Le 5 février 2014, le cargo espagnol Luno s’échouait à Anglet, dans les Pyrénées-Atlantiques. Le sous-préfet de Bayonne, Patrick Dallennes, revient sur cet événement qui a mobilisé la sous-préfecture pendant près de cinq mois.
En cette matinée du 5 février 2014, alors qu’il est sur le point d’entrer dans l’estuaire de l’Adour, afin de rejoindre le port de Bayonne, le Luno, un navire espagnol de 100 mètres subit une avarie électrique totale qui provoque la « perte » de sa propulsion et de son gouvernail.
Après une tentative de remorquage manquée, « en raison des conditions météo difficiles », comme le précise le sous-préfet de Bayonne Patrick Dallennes, le cargo part à la dérive dans une forte houle et des creux de 7 à 8 mètres, s’échoue sur la digue des Cavaliers à Anglet et se casse en deux.
Les 12 personnes à bord -11 membres d’équipage et le pilote maritime (qui assiste les capitaines dans la manœuvre et la conduite de leur navire à l’intérieur des ports)- se réfugient sur la passerelle dans l’attente des secours.
La préfecture maritime de l’Atlantique, alertée dès le début, dépêche un hélicoptère de l’armée de l’air de la base de Cazaux.
« Un hélicoptère de la Gendarmerie basé à Biarritz avait bien tenté un premier hélitreuillage, mais sans succès. L’appareil était en effet trop léger pour manœuvrer face à un vent trop fort ».
A terre, les secours s’organisent. Un poste de commandement opérationnel est rapidement constitué avec les sapeurs-pompiers, le SAMU, et la Police nationale chargée d’établir un périmètre de sécurité. Le préfet des Pyrénées-Atlantiques désigne le sous-préfet de Bayonne pour prendre la direction des opérations de secours à terre, en liaison avec la préfecture maritime à Brest, et arme parallèlement le centre opérationnel départemental en préfecture.
Plus de deux heures seront nécessaires pour évacuer l’équipage. « Le bateau était secoué par de très fortes vagues, ce qui rendait difficile toute approche. De plus, en raison d’une forte électricité statique, les sauveteurs n’ont pu dans un premier temps monter à bord du navire. Ils recevaient en effet de fortes décharges électriques dès qu’ils posaient un pied sur la passerelle supérieure. Il a fallu également composer avec les marins qui, tétanisés par la peur, n’osaient pas retirer leur brassière de sauvetage, rendant impossible tout hélitreuillage ». L’équipage de l’hélicoptère réussit néanmoins à hélitreuiller les douze personnes et à les amener à terre. « Les marins étaient choqués et transis de froid mais un seul blessé léger était à déplorer. Cette première phase fut donc une réussite totale, grâce à la maîtrise et au savoir faire des sauveteurs envoyés par le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS-Corsen) », tient à préciser Patrick Dallennes.
Une fois les marins à l’abri, la question de la pollution se pose « avec un degré d’urgence très élevé ». Le préfet maritime dépêche immédiatement une équipe du CEPPOL ( 1 ) . Dans le même temps, l’assureur du navire, mis en demeure par les deux préfets, sollicite une société privée néerlandaise spécialisée pour réaliser les opérations de dépollution.
« Les spécialistes du CEPPOL, arrivés le soir même, recueillent auprès de l’armateur un maximum d’informations sur la quantité et la qualité du carburant emporté. Il s’avère que l’avant du navire échoué sur la plage contient dans ses soutes 80 à 100 tonnes de gazole marin qui risquent à tout moment de s’échapper ». Autre souci pour les autorités : dans la nuit, la partie arrière du navire se brise en deux, laissant échapper du gazole de ses réservoirs. « Fort heureusement, le carburant s’est rapidement dilué dans l’eau et la pollution est donc restée très limitée ».
Le pompage du carburant, prévu le 7 février, sera retardé de 24 heures. « La partie avant du navire ayant basculé, le personnel de l’entreprise néerlandaise ne pouvait pomper le gazole par la tape d’accès au réservoir. Il a fallu le percer et y installer une vanne ». Dans le même temps, les spécialistes du CEPPOL récupèrent tout produit présentant un risque de pollution : peintures, huiles, détergents...
« En trois jours, dans des conditions de travail délicates, la totalité du carburant est finalement pompée, et tous les polluants qui se trouvaient dans les cales sont évacués. L’opération de dépollution fut un succès ».
Reste la question du démantèlement du bateau, « une opération, à la cinétique plus lente, mais que nous avons engagée dès les premiers jours du naufrage, pour que les bases en soient jetées sans délai ». Un comité de pilotage autour du sous-préfet est constitué avec toutes les parties prenantes, notamment la commune d’Anglet et le conseil régional, afin de suivre l’évolution du chantier.
« Les services de l’État travaillaient en temps masqué pendant que l’assureur du navire lançait son appel d’offres auprès des sociétés spécialisées. L’objectif était, en s’inspirant de l’expérience acquise par les services d’autres départements, comme ceux du Morbihan avec le naufrage du T.K Bremen en 2011, de préparer en amont l’ensemble des procédures administratives afin d’éviter tout retard dans le déroulement du chantier ».
Le 20 juin 2014, soit quatre mois et demi après le naufrage, l’enlèvement de l’épave était effectif. « Au total, 1330 tonnes de ferraille et de débris divers ont pu être extraites de l’eau ou du rivage, recyclées en grande partie dans des filières locales. Cette opération, d’une envergure exceptionnelle a été maîtrisée avec succès ».
Propos recueillis par Frank Canton
L’expérience du Luno a conduit Patrick Dallennes à constituer une équipe de collaborateurs de la sous- préfecture mobilisable en cas de crise. « Je me suis rendu compte qu’il me manquait une équipe sur laquelle je pouvais m’appuyer dès le début de la crise pour gérer certains aspects comme les relations avec la presse ou la préparation d’un déplacement ministériel en attendant le renfort de la préfecture.
Trois collaborateurs sont désormais identifiés, seront formés et m’accompagneront dès qu’un événement de ce type se produira ».
(1) Le CEPPOL, centre d’expertises pratiques de lutte antipollution est un organisme de la Marine nationale rattaché au commandant de la zone maritime Atlantique. Sa mission est d’assurer la préparation à la lutte antipollution et de fournir une expertise sur les stratégies de lutte lors des opérations en mer. Basé à Brest, le centre d’expertises a un rôle central et national pour la lutte en mer contre tous les types de pollutions (hydrocarbures, chimiques, conteneurs).