Le Sud-Ouest du territoire et surtout le pourtour méditerranéen ont été particulièrement touchés cet été par les feux de forêts, parfois avec une extrême violence. Les sapeurs-pompiers des services départementaux d’incendie et de secours et les personnels de la Sécurité civile se sont retrouvés en première ligne.
L’année 2016 n’aura décidément pas ménagé les sapeurs-pompiers et les militaires de la Sécurité civile. Après les inondations dévastatrices de juin dernier qui ont touché 16 départements, plus de 1 300 communes, et causé le décès de cinq personnes, ils ont dû affronter les feux de forêt quelques jours plus tard. « Les situations très pluvieuses sur la quasi-totalité du territoire ont épargné la zone méditerranéenne, explique Philippe Michaut, chargé de mission sur les feux de forêt à la DGSCGC. Un pic de sécheresse est donc apparu très tôt en juin dans les Bouches-du-Rhône, l’Aude et la Corse. »
Grégory Allione, directeur du service départemental d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône (SDIS 13) appuie cette analyse : « Habituellement, la réserve en eau dans les sols du département est comprise entre 100 et 120 mm au mois de juin, alors qu’elle était de 50 mm cette année, des conditions que nous rencontrons en général au mois d’août. À cela, se sont ajoutés des températures au-delà des normales saisonnières et des coups de vent violents. Un cocktail explosif qui a rendu la forêt provençale particulièrement vulnérable ».
La vigilance était donc exacerbée dans tous les services concernés. Dans les Bouches-du-Rhône, un travail étroit, sous l’autorité du préfet, a réuni la zone de défense, Météo-France, les comités communaux de forêts, l’office national des forêts, la police, la gendarmerie et bien sûr les forces d’incendie et de secours, à la fois du SDIS 13 et du bataillon des marins-pompiers de Marseille. L’objectif : analyser au plus près la météo et l’état de sécheresse des sols et des végétaux, au jour le jour, pour adapter une posture en pré-positionnant engins et hommes sur le terrain.
Après des feux déjà très violents à la mi-juillet dans l’Aude et les Bouchesdu-Rhône (2 500 ha détruits), la situation atteint son paroxysme les 10 et 11 août. Alors que la flotte de canadairs était encore en partie clouée au sol pour procéder à des vérifications d’éléments mécaniques, Météo-France se montre particulièrement alarmant quant aux conditions pour ces deux jours. L’état-major interministériel de la zone Sud alertait donc la Sécurité civile d’un besoin urgent de renforts pour faire face.
Pour tenir compte de l’évolution de la situation, le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) joue son rôle habituel de coordination nationale des moyens terrestres et aériens pour mettre à disposition de la zone Sud les moyens supplémentaires nécessaires. « Pour cette période, nous avons été confrontés à une cinétique très rapide, explique le colonel De Villeneuve, chef du COGIC. L’acheminement de renforts spécialisés en feux de forêt des autres zones demande un temps conséquent, nous avons dû innover en demandant à 250 sapeurs-pompiers des zones Ouest, Nord, Est et Paris de renforcer les centres d’incendie et de secours du SDIS 13. Ces centres ont ainsi pu libérer des effectifs formés à la mission feux de forêt et composer des colonnes supplémentaires. » Un renfort qui n’a pas été pas vain. Le 10 août en fin de matinée, un premier feu se déclare à Fos-sur-Mer, à proximité d’un site industriel classé Seveso. À 15h30, c’est entre Rognac et Vitrolles qu’un deuxième apparaît, puis un troisième vers 18h à Istres, le tout attisé par un violent mistral avec des rafales à plus de 100 km/h. En moins de trois heures, 1 500 hectares sont parcourus et mobilisent 1 500 sapeurs-pompiers du SDIS13, 200 du bataillon de marins-pompiers de Marseille, ainsi que des renforts extra-départementaux. 300 véhicules sont sur place, ainsi que cinq canadairs, sortis de révision, un Dash et un hélicoptère bombardier d’eau.
