du quartier, a accouché il y a quelques minutes, le lieutenant Karim coupe le cordon, mesure les paramètres et emballe le nourrisson dans une couverture isothermique. Puis c’est le trajet inverse en direction du centre hospitalier de Mamoudzou où la mère et l’enfant recevront des soins. L’ambulance se fraye un chemin entre les voitures qui se rangent au mieux dans les fossés. En 2017, les sapeurs-pompiers ont réalisé 1 800 accouchements à domicile ou dans les VSAV.

« Les femmes, pour 70 % en situation irrégulière, attendent d’être à terme pour appeler, de peur de se faire renvoyer aux Comores si elles vont à la maternité avant. Et de toute façon, elles n’ont pas de moyens de locomotion », explique Patrick Dahlet, médecin chef du service de santé du SDIS 976. Si les sapeurs-pompiers sont aguerris par la pratique, le SDIS a renforcé et sécurisé juridiquement la formation, en partenariat avec le centre hospitalier et le centre d’enseignement des soins urgents (CESU).

Mesures d’hygiène, équipement individuel, prise en charge du nourrisson et coupage du cordon, surveillance de la délivrance... « Nous avons des sets « accouchement » avec les différents champs (draps stériles) que nous installons au sol et sur la  mère pour isoler du risque infectieux », précise le médecin chef. Depuis l’année dernière, tous les chefs d’agrès du département sont formés à l’obstétrique.