Six pôles d’appui juridique spécialisés ont été mis en place sur le territoire en 2017. Pilotés par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, ces pôles proposent aux préfectures des conseils juridiques et un appui au traitement des contentieux. Un an après son lancement, le dispositif est bien installé dans le paysage administratif et s’étoffera en 2018.
La direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) avait engagé, dans la cadre de la mise en place du Plan préfecture nouvelle génération (PPNG), une réflexion poussée sur les moyens de renforcer l’expertise juridique des préfectures.
Non pas que celles-ci soient incompétentes en la matière mais le droit est de nos jours particulièrement complexe dans ses codes et ses procédures et la grande majorité d’entre elles ne disposent guère de ressources suffisantes pour répondre de manière optimale aux questions juridiques qui leur sont posées. « Le droit est le langage de l’administration à tous les niveaux, rappelle Thomas Campeaux, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques.
Chaque direction, chaque service du ministère de l’Intérieur est amené à en faire. Si l’expertise juridique s’incarne au niveau national dans la DLPAJ, ce sont les bureaux métier comme ceux des polices administratives ou des libertés publiques qui portent cette expertise en préfecture. Mais le décalage est forcément important entre le niveau de leurs agents, fort compétents mais généralistes par obligation, et celui des experts juridiques de la DLPAJ, spécialistes dans leur domaine. Et c’est ce niveau d’exigence et d’expertise que nous avons souhaité partager sur tout le territoire ».
La volonté de renforcer l’expertise juridique des préfectures était également motivée par le nombre important des annulations contentieuses. « Certains dossiers sont extrêmement complexes, précise Pascale Léglise, chef du service du conseil juridique et du contentieux, adjointe au directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, mais le plus souvent, les préfectures perdent parce que les fondamentaux n’ont pas été maîtrisés, soit au moment de la décision, soit au moment de sa défense contentieuse. Il arrive même qu’en l’absence de fonctionnaires spécialistes en la matière, certaines préfectures ne produisent aucune défense devant la juridiction, ou que d’autres aient recours à des cabinets d’avocats spécialisés, gonflant de façon conséquente la facture des crédits contentieux».
Le concept de pôle d’appui juridique (PAJ) repose donc sur l’idée de spécialisation. « Notre intention n’était pas de créer des super bureaux des affaires juridiques pluridisciplinaires, explique Thomas Campeaux. Nous avons au contraire fait le choix de pôles spécialisés par domaines spécifique maitrisant l’ensemble des questions récurrentes se posant dans la matière en question et capables de répondre de manière précise, rapide et complète aux principales demandes des préfectures, ou de se retourner vers la DLPAJ pour conduire une réflexion commune, s’agissant des questions les plus complexes ou nouvelles. De ce fait, l’expertise de ces pôles est très proche de celle des bureaux de la DLPAJ qui, en tout état de cause, veillent à la qualité des réponses délivrées ».
Ces entités, la DLPAJ les a donc voulues légères. « Chaque pôle regroupe cinq agents - quatre consultants dont un chef de pôle et un greffier (1) , souligne Pascale Léglise, une taille qui permet une importante spécialisation, qui favorise la collégialité et qui permet d’essaimer sur l’ensemble du territoire ». Ces pôles sont armés pour répondre à l’ensemble des besoins des préfectures, tant en matière de conseil que de contentieux, et leur ancrage territorial favorise le lien physique et direct avec les préfectures. « Cette proximité est essentielle notamment en matière d’appui au traitement des contentieux, puisque les pôles sont susceptibles, si le préfet en fait la demande, de représenter la préfecture devant la justice administrative ».
« Ils peuvent en effet prendre en charge un dossier contentieux en totalité, notamment si l’affaire est complexe, confirme Thomas Campeaux. Cela arrive très rarement mais ce n’est pas exclu. Quoi qu’il en soit, nous avons voulu une offre de service variée, à la carte et à la main du préfet. Quand un pôle fournit une réponse, quelle qu’elle soit, à un préfet, celui-ci peut très bien ne pas la suivre. Il conserve la plénitude de sa compétence, le PAJ ne se substitue pas à lui ».
Il reste que les réponses élaborées par les pôles portent le label DLPAJ, comme le rappelle Pascale Léglise : « elles ont l’avantage d’être claires, précises, opérationnelles et directement utilisables. Vous avez la certitude que les PAJ ne vont pas rédiger une thèse ou un article de philosophie du droit mais bien s’attacher à répondre aux besoins exprimés par les préfectures ». Ce label DLPAJ, c’est aussi la certitude, comme le souligne Thomas Campeaux, que la réponse ne se contente pas « d’être conforme à l’état de droit mais qu’elle porte en elle la position que le ministère entend prendre devant la juridiction ».
