Habituellement postés sur des points hauts, les tireurs de haute précision du service de la protection évoluent dans un environnement à haut risque où la maîtrise de techniques des cordes est la condition de la sécurité des agents. Petite dose d’adrénaline sur les toits de Beauvau.
Un reportage de Floriane Boillot
Photos : E. Delelis et P. Chabaud
Qui de plus agiles que des CRS de haute-montagne pour enseigner aux policiers parisiens les techniques d’évolution en hauteur ? Jean Rivière et Manuel Romain, instructeurs au Centre national d’entraînement à l’alpinisme et au ski des CRS (CNEAS), à Chamonix, ont troqué sommets montagneux, crampons et levers de soleil sur le Mont-Blanc, pour tâter le zinc des toits du 8e arrondissement de Paris. Leur expertise de grimpeur, guide de haute montagne pour l’un et champion de France d’escalade pour l’autre, est mise au service des agents du service de la protection (SDLP) : « L’objectif est de leur apporter une autonomie et des techniques de sécurité lorsqu’ils se mettent en place sur des points hauts », annonce Jean R.
Trois jours pour faire de ces gardes du corps de véritables équilibristes, le challenge est osé. Au programme, enkitage (préparation de ses cordes et de son matériel) , amarrage, assurage... et un saut dans le vide pour les plus téméraires. À la fin de la session, les stagiaires sont évalués sur leur connaissance du matériel utilisé, leur capacité à réaliser deux nœuds de base et un ancrage adapté au terrain. Ils doivent également maîtriser les techniques d’assurage et d’évolution sur une corde horizontale et verticale, le tout avec un fusil d’assaut sur le dos. Mission oblige.
Sur un viaduc désaffecté en pleine nature, les policiers du SDLP se familiarisent avec les cordes, sangles, mousquetons, et leur équipement de protection individuel (EPI) qui comprend entre autres le baudrier, un bloqueur poing (poignée conçue pour les remontées sur corde), ou encore un descendeur, tout ce matériel minutieusement conditionné dans le sac, car, « quand on travaille en hauteur, il faut être conscient que le moindre objet qui tombe devient un projectile », soulignent les instructeurs. « Nous simulons une progression sur une toiture plate, explique Jean R. Les binômes travaillent l’assurance en mouvement, c’est-à-dire qu’ils sont attachés entre eux, si l’un tombe, l’autre le retient ». « Donc il y a chute, mais elle est minimisée ! », résume l’un des stagiaires. Confiance en son collègue et amarrage irréprochable sont indispensables pour venir à bout de cet exercice à 34 mètres du sol.
La formation se poursuit dans un milieu plus coutumier. Les toits de l’hôtel de Beauvau sont l’un des points de surveillance des cérémonies qui se déroulent dans la cour d’honneur du ministère de l’Intérieur. « Il y a une grande antenne qui possède une protection normée permettant d’y accéder comme point d’observation, sans utiliser de protections individuelles, décrit un stagiaire. Mais lorsque l’on se déplace sur les toits, la maîtrise des techniques de corde est nécessaire. »
Les stagiaires apprennent à trouver des points d’amarrage « de fortune », mais suffisamment solides pour s’assurer. « Ça peut être la cheminée en béton, les gros piliers de l’escalier, ou encore un collègue qui fait office de point d’amarrage », explique l’un d’eux, sous les yeux attentifs des instructeurs qui n’hésitent pas à répéter les règles : « Ne vous attachez pas à la barrière ! », « Le béton des piliers est abrasif, protégez la corde avec des tuyaux. » Quelle que soit la physionomie du lieu, les policiers doivent savoir se mettre en sécurité et être autonomes.
Les gestes sont hésitants et les questions fusent : « Je me suis vaché (attaché) sur son anneau, c’est bon ? », vérifie un stagiaire prêt à descendre une partie du toit en rappel, assuré par sa collègue assise contre un rebord. « Ce n’est pas notre cœur de métier, donc on n’est pas à l’aise ! », confie un policier, perché à mi-hauteur de l’antenne, elle même sur le toit d’un bâtiment haut de 20 mètres. Si, pour certains, la peur du vide est la plus délicate à appréhender, d’autres se heurtent au vocabulaire (« La grande longe, tu la mets dans le mousqueton de la pédale »), ou au nouveau protocole qu’ils doivent intégrer : « Il faut doubler les sécurités, multiplier les points d’amarrage, tester la solidité des supports sur lesquels on s’accroche, mais la gestion du matériel n’est pas encore fluide et les cordes s’emmêlent ! »
Comment lover (la ranger ou la rouler de façon à ce qu’elle se déroule proprement) correctement une corde, installer et progresser sur une main courante horizontale et verticale, utiliser le RIG (système d’assurage), connaitre les cordes dynamiques ou semi-statiques... Les informations dispensées en trois jours sont denses, mais les policiers du SDLP sont assidus, gardant en tête le souvenir de leur collègue du GIPN de Strasbourg, décédé en tombant d’une toiture en juin 2007, alors qu’il sécurisait un déplacement officiel du chef de l’État.
Pour les instructeurs du CNEAS aussi, l’exercice est inédit. En plus de devoir s’adapter à l’environnement urbain, ils ont ajusté leur module de formation habituellement destiné aux futurs secouristes en montagne, ou aux unités d’intervention. « Ce n’est pas comme quand on forme le RAID, car la priorité pour eux ce n’est pas l’intervention, c’est leur sécurité, affirme Manuel R. Pour ces stagiaires, tout est nouveau, et ce n’est pas plus mal, car ils ne sont pas déformés. Quand on leur explique quelque chose, ils n’ont pas le « oui, mais » habituel ! » L’aventure fut éprouvante, mais unanimement enrichissante. Une première session de formation destinée à évoluer et à être adaptée.
Les points hauts de surveillance sur les toits de l’hôtel de Beauvau sont assurés par des policiers du groupe formation du SDLP et le groupe d’appui des hautes personnalités (GAHP), pour garantir la sécurité des cérémonies se déroulant dans la cour. Un tireur et un observateur - ou spotter - se positionnent en hauteur. Le tireur est équipé d’une arme de précision.
Le spotter possède quant à lui une lunette d’observation. Il est muni d’un fusil d’assaut, car il est chargé également de la sécurité du tireur.
« Être au minimum en binôme est obligatoire, car en milieu vertical, si l’on a un problème personne ne va s’en rendre compte », précise la commandant de police Anne Kitzerow, responsable du groupe formation et du recrutement.
Sur le toit, la première étape est de réaliser un « tour environnemental » pour évaluer les lieux et se poster de manière à avoir une visibilité sur des points déterminés en fonction de la menace. Ces points sensibles sont définis à partir d’un carroyage(technique de quadrillage pour exploiter les données d’un paysage) établi, où tous les éléments ou lieux ayant un accès physique ou visuel sur la cour sont décomposés. Le point haut idéal permet d’obtenir à la fois des informations sur la situation pour l’observateur et offre un angle de tir adéquat au tireur. « Nous pouvons aussi seulement occuper un toit qui est un point sensible, le fait d’y être empêche la menace de s’y installer », ajoute Anne K.
Le service de la protection (SDLP) est issu depuis 2013 de la fusion du service de protection des hautes personnalités (SPHP), du service de sécurité du ministère de l’Intérieur (SSMI) et du service central automobile (SCA) de la direction générale de la Police nationale.