Le 23 mars dernier, le fanatisme frappait de nouveau notre territoire, à Trèbes, dans l’Aude, entraînant la mort de quatre personnes, Jean-Michel Mazières, Hervé Sosna, Christian Medvès, et le lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame.
Le geste d’Arnaud Beltrame, se substituant à une otage afin d’obtenir sa libération, l’a fait entrer dans le Panthéon des héros de la Nation, modèle symbolique du courage et de la volonté des gendarmes et des policiers français devant la folie terroriste. Un hommage national lui a été rendu le 28 mars à Paris et dans toute la France.
Le 27 mars, le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a accueilli sur la base aérienne de Villacoublay, le cercueil du colonel Arnaud Beltrame, accompagné du directeur général de la Gendarmerie nationale, Richard Lizurey, et en présence de la famille du défunt.
Le ministre l’a décoré de trois médailles à titre posthume : médaille de la Gendarmerie nationale avec palme de bronze, médaille d’acte de courage et dévouement, médaille de la sécurité intérieure – échelon or. Le cortège prenait ensuite la direction de la caserne de gendarmerie Tournon (Paris 6e ), sous escorte de la Garde républicaine, pour une veillée d’armes poursuivie toute la nuit.
Sous la présidence du chef de l’État, Emmanuel Macron, un hommage national lui a été rendu le lendemain. Parti du Panthéon, le cercueil était salué par une haie d’honneur sur tout le parcours, composée de gendarmes, de policiers et de sapeurs-pompiers en uniforme, avant d’être accueilli dans la cour d’honneur des Invalides au son des tambours.
Le président de la République, Emmanuel Macron, saluait la mémoire de ce héros de la Nation dans son éloge funèbre. À l’issue de son discours, le chef de l’État lui remettait, à titre posthume, les insignes de commandeur de la Légion d’honneur, dont il disposait la cravate sur le cercueil, et le nommait colonel de gendarmerie. Dans le même temps, partout en France, dans les brigades de gendarmerie, les commissariats, les préfectures et les sous-préfectures, aux côtés d’élus et de la population, une minute de silence était observée en son honneur.
Richard Wawrzyniak
Photos : SIRPA/GN/BRC F.GARCIA
« Accepter de mourir pour que vivent des innocents, tel est le cœur de l’engagement du soldat. Être prêt à donner sa vie parce que rien n’est plus important que la vie d’un concitoyen, tel est le ressort intime de cette transcendance qui le portait. Là était cette grandeur qui a sidéré la France. Le lieutenant-colonel Beltrame avait démontré par son parcours exceptionnel que cette grandeur coulait dans ses veines.
Elle irradiait sa personne. Elle lui valait l’estime de ses chefs, l’amitié de ses collègues et l’admiration de ses hommes. À cet instant toutefois, d’autres, même parmi les braves, auraient peut-être transigé ou hésité. Mais le lieutenant-colonel Beltrame s’est trouvé face à la part la plus profonde et peut-être la plus mystérieuse de son engagement. Il a pris une décision qui n’était pas seulement celle du sacrifice, mais celle d’abord de la fidélité à soi-même, de la fidélité à ses valeurs, de la fidélité à tout ce qu’il avait toujours été et voulu être, à tout ce qu’il tenait (...) L’un d’entre nous venait de se dresser, droit, lucide, et brave, il faisait face à l’agression islamiste, face à la haine, face à la folie meurtrière, et avec lui surgissait du cœur du pays l’esprit français de résistance, par la bravoure d’un seul entraînant la Nation à sa suite (...) Alors que le nom de son assassin déjà sombrait dans l’oubli, le nom d’Arnaud Beltrame devenait celui de l’héroïsme français, porteur de cet esprit de résistance qui est l’affirmation suprême de ce que nous sommes, de ce pour quoi la France s’est toujours battue, de Jeanne d’Arc au général De Gaulle : son indépendance, sa liberté, son esprit de tolérance et de paix (...) En sauvant cette jeune femme, le lieutenant-colonel Beltrame a conjuré l’esprit de renoncement et d’indifférence qui parfois menace. Il a montré que le socle vivant de la République, c’est la force d’âme (...) Au moment du dernier adieu, je vous apporte la reconnaissance, l’admiration et l’affection de la Nation toute entière. »
« Jamais la France n’oubliera son héroïsme, sa bravoure, son sacrifice. »
