Terrain déminé pour le Pape

Terrain déminé pour le Pape © MI/SG/Dicom/Unité graphique

Le Pape François a effectué une visite officielle aux institutions européennes à Strasbourg le 25 novembre dernier. Comment sécuriser des lieux hautement sensibles et le parcours d’une personnalité à résonance mondiale ? Civique a suivi le dispositif déminage au cœur du cheminement du Saint-Père.


« Nous allons effectuer la sécurisation du voyage officiel le plus court qu’un Pape ait jamais effectué. » Nicolas D., chef de l’antenne déminage de Strasbourg, briefe ses équipes à la veille de l’arrivée du souverain pontife. 3h50 de visite au Parlement européen et au Conseil de l’Europe sont prévues, et d’importants moyens de sécurité mis en place par la préfecture du Bas-Rhin. Au cœur de ce dispositif, primo-intervenants dans la sécurisation des lieux, les démineurs de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crises veillent sur le risque d’attentat. Leur mission est d’autant plus exceptionnelle que le déminage du Parlement Européen n’avait encore jamais été demandé à la France. « Ces deux institutions sont extra-territoriales, nous ne sommes pas chez nous ! précise Nicolas D..

C’est honorifique comme travail, mais c’est énorme ! » 30 démineurs provenant des centres de déminage de Colmar, Toulouse, Suippes, Calais, Roissy, Châlons-en-Champagne, Ajaccio, Bastia et Marseille, sont venus
en renfort de l’antenne de déminage de Strasbourg, dont une équipe nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) et une équipe de démineurs-plongeurs embarquée par la compagnie de gendarmerie fluviale de Strasbourg. 14 équipes cynophiles de la direction départementale de la police aux frontières, la DDSP, la brigade de gendarmerie des transports aériens, la Gendarmerie nationale, et du 132 e bataillon cynophile de l’armée de terre sont mis à leur disposition. Enfin, 45 fonctionnaires du détachement central interministériel d’intervention techniques (DCI-IT) les assistent dans leur travail.

Un contexte à risque

Deux mois avant l’événement, Nicolas D. a commencé à organiser et dimensionner la mission déminage avec Benoit W., du service des opérations du bureau déminage de la DGSCGC. « La première chose est d’effectuer un travail de reconnaissance des institutions : le cheminement exact du Pape, les itinéraires d’extraction, le déroulé de la visite... afin d’évaluer les besoins en effectifs et la charge de travail. »

Démineur au parlement européen © MI/SG/Dicom/E.Delelis

Les démineurs sont ensuite associés à toutes les réunions préparatoires. La dernière, à J-1, présidée par le préfet d’Alsace Stéphane Bouillon, rassemble tous les services de sécurité concernés (RAID, DDSP, SDLP, PAF, SIDSIC, CCPD, DGSI, CRS, gendarmerie...), ainsi que le chef du dispositif allemand, du protocole du Conseil de l’Europe, du Parlement, et du Vatican. Chaque information et changement a son importance : le préfet annonce que la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, Ségolène Royale accueillera le Pape François à l’aéroport, il faudra donc sécuriser aussi son cortège. La DGSI s’exprime sur l’état de la menace internationale et locale : « Les institutions européennes sont désignées par le groupe terroriste Daesh. Les individus sont surveillés. Les Femen quant à elles viennent d’arriver à Strasbourg. » Tout est un risque potentiel à prendre en compte par les démineurs, y compris la présence attendue de plus de 1 000 journalistes.

Trois itinéraires différents du cortège papal sont définis en secours. Le dispositif de sécurité et de déminage a été réalisé en parallèle à l’aéroport allemand de Baden-Baden en cas d’aléa climatique pénalisant l’atterrissage à l’aéroport de Strasbourg-Entzheim.

Enfin, des chasse-neige sont en alerte à proximité de l’autoroute, malgré les 14 degrés prévus. Les reconnaissances s’étendront jusqu’à tard dans la nuit, avec la répétition protocolaire de dépose et de reprise du Pape François au centimètre près sur le parvis du Parlement puis du Conseil.

Opération déminage

Les démineurs ont pour objectif de rechercher, neutraliser et enlever tous pièges ou explosifs dans les lieux qui seront empruntés par le Pape et la foule : l’aéroport et son salon d’honneur, les véhicules du cortège, les institutions européennes et leurs abords (bâtiment abandonné en face du Conseil de l’Europe, berges et cours d’eau qui entourent le Parlement), la cathédrale qui accueillera les fidèles voulant assister à la retransmission sur grand écran, ainsi que les parkings, les cars régie des chaînes télé, le centre de presse et la tribune presse.

Un dispositif déminage se déroule en deux temps. D’abord la sécurisation pyrotechnique, avec une recherche olfactive menée par les chiens de recherche en explosif et une inspection visuelle à l’aide d’un miroir par le démineur. Ensuite, les agents du DCI-IT procèdent à la sécurisation radiologique, chimique et biologique, pour détecter les éventuelles traces de poudre ou de produits suspects. « Quand l’équipe de fouille trouve un paquet, la police réalise un périmètre de sécurité et l’équipe d’astreinte intervient selon le danger », témoigne un démineur d’Ajaccio.