« Rognac, c’était un feu qui avançait à 6 km/h et qui fondait sur la ville de Marseille, continue Gregory Allione. Le feu ne connaît pas de limites, il faut donc faire fi dans ces moments-là des organisations administratives et se serrer les coudes. 27 départements sont venus en renfort pour lutter contre ce feu. Sans oublier les forces de police et de gendarmerie qui étaient également fortement engagées car il fallait fermer à la circulation plusieurs axes routiers et autoroutiers, de même que l’aéroport de Marignane. » Des centaines de personnes habitant dans des zones menacées par les flammes sont évacuées par les forces de secours dans le secteurs les plus à risques.
Dans le même temps, deux violents incendies se déclarent dans l’Hérault. Ils détruisent 300 ha de garrigues mais surtout, quatre sapeurs-pompiers se retrouvent encerclés par les flammes lors de l’intervention. Très grièvement blessés par le retour de flamme, l’un d’entre eux, rattaché au centre d’intervention et de secours de Saint-Mathieu-de-Tréviers, décède le 21 septembre. Le ministre de l’Intérieur se rend le jour-même sur place pour apporter son soutien aux soldats du feu. « La situation a été rendue difficile en raison de la météo, avec un fort vent et une sécheresse qui dure depuis plusieurs semaines », déclare le ministre. Le feu est maîtrisé peu après 20h grâce à la mobilisation de 563 sapeurs-pompiers et 234 véhicules du département ainsi que le renfort d’une colonne de la Sécurité civile basée pour l’été à Lézignan-Corbières.
À Montalba-le-Château, dans les Pyrénées-Orientales, l’incendie, déclaré le 10 août à 8 heures, est dompté le 11 août au matin par les 600 sapeurs-pompiers présents sur les lieux, renforcés par des moyens aériens. Un sinistre qui détruit 1 250 ha, laissant derrière lui un véritable spectacle de désolation. Au cours de la nuit, 500 personnes, naufragées de la route ou du rail, sont accueillies dans les centres d’hébergement d’urgence mis en place par les différentes communes situées le long de la RN 116.
Le 11 août, le feu de Rognac mobilise toujours autant les hommes et les matériels. Ce sont au final 1 788 personnels et 562 engins, issus du SDIS13, du bataillon de marins-pompiers de Marseille, des renforts zonaux et extra-zonaux ainsi que des moyens nationaux, qui ont oeuvré
durant ces deux jours intenses et épuisants aux alentours de l’Étang de Berre. Sur la seule journée du 11 août, les canadairs de la sécurité civile réalisent plus de 400 largages pour épauler les effectifs au sol. Sur ces deux jours, 4 300 ha ont été ravagés par les flammes dans l’Hérault et les Bouches-du-Rhône, un chiffre considérable comparé aux 11 160 ha détruits durant l’été 2015 sur toute la France ou les 7 440 ha en 2014.
« Cela faisait très longtemps que nous n’avions pas connu de tels incendies, souligne Philippe Michaut. Les sapeurs-pompiers se sont battus d’arrache-pied pour sauver les habitants et les maisons menacés par les flammes. 300 personnes sont venues en renfort de toute la France pour renforcer les effectifs locaux. Malgré cette mobilisation générale, nous enregistrons pour le moment près de 12 000 ha détruits pour les seuls départements méditerranéens. Du jamais vu depuis l’été 2005 qui a vu 17 000 ha dévastés dans cette zone. »
La Police et la Gendarmerie nationales ont très rapidement enquêté sur les causes des départs de ces différents feux. « 95 % des feux sont d’origine humaine, précise Grégory Allione. Sur ce chiffre, 70 % sont liés à de l’inconscience, de l’insouciance, de la maladresse. Nous devons continuer notre travail de sensibilisation de la population pour obtenir des comportements différents en Provence et pratiquer autrement le massif forestier. Obligation légale de débroussaillement, interface entre l’habitat et la forêt, entre l’industrie et la forêt, nous devons faire prendre conscience des interactions de nos comportements sur la nature. »
Sur cette question, le chef du COGIC apporte aussi son éclairage : « La sécheresse a été historique, nous avions rarement rencontré de telles données depuis qu’on observe de si près la végétation. À cela s’ajoute la forte occurrence de jours de vents forts. Il est donc difficile d’analyser les feux d’une année sur l’autre, d’édicter un modèle précis pour prévoir l’avenir.