À terme, les pôles seront amenés à élargir leur offre de service. « Des actions de formation élaborées avec la sous-direction du recrutement et de la formation de la DRH seront délivrées par les consultants des pôles d’appui juridique auprès des agents de préfecture à partir de 2018, afin de renforcer l’expertise juridique des bureaux métier, prévient Laurent Hanoteaux, adjoint au chef du service du conseil juridique et du contentieux. Toujours dans cette optique, le pôle réunira chaque année ses préfectures « clientes » pour dresser un bilan de ses interventions et des faiblesses et erreurs récurrentes constatées « non pas pour distribuer des bons ou des mauvais points mais dans un souci de progression générale ».
Frank Canton
(1) Les agents qui ont rejoint les pôles possèdent une expérience et un bagage juridique conséquents. Le profil des personnes recrutées est très varié. Le PAJ de Dijon, par exemple, qui ne compte que quatre agents, est dirigé par Hélène Manciaux, ancienne directrice des affaires juridiques et institutionnelles de l’université de Bourgogne. Magaly Muller, consultante, fut assistance de justice avant de rejoindre la préfecture des Yvelines à la sortie des IRA. Caroline Leclerc, consultante également est docteur en droit public spécialisé en contentieux. Elle a enseigné à l’université de Bourgogne et à Sciences-po Rennes. Claire Bolnot, la greffière, a travaillé à la Pénitentiaire, en gendarmerie et à la préfecture de l’Yonne.
À la fin de l’année 2017, soit un peu plus d’un an après la mise en place des premiers pôles, la quasi-totalité des préfectures avaient saisi au moins une fois un pôle, pour un total de plus de 1000 prestations dispensées. Un bilan plus qu’honorable sachant que les PAJ été créés tout au long de l’année 2017.
Autre motif de satisfaction : une préfecture qui a fait appel aux services d’un pôle a tendance à renouveler la démarche. Quant au niveau de satisfaction, mesuré par un questionnaire rempli après chaque saisine par la préfecture « cliente », il tourne au plébiscite, avec 99% d’avis très favorables ou favorables.
« Nous ne pensions pas que les PAJ s’inscriraient aussi vite dans le paysage administratif, se félicite Thomas Campeaux. Je reçois de nombreux témoignages de préfets vraiment satisfaits des prestations des pôles, notamment sur des questions particulièrement sensibles comme celles liées à l’état d’urgence qui bien souvent se posaient pour la première fois ».
Thomas Campeaux, le DLPAJ
Il fut, avec le pôle d’Orléans, l’un des deux premiers PAJ à avoir ouvert ses portes, en décembre 2016. Un an seulement et déjà une certaine expérience. « Nous sommes spécialisés en police administrative, nous avons été rejoints sur cette compétence par le pôle de Lille en octobre dernier, précise Hélène M., chef du pôle, ce qui a entraîné une nouvelle répartition géographique ». Le PAJ de Dijon offre désormais ses services aux préfectures des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Bourgogne-Franche-Comté, Corse, Mayotte et Réunion. « Et les demandes sont diverses et variées car si la police administrative se définit par son objet unique, le maintien de l’ordre public, elle couvre un champ particulièrement vaste », comme l’explique Caroline L., consultante au pôle. « Nous sommes saisis aussi bien sur des questions de débit de boissons, de professions réglementées, de permis de conduire ou d’armes que sur des problèmes liés à l’état d’urgence, notamment pour les perquisitions administratives, énumère Magaly M. consultante également au pôle de Dijon. Récemment, nous avons même traité un dossier sur les drones ».
Comme pour les autres pôles, le service est à la carte. « Cela va du simple conseil au suivi d’un dossier contentieux dans sa globalité, souligne Hélène M. Nous pouvons même, si le préfet le souhaite, représenter la préfecture devant la juridiction, notamment pour les audiences de référé ». Mais quelque soit la demande, la règle veut que la préfecture garde la main sur son dossier. « Il peut arriver d’ailleurs que l’on rédige un mémoire en défense et que la préfecture décide de poursuivre seule la procédure. Nous ne nous substituons pas à elle ». Mais en règle générale les préfectures tiennent compte du travail effectué par les spécialistes du PAJ, en raison de la plus-value qu’ils apportent au dossier. « Le droit est loin d’être une science exacte, confie Caroline L., de nombreux points prêtent à interprétation. Comme les pôles fonctionnent en réseau, nous n’hésitons pas à discuter des points les plus complexes ou de cas jamais rencontrés avec les autres PAJ et avec la DLPAJ bien entendu ». « Avec la création des PAJ, une véritable communauté d’experts juridiques s’est constituée », indique Hélène M.
