En Haute-Savoie, le secours héliporté et médicalisé permet de sauver plus de 1 200 personnes par an. La base de sécurité civile d’Annecy, créée en 1964, est l’unique base mixte sapeurs-pompiers, gendarmes et SAMU, opérationnelle toute l’année. Embarquement à bord de Dragon 74, le « Saint-Bernard du ciel ».
Bleu, blanc, rouge, un trio qui fonctionne à Annecy ! Ici, les interventions de secours héliportées sont assurées par des médecins sapeurs-pompiers ou urgentistes du Samu, avec les sauveteurs spécialisés du PGHM 74 (peloton de gendarmerie de haute-montagne) et / ou des SDIS (service départemental d’incendie et de secours) 74 et 73. Ils interviennent sur tous types d’accidents, aussi bien des missions périlleuses en montagne nécessitant des techniques particulières, que des transports urgents en plaine, faisant ainsi office d’« ambulance volante ». Sur l’aéroport du Meythet, six pilotes et six mécaniciens de la sécurité civile arment la base toute l’année et 24 heures sur 24 avec deux EC145 « Dragon 74 ». Leur secteur d’intervention couvre une grande partie de la zone de défense Est ainsi que la Suisse et le nord de l’Italie dans le cadre d’accords bilatéraux.
Les paysages majestueux et les nombreuses activités de plein air attirent sportifs et touristes toute l’année. « Les gens ont plus de temps libre qu’avant, et il y a de nouveaux sports, par exemple le VTT de descente avec les remontées mécaniques dans le domaine franco-suisse des « Portes du Soleil », indique Michel Pierre, chef de la base depuis 2004. Pour les sports extrêmes et dangereux comme le wingsuit et le base jump*, la sécurité civile demande à être avertie avant chaque saut... ». Les particularités du secteur de Dragon 74 sont les massifs montagneux, notamment celui du Mont Blanc qui compte autant de secours que dans tout le reste du département, mais aussi la chaîne des Aravis ou le massif du Chablais. Les grands lacs du Bourget, Léman ou d’Annecy répondent à des plans de secours spécifiques pouvant également nécessiter le recours à l’hélicoptère. Contrairement aux idées reçues, les imprudents et inconscients ne représentent que 2 % des accidents : « Les gens qui pratiquent la montagne ont une bonne condition physique, même en famille, ils sont sportifs et en bonne santé. En haute-montagne, ce sont des alpinistes », soutient Michel Pierre. Malgré une bonne préparation, les campagnes de prévention et la nécessité de former le public aux gestes de secours sont essentiels.
Exercer son métier de médecin ou de secouriste en garde héliportée expose à des contraintes bien spécifiques. L’espace réduit de l’hélicoptère et la capacité en kérosène obligent les sauveteurs à respecter un compromis poids / encombrement. « Nous utilisons du matériel léger et qui ne prend pas de place, comme un brancard pliable ou un respirateur de petite taille », explique Damien, sapeur-pompier de Haute-Savoie. Sur zone, la prise en charge de la victime doit être la plus technique et rapide face au risque de sur-accident (chute de pierres, avalanche) et aux conditions météo. Le « chef de caravane » garantit la sécurité des sauveteurs, choisit le lieu du treuillage le cas échéant, la stratégie d’intervention et d’évacuation selon l’état de la victime. « Il a du recul sur la situation et fait le lien entre l’équipe et l’hélico », explique Fabrice, gendarme au PGHM d’Annecy.
Le secours héliporté implique aussi des prises de décisions significatives en terme de médicalisation. « Nous sommes en milieu hostile, affirme Patrick, médecin de sapeur-pompier. Plus l’équipe est soudée, plus le patient a des chances de survie. Ce matin, continue le médecin, nous avons eu affaire à une personne en hypothermie. Avec la neige qui commençait à tomber et la réserve limitée de kérosène, il y a eu des compromis à faire entre les gestes de secours et le transport : si nous ne partions pas immédiatement, on savait qu’il allait mourir ».
