GIR 75 : l’État face à l’économie souterraine

GIR 75 : l’État face à l’économie souterraine

« Assécher les réseaux est le meilleur moyen de stopper l’activité criminelle ».


Les GIR, groupes d’interventions régionaux, ont été créés par la circulaire du 22 mai 2002 pour lutter contre l’économie souterraine avec mission d’identifier, révéler et saisir les avoirs criminels grâce à l’analyse du patrimoine de l’incriminé. Enquêteurs policiers et gendarmes travaillent avec des experts des douanes, des finances publiques, de la répression des fraudes et des administrations sociales afin de passer au crible tout élément financier susceptible de prouver l’infraction. Rencontre avec le GIR de Paris, à la poursuite du bien mal acquis...

Le GIR 75 est un service territorial rattaché à la direction de la police judicaire de la préfecture de police de Paris. Il est activé à la demande du préfet ou d’un magistrat (membre du parquet ou juge), en flagrant délit, enquête préliminaire ou commission rogatoire, afin d’apporter son expertise sur une affaire menée par un service d’investigation judiciaire de la police, de la gendarmerie et des douanes.

Le principe de la convention des GIR est de détacher des fonctionnaires et enquêteurs de divers administrations, pour mettre leurs propres moyens et outils en convergence sur des enquêtes judicaires ou administratives. Ainsi, les inspecteurs et contrôleurs des douanes, des finances publiques, de la DIRECCTE (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), de l’URSSAF (union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales), travaillent avec gendarmes et policiers pour déceler et priver les délinquants du bénéfice de leur trafic.

Tous les ans, un comité de pilotage réunit les directeurs des administrations qui composent le GIR sous la direction du préfet de police et du procureur de la République de Paris, pour faire un bilan de l’activité du groupe et fixer les nouveaux objectifs. « Cette année le préfet de police de Paris insiste sur le contrôle des établissements de rachat d’or, et plus récemment sur les armureries », explique le chef du GIR 75, le commissaire divisionnaire Jean-Christophe L. Il nous a également été demandé d’axer nos efforts sur la lutte contre la criminalité organisée d’origine chinoise liée aux salons de massage parisiens ». Enfin, à l’instar des autres services de la PP, le GIR 75 est étroitement associé au Plan de lutte contre l’Islam radical.

Si 70 % de l’activité du GIR provient de co-saisines du Parquet ou d’un juge, 30 % des demandes émanent des services de police eux-mêmes. « Nous réalisons dans ce cas un diagnostic, c’est-à- dire une « photographie » du patrimoine du mis en cause, qui définira l’intérêt ou non pour nous d’être saisis. Nous en réalisons une centaine par an, en priorité sur les ZSP », ajoute le commissaire L.

Code procédure pénale

Le GIR est un outil puissant. Sa force de frappe vient de la mutualisation des compétences. Pouvoir s’appuyer sur le code pénal, celui des douanes, des impôts, de la consommation ou encore le droit du travail, est un véritable atout, mais exige une grande rigueur de la part des agents. Chaque type de procès verbal saisi obéit à un formalisme strict en fonction du cadre juridique. « Nous agissons comme une task force », relève Vincent, inspecteur des douanes. « Il y a une complémentarité organique et spatiale. On est en symbiose. Pas besoin de se déplacer ou de se téléphoner, soutient Romuald, chef de l’un des deux groupes d’enquêteurs du GIR 75. À nous tous, on couvre un champ d’infractions qui est plus grand. Si chacun le faisait de son côté, personne n’arriverait à rien ! Dans un établissement de rachat d’or par exemple, les enquêteurs relèvent les infractions pénales, l’agent de la DIRECCTE veille à l’affichage des prix et aux pratiques commerciales trompeuses, l’URSSAF enquête sur le travail dissimulé, et les douaniers cherchent l’or ! »

Selon Eric, enquêteur issu de la DRPJ, « nos investigations mettent obligatoirement le délinquant en face de ses contradictions. Il n’a plus de porte de sortie, c’est décisif ! ». Nathalie, inspecteur des finances publiques, soutient l’intérêt de l’interministérialité pour « bloquer le délinquant de tous les côtés ».

Le commissaire divisionnaire Jean-Christophe L. souligne la pugnacité des 17 agents du GIR 75, tous volontaires : « Je veux des gens mordants et intéressés par l’enquête patrimoniale ! Ils ne comptent pas leurs heures, sont tous partie prenante des phases opérationnelles et participent aux auditions ». Avec une telle armée, l’argent sale a peu de chance de le rester.