Nous travaillons au quotidien sur ces cinétiques, nous améliorons sans cesse nos capacités de réponse, d’évaluation, de communication. Nous sommes de plus en plus sensibles à l’importance de la première heure. C’est l’heure cruciale durant laquelle nous sommes les plus fragiles. Que ce soit lors d’attentat, d’inondation ou de feux de forêts, il est indispensable d’avoir une réactivité immédiate pour éviter une aggravation du phénomène. »
Richard Wawrzyniak
Jean-Jacques Bozabalian, chef d’état-major interministériel
« La zone Sud est passée récemment de 13 à 21 départements suite à la réforme des régions, auxquels il faut ajouter la Drôme et l’Ardèche, deux départements spécifiques pour la thématique des feux de forêt. Placé sous l’autorité du préfet de zone, l’EMIZ organise la préparation, la coordination et la conduite des renforts au profit des départements. Dans le cadre de la campagne estivale de lutte contre les feux de forêts, il mobilise une équipe interministérielle qui réunit différentes spécialités, notamment des cellules météorologique, forestière, aérienne, moyens et renseignement lui permettant une analyse permanente du niveau de danger et de risque. C’est cette organisation qui assure la conduite opérationnelle des moyens nationaux terrestres et aériens.
L’EMIZ gère donc le quotidien et la crise à un échelon déconcentré sur le territoire de la zone. Nous organisons en anticipation des circuits de guêt des avions de la base aérienne de la Sécurité civile et, en lien avec les départements, nous positionnons des colonnes préventives sur le terrain issues de la solidarité zonale et/ou de renforts nationaux. Il est plus pertinent d’opter pour un envoi massif d’avions et de moyens terrestres sur les départs de feux plutôt qu’attendre qu’ils prennent de l’ampleur. Nous suivons en temps réel le positionnement des moyens aériens et l’évaluation des feux et la situation opérationnelle et opérons des choix dans la répartition des aéronefs et des hommes pour être prêts à intervenir au plus près des départs de feux. »
RW
Véritable pièce maîtresse du dispositif national de renfort mis en place par le ministère de l’Intérieur jusqu’aux derniers jours de l’été, les militaires de la Sécurité civile ont vécu une saison intense à la hauteur d’une actualité brûlante, particulièrement éprouvante. Au plus fort de la saison estivale, près d’un sapeur-sauveteur sur deux s’est retrouvé sur le front des incendies dans le Sud de la France et sur l’Île de beauté. Du jamais vu depuis cinq ans pour ces sauveteurs de l’extrême pourtant abonnés aux catastrophes naturelles. Un renfort appréciable sollicité, au quotidien, pour la surveillance des massifs forestiers et la lutte sur le terrain avec les sapeurs-pompiers territoriaux. Dès le 27 juin, plus de 300 hommes et femmes ont ainsi été déployés en Corse et presque autant sur le continent dans le cadre du groupement opérationnel de lutte contre les feux de forêts (GOLFF). Sans compter les détachements spécifiques, uniques en France, mobilisés sur tous les feux majeurs de l’été. « Nous avons engagé la panoplie complète de ces moyens. Le détachement d’intervention retardant capable de poser des barrières anti-feu conjugué avec nos moyens de travaux publics, pour tracer des pistes, a notamment été mobilisé sur le plus grand incendie de la saison à Rognac, dans les Bouches-du-Rhône. Notre module formé pour intervenir en hélicoptère dans des reliefs accidentés inaccessibles aux moyens terrestres a souvent fait la différence, principalement en Corse », précise le commandant Emmanuel C. de l’état-major des formations militaires de la Sécurité civile.
Joachim Bertrand