Autre exemple lors d’une intervention dans le « Trou de l’Enfer ». Les secouristes et le médecin descendent en rappel pour chercher la victime, mais l’urgence de la situation et la capacité du treuil ne permettent pas au médecin de remonter en même temps qu’eux : « ils ont rapatrié la victime à l’hôpital, j’ai du sortir du canyon plus tard. Vu son état, je ne pouvais pas agir comme la théorie l’enseigne dans les livres ! Nous avons des recommandations mais il faut s’adapter à l’environnement ».
Si, côté pharmacie, le matériel embarqué diffère peu de celui d’un VSAV (véhicule de secours et d’assistance aux victimes), avant de prendre leur envol les secouristes se munissent également de leur sac individuel d’alpinisme, de skis alpins ou de randonnées selon la topographie du terrain, d’un DRA (dispositif de recherche en avalanche) ou emmènent même un chien pisteur.
Les EC145 arrivent en 2000 à la sécurité civile, remplaçant les Alouette SA-316. « On est passé de l’aviation de Mermoz à la navette spatiale ! » plaisante Alexandre, l’un des mécaniciens opérateurs de bord. Dragon 74 est ainsi équipé d’un pilote automatique et d’instruments de vol IFR (permettant de piloter sans information visuelle extérieure) pour lesquels tous les équipages sont qualifiés. Le mécanicien opérateur de bord est assistant de vol, responsable de la manœuvre du treuil, et s’occupe de l’entretien de la machine. En somme, c’est le garant de la fiabilité de l’engin. Passionné et dévoué, il connaît sur le bout des doigts les subtilités mécaniques et électroniques jusqu’à être capable de changer le moteur des 3,2 tonnes volantes.
Chaque soir, Alexandre bichonne sa machine en commençant par nettoyer les patins de l’éventuelle boue de la journée. Il s’attelle ensuite à l’APRS (approbation pour une remise en service, pour une durée de 24h) : vérification du rotor arrière, des commandes de vol (biellettes), des feux « strobe » (feux arrières clignotants), du moteur, des altimètres... « L’hélicoptère est instable de nature, admet Alexandre, beaucoup de choses tournent, donc vibrent et prennent du jeu ». Il suit le vieillissement des pièces et sait les changer le cas échéant. « La machine en est à 6 271 heures de vol. Je sais qu’à tel moment, il faut faire tel changement de pièce, de vis ou de boulons ».
Alexandre teste aussi les nombreuses radios de l’hélicoptère : la radio aéronautique, en liaison avec la tour de contrôle, et les radios tactiques (CODIS, véhicules de sapeurs-pompiers au sol, gendarmerie, pisteurs). Il relève et vérifie les compteurs et le niveau de kérosène, « en dessous de 10 m 3 , j’appelle pour la livraison ».
Alexandre briefe tous les matins l’équipage sur les règles de sécurité du treuillage, la ligne antistatique (ligne accrochée au treuil et touchant le sol, pour évacuer l’électricité statique de l’hélico), ou encore les signaux manuels à réaliser à trois mètres du sol, à terre, puis à la remontée. Il rappelle les fondamentaux : « le treuil descend à 1,35 mètres par seconde. Il peut soulever 270 kilos, mais le câble casse à 1,5 tonne. Il y a une manette pour couper le câble en cas d’urgence en cas de situation très particulière ». Outre les entraînements, les mécaniciens opérateurs de bord de la base d’Annecy effectuent 400 treuillages réels par an !
Dragon 74 est appelé à la station de ski de La Clusaz pour un homme victime d’un traumatisme à la cheville. La mauvaise visibilité à Annecy et les couches de nuages successives obligent le pilote à décoller en IFR (avec la seule aide des instruments de l’hélicoptère et le guidage du contrôle aérien). Sur la piste, le médecin du SAMU, les secouristes des sapeurs-pompiers et du PGHM, aidés par les pisteurs, conditionnent la victime pour l’héliporter à l’hôpital de Sallanches. « À l’alerte, on a déjà une information sur la pathologie, explique un secouriste sapeur-pompier, on repère la zone depuis le ciel, on essaie de préparer le matos et d’anticiper un maximum en vol, même si l’intervention ressemble rarement à ce que l’on avait prévu ! »
Départ pour La Chapelle d’Abondance pour un infarctus. Survol de la chaîne des Aravis, traversée de la couche de nuage et atterrissage sur le terrain de foot faisant office de DZ (dropping zone). Le médecin, aidé de l’infirmier, effectue pendant le trajet un électro-cardiogramme et administre un anticoagulant. Arrivée à l’hôpital d’Annecy, la victime est immédiatement prise en charge. « Parfois, on réalise des actes techniques pendant le vol, explique le médecin. C’est un univers étroit, instable et inconfortable. Il faut aussi veiller à ce que le patient soit calme dans l’hélicoptère, qu’il n’interfère pas sur le vol ».