Les administrations partenaires des forces de l’ordre

Nathalie est l’une des trois fiscalistes du GIR, détachée de la DGFIP. Dès que le GIR est saisi d’une affaire, son rôle est de préparer le dossier de la personne en réalisant une analyse de toutes les incohérences fiscales pouvant apparaître. « J’ai deux ordinateurs, explique Nathalie, celui du ministère de l’Intérieur et celui de mon service de rattachement grâce auquel je peux avoir accès aux applications fiscales ». Tout l’environnement des personnes visées par l’infraction pénale est analysé : « Je formule des réquisitions pour récupérer auprès de la DGFIP les numéros de compte bancaire, actes de propriété, fonds de commerce de SARL ou SCI... Nous pointons les éléments qui suscitent une interrogation. Par exemple, une personne qui n’a aucun revenu mais a ouvert plusieurs comptes bancaires en six mois... » Sur ces bases, les OPJ font le lien entre les flux financiers, blanchiment ou non-justification de ressources, et le trafic sur lequel ils enquêtent.

Les agents des finances publiques sont également acteurs dans l’opérationnel : « sur les perquisitions, nous ne sommes pas essentiels, mais c’est un peu la concrétisation d’un dossier, et on met des visages sur les noms ! Lors des auditions en revanche, notre connaissance fiscale et comptable permet de pousser l’individu dans ses retranchements sur des points précis ». Le rapport de l’inspecteur des finances publiques contenant les incohérences des dossiers remonte également à la DGFIP pour un suivi et une sanction fiscale.

Sylvie est inspecteur du recouvrement, détachée de l’URSSAF. Cet organisme possède les fichiers de toutes les cotisations salariales et patronales destinées aux différents organismes de la Sécurité sociale. « Nous sommes tous fichés quelque part, assure Sylvie, l’individu avec son numéro de sécurité sociale, la caisse vieillesse, les allocations familiales... et une société peut être retrouvée avec son numéro SIREN au registre du commerce, ou grâce au fichier national d’enregistrement des embauches... Je vais donc rechercher la personne, avoir accès à un numéro de téléphone, une adresse mail ». Sylvie est en mesure de savoir quelles prestations touche l’individu, les éventuelles fraudes ou cotisations non-versées... autant d’éléments qui figureront dans le dossier à présenter au Parquet.

« Travailler au sein du GIR est pour moi une opportunité de voir d’autres horizons et mes recherches prennent des proportions beaucoup plus conséquentes, confirme Sylvie. Pour lutter contre l’économie souterraine, c’est le porte-monnaie qu’il faut viser ! Et pour cela, il faut les bonnes clés, les bons codes. Nous sommes là pour ça ». Les signalements sont ensuite également transmis à l’URSSAF.

Livre de police

Fabrice est inspecteur détaché de la DIRECCTE, une direction issue du regroupement de plusieurs services régionaux dont la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. À ce titre, Fabrice utilise ses pouvoirs d’enquête pour intervenir, lors des contrôles administratifs, sur les relations entre professionnels et consommateurs. Il travaille sur les infractions à la concurrence et à la consommation et apporte son expertise comptable en matière de facturation. Sur les bases du code du commerce et du code de la consommation, il est en mesure de proposer des amendes et de faire des signalements au Parquet en vue de l’ouverture d’une enquête.

Vincent et Anne sont inspecteur et contrôleur principal des douanes, détachés de la DGDDI. Les douaniers du GIR se fondent sur le code des douanes et le code des procédures fiscales en consultant les bases de données douanières. Ils apportent leur plus-value lors des enquêtes judicaires. « En plus du contrôle des documents, raconte Vincent, nous allons être attentifs aux signes extérieurs de richesse. Dernièrement, lors d’une perquisition liée à une enquête, nous sommes tombés sur une personne qui gagnait peu sa vie et possédait 50 paires de chaussures dont le prix dépassait 500 euros chacune, et une Porsche Cayenne !

Nous essayons de comprendre son train de vie... ». Ils réalisent avec Fabrice des enquêtes administratives (contrôles des bars à chicha, armureries, établissements de rachat d’or...) et font également bénéficier la douane de renseignements recueillis au sein du GIR.

Enquêtes judiciaires

Le volet judiciaire constitue la tendance lourde de l’activité du groupe. 60 % des contentieux du GIR de Paris concernent la lutte contre le crime organisé, notamment la répression du proxénétisme et le trafic de stupéfiants. Chaque OPJ en charge d’une affaire envoie des réquisitions aux banques, organismes, assurances ou tout établissement lié à l’affaire en cours. « Il ne s’agit pas de se baser sur des présomptions, il faut apporter des preuves fondées sur le patrimoine des intéressés, explique Eric. Il faut fouiller, voir ce qui a été payé en espèces, en chèque... il faut avoir le déclic quand on analyse les comptes ». Un déclic acquis par l’expérience et la formation « enquêteur GIR ».

