Déclaration de M. Bernard Cazeneuve à la presse le jeudi 8 janvier 2014

8 janvier 2015

 Déclaration de M. Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, à la presse

 Hôtel Beauvau, 8 janvier 2014


Seul le prononcé fait foi
 
Mesdames et Messieurs,
 
Notre pays traverse des moments d’une exceptionnelle gravité.

Comme vous le savez, le bilan du lâche attentat qui a frappé hier « Charlie Hebdo » s’établit à douze morts, dont sept journalistes et deux policiers, et quatre blessés graves. La fusillade qui a eu lieu ce matin à Montrouge a également frappé à mort une policière municipale et a grièvement blessé un agent municipal de la ville de Montrouge en charge de la voirie.  Aucun élément ne permet à ce stade d’établir un lien entre les deux crimes. Mais la succession de deux drames d’une extrême violence, dirigés contre la liberté de la presse, contre les forces de l’ordre et donc contre l’Etat républicain, doit susciter dans la dignité une condamnation générale et appelle de notre part une réaction d’une extrême fermeté.

Je veux commencer par exprimer ma compassion pour les victimes et pour leurs proches.    

En frappant la rédaction de Charlie Hebdo, les assassins ont endeuillé toute la France, provoquant chez nombre d’entre nous le sentiment d’avoir perdu de vieux amis, dont les dessins, la liberté de ton jusqu’à l’impertinence parfois, nous ont accompagnés tout au long de notre vie. Mais ces assassins ont surtout voulu porter atteinte à des libertés fondamentales, la liberté de la presse et la liberté d’expression, qui sont au cœur de notre démocratie. Aussi font-elles horreur aux terroristes, parce qu’ils savent que la faculté de critiquer et de s’informer librement menacent directement leurs ambitions et leur pouvoir, fondés sur l’ignorance et sur la peur.

Je veux également rendre hommage aux agents des forces de sécurité, et le faire avec force et solennité, car ils sont tombés victimes de leur devoir. La mort a réuni un officier de police chargé de la protection d’une personnalité menacée en raison de son combat pour la liberté et une policière municipale. Un policier est également décédé lors de la poursuite des auteurs après le drame. Leur sacrifice doit nous rappeler l’héroïsme du quotidien de tous ceux qui assurent au péril de leur vie, à tous les niveaux de la hiérarchie,  la sécurité des Français, mais aussi la protection des libertés publiques, le droit de chacun à une existence paisible.  Nous nous devons de penser à ces policiers nationaux et municipaux avec gravité et aussi avec gratitude.

Dans ces circonstances dramatiques, je veux appeler les Français, comme l’ont fait plusieurs responsables politiques, à rester unis et soudés contre la violence barbare des terroristes et contre la menace qu’ils représentent.

A cet égard, la réaction d’indignation, de condamnation et de compassion envers les victimes, qu’ont exprimée les partis politiques, toutes les organisations syndicales et toutes les familles spirituelles doit être saluée. Je tiens à relever en particulier la très grande fermeté avec laquelle toutes les composantes de l’Islam de France, ont immédiatement dénoncé ce lâche attentat comme constituant un dévoiement absolu de la religion. Je veux également saluer les initiatives spontanées qui ont abouti partout sur le territoire national à l’organisation de dizaines de manifestations, partout en France, pour dire la solidarité des citoyens à l’égard des victimes et leur volonté de défendre la liberté de la presse et les valeurs de la démocratie.

Il importe au plus au point que nous sachions préserver ce consensus républicain. L’unité nationale, en de semblables moments, est d’autant plus indispensable que le projet des terroristes consiste, au-delà du déchaînement de la violence, à semer la peur, à s’attaquer aux valeurs de la démocratie, à dresser les Français les uns contre les autres. Nous saurons leur démontrer, à ces terroristes, par notre sang-froid, par notre adhésion ferme aux valeurs de la République, que nous n’avons pas peur et que nous demeurons unis face à l’épreuve.

Le Gouvernement condamne donc avec la plus grande fermeté les violences ou les profanations dont ont fait l’objet certains lieux de cultes musulmans en France,  depuis hier soir, heureusement sans faire de victimes. La France est une République laïque, qui reconnaît à chacun le droit de croire ou de ne pas croire, et qui garantit aux croyants la faculté de pratiquer librement et paisiblement leur culte.  Nous ne tolérerons aucun acte, aucune menace visant un lieu de culte, pas plus qu’aucune manifestation hostile dirigée contre des Français en raison de leurs origines ou de leur religion. Les auteurs de tels actes doivent savoir qu’ils seront eux aussi recherchés, arrêtés et punis.