Un homme victime d’un choc septique doit être déposé d’urgence à l’hôpital de Chambéry. Le pilote vole de nuit grâce aux jumelles de vision nocturne.
Le médecin du SAMU s’occupe du patient dans l’espace restreint de l’hélico. « Notre objectif est de faire au mieux avec les moyens que l’on a. Extraire et transporter au plus vite, affirme le médecin. On est là pour maintenir en vie, c’est le chirurgien qui sauve ».
Direction Saint-Eustache pour une personne coincée sous une pelleteuse. L’engagement du moyen aérien, toujours effectué par le CODIS, est justifié par le besoin d’emmener le médecin au plus vite sur place. Un VSR (véhicule de secours routier) des sapeurs-pompiers pour la désincarcération et un VSAV arrivent par la route. Sur place, le médecin sapeur-pompier devra finalement constater le décès.
Le Mont-Blanc. « Nous sommes tout le temps sous adrénaline. Jusqu’à ce que la personne soit posée à l’hôpital. On peut avoir des moments privilégiés, comme un coucher de soleil sur les montagnes, mais c’est quand la pression relâche. »
Alexandre, le mécanicien opérateur de bord, vérifie chaque jour le moteur de sa machine.
Le groupement d’hélicoptères de la sécurité civile est géré par le bureau des moyens aériens (BMA), situé au siège de la DGSCGC à Garance. 23 bases d’hélicoptères sont positionnées sur le littoral, la montagne, en Outre-mer (Guyane, Martinique, Guadeloupe), et historiquement dans les principales agglomérations que sont Paris, Lyon, Marseille et Strasbourg.
« En France, une personne est secourue toutes les 30 minutes par la flotte d’hélicoptères de la sécurité civile, précise Victor Dev., chef du Bureau des moyens aériens à la DGSCGC. Et le groupement d’hélicoptères coûte moins d’un euro par Français et par an ! »
La mission principale des hélicoptères de la sécurité civile est le secours à personne, avec les sapeurs-pompiers ou des équipes spécialisées du SAMU dans le cadre d’une participation à l’aide médicale urgente. Les hélicoptères participent aussi à la fonction de garde-côtes, peuvent servir au transport logistique ou à la projection d’équipes spécialisées en cas de besoins particuliers. En zone de montagne, ils participent aux missions de secours avec les partenaires du secours en montagne tels que les CRS, gendarmes et pompiers. Pour la protection des personnes et des biens (risques d’éboulement en montagne, avalanche, feux de forêt), les hélicoptères ont des missions de reconnaissance et de marquage de cible.La maintenance des hélicoptères EC145 de la sécurité civile est réalisée sur la plateforme aéroportuaire de Nîmes. Depuis 2011, un détachement de la gendarmerie y réalise également la maintenance d’une partie de la flotte de la DGGN.
Une évolution majeure est en cours dans la réglementation européenne, avec la mise en place du « ciel unique européen » : « Pour densifier le trafic aérien, nous passons d’un système de guidage basé sur les infrastructures au sol, à un système de guidage entièrement par satellites, explique Victor Devouge. Pour conserver sa capacité de vol aux instruments par tous les temps, le ministère de l’Intérieur a décidé, dans ce nouveau contexte, d’adapter l’avionique des hélicoptères de la sécurité civile. Le marché de rénovation avionique qui vient d’être notifié prévoit notamment un changement des ordinateurs de bord, l’ajout d’une cartographie embarquée, ainsi qu’un système de géo-localisation des hélicoptères... », ajoute Victor Devouge. Cette modernisation devrait s’étaler entre 2016 et 2022.
Reportage :
Floriane Boillot
Photos MI/DICOM :
Elisabeth Delelis
Floriane Boillot