« En janvier dernier, des collègues de la PJ enquêtaient sur une affaire de stups et ont constaté que les dealers sont propriétaires d’un pavillon alors qu’il n’ont aucun revenu provenant d’une activité légale, raconte Raoul, chef du premier groupe d’enquêteurs du GIR 75. Nous recevons une commission rogatoire d’une juge saisie par le Parquet pour réaliser une enquête de patrimoine des mis en cause ». Grâce à l’étude des documents fiscaux et bancaires, le GIR devra démontrer l’infraction principale par le train de vie. Raoul met le doigt sur des incohérences : ce sont de fausses fiches de paye et faux relevés de compte qui ont permis d’obtenir le crédit de la maison. « Leur revenu légal, le chômage, ne leur permettait pas de payer crédit et voiture ! ». L’affaire prend une autre tournure : non-justification de ressources, blanchiment, faux et usage de faux. L’interpellation des mis en cause et la perquisition du pavillon est conduite par le service porteur, la PJ, en présence des membres du GIR. « Le service porteur découvre du cash et des produits. Nous, ce qui nous a intéressé ce sont des papiers relatifs à des comptes bancaires ainsi que l’achat d’un appartement à l’étranger et même un devis pour un projet commercial sûrement destiné au blanchiment ». Les scellés s’ajouteront à la masse de documents déjà récupérés par le GIR.

L’audition menée par le GIR ne fera que confirmer les activités illicites du couple et les 75 millions d’euros de chiffre d’affaires mensuel. Le délinquant est cerné : « Il ne peut pas nous mentir très longtemps, on a tout le dossier et nous savons comment ses comptes sont alimentés, soutient Eric. De plus, il sait que non seulement il sera puni pénalement, mais on peut lui saisir ses comptes, ses biens, et il pourra trainer une dette fiscale pendant des années ».

Raoul rédige un rapport de synthèse pour le juge dans lequel il propose la confiscation générale du patrimoine : « L’enquête a permis de mettre en lumière le train de vie incompatible avec les revenus déclarés des mis en cause, dont un compte bancaire pourrait faire l’objet d’une saisie pénale car il est alimenté à l’origine par des revenus injustifiés. Le patrimoine des mis en cause est entièrement constitué d’argent sale issu  du blanchiment de trafic de stupéfiants ».

Savoir lire entre les chiffres

Le brevet d’enquêteur spécialisé du GIR est facultatif et s’obtient au terme d’un stage de 15 jours. Les participants sont formés sur les infractions patrimoniales, l’identification et la confiscation des avoirs criminels. L’objectif est de comprendre les structures complexes de blanchiment, apprendre les différentes formes de lecture d’un relevé de compte, pour une meilleure appréhension du phénomène de la fraude. « On apprend à interpréter un relevé en fonction de ce qui apparaît et de ce qui n’apparaît pas. Par exemple un couple avec deux enfants qui n’a jamais de factures alimentaires, comment mangent-ils ? », témoigne Raoul.

Les participants sont issus de tous les GIR de France. Ils sont formés par la PIAC (plateforme d’identification des avoirs criminels, DCPJ) et l’AGRASC (agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis criminels). Le diplôme  st délivré par la coordination nationale des GIR.

Pesée d'or

Contrôles administratifs

Quand il s’agit d’introduire de l’argent d’origine criminelle dans le système financier, les malfaiteurs connaissent les tenants et aboutissants ! Nombre d’établissements de rachat d’or, taxiphones, loueurs de voitures de luxe ou encore bar à chicha à Paris sont soupçonnés d’être des lieux de blanchiment.

Le GIR réalise des missions de contrôle administratif afin de vérifier les réglementations, la contrebande, le travail dissimulé, ou encore remonter des filières, dans le but d’impacter durablement l’économie souterraine. « Nous diligentons d’initiative des contrôles de bar à chicha avec les commissariats centraux du 19 e et 20 e arrondissement de Paris, qui se soldent par la saisie de plusieurs dizaines de kilos de marchandises et des amendes », indique le commissaire.