Les préfectures déclarent aujourd’hui être très satisfaites des services du pôle Dijon. « Elles nous le disent, se félicite Magaly M. La qualité des réponses que le pôle leur apporte les rassure indéniablement ». Autre avantage et non des moindres, le PAJ s’engage dès sa saisine sur des délais de réponse et le respect de cet engagement participe de la démarche qualité. « Il nous est arrivé, pour des cas d’extrême urgence, d’être saisis le soir et d’apporter la réponse le lendemain », conclut Caroline L.
Les deux premiers pôles mis en place sur le territoire furent les pôles d’appui juridique d’Orléans et de Dijon, tous deux spécialisés en police administrative, cœur de métier des préfectures. Quatre autres pôles ont été créés tout au long de l’année 2017 dont un, à Lille, chargé également de fournir aux préfectures un appui en matière de police administrative. Un pôle compétent en matière de conseil et contentieux statutaire a été installé à Limoges pour couvrir, comme l’explique Pascale L., « l’ensemble des problématiques juridiques liées aux ressources humaines. Ce pôle s’adresse également aux SGAMI chargés d’une partie du contentieux statutaire de la police nationale ». Deux pôles responsabilité et concours de la force publique, ouverts à Marseille puis à Strasbourg, complètent le dispositif.
Conformément à la directive nationale d’orientation, deux autres PAJ sont prévus pour 2018, l’un, à Nantes, spécialisé en matière de conseil et contentieux statutaire situé et l’autre, à Toulouse, chargé de fournir un appui aux préfectures en matière de marchés et contrats situé. « Nous réfléchissons à l’opportunité de créer d’autres pôles, prévient Thomas Campeaux. Le besoin se fait surtout sentir dans le domaine particulier du droit des étrangers. Nous sommes en train d’en discuter avec la direction générale des étrangers en France mais il est difficile de définir une organisation précise alors que le droit des étrangers est encore en cours d’évolution ».
L’expérience PAJ est observée avec la plus grande attention par d’autres administrations. « L’Enseignement supérieur et l’Ecologie sont très intéressés par le concept », confie Pascale L. Un intérêt qui s’explique en grande partie, selon Thomas Campeaux, par la souplesse des pôles. « Quel que soit l’échelon privilégié par une administration -département, région ou autre-, l’organisation telle qu’elle a été conçue peut se décliner très facilement ».
Lancé en avril dernier, le pôle d’appui juridique de Marseille est chargé d’un dossier « particulièrement sensible tant en terme juridique que politique et financier », précise son responsable, Pascal P. Compétent en matière de concours de la force publique et de responsabilité de l’État, le pôle est en effet amené à traiter de sujets divers et variés qui non seulement engagent la responsabilité du préfet, mais qui représentent un coût conséquent pour le ministère de l’Intérieur. « L’indemnisation des préjudices liés au refus du concours de la force publique représente le premier poste de dépense précontentieuse et contentieuse du ministère. Le montant de la facture s’est élevé en 2016 à 25 millions d’euros ».
Depuis son ouverture en avril dernier, le PAJ de Marseille n’a pas chômé, « Les dossiers contentieux sont nombreux car les préfets ont, dans la plupart des cas, de sérieux motifs de ne pas octroyer le concours de la force publique en matière d’expulsion locatives, d’évacuation de campements illicites ou de sites industriels, explique Pascal P., pour des motifs sociaux, économiques, politiques, humanitaires ou tout simplement pour éviter un trouble à l’ordre public ». exemple une manifestation ou un rassemblement dégénère ».
Quant au volet responsabilité de l’État qui peut être engagée pour tout acte illégal, « le PAJ traite uniquement des cas de responsabilité du fait des agissements -ou d’une carence- des services de l’État, lorsque par En huit mois, le pôle de Marseille a traité plus de 300 demandes. « Forts ce succès, nous avons décidé de créer un second pôle à Strasbourg », précise Laurent H.