Lors de la remontée, la technique spéléo s’impose d’abord pour extraire la civière jusqu’à la partie surplombante. En utilisant un système de balancier, le poids d’un homme et une poulie suffisent à faire remonter la perche. Puis dans la pure verticalité, la technique alpine prend le relais : depuis le haut du plateau, les gendarmes montagnards testent un système de démultiplication de force grâce à des poulies, appelé « Palan », qui permet à un seul bras de tirer 80 kilos ! Un treuil manuel ou à moteur thermique aurait également pu être utilisé.
Jérôme Grange, commandant du PGHM de Grenoble, explique son intervention : « Dans cette situation, l’utilisation de l’hélicoptère aurait demandé trop de temps de préparation. En secours en montagne il n’y a pas de protocole, il faut s’adapter car on sera toujours surpris par la météo ou la configuration du terrain. Il est intéressant pour nous de participer à l’exercice et d’être sensibilisés aux contraintes des spéléologues sous terre, à leur matériel et leur technique. Ils ont une grande expertise du travail sur corde, ce sont des choses que nous importons de la spéléo pour inclure dans le secours en montagne. »
La façon d’appréhender la falaise est différente pour un spéléologue ou un grimpeur. « L’alpiniste se sert de la corde pour sa sécurité, tandis que pour le spéléologue, c’est un moyen de progression, soutient Stéphane. Il ne fait pas d’escalade libre, il passe sa vie sur la corde ». Du point de vue de William, « la corde, c’est un peu le cordon ombilical du spéléologue. C’est ce qui nous retient à la vie. »
Pour rejoindre le haut de la falaise, les spéléologues pédalent à la verticale dans un manège incessant de corde, se hissant sur leur ligne à l’aide de bloqueurs mécaniques de poitrine, bloqueurs de main et pantin, matériels indispensables de leurs ascensions.
Obscurité, humidité, froid…mais qu’est ce qui pousse ces hommes à passer du temps sous terre ? Pierre-Yves apporte des éléments de réponse : « Le spéléologue, ce qu’il recherche, c’est d’abord explorer de nouvelles galeries. C’est ça qui le fait vibrer. On découvre, on topographie la cavité, puis on essaie de comprendre comment s’est formée cette galerie, et trouver des indices qui vont nous guider sur la suite du réseau à découvrir. »
Le confinement dévoile également certains traits de personnalité : peur, entraide, rapprochement… « Sous terre, dans l’obscurité, on ne peut pas mentir ni se mentir. Le caractère intrinsèque des gens est mis à jour, développe Laurent.
En spéléo, on a un cadre bien précis, une limite droite, une limite gauche, et un plafond. On ne peut pas faire n’importe quoi. Il fait sombre, c’est étroit, c’est un milieu théoriquement hostile, alors il faut faire confiance à l’autre, et se faire confiance. Parfois ça extériorise des frustrations passées, il peut y avoir des excitations, des paniques, des suffocations chez certaines personnes… Ce n’est pas que l’aspect sportif, ni scientifique, c’est aussi un état d’esprit.
Le savoir-être prédomine sur le savoir-faire. C’est dans l’adversité et dans la fatigue que l’on voit si un groupe est soudé ou pas. On va s’entraider, c’est inné. »
La poésie des spéléos
« Faire le miroir en plein gaz » Le gaz, en langage spéléo, c’est le vide. Faire le miroir, c’est coordonner deux lignes afin de démultiplier la force pour la remontée.
« On ne met pas la contre sur une protrac » La "protraction" est une poulie-bloqueur mécanique, la contre est un système de contre-assurance qui complète la corde principale en cas de rupture d’amarrage ou de corde.
« Il faut passer neuf frac et trois dèv » Un frac est un fractionnement, c'est-à-dire un changement de corde sur laquelle le spéléologue progresse. Les fracs sont utilisés en cas de frottement de corde, chute de pierre, écoulement d’eau, ou bien pour faire descendre ou monter plusieurs spéléologues simultanément sur des cordes différentes. Une dèv est une déviation de la corde. Cette manipulation à l’aide de mousqueton est utilisée pour les même raisons que le frac.
« Assure ta longe sur le bunny » La longe est un bout de corde courte attachée au baudrier du spéléologue. Le bunny est un nœud de boucle, à "oreille de lapin", dont les deux boucles s’équilibrent lors d’une mise en charge.