« J’éprouve une immense tristesse, pour la perte d’un camarade, d’un soldat, d’un héros. C’est ce qu’il faut retenir d’Arnaud Beltrame, cet acte héroïque qui a été le sien. C’est aussi de la compassion à l’égard de toutes les victimes et de toutes leurs familles touchées par cet acte terroriste. C’est enfin le sentiment de détermination qui anime tous les gendarmes et tous les policiers face à ce terrorisme omniprésent. Cette détermination c’est celle de nos valeurs. Nos valeurs et notre engagement feront toujours face à la barbarie. »
« Aujourd’hui, il écrit en lettres d’or éternelles la devise de notre unité : s’engager pour la vie. »
« J’ai suivi la même scolarité qu’Arnaud Beltrame à l’école militaire inter-armes sur le site de Saint-Cyr-Coëtquidan. Nous étions dans la même section de trente élèves officiers au sein de la promotion « Campagne d’Italie ». Nous avons ensuite appartenu aux dix officiers élèves qui avons choisi la gendarmerie en fin de scolarité et avons occupé les mêmes bancs de l’école d’officiers de la Gendarmerie nationale (EOGN) de 2001 à 2002. Nous avions 25 ans à l’époque et portés par la fougue de notre jeunesse et l’énergie de ceux qui étaient déterminés. Il avait de grandes qualités physiques et athlétiques. J’ai été marqué par sa puissance de travail, par son envie de réaliser une grande carrière dans la gendarmerie. Il avait réussi l’exploit de finir major de cette promotion de Saint-Cyr, mais aussi de la promotion de l’EOGN. J’ai un souvenir anecdotique de cette époque avec Arnaud. Le stage commando et le brevet « para » étaient des temps forts de notre formation. Nous avons passé lors de la première semaine le module aquatique alterné par des pistes aériennes à Collioure. Il s’est blessé à la main sur un rocher et avait énormément souffert. Malgré le fait de se retrouver dans de l’eau salée avec une blessure, un sommeil dégradé et un mental attaqué par la fatigue physique, il était toujours aussi déterminé, motivé, et donnait le meilleur de lui-même, en cachant au maximum sa souffrance. J’ai un grand respect et une profonde admiration pour le courage dont il a fait preuve lors des événements de Trèbes. Je me suis rendu aux Invalides pour l’hommage national. J’ai été touché par la force et la puissance du choix qui a été fait de mettre Arnaud en situation de rassembler tous les Français derrière un esprit de corps, un esprit de sacrifice. »
« J’étais également à l’école militaire inter-armes avec Arnaud, puis à l’EOGN. Sa détermination et sa franchise m’ont immédiatement frappé. Il a affiché tout de suite sa volonté de vouloir rejoindre la gendarmerie à l’issue de la formation, ce qui ne se fait pas généralement, car ce sont les têtes de classement qui prennent ces postes. Ça aurait pu laisser penser à de la prétention, mais il voulait être gendarme, non par orgueil, mais simplement pour être au contact de la population, être utile au quotidien. Il savait qu’il avait les moyens de le faire. Il sortait clairement du lot. Il ne cachait pas non plus à l’époque son intention de passer les tests de l’EPIGN, unité absorbée aujourd’hui par le GIGN actuel. Durant notre année commune à l’EOGN j’ai pu voir combien il était altruiste. Nous sommes tous en concurrence dans ce genre de scolarité, malgré cela, Arnaud était toujours présent pour ceux qui avaient besoin d’aide, et moi le premier. Je ne me privais pas d’aller chercher ses conseils et ses bonnes pratiques. Il me tirait vers le haut. C’était un merveilleux camarade. Nous pratiquions ensemble le krav-maga, il se donnait sans compter, dans l’optique de se préparer pour la suite de sa carrière. Le 23 mars dernier, j’étais de permanence à la DGGN pour la direction du personnel, j’ai donc suivi l’événement en direct. J’étais dans un premier temps sidéré par la situation, mais pas forcément surpris par le geste d’Arnaud. Il était très réfléchi et s’il s’est substitué à l’otage, c’est qu’il devait estimer que c’était le plus opportun à ce moment précis en mesurant tous les risques, tout en sachant que le pire pouvait arriver. Il a dû se dire que si quelqu’un avait une chance de faire quelque chose face au terroriste dans cette situation, c’était lui. »