Je veux également dire aux Français que le Gouvernement a pris des mesures pour assurer leur sécurité face à une menace dont je n’ai cessé de dire qu’elle était très sérieuse.

Dès hier matin, le niveau d’alerte attentat du Plan Vigipirate a immédiatement été déclenché sur la région Ile-de-France. Il a été étendu cet après-midi à la région Picardie.

Les effectifs mobilisés pour assurer la sécurité des Français ont été renforcés, grâce notamment aux renforts du ministère de la défense et à la suspension du repos compensatoire pour les policiers, pour atteindre aujourd’hui 8 janvier le chiffre de 88 000 personnels mobilisés, dont 9650 en Ile-de-France. D’ici demain soir, les armées affecteront 400 hommes supplémentaires au dispositif de protection des zones publiques. Le nombre de ces effectifs pourra encore être accru par la suite en cas de nécessité.

Cette mobilisation très exceptionnelle permet notamment d’assurer ou de renforcer en région parisienne, mais pas seulement,  la sécurité d’un grand nombre de sites sensibles : les sièges des médias de la presse écrite, audiovisuelle et radiophonique, ainsi que de certaines maisons d’édition ; les lieux de culte et les écoles confessionnelles ; les gares, les aéroports, certains sites touristiques ; certains bâtiments publics et représentations diplomatiques.

Le dispositif de surveillance des réseaux de transport est aussi renforcé. Le ministère de l’économie et des finances a également réuni aujourd’hui les représentants des commerces et des grands magasins afin de mettre en place des mesures de contrôle d’accès renforcées. Enfin, le ministère de l’Education nationale a suspendu provisoirement certaines sorties scolaires exceptionnelles en Ile-de-France et renforcé les contrôles d’accès aux établissements.

Comme vous le voyez, ce sont donc toutes les administrations de l’Etat qui contribuent à mettre en place ce dispositif de sécurité exceptionnel. Au-delà, je ne peux passer sous silence l’engagement des élus, et en particulier des maires, au côté de l’Etat pour participer à l’effort de sécurisation des lieux publics. Le Président de la République a tenu à réunir à deux reprises le Conseil de défense qu’il préside, afin de veiller à cette mobilisation collective. Le ministère de l’Intérieur a pour sa part mis en place dans ses locaux, à la demande du Premier Ministre, un comité de coordination interministérielle, qui siège en permanence afin de centraliser toutes les informations disponibles et d’adapter nos mesures de sécurité en conséquence.

Je me suis entretenu cet après-midi par téléconférence avec les préfets de zone et je réunirai demain ici Place Beauvau, en présence du Premier Ministre, l’ensemble des préfets afin de faire le point sur ce dispositif et veiller à ce qu’il soit bien opérationnel à tout moment, en toutes circonstances et en tout point du territoire.

Enfin, afin de conforter le consensus républicain qui ajoute à la force de l’action de l’Etat face à cette menace exceptionnelle, j’organiserai également demain place Beauvau une rencontre avec les responsables des questions de sécurité des groupes parlementaires représentés au Parlement.

J’en viens au déroulement de l’enquête qui se poursuit afin d’arrêter les auteurs de l’attentat commis contre la rédaction de « Charlie Hebdo »  et les traduire en justice, mais également arrêter l’auteur du crime commis ce matin à Montrouge.

A la suite de la fusillade qui s’est déroulée hier, la Direction régionale de la police judiciaire de Paris, la Direction centrale de la police judiciaire et la direction générale de la sécurité intérieure ont été conjointement saisies par la section anti-terroriste du Parquet de Paris de l’enquête en crime flagrant pour assassinats, tentative d’assassinats, infractions à la législation sur les armes et vol à main armée en bande organisée, toutes infractions en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs en vue de commettre des crimes d’atteinte aux personnes.

Comme vous le savez, une fois leur forfait accompli, les deux agresseurs ont quitté les lieux dans une citroën C3 et échangé dans leur fuite des tirs avec des équipages de police, au cours desquels un fonctionnaire de police trouvait la mort.

Les malfaiteurs ont abandonné rue de Meaux à Paris dans le 19ème arrondissement cette Citroën C3, volée en région parisienne et faussement immatriculée.

Les agresseurs ont dérobé quelques instants plus tard, sous la menace de leurs armes, un véhicule à proximité de la Porte de Pantin, avec lequel ils ont pris la fuite. Le véhicule faisait l’objet d’une diffusion nationale urgente. Saïd KOUACHI a été formellement reconnu sur photo comme agresseur.

A l’intérieur du véhicule C3 abandonné, était trouvée une carte nationale d’identité au nom de Saïd KOUACHI, né en 1980 à Paris et demeurant dans le 19ème arrondissement.