Extraits des écrits de Laurent Charbonnel, membre du GSGN de l’Isère, sur une enquête de 2005.
Une enquête du GSGN a permis de résoudre une énigme centenaire !
En mars 2005, alors que des membres du club de spéléo de Fontaine en Isère explorent le lieu-dit « le Rocher du château vert », ils découvrent des restes humains dans une cavité de plus de 30 mètres de fond. Le GSGN entreprend alors une enquête. Après avoir gratté le sol, de nouveaux éléments sont déterrés : des restes de membres inférieurs et supérieurs, un tissu épais, une pipe, du tabac à moitié consumé, un porte-monnaie en cuir et 14 pièces en argent de 1913 et une de 1850. Laurent Charbonnel, membre du GSGN, prend alors à cœur cette enquête : « Ces trouvailles nous permettent d’établir des hypothèses de travail, la sépulture devait être un homme car il fumait la pipe, et l’époque du décès remonterait aux environs de 1913, et en hiver vu le tissu ». La présence des gendarmes dans le village isolé de Gresse-en-Vercors réveille la mémoire locale, et un habitant se présente aux enquêteurs avec un registre de la fin du XIXe siècle rédigé par un gradé de gendarmerie. Dans ce vieil ouvrage est mentionné la disparition mystérieuse d’un jeune homme, « Monsieur N », en 1913. Un autre habitant de Gresse-en-Vercors communique à Laurent Charbonnel la copie du livret militaire de son grand-oncle, disparu durant la même année. « Faisant parti de la classe 1903, cet aïeul fera l’objet d’une réforme pour inaptitude médicale, explique Laurent. Le nom indiqué sur le registre est identique à celui du livret militaire et à celui du villageois ».
Les enquêteurs font analyser les ossements à l’IRCGN. Parmi les ossements humains, une vertèbre d’ovin est identifiée. Ce petit détail sera déterminant par la suite… De plus, les os de l’un des pieds présentent une calcification importante, anomalie qui a pour conséquence de provoquer une claudication prononcée. « Rappelez-vous de cet aïeul de la classe de 1903 réformé pour inaptitude médicale… », précise Laurent.
Les enquêteurs rencontrent ensuite une nièce de Monsieur N, aujourd’hui arrière grand-mère. Elle raconte qu’un soir d’hiver de 1913, à Gresse-en-Vercors, Monsieur N est au comptoir d’un bar avec son ami de jeunesse " Monsieur G ". Les deux hommes ont 30 ans et sont épris de la même jeune femme. Sous les effets de l’alcool, ils se querellent, puis leurs ombres s’effacent dans la nuit. « C’est la dernière fois que l’on apercevra Monsieur N vivant » termine la vieille femme. « À ce moment là, notre enquête se précise sur un probable meurtre sur fond de crime passionnel vieux de 92 ans… », continue Laurent.
Suite à des témoignages recueillis auprès des descendants de Monsieur G, les enquêteurs apprennent qu’il était éleveur d’ovins, est parti à la guerre en 1914 et décédé en 1915. Peu de temps après sa mort, ses parents avaient reçu la visite d’un blessé de guerre qui s’était lié d’amitié avec Monsieur G lorsqu’ils étaient tous deux hospitalisés. Sur son lit de mort, Monsieur G lui avait confié être à l’origine de la disparition d’un certain Monsieur N, ajoutant qu’il n’avouera jamais où il a déposé le corps.
« Grâce au cadastre de la mairie de Gresse-en-Vercors, nous apprenons que la famille G exploitait la parcelle du "Rocher du château vert" et y parquait régulièrement ses brebis, explique Laurent. Tout laisse à penser que la cavité avait vocation de charnier et ne devait être connue que par les propriétaires tant elle est difficilement repérable. »
Les enquêteurs font analyser les ADN prélevés sur les ossements, sur le petit-neveu et sur un autre descendant de Monsieur N retrouvé après de longues recherches généalogiques : les trois ADN sont identiques. « Cela confirme que les restes humains découverts au fond de cette faille sont bien ceux de Monsieur N disparu en 1913 », termine Laurent Charbonnel. La mairie de Gresse-en-Vercors a obtenu l’autorisation judiciaire de mentionner officiellement sur l’état civil de Monsieur N sa date de décès : le 14 novembre 1913, après plus de 90 ans d’énigme et de rumeur villageoise.
Floriane Boillot