« J’ai travaillé sous les ordres d’Arnaud Beltrame de 2010 à 2014. Il était un chef opérationnel, ne commandait pas de son bureau, dès qu’il sentait que la situation le nécessitait, il était avec nous, même au premier rang. C’était un homme d’action qui ne restait pas derrière nous, il était à même de nous montrer la voie, nous encourager pour aller de l’avant. Sur ma circonscription, nous avons chaque année un festival de musique qui réunit 70 000 personnes sur trois jours et qui implique une forte préparation, avant de mobiliser 150 gendarmes H24 sur le terrain pendant trois jours. Je gérais le dispositif de surveillance du site avec le colonel Beltrame qui était directeur opérationnel. Nous avons collaboré en permanence durant quatre éditions. Il avait d’excellents contacts avec les organisateurs, les bénévoles, les élus et le public. Il avait le respect de ses hommes et de ses femmes. Je ne l’ai jamais vu s’énerver. Nous n’avons pas été étonnés avec les collègues de la brigade d’apprendre son geste, car il donnait de sa personne, aimait les gens. Il a pensé à l’otage avant tout. Il faisait ce métier pour aider la population. Nous avons été quatorze gendarmes de la compagnie d’Avranches à aller lui rendre hommage aux Invalides et à présenter les armes au président de la République. C’était un bel hommage pour un grand homme. »
« J’ai connu Arnaud en 1992 en classe préparatoire au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École. Nos parcours professionnels nous ont ensuite séparés, jusqu’à ce qu’il entre en contact avec moi en 2016 pour savoir si des postes se libéraient dans cette région dont il souhaitait se rapprocher pour rejoindre son épouse. Arnaud était un militaire dévoué, animé par une foi profonde dans son travail, dans la mission de gendarmerie. Il me disait régulièrement qu’il ne se voyait pas faire autre chose. C’était quelqu’un qui faisait preuve d’une énergie débordante et qui avait un enthousiasme qui était contagieux. Il avait ici la fonction du numéro 3 du groupement, officier adjoint de commandement, en charge des opérations et de l’instruction. Lors de son arrivée dans l’Aude, il a repris, parmi d’autres, le dossier de la formation anti-terroriste. Il a apporté sa touche et son engagement. Quand je lui ai demandé de reprendre le flambeau, il m’a proposé un exercice en décembre dernier qu’il a animé avec efficacité et qui avait été particulièrement apprécié par tous les personnels y ayant participé.
Le 23 mars, j’étais à Narbonne en visite à la compagnie quand je reçois l’information par mon officier de permanence d’un possible attentat ou d’une action terroriste à Trèbes. Je pars immédiatement vers Carcassonne.
Des informations contradictoires nous arrivent. On pense dans un premier temps à un attentat multi-sites jusqu’à ce qu’on puisse reconstituer la chronologie des faits, qui est compatible avec un auteur unique qui aurait commencé à Carcassonne et qui serait actuellement à Trèbes. Je me rends immédiatement sur place à Trèbes. Arnaud était à Carcassonne, à dix minutes de Trèbes, il y arrive donc avant moi. En tant qu’adjoint en charge des opérations, c’était sa place, et il avait toutes les compétences pour traiter l’opération sur le terrain. Quand j’arrive il est déjà dans le supermarché avec les collègues du PSIG de Carcassonne, avec lequel il entrera dans la partie commerciale.
Cette situation me convient bien, j’ai son expertise à l’intérieur, et moi je suis à l’extérieur à commander l’opération dans son ensemble. Donc l’articulation est tout à fait adaptée. J’apprends après coup qu’il s’est substitué à l’otage. La réflexion tactique m’amène rapidement à conclure que la situation reste malgré tout inchangée : une prise d’otage terroriste à stabiliser en attendant l’arrivée du GIGN. Pour ce qui est du geste d’Arnaud, je ne peux donc vous donner que mon analyse par rapport à ce que je connaissais de lui. C’était un homme qui avait beaucoup de cœur, et je pense que ça a joué dans cette décision. C’est quelqu’un qui avait un sens élevé du service public, de la protection de la population, pour lui il était inacceptable qu’il y ait un otage civil et il s’est proposé en échange pour mettre un terme à cette situation. Je pense qu’au regard de ses compétences, il pensait pouvoir influer positivement, soit sur la négociation, soit sur l’intervention du GIGN. Je ne le vois pas comme un acte irréfléchi de sa part.
J’ai accompagné la famille d’Arnaud pendant toute cette séquence difficile. J’étais sur place aux Invalides avec une quarantaine de gendarmes du groupement. C’était important pour nous d’être présents, l’accompagner à cet hommage. La reconnaissance du président sur ce qui a été fait dans le département par les gendarmes de l’Aude a été entendue et très appréciée. C’était un moment militaire fort qui nous a tous marqués de façon positive malgré les circonstances.
Entre le vendredi, jour de l’attentat, et le jeudi, l’inhumation du colonel Beltrame, j’ai vu la gendarmerie, que je connais depuis toujours, mobilisée d’une manière exceptionnelle autour des siens. »