« Sweeping explo », c’est la formulation anglaise utilisée pour les opérations de reconnaissance dans le Parlement européen. « On sanctuarise tout : coursives, ascenseur, toilettes... indique Nicolas D.. Pour les installations techniques situées sous le Parlement, nous les avons sécurisées deux jours avant, et collé des sticks afin de pouvoir s’assurer que personne n’y touche après notre passage. » Les agents DCI-IT posent également des balises devant les conduites d’air, qui détectent les sources chimiques pour éviter la diffusion de tout produit dans les bouches d’aération présentes devant chacun des 750 sièges de l’hémicycle. Des balises de détections des sources radiologiques sont aussi placées à certains points précis à l’intérieur et à l’extérieur des institutions. En cas de déclenchement de la balise, un spectre du produit détecté est envoyé au poste de commandement mobile NRBC, où les fonctionnaires pourront prendre les mesures nécessaires. Enfin, un prélèvement d’air a été effectué et analysé.

Vérification Conseil de l'Europe par les démineurs © MI/SG/Dicom/A.Lejeune

« En déminage, continue Nicolas D., on travaille avant l’événement pour les opérations de fouilles, et pendant, avec les équipes d’intervention pré-positionnées. La majorité de nos actions sont préventives, mais on est en mesure d’intervenir si besoin. » Et les fouilles ne se font pas sans surprises. Près du Conseil de l’Europe, une voiture contenant deux bidons d’essence est découverte. Les démineurs font passer les chiens puis effectuent une inspection au miroir pour vérifier qu’il n’y ait pas de mécanisme de déclenchement, avant de pouvoir lever le doute et déplacer le véhicule. À l’aéroport de Strasbourg, peu de temps avant l’arrivée de l’avion, un chien s’arrête à coté d’une voiture du cortège ce qui peut signifier qu’elle comporte des substances explosives.

Comme le veut la procédure, un deuxième chien passe, qui lui ne marque pas d’arrêt. La voiture est re-vérifiée complètement par les démineurs, avant de pouvoir être utilisée. « Nous demandons que les voitures, y compris le SAMU qui fait partie du cortège, nous soient mises à disposition à H-2 pour avoir le temps de gérer toute situation. Si nous avons le moindre doute, nous la sortons du cortège et le véhicule spare est utilisé », précise le chef de l’antenne déminage de Strasbourg.

Un parcours sans éclat

En liaison radio avec les différents postes de commandement, Nicolas D. apprend que l’avion papal a décollé avec une demi-heure d’avance. Il s’apprête dans l’urgence à décaler son dispositif. Puis un message du SDLP, de source Vaticane, maintient l’atterrissage à 10 heures : l’avion ralentira en vol. Pour le Pape tout est possible. Accueilli par le président du Parlement, l’Allemand Martin Schulz, le Pape François a donc posé le pied pour la première fois sur le sol français comme prévu à 10 heures, s’est rendu à 10 h35 au Parlement européen où il a prononcé un discours pendant la session parlementaire, puis à 12 h 05 au Conseil de l’Europe afin de s’exprimer lors d’une séance solennelle. Des équipes d’intervention de démineurs se sont positionnées toute la matinée aux abords du Parlement, du Conseil, de la cathédrale, de l’aéroport, et des parkings. Le laboratoire mobile NRBC a suivi le cortège, prêt à intervenir en cas de suspicion chimique, biologique ou bactériologique. 13h50, l’avion décolle en direction de l’Italie.

« Une telle mission reste un souvenir marquant dans une carrière. Je suis content de la manière dont ça s’est passé, efficacement et dans la bonne humeur. » se réjouit Nicolas D. sur le tarmac. « Des restes de la guerre 14-18 à la modernité d’un voyage officiel, les démineurs savent s’adapter » conclut le préfet Stéphane Bouillon. Habemus Papam Secure ! *

Floriane Boillot

* Nous avons sécurisé le Pape !

3 questions à Jean-François Colombet, sous-préfet, directeur de cabinet du préfet de la région Alsace, préfet du Bas-Rhin

Quel est le rôle d’un directeur de cabinet lors d’un voyage officiel comme celui-ci ?
Le directeur de cabinet, sous l’autorité du préfet, anime et coordonne le dispositif global de sécurité. Il est un trait d’union entre les partenaires, nombreux, des niveaux nationaux et territoriaux, et il propose au préfet une organisation homogène, cohérente qui permette à la fois de garantir un haut niveau de sécurité et de respecter le plus possible l’ambiance dans laquelle la personnalité souhaite inscrire son déplacement.

Un travail bilatéral effectué avec l’Allemagne a été nécessaire...
Dans l’Est de la France, à la fin du mois de novembre, le brouillard peut être fort. Il fallait donc mobiliser un dispositif d’accueil du Pape dans un aéroport différent de celui de Strasbourg et suffisamment proche pour ne pas complètement bouleverser la visite. Baden-Baden s’imposait naturellement après avoir reçu l’accord du Vatican. Ici, le travail avec les services de sécurité allemands est quotidien, nous sommes très proches les uns des autres. Les autorités allemandes ont immédiatement compris l’enjeu, et le travail a commencé sans perdre une seconde. Leur mobilisation nous a rendus très sereins sur cet aspect de la visite.

Comment avez-vous vécu les semaines de préparations et ces quelques heures de visite ?
Il y a eu beaucoup de travail et quatre heures de visite, mais pour quatre heures ou quatre jours, les contraintes sont presque les mêmes. J’ai ressenti autour du préfet une ambiance très agréable, très professionnelle. Les services centraux ont immédiatement apporté leur expertise, leur savoir-faire, et localement, la mobilisation fut grande. La seule difficulté est d’additionner ce surplus de travail avec la charge quotidienne, mais finalement je me demande si nous ne sommes pas un peu fan de cela, les équipes ont été extraordinaires !