Or Saïd KOUACHI et son frère Cherif KOUACHI sont des individus de nationalité française connus des services spécialisés.

Chérif KOUACHI, âgé de 32 ans, a en effet été condamné le 14 mai 2008 du chef d’association de malfaiteurs terroriste, à la peine de 3 ans d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis, pour son implication dans l’affaire dite de la filière irakienne du 19ème arrondissement. Il  avait pris part aux agissement d’un groupe de jeunes parisiens dont certains étaient partis combattre aux côté d’Al-Qaeda en Irak, en 2004 et 2005. Il avait été décrit par ses complices au cours de l’instruction comme violemment antisémite.

Il a également été mis en examen en 2010, avant de bénéficier d’un non-lieu, dans l’affaire de la tentative d’évasion de Smain Aït Ali Belkacem, membre des groupes islamistes armés (GIA), artificier de l’attentat du RER Saint-Michel à Paris en 1995, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

Saïd KOUACHI, domicilié à Reims, sans emploi,  n’a pour sa part jamais été poursuivi ni condamné, mais était apparu en périphérie des affaires judiciaires dans lesquelles son frère Chérif a été impliqué.

Ces individus avaient fait l’objet de surveillance. Aucun élément incriminant susceptible d’entraîner l'ouverture d’une enquête judiciaire n’avait été relevé à l’époque à leur encontre.

Aussitôt connue l’identité des suspects, leurs points de chute connus ont été placés sous surveillance de la direction centrale de la police judiciaire et du RAID.

Dans la soirée du 7 janvier, plusieurs perquisitions ont été effectuées sur instruction du Parquet anti-terroriste, au domicile supposé de Said KOUACHI et chez des membres de la famille des frères KOUACHI dans plusieurs villes.

Neuf personnes sont actuellement placées en garde à vue.

La nuit dernière, le Parquet anti-terroriste de Paris demandait la diffusion dans les médias  d’un appel à témoins avec diffusion des photos et identités des frères KOUACHI.

Saïd et Chérif KOUACHI font donc actuellement l’objet de mandats de recherche, d’une diffusion nationale et de notices bleues Interpol.

Aujourd’hui dans la matinée, des individus correspondant au signalement des suspects ont été repérés dans la matinée à Villers-Cotterêts, des éléments de la Force d’intervention de la police nationale et du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale sont donc actuellement engagés, avec l’appui de moyens aériens, aux côtés des enquêteurs, dans certains départements, afin d’interpeller les suspects.

Par ailleurs, dès la commission de l’attentat contre Charlie-Hebdo, l’ensemble des moyens d’investigation disponibles était aussitôt mobilisé et déployé parallèlement aux recherches concernant les frères KOUCHI. La Direction centrale de la police judiciaire a donc armé immédiatement son dispositif attentat ; une ligne verte a été activée et plusieurs centaines d’appels téléphoniques ont été exploités.

Plus de 90 témoins étaient entendus. Plusieurs d’entre eux rapportaient les propos qui ont pu être proférés à plusieurs reprises par les auteurs.

Des opérations particulièrement lourdes de police technique et scientifique, tant sur les scènes de crime que dans les locaux perquisitionnées, ont été engagées, et les autopsies des victimes se déroulent actuellement.

Des investigations méticuleuses portant sur la téléphonie et l’internet sont toujours en cours. De même, des dizaines de documents vidéos, provenant tant de témoins des faits que des réseaux de surveillance de voie publique, sont actuellement exploitées.

Le Plan Epervier a enfin été déclenché dans plusieurs départements.

Tous les moyens sont donc mis en œuvre pour appréhender les suspects.

Enfin, j’ai pris l’initiative d’inviter ce dimanche 11 janvier, mes collègues des pays européens les plus concernés par le terrorisme, le commissaire européen Dimitris Avramopoulos, le coordinateur de l’Union Européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, ainsi que mes collègues américains, Erik Holder, ministre de la justice,  et Jeh Johnson, ministre de l’intérieur, qui doivent se rendre ici, à Paris, place Beauvau. Il s’agit à la fois pour eux de manifester à nouveau leur solidarité avec la France et leur rejet du terrorisme, et aussi d’échanger avec nous sur ce défi commun que nous adressent les terroristes et qui ne pourra être résolu qu’en commun, au sein de l’Union Européenne et au-delà.

Au cours des prochaines heures, j’aurai à réunir à nouveau la Cellule interministérielle de crise. Et à la demande du Président de la République et du Premier Ministre, j’aurai à rendre compte des dispositions que nous prenons et des informations que nous pourrons porter à votre connaissance.

Je vous remercie.