Les contrôles dans des établissements de rachat d’or représentent 80 % de l’activité de contrôle administratif. En 2015, 3,3 kilos d’or et 1,3 kilos d’argent ont été saisis et le total des amendes infligées s’élève à 29 550 euros. « L’or est une valeur sûre sur le marché, c’est ce qu’il y de mieux en termes de blanchiment, raconte Vincent, douanier. Et les lingots sont facilement dissimulables ! ». La multiplication des intermédiaires et des transactions entre le voleur de bijoux et l’établissement de rachat d’or complique la tâche des douaniers : « Il faut parfois remonter la filière et agir au plus vite en saisissant les marchandises, avant de les remettre aux Domaines. »

Dans le cadre de son action, le GIR collabore avec les services territoriaux de sécurité publique, de police judiciaire, (DSPAP, brigades des stups, de répression du banditisme...), section de recherche de Paris (gendarmerie) et avec les services à compétence nationale comme les offices centraux. « Les opérations communes nous permettent d’échanger des renseignements, des contacts, la DSPAP par exemple a une très bonne connaissance de chaque arrondissement », affirme Romuald. « L’OCLTI (Office central de lutte contre le travail illégal) nous fait aussi remonter des affaires dans des territoires d’intervention différents, cet échange avec les gendarmes est enrichissant ».

Sac scellé

Dans un établissement de rachat d’or

14 h 30 un mercredi de mai : contrôle surprise ! Inopiné certes, mais pas choisi au hasard. « Cet établissement de rachat d’or nous avait été signalé par les douanes par avis de fraude, explique le commissaire L., et son gérant est déjà connu des services de police pour escroquerie ». C’est donc avec une certaine idée en tête que le commissaire, deux douaniers et la représentante de l’URSSAF se rendent dans cette boutique parisienne.

Les douaniers Anne et Vincent s’affairent à vérifier que toute la marchandise présentée dans le magasin est dûment répertoriée dans le livre de police ou le livre de brocante (destiné à la marchandise d’occasion en dépôt ou réparation). Vincent vérifie ainsi la traçabilité de l’or, avec le descriptif du bijou et son poids... Très vite les découvertes donnent le ton du contrôle : « L’affichage des prix n’est pas présent, la balance n’est pas aux normes, les bijoux ne sont pas répertoriés individuellement sur le livre de police... ». Anne inspecte colliers et bagues : « 10 carats ! Ce titre n’est pas légal en France et il n’y a pas le poinçon » (Les titres légaux poinçonnés par l’État en France sont 22, 18, 14 et 9 carats. Pour un bijou de 18 carats par exemple, 1 kilo d’or est fait de 750 grammes d’or et 250 grammes d’autres métaux).

Le poinçon assure la garantie de l’État sur des pièces fabriquées ou importées en France. Les douaniers apprendront que les bijoux de 10 carats sont issus d’une société que le gérant possède aux États-Unis... Sur une table de la boutique, un lot est posé : « ce sont des bijoux destinés à la fonte, or ils ne sont pas brisés ! Et il n’y a pas de traçabilité », constate Anne. Sitôt remarqué, sitôt scellé : les douaniers saisissent le lot de 13 000 euros d’or et infligent une amende de 1 000 euros pour tenue irrégulière du livre de police, qui sera payée directement. Au passage, Anne rappelle au bijoutier les fondamentaux de son métier, les règles de l’alliage et des carats...

Au tour de l’URSSAF de mettre en œuvre ses compétences. Sylvie vérifie la situation du gérant par rapport aux prestations sociales et son statut d’employeur. Le gérant, auparavant inscrit au RSI (régime social des indépendants), n’a justement plus de statut. Elle s’interroge également sur la présence d’un « ami », non-déclaré et travaillant plus ou moins dans l’établissement. Pédagogue et souriante, Sylvie leur fait part de la nécessité de régulariser la situation immédiatement. Le gérant s’exécute en remplissant un chèque couvrant sa dette de 5 513 euros, auquel devra s’ajouter un redressement complémentaire correspondant au RSI. Sylvie reconnait une situation de travail illégal, de dissimulation d’activité et de salarié. Elle remplit un procès-verbal d’audition signé par l’intéressé, et convoque le gérant dans les bureaux du GIR pour s’expliquer sur les irrégularités et amener les documents nécessaires comme le registre du personnel et la comptabilité. « Le contrôles de négoces de métaux précieux, c’est une spécificité parisienne ! indique le commissaire. On tombe souvent sur des gérants qui n’ont pas de déclaration d’existence, qui ont fait autre chose avant et qui ne connaissent pas la réglementation. Nous suspectons certains établissements d’écouler de la marchandise de provenance délictueuse, cambriolages ou vol à la fausse qualité (faux policiers par exemple) ».

Perquisition douane

Reportage :
Floriane Boillot

Photographes MI/DICOM :
Aurore Lejeune